Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5921

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 464-465).

5921. — À M. COLINI.
À Ferney, 20 février.

Mon cher ami, j’entre aujourd’hui dans ma soixante-douzième année, en dépit de mes estampes, qui me donnent quelques jours de moins. Ce n’est pas sans peine que j’ai attrapé cet âge. Je n’ai presque point quitté mon lit depuis deux mois. Vous m’avez vu bien maigre, je suis devenu squelette ; je m évapore comme du bois sec enflammé, et je serai bientôt réduit à rien. Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de Son Altesse électorale. Je veux qu’elle sache que je mourrai son admirateur, son attaché, son obligé.

Dites-moi si vous avez trois pieds de neige a Manheim, comme nous sur les bords du lac Léman. Avez-vous de beaux opéras ? j’avais un pauvre petit théâtre grand comme la main ; je viens de le faire abattre. Vous voyez que j’ai renoncé au démon et à ses pompes. La Mettrie a fait l’Homme-machine et l’Homme-plante : il est triste de n’être qu’une plante du pays de Gex ; j’aurais végété plus agréablement à Schwetzingen.

Adieu ; aimez-moi pour le peu de temps que j’ai encore à exister et à sentir.