Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 709

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 200-201).
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709. – À M. THIERIOT.
À Leyde le 17 janvier.

Il est vrai, mon cher ami, que j’ai été très-malade ; mais la vivacité de mon tempérament me tient lieu de force : ce sont des ressorts délicats qui me mettent au tombeau, et qui m’en retirent bien vite. Je suis venu à Leyde consulter le docteur Boerhaave sur ma santé, et S’Gravesande sur la philosophie de Newton. Le prince royal me remplit tous les jours d’admiration et de reconnaissance : il daigne m’écrire comme à son ami ; il fait pour moi des vers français tels qu’on en faisait à Versailles dans le temps du bon goût et des plaisirs. C’est dommage qu’un pareil prince n’ait point de rivaux. Je ne manque pas de lui glisser quelques mots de vous dans toutes mes lettres. Si ma tendre amitié pour vous vous peut être utile, ne serais-je pas trop heureux ? Je ne vis que pour l’amitié, c’est elle qui m’a retenu à Cirey si longtemps ; c’est elle qui m’y ramènera, si je retourne en France. Le prince royal m’a envoyé le comte de Borcke, ambassadeur du roi de Prusse en Angleterre, pour m’offrir sa maison à Londres, en cas que je voulusse y aller, comme le bruit en a couru : je suis d’ailleurs traité ici beaucoup mieux que je ne mérite. Le libraire Ledet, qui a gagné quelque chose à débiter mes faibles ouvrages, et qui en fait actuellement une magnifique édition, a plus de reconnaissance que les libraires de Paris n’ont d’ingratitude. Il m’a forcé de loger chez lui quand je viens à Amsterdam voir comment va la philosophie newtonienne. Il s’est avisé de prendre pour enseigne la tête de votre ami Voltaire. La modestie qu’il faut avoir défend à ma sincérité de vous dire l’excès de considération qu’on a ici pour moi.

Je ne sais quelle gazette impertinente, misérable écho des misérables Nouvelles à la main de Paris, s’était avisée de dire que je m’étais retiré dans les pays étrangers pour écrire plus librement. Je démens cette imposture en déclarant, dans la gazette d’Amsterdam, que je désavoue tout ce qu’on fait courir sous mon nom, soit en France, soit dans les pays étrangers, et que je n’avoue rien que ce qui aura ou un privilège ou une permission connue. Je confondrai mes ennemis en ne leur donnant aucune prise, et j’aurai la consolation qu’il faudra toujours mentir pour me nuire.

J’ai trouvé ici le gouvernement de France en très-grande réputation, et, ce qui m’a charmé, c’est que les Hollandais sont plus jaloux de notre compagnie des Indes que Rousseau ne l’est de moi. J’ai vu aujourd’hui des négociants qui ont acheté, à la dernière vente de Nantes, ce qui leur manquait à Amsterdam. Voilà de ces choses dont Pollion[1] peut faire usage auprès du ministre, dans l’occasion ; mais, comme je fais plus de cas d’un bon vers que du négoce et de la politique, tâchez donc de me marquer ce que vous trouvez de si négligé dans les vers dont vous me parlez. Je suis aussi sévère que vous pour le moins, et, dans les intervalles que me laisse la philosophie, je corrige toutes les pièces de poésie que j’ai faites, depuis Œdipe jusqu’au Temple de l’Amitié[2]. Il y en aura quelques-unes qui vous seront adressées ; ce seront celles dont j’aurai plus de soin.

  1. La Popelinière.
  2. De 1718 à 1733.