Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5066

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 262-263).
5066. — À M. DAMILAVILLE.
15 octobre.

Je vous ai déjà, mon cher frère, envoyé une lettre importante pour M. d’Alembert[1] ; en voici une seconde : la chose presse, c’est une blessure qui demande un prompt appareil. Mais comment se peut-il faire qu’un billet innocent, à vous envoyé il y a près de cinq mois, ait pu produire une pareille horreur ? Tâchez, mes frères, de remonter à la source. Vous voyez quels coups on veut porter aux bons citoyens, qu’on appelle par dérision philosophes, et qu’on ne doit nommer ainsi que par respect. La calomnie sera confondue.

M. le duc de Choiseul m’a écrit quatre pages sur cette horreur dont il m’a cru coupable. Mais comment m’a-t-il pu soupçonner d’une telle bêtise, d’une telle folie, de telles expressions, d’un tel style, lui qui a de l’esprit et du goût ? Le poids des affaires publiques empêche qu’on ne voie avec attention les affaires des particuliers ; on juge rapidement, on juge au hasard, on n’examine rien ; on avale la calomnie comme du vin de Champagne, et on rend son vin sur le visage du calomnié. Je suis pénétré de colère et de douleur. J’envoie à M. le duc de Choiseul le duplicata de ma lettre à M. d’Alembert ; je crierai jusqu’à ce que je sois mort.

Je crois que j’envoyai à mon frère le billet qui a causé tant de fracas et produit tant de calomnies ; c’était au mois de mai[2], ou je suis fort trompé. À qui l’a-t-on montré ? Ce billet, autant qu’il m’en souvient, était très-vif et très-innocent ; on l’a brodé d’infamies et d’horreurs.

Recherche et vengeance.

  1. Celle du 15 septembre, n° 5036.
  2. C’était en mars : voyez lettre 4872.