Correspondance de Leibniz et d’Arnauld (Félix Alcan)/23

Correspondance de Leibniz et d’Arnauld — Leibniz au Landgrave
Œuvres philosophiques de Leibniz, Texte établi par Paul JanetFélix Alcantome premier (p. 611-612).

Leibniz au Landgrave[1].

En matière de religion, puisque vous touchez cette corde, il y a des gens de ma connaissance, car je ne vous parle point de moi, qui ne sont pas éloignés des sentiments de l’Église catholique romaine, qui trouvent les définitions du concile de Trente assez raisonnables et conformes à la sainte Écriture et aux saints Pères, qui jugent que le système de la théologie Romaine est mieux lié que celui des protestants, et qui avouent que les dogmes ne les arrêteraient pas ; mais ils sont arrêtés premièrement par quelques abus de pratique très grands et trop communs qu’ils voient tolérés dans la communion catholique romaine, surtout en matière de culte ; ils craignent d’être engagés à les approuver ou au moins à ne pas oser les blâmer ; ils appréhendent de donner par là du scandale à ceux qui les prendraient pour des gens sans conscience, et que leur exemple, quoique mal entendu, porterait à l’impiété ; ils doutent même si on peut communier avec des gens qui pratiquent certaines choses peu tolérables ; et ils considèrent qu’en ces rencontres il est plus excusable de ne pas quitter une communion que d’y entrer. Secondement, quand cet obstacle ne serait pas, ils se trouvent arrêtés par les anathématismes du concile de Trente, ils ont de la peine à souscrire à des condamnations qui leur paraissent trop rigides et peu nécessaires, ils croient que cela est contraire à la charité et que c’est faire ou fomenter un schisme.

Cependant ces personnes se croient véritablement catholiques, comme le seraient ceux qu’on a excommuniés injustement, clave errante, car ils tiennent les dogmes de l’Église catholique, ils souhaitent de plus la communion extérieure, à quoi d’autres mettent des obstacles, ou la leur refusent.

Un célèbre théologien, catholique romain, muni de l’approbation de plusieurs autres, avait proposé un expédient, et avait cru qu’un protestant qui ne serait arrêté que par les anathématismes et même par quelques définitions du concile de Trente, et qui douterait si ce concile a été véritablement œcuménique, mais qui serait prêt à se soumettre à un concile qui le serait véritablement, et qui par conséquent recevrait les premiers principes de l’Église catholique tellement que son erreur ne serait pas de droit, mais de fait seulement ; qu’un tel, dis-je, pourrait être reçu à la communion sans faire aucune mention du concile de Trente, puisque aussi bien ce concile n’a pas encore été reçu partout, et que la profession du pape Pie IV n’est faite que pour les ecclésiastiques ou pour ceux qui enseignent et que je ne crois pas que le concile de Trente soit entré dans la profession de tous ceux qu’on a reçus à la communion en France. Mais on doute que cet expédient soit approuve.

  1. Cette lettre, suivant Gehrardt, est adressée à Arnauld ; suivant Grotefend, au landgrave de Hesse ; nous croyons que c’est celui-ci qui a raison.