Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5079

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 275-276).

5079. — À M. DEBRUS[1].

Ce malheureux Louis Calas fait soulever le cœur. Mais le biais de lui faire écrire par un des avocats de sa mère, et l’espérance d’être récompensé s’il rend gloire à la vérité et s’il écoute la nature, ne pourront-ils rien sur lui ?

Le voyage de M. de Lasalle[2] à Paris me comble d’espérance et de joie. J’ai été tenté cent fois de lui écrire. Je lui écrirai dès qu’il sera à Paris. Je veux qu’il soit en liaison avec M. d’Argental, cela est important. Qu’on nous envoie vite la pauvre servante. On trouvera bien quelqu’un à Genève qui entendra son jargon[3]. On la fera déposer juridiquement à Gex, et on pourra tirer un très-grand parti de cette bonne créature.

Toute cette abominable affaire m’intéresse tous les jours de plus en plus. J’embrasse de tout mon cœur M. Debrus. V.

  1. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  2. M. de Lasalle est ce membre du parlement de Toulouse qui seul ne douta jamais de l’innocence des Calas, et, dès les premiers jours, soutint son opinion contre toute la ville, la magistrature et le clergé de Toulouse, de vive voix et dans un mémoire public : Observations pour le sieur J. Calas, etc. Ce mémoire est remarquable par l’autorité d’une ferme et haute raison. Mais après s’être ainsi prononcé, M. de Lasalle dut se récuser au moment du jugement ; il n’était plus étranger à la cause qu’il s’agissait de juger, et c’est par ce motif qu’il ne put siéger parmi les juges du malheureux Calas. Il fut accueilli à Paris avec transport par les disciples de Voltaire et les partisans de Calas. Dans les drames philosophiques auxquels donna lieu plus tard cette lugubre histoire, c’est toujours lui qui a le beau rôle ; comme les Aristes de Molière, mais avec plus de déclamation et un pompeux étalage de maximes, il est le sage de la pièce, tandis que David en est le traître ou le tyran. (Note du premier éditeur.)
  3. Le patois de Languedoc.