Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5085

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 281-282).

5085. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, novembre.

Mon cher ange, il est bien juste que M. le comte de Choiseul ait la consolation de vous tenir à Fontainebleau. Je m’imagine que votre esprit conciliant ne nuira pas à l’œuvre de la paix. Je vois bien des Anglais qui n’en veulent point, mais ils ne songent point que leur gouvernement doit plus de livres tournois qu’il n’y a de minutes depuis la création. J’en faisais le compte avec eux ces jours-ci, et il s’est trouvé juste.

Que M. le comte de Choiseul se garde bien de perdre un temps précieux à écrire à une marmotte des Alpes ; c’est bien assez qu’il soit content de mes sentiments, et qu’il ait la bonté de m’en assurer par vous.

Je ne sais plus où j’en suis pour Mariamne ; je n’ai point ici votre lettre où vous me parliez de quelques changements ; je me souviens seulement que vous me disiez que le second acte n’était pas fini. Cependant Mariamne sort pour aller


… consulter Dieu, l’honneur, et le devoir.

(Acte II, scène v.)

N’est-ce pas une raison de sortir quand on a de telles consultations à faire ? et ne voilà-t-il pas l’acte fini ? Vous parliez, mon divin ange, de distributions de rôles ; je ne m’en souviens plus : tous mes papiers sont entassés aux Délices, que M. le duc de Villars occupe ; mais voici mon blanc-seing tragique que vous ferez remplir comme il vous plaira, et que vous appuierez de votre protection.

Nous ne faisons pas comme vous ; nous allons rejouer le Droit du Seigneur. Je vous avertis que je joue le bailli, et le grand prêtre dans Sémiramis, et que je suis fort claqué.

Pour Olympie, vous l’aurez quand vous voudrez : mon ouvrage de six jours est devenu un ouvrage d’un an. Cette maudite opiniâtreté de vouloir faire évanouir Statira sur le théâtre m’avait écarté de la bonne voie. J’y ai mis tous mes soins et mon petit savoir-faire.

Je ne me console point de ce que Zulime n’a point dit : J’en suis indigne[1] ; mais ce qui fait ma vraie tribulation, c’est que M. le duc de Choiseul m’a cru l’auteur de cette belle rapsodie anglaise[2], c’est qu’il me l’a écrit, avec bonté, il est vrai ; mais cette bonté est affreuse. J’en ai été outré, et je lui ai dit bien des injures qu’il mérite[3]. Il faut absolument que M. le comte de Choiseul le gronde.

Il est vrai que M. le duc de Richelieu se porte fort bien, et qu’il en a donné de belles preuves ; mais, de moi, ce n’est pas de même : de vingt-quatre heures j’en souffre dix-liuit, je griffonne les six autres, et je vous aime tous les moments de ma vie.

  1. Cette suppression avait causé la fièvre à Voltaire ; voyez lettre 4812.
  2. Voyez lettre 4872.
  3. On n’a pas cette lettre d’injures.