Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6091

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 46).

6091. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Genève, 23 auguste.

Voilà, monseigneur, mes fluxions sur les yeux qui recommencent ; ainsi vous permettrez à ce vieux malade de vous écrire d’une main étrangère.

J’ai reçu Mlle Clairon comme vous le vouliez, et comme elle le mérite : elle a été honorée, fêtée, chantée.

Criaillez tant que vous voudrez contre les encyclopédistes : ce sont des gens très-dangereux, qui vous ont fait perdre le Canada, qui ont causé l’épidémie mortelle à la Cayenne, et qui viennent de vous faire battre à Maroc. Rien n’est plus juste assurément que de les faire pendre, comme vous le proposiez dans une de vos gracieuses lettres ; mais je vous supplie de m’excepter de la sentence. Je ne suis point du tout encyclopédiste, je ne suis qu’un laboureur malade qui défriche des champs incultes, et qui marie des filles dans un coin de terre ignoré. Ce petit asile n’est connu que depuis que vous l’avez honoré de votre présence et de vos beaux faits. Tout ce que je demande, c’est qu’on ne m’impute point les rogatons dont Rousseau inonde ce pays. On a grand soin de mettre de temps en temps sous mon nom des Dictionnaire philosophique et autres ravauderies. Je suis bien loin de m’amuser à ces sottises ; ma santé est devenue si mauvaise que je ne songe plus qu’à mourir, et je mourrai pénétré pour vous de la plus respectueuse tendresse.