Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4830

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 34-35).

4830. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL
Au. Délices, 6 février.

Mes anges grondeurs doivent à présent avoir examiné et jugé mon délit. On a écrit à Gui Duchesne[1], qui demeure pourtant au Temple du Goût[2], et on l’a traité comme si sa demeure était dans la maison de maître Gonin. En eflet, il avait attrapé la pièce du souffleur, moyennant quelques écus et quelques bouteilles. Encore une fois, je me trompe fort, ou ma lettre n’était qu’un compliment.

Ou je me trompe encore, ou Zulime produira peu à Lekain et à Mlle Clairon ; et je ne crois pas qu’ils trouvent un libraire qui leur en donne plus de 800 livres, attendu que c’est un ouvrage déjà livré à l’impression, et rapetassé au théâtre.

Si M. Picardin ou Picardet a fait le Droit du Seigneur, ou l’Ècueil du sage, j’ai fait Cassandre, moi, et ce sont cinq tableaux pour le salon :

Coup de théâtre du mariage, premier tableau.

Statira reconnue et reconnaissant sa fille, second tableau.

Le grand prêtre mettant les holà ; Statira levant son voile, et pétrifiant Cassandre ; troisième tableau.

Statira mourante, sa fille à ses pieds, et Cassandre effaré ; quatrième tableau.

Le bûcher, cinquième tableau.

Le tout avec des notes instructives au bas des pages, sur les personnages, sur les initiés, sur les sacrés mystères, sur la prière d’Orphée :


· · · · · Être unique, éternel, etc. ;

(Olympie, acte I, scène iv.)


sur les bûchers, sur l’usage où les dames étaient alors de se brûler. Voilà de quoi faire une jolie édition avec estampes.

Mes divins anges doivent se tenir pour dit que je suis tiré au sec, qu’il ne me reste pas une goutte de sang dans la veine poétique, pas un esprit animal.

Pourquoi ne pas donner cinq ou six représentations de Cassandre à la mi-carême, et reprendre après Pâques ? On pourrait me rouvrir la veine pendant la quinzaine où le théâtre est fermé. Je laisse le tout à la discrétion de mes anges.

On a commencé l’édition de Pierre ; c’est une rude et appesantissante besogne d’être commentateur et éditeur ; cela ne m’arrivera plus.

Vous n’êtes pas assez fâché de la mort de mon impératrice[3].

Si j’ai fait une sottise avec Gui Duchesne,


Dieu fit du repentir la vertu des rimeurs[4].


Mille tendres respects aux anges.

  1. Cette lettre manque, ainsi que celle dont il est question dans la lettre 4825.
  2. C’était l’enseigne de Duchesne ; voyez tome VI, page 335.
  3. Élisabeth Petrowna, fille de Pierre le Grand, était morte le 5 janvier 1762 (ou 25 décembre 1761 de l’ancien style).
  4. Vers d’Olympie, acte II, scène ii.