Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1132

Louis Conard (Volume 6p. 164-165).

1132. À GEORGE SAND.
[Croisset.] Mardi, 11 octobre 1870.
Chère maître,

Vivez-vous encore ? Où êtes-vous, Maurice et les autres ?

Je ne sais pas comment je ne suis pas mort, tant je souffre atrocement depuis six semaines.

Ma mère s’est réfugiée à Rouen. Ma nièce est à Londres. Mon frère s’occupe des affaires de la ville, et moi je suis seul à me ronger d’impatience et de chagrin. Je vous assure que j’ai voulu faire le bien. Impossible !

Quelle misère ! J’ai eu aujourd’hui à ma porte deux cent soixante et onze pauvres, et on leur a donné à tous ! Que sera-ce cet hiver ?

Les Prussiens sont maintenant à douze heures de Rouen, et nous n’avons pas d’ordres, pas de commandement, pas de discipline, rien, rien ! On nous berne toujours avec l’armée de la Loire. Où est-elle ? En savez-vous quelque chose ? Que fait-on dans le centre de la France ?

Paris finira par être affamé, et on ne lui porte aucun secours !

Les bêtises de la République dépassent celles de l’Empire. Se joue-t-il en dessous quelque abominable comédie ? Pourquoi tant d’inaction ?

Ah ! comme je suis triste ! Je sens que le monde s’en va.