Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0773

Louis Conard (Volume 5p. 120-122).

773. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, mercredi matin, 10 heures
[milieu de décembre 1863].
Mon loulou,

J’attends Pagnerre à déjeuner et j’ai encore ma toilette à faire. La féerie est annoncée et attendue au Châtelet. Demain matin je donne la copie. Quand elle sera copiée et pendant que notre sort se décidera, j’irai vous faire une visite, c’est-à-dire, je pense, dans huit à dix jours. À 1 heure précise je vais tantôt la lire à MM. Durandeau, l’auteur du Petit Léon, qui doit faire les dessins des décors et des costumes, Duplan, de Beaulieu (un ami de d’Osmoy), le frère dudit d’Osmoy, Lemoine, un ami de Bouilhet, Alfred Guérard, Rohaut, un ami de Monseigneur, qui écrit dans les petits journaux. Nous avons voulu avoir un public de bourgeois pour juger de l’effet naïf de l’œuvre. Monseigneur n’arrivera qu’à la fin ; il sera à la répétition, puis à la Censure qui lui cherche chicane. Voilà. Je vous ai dit sans doute que mon ami Pagnerre était un des actionnaires de la nouvelle société qui possède les théâtres du boulevard. C’est un des créateurs du Garçon. Cela fait une franc-maçonnerie qu’on n’oublie point. Aussi l’ai-je trouvé très ardent à nous servir, jusqu’à présent.

J’ai hier dîné chez Mme d’Osmoy qui désire beaucoup vous connaître ; c’est une bonne et aimable jeune femme, très enfant encore et pas du tout poseuse. Nous étions servis à table par une femme de chambre qui avait un petit bonnet d’Opéra-comique très coquet. Avant d’aller chez l’Idiot j’avais vu le professeur[1], qui s’est beaucoup informé de ta grand’mère.

Soigne-la bien, ma chère Caro, fais en sorte qu’elle ne s’aperçoive pas trop de mon absence ! Tu ne dois pas trop t’amuser, mon pauvre bibi. Mais elle s’amuse sans doute encore moins que toi. Ayez un peu de patience toutes les deux, le mois prochain sera plus gai.

J’ai vu lundi Mme Laurent[2] en très bon état, ainsi que son petit époux. Le père Laurent était avec eux, dans leur salle à manger et en train de filtrer du vin. C’était un spectacle peu luxueux.

Je venais de voir le père Michelet qui m’a l’air très touché, ainsi que sa femme, des lettres que je lui écris.

Ce soir et demain je dîne chez moi ; vendredi, chez Charles-Edmond : telles sont les nouvelles, mon bibi.

La semaine prochaine je me remets à travailler.

Adieu, pauvre chat. J’embrasse ta bonne mine fraîche.

Caresse un peu ta grand’mère pour moi et tâchez de passer votre semaine le moins maussadement possible.

Ton oncle le scheik qui t’aime.

  1. Jules Cloquet, professeur à l’École de médecine.
  2. Une cousine.