Corinne ou l’Italie/Livre XIV

La librairie stéréotipe (Tome IIp. 128-176).
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Tome II – Livre XIV


LIVRE XIV.

HISTOIRE DE CORINNE

CHAPITRE PREMIER.


OSWALD, je vais commencer par l’aveu qui doit décider de ma vie ; si après l’avoir lu vous ne croyez pas possible de me pardonner, n’achevez point cette lettre et rejetez-moi loin de vous ; mais si, quand vous connaîtrez et le nom et le sort auxquels j’ai renoncé, tout n’est pas brisé entre nous, ce que vous apprendrez ensuite servira peut-être à m’excuser.

Lord Edgermond était mon père, je suis née en Italie de sa première femme qui était Romaine, et Lucile Edgermond qu’on vous destinait pour épouse est ma sœur du côté paternel ; elle est le fruit du second mariage de mon père avec une Anglaise.

Maintenant écoutez-moi. Élevée en Italie je perdis ma mère lorsque je n’avais encore que dix ans ; mais, comme en mourant elle avait témoigné un extrême désir que mon éducation fût terminée avant que j’allasse en Angleterre, mon père me laissa chez une tante de ma mère à Florence jusqu’à l’âge de quinze ans ; mes talens, mes goûts, mon caractère même, étaient formés, quand la mort de ma tante décida mon père à me rappeler près de lui. Il vivait dans une petite ville de Northumberland, qui ne peut, je crois, donner aucune idée de l’Angleterre ; mais c’est tout ce que j’en ai connu pendant les six années que j’y ai passées ; ma mère dès mon enfance ne m’avait entretenue que du malheur de ne plus vivre en Italie, et ma tante m’avait souvent répété que c’était la crainte de quitter son pays qui avait fait mourir ma mère de chagrin. Ma bonne tante se persuadait aussi qu’une catholique était damnée quand elle vivait dans un pays protestant ; et bien que je ne partageasse pas cette crainte, cependant l’idée d’aller en Angleterre me causait beaucoup d’effroi.

Je partis avec un sentiment de tristesse inexprimable. La femme qui était venue me chercher ne savait pas l’italien ; j’en disais bien encore quelques mots à la dérobée avec ma pauvre Thérésine qui avait consenti à me suivre, quoiqu’elle-ne cessât de pleurer en s’éloignant de sa patrie, mais il fallut me déshabituer de ces sons harmonieux, qui plaisent tant même aux étrangers, et dont le charme était uni pour moi à tous les souvenirs de l’enfance. Je m’avançais vers le nord ; sensation triste et sombre que j’éprouvais, sans en concevoir bien clairement la cause. Il y avait cinq ans que je n’avais vu mon père quand j’arrivai chez lui. Je pus à peine le reconnaître : il me sembla que sa figure avait pris un caractère plus grave ; cependant il me reçut avec un tendre intérêt, et me dit beaucoup que je ressemblais à ma mère. Ma petite sœur, qui avait alors trois ans, me fut amenée ; c’était la figure la plus blanche, les cheveux de soie les plus blonds que j’eusse jamais vus. Je la regardai avec étonnement ; car nous n’avons presque pas de ces figures en Italie, mais dès ce moment elle m’intéressa beaucoup ; je pris ce jour là même de ses cheveux, pour en faire un bracelet, que j’ai toujours conservé depuis. Enfin, ma belle-mère parut, et l’impression qu’elle me fit la première fois que je la vis s’est constamment accrue et renouvelée pendant les six années que j’ai passées avec elle.

Lady Edgermond aimait exclusivement la province où elle était née, et mon père, qu’elle dominait, lui avait fait le sacrifice du séjour de Londres ou d’Edimbourg. C’était une personne froide, digne, silencieuse, dont les yeux étaient sensibles quand elle regardait sa fille ; mais qui avait d’ailleurs quelque chose de si positif dans l’expression de sa physionomie, et dans ses discours, qu’il paraissait impossible de lui faire entendre, ni une idée nouvelle, ni seulement une parole à laquelle elle ne fut pas accoutumée. Elle me reçut bien, mais j’aperçus facilement que toute ma manière la surprenait, et qu’elle se proposait de la changer, si elle le pouvait. L’on ne dit pas un mot pendant le dîner, bien qu’on eût invité quelques personnes du voisinage : je m’ennuyais tellement de ce silence, qu’au milieu du repas j’essayai de parler un peu à un homme âgé qui était assis à côté de moi. Je savais assez bien l’anglais, que mon père m’avait appris dès l’enfance, et je citai dans la conversation des vers italiens très-purs, très-délicats, mais dans lesquels il était question d’amour : ma belle-mère, qui savait un peu l’italien, me regarda, rougit et donna le signal aux femmes, plutôt qu’à l’ordinaire encore, de se retirer pour aller préparer le thé, et laisser les hommes seuls à table pendant le dessert. Je n’entendais rien à cet usage, qui surprend beaucoup en Italie où l’on ne peut concevoir aucun agrément dans la société sans les femmes, et je crus, un moment, que ma belle-mère était si indignée contre moi, qu’elle ne voulait pas rester dans la chambre où j’étais. Cependant je me rassurai, parce qu’elle me fit signe de la suivre, et ne m’adressa aucun reproche pendant les trois heures que nous passâmes dans le salon, attendant que les hommes vinssent nous rejoindre.

Ma belle-mère à souper me dit assez doucement qu’il n’était pas d’usage que les jeunes personnes parlassent, et que, surtout, elles ne devaient jamais se permettre de citer des vers où le mot d’amour était prononcé. — Miss Edgermond, ajouta-t-elle, vous devez tâcher d’oublier tout ce qui tient à l’Italie, c’est un pays qu’il serait à désirer que vous n’eussiez jamais connu. — Je passai la nuit à pleurer ; mon cœur était oppressé de tristesse ; le matin j’allai me promener ; il faisait un brouillard affreux ; je n’aperçus pas le soleil, qui du moins m’aurait rappelé ma patrie ; je rencontrai mon père ; il vint à moi, et me dit : — Ma chère enfant, ce n’est pas ici comme en Italie, les femmes n’ont d’autre vocation parmi nous que les devoirs domestiques ; les talens que vous avez vous désennuieront dans la solitude ; peut-être aurez-vous un mari qui s’en fera plaisir ; mais dans une petite ville comme celle-ci, tout ce qui attire l’attention excite l’envie, et vous ne trouveriez pas du tout à vous marier, si l’on croyait que vous avez des goûts étrangers à nos mœurs ; ici la manière d’exister doit être soumise aux anciennes habitudes d’une province éloignée. J’ai passé avec votre mère douze ans en Italie, et le souvenir m’en est très-doux ; j’étais jeune alors, et la nouveauté me plaisait ; à présent je suis rentré dans ma case, et je m’en trouve bien ; une vie régulière, même un peu monotone, fait passer le temps sans qu’on s’en aperçoive. Mais il ne faut pas lutter contre les usages du pays où l’on est établi, l’on en souffre toujours ; car dans une ville aussi petite que celle où nous sommes, tout se sait, tout se répète : il n’y a pas lieu à l’émulation, mais bien à la jalousie, et il vaut mieux supporter un peu d’ennui, que de rencontrer toujours des visages surpris et malveillans, qui vous demanderaient, à chaque instant, raison de ce que vous faites. —

Non, mon cher Oswald, vous ne pouvez vous faire une idée de la peine que j’éprouvai en entendant mon père parler ainsi. Je me le rappelais plein de grâce et de vivacité, tel que je l’avais vu dans mon enfance, et je le voyais courbé maintenant sous ce manteau de plomb, que Le Dante décrit dans l’enfer, et que la médiocrité jette sur les épaules de ceux qui passent sous son joug ; tout s’éloignait à mes regards, l’enthousiasme de la nature, des beaux-arts, des sentimens ; et mon ame me tourmentait comme une flamme inutile qui me dévorait moi-même, n’ayant plus d’alimens au-dehors. Comme je suis naturellement douce, ma belle-mère n’avait point à se plaindre de moi dans mes rapports avec elle ; mon père encore moins, car je l’aimais tendrement, et c’était dans mes entretiens avec lui que je trouvais encore quelque plaisir. Il était résigné, mais il savait qu’il l’était ; tandis que la plupart de nos gentilshommes campagnards, buvant, chassant et dormant, croyaient mener la plus sage et la plus belle vie du monde.

Leur contentement me troublait à un tel point, que je me demandais si ce n’était pas moi dont la manière de penser était une folie, et si cette existence toute solide qui échappe à la douleur comme à la pensée, au sentiment comme à la rêverie, ne valait pas beaucoup mieux que ma manière d’être ; mais à quoi m’aurait servi cette triste conviction ! à m’afïliger de mes facultés comme d’un malheur, tandis qu’elles passaient en Italie pour un beau don du ciel.

Parmi les personnes que nous voyions, il y en avait qui ne manquaient pas d’esprit ; mais elles l’étouffaient comme une lueur importune ; et pour l’ordinaire, vers quarante ans, ce petit mouvement de leur tête s’était engourdi avec tout le reste. Mon père, vers la fin de l’automne, allait beaucoup à la chasse, et nous l’attendions quelquefois jusqu’à minuit. Pendant son absence, je restais dans ma chambre la plus grande partie de la journée, pour cultiver mes talens, et ma belle-mère en avait de l’humeur. — À quoi bon tout cela, me disait-elle, en serez-vous plus heureuse ? — Et ce mot me mettait au désespoir. Qu’est-ce donc que le bonheur, me disais-je, si ce n’est pas le développement de nos facultés ? Ne vaut-il pas autant se tuer physiquement que moralement ? Et s’il faut étouffer mon esprit et mon ame, que sert de conserver le misérable reste de vie qui m’agite en vain ? Mais je me gardais bien de parler ainsi à ma belle-mère. Je l’avais essayé une ou deux fois ; mais elle m’avait répondu qu’une femme était faite pour soigner le ménage de son mari et la santé de ses enfans ; que toutes les autres prétentions ne faisaient que du mal, et que le meilleur conseil qu’elle avait à me donner, c’était de les cacher si je les avais ; et ce discours, tout commun qu’il était, me laissait absolument sans réponse : car l’émulation, i’enthousiasme, tous ces moteurs de l’ame et du génie ont singulièrement besoin d’être encouragés, et se flétrissent comme les fleurs sous un ciel triste et glacé.

Il n’y a rien de si facile que de se donner l’air très-moral, en condamnant tout ce qui tient à une ame élevée. Le devoir, la plus noble destination de l’homme, peut être dénaturé comme toute autre idée, et devenir une arme hostile, dont les esprits étroits, les gens médiocres et contens de l’être se servent pour imposer silence au talent et se débarrasser de l’enthousiasme, du génie, enfin de tous leurs ennemis. On dirait, à les entendre, que le devoir consiste dans le sacrifice des facultés distinguées que l’on possède, et que l’esprit est un tort qu’il faut expier, en menant précisément la même vie que ceux qui en manquent ; mais est-il vrai que le devoir prescrive à tous les caractères des règles semblables ? Les grandes pensées, les sentimens généreux ne sont-ils pas dans ce monde la dette des êtres capables de l’acquitter ? Chaque femme comme chaque homme ne doit-elle pas se frayer une route d’après son caractère et ses talens ? Et faut-il imiter l’instinct des castors, dont les générations se succèdent sans progrès et sans diversité ?

Non, Oswald, pardonnez à l’orgueil de Corinne ; mais je me croyais faite pour une autre destinée ; je me sens aussi soumise à ce que j’aime, que ces femmes dont j’étais entourée, et qui ne permettaient, ni un jugement à leur esprit, ni un désir à leur cœur : s’il vous plaisait de passer vos jours au fond de l’Écosse, je serais heureuse d’y vivre et d’y mourir auprès de vous : mais loin d’abdiquer mon imagination, elle me servirait à mieux jouir de la nature, et plus l’empire de mon esprit serait étendu, plus je trouverais de gloire et de bonheur à vous en déclarer le maître.

Ma belle-mère était presque aussi importunée de mes idées que de mes actions ; il ne lui suffisait pas que je menasse la même vie qu’elle, il fallait encore que ce fût par les mêmes motifs ; car elle voulait que les facultés qu’elle n’avait pas fussent considérées seulement comme une maladie. Nous vivions assez près du bord de la mer, et le vent du nord se faisait sentir souvent dans notre château : je l’entendais siffler la nuit à travers les longs corridors de notre demeure, et le jour il favorisait merveilleusement notre silence quand nous étions réunies. Le temps était humide et froid ; je ne pouvais presque jamais sortir sans éprouver une sensation douloureuse : il y avait dans la nature quelque chose d’hostile qui me faisait regretter amèrement sa bienfaisance et sa douceur en Italie.

Nous rentrions l’hiver dans la ville, si c’est une ville toutefois qu’un lieu où il n’y a ni spectacle, ni édifices, ni musique, ni tableaux ; c’était un rassemblement de commérages, une collection d’ennuis divers et pareils.

La naissance, le mariage et la mort, composaient toute l’histoire de notre société, et ces trois événemens différaient là moins qu’ailleurs. Représentez-vous ce que c’était pour une Italienne comme moi, que d’être assise autour d’une table à thé plusieurs heures par jour après dîner, avec la société de ma belle-mère. Elle était composée de sept femmes les plus graves de la province ; deux d’entre elles étaient des demoiselles de cinquante ans, timides comme à quinze, mais beaucoup moins gaies qu’à cet âge. Une femme disait à l’autre : Ma chère, croyez-vous que l’eau soit assez bouillante pour la verser sur le thé. — Ma chère, répondait l’autre, je crois que ce serait trop tôt ; car ces Messieurs ne sont pas encore prêts a venir. — Resteront-ils long-temps à table aujourd’hui, disait la troisième, qu’en croyez-vous, ma chère ?Je ne sais pas, répondait la quatrième, il me semble que l’élection du parlement doit avoir lieu la semaine prochaine, et il se pourrait qu’ils restassent pour s’en entretenir. — Non, reprenait la cinquième, je crois plutôt qu’ils parlent de cette chasse au renard qui les a tant occupés la semaine passée, et qui doit recommencer lundi prochain ; je crois cependant que le dîner sera bientôt fini. — Ah ! je ne l’espère guères, disait la sixième en soupirant, et le silence recommençait. J’avais été dans les couvens d’Italie, ils me paraissaient pleins de vie à côté de ce cercle, et je ne savais qu’y devenir.

Tous les quarts d’heure il s’élevait une voix qui faisait la question la plus insipide, pour obtenir la réponse la plus froide, et l’ennui soulevé retombait avec un nouveau poids sur ces femmes que l’on aurait pu croire malheureuses, si l’habitude prise dès l’enfance n’apprenait pas à tout supporter. Enfin les Messieurs revenaient, et, ce moment si attendu, n’apportait pas un grand changement dans la manière d’être des femmes : les hommes continuaient leur conversation auprès de la cheminée ; les femmes restaient dans le fond de la chambre, distribuant les tasses de thé ; et, quand l’heure du départ arrivait, elles s’en allaient avec leurs époux, prêtes à recommencer le lendemain une vie qui ne différait de celle de la veille que par la date de l’almanach et la trace des années qui venait enfin s’imprimer sur le visage de ces femmes, comme si elles avaient vécu pendant ce temps.

Je ne puis concevoir encore comment mon talent a pu échapper au froid mortel dont j’étais entourée ; car il ne faut pas se le cacher, il y a deux côtés à toutes les manières de voir : on peut vanter l’enthousiasme, on peut le blâmer ; le mouvement et le repos, la variété et la monotonie, sont susceptibles d’être attaqués et défendus par divers argumens ; on peut plaider pour la vie, et il y a cependant assez de bien à dire de la mort, ou de ce qui lui ressemble. Il n’est donc pas vrai qu’on puisse tout simplement mépriser ce que disent les gens médiocres, ils pénètrent malgré vous dans le fond de votre pensée, ils vous attendent dans les momens où la supériorité vous a causé des chagrins, pour vous dire un hé bien, tout tranquille, tout modéré en apparence, et qui est cependant le mot le plus dur qu’il soit possible d’entendre ; car on ne peut supporter l’envie que dans les pays où cette envie même est excitée par l’admiration qu’inspire les talens ; mais quel plus grand malheur que de vivre là où la supériorité ferait naître la jalousie et point l’enthousiasme ! là où l’on serait haï comme une puissance, en étant moins fort qu’un être obscur ! Telle était ma situation dans cet étroit séjour ; je n’y faisais qu’un bruit importun à presque tout le monde, et je ne pouvais, comme à Londres ou à Edimbourg, rencontrer ces hommes supérieurs qui savent tout juger et tout connaître, et qui, sentant le besoin des plaisirs inépuisables de l’esprit et de la conversation, auraient trouvé quelque charme dans l’entretien d’une étrangère, quand même elle ne se serait pas en tout conformée aux sévères usages du pays.

Je passais quelquefois des jours entiers dans les sociétés de ma belle-mère, sans entendre dire un mot qui répondît ni à une idée ni à un sentiment ; l’on ne se permettait pas même des gestes en parlant ; on voyait sur le visage des jeunes filles la plus belle fraîcheur, les couleurs les plus vives et la plus parfaite immobilité : singulier contraste entre la nature et la société ! Tous les âges avaient des plaisirs semblables : l’on prenait le thé, l’on jouait au whist, et les femmes vieillissaient en faisant toujours la même chose, en restant toujours à la même place : le temps était bien sûr de ne pas les manquer, il savait où les prendre.

Il y a dans les plus petites villes d’Italie un théâtre, de la musique, des improvisateurs, beaucoup d’enthousiasme pour la poésie et les arts, un beau soleil ; enfin, on y sent qu’on vit ; mais je l’oubliais tout-à-fait dans la province que j’habitais, et j’aurais pu, ce me semble, envoyer à ma place une poupée légèrement perfectionnée par la mécanique, elle aurait très-bien rempli mon emploi dans la société. Comme il y a partout, en Angleterre, des intérêts de divers genres qui honorent l’humanité, les hommes, dans quelque retraite qu’ils vivent, ont toujours les moyens d’occuper dignement leur loisir ; mais l’existence des femmes, dans le coin isolé de la terre que j’habitais, était bien insipide. Il y en avait quelques-unes qui, par la nature et la réflexion, avaient développé leur esprit, et j’avais découvert quelques accens, quelques regards, quelques mots dits à voix basse, qui sortaient de la ligne commune ; mais la petite opinion du petit pays, toute-puissante dans son petit cercle, étouffait entièrement ces germes : on aurait eu l’air d’une mauvaise tête, d’une femme de vertu douteuse, si l’on s’était livré à parler, à se montrer de quelque manière ; et ce qui était pis que tous les inconvéniens, il n’y avait aucun avantage.

D’abord j’essayai de ranimer cette société endormie : je leur proposai de lire des vers, de faire de la musique. Une fois, le jour était pris pour cela ; mais tout à coup une femme se rappela qu’il y avait trois semaines qu’elle était invitée à souper chez sa tante ; une autre qu’elle était en deuil d’une vieille cousine qu’elle n’avait jamais vue et qui était morte depuis plus de trois mois ; une autre, enfin, que dans son ménage il y avait des arrangemens domestiques à prendre : tout cela était très-raisonnable ; mais ce qui était toujours sacrifié, c’étaient les plaisirs de l’imagination et de l’esprit, et j’entendais si souvent dire : cela ne se peut pas, que parmi tant de négations, ne pas vivre, m’eût encore semblé la meilleure de toutes.

Moi-même, après m’être débattue quelque temps, j’avais renoncé à mes vaines tentatives, non que mon père me les interdît, il avait même engagé ma belle-mère à ne pas me tourmenter à cet égard ; mais les insinuations, mais les regards à la dérobée, pendant que je parlais, mille petites peines semblables aux liens dont les pygmées entouraient Gulliver, me rendaient tous les mouvemens impossibles, et je finissais par faire comme les autres, en apparence, mais avec cette différence que je mourais d’ennui, d’impatience et de dégoût au fond du cœur. J’avais déjà passé ainsi quatre années les plus fastidieuses du monde, et ce qui m’affligeait davantage encore, je sentais mon talent se refroidir, mon esprit se remplissait, malgré moi, de petitesses : car, dans une société où l’on manque tout à la fois d’intérêt pour les sciences, la littérature, les tableaux et la musique, où l’imagination enfin n’occupe personne, ce sont les petits faits, les critiques minutieuses qui font nécessairement le sujet des entretiens, et les esprits étrangers à l’activité comme à la méditation ont quelque chose d’étroit, de susceptible et de contraint, qui rend les rapports de la société tout à la fois pénibles et fades.

Il n’y a là de jouissance que dans une certaine régularité méthodique, qui convient à ceux dont le désir est d’effacer toutes les supériorités, pour mettre le monde à leur niveau ; mais cette uniformité est une douleur habituelle pour les caractères appelés à une destinée qui leur soit propre ; le sentiment amer de la malveillance que j’excitais malgré moi se joignait à l’oppression causée par le vide, qui m’empêchait de respirer. C’est en vain qu’on se dit tel homme n’est pas digne de me juger, telle femme n’est pas capable de me comprendre ; le visage humain exerce un grand pouvoir sur le cœur humain ; et quand vous lisez sur ce visage une désapprobation sécrète, elle vous inquiète toujours, en dépit de vous-même ; enfin, le cercle qui vous environne finit toujours par vous cacher le reste du monde ; le plus petit objet placé devant votre œil vous intercepte le soleil ; il en est de même aussi de la cotterie dans laquelle on vit : ni l’Europe ni la postérité ne pourraient rendre insensible aux tracasseries de la maison voisine ; et qui veut être heureux et développer son génie, doit, avant tout, bien choisir l’atmosphère dont il s’entoure immédiatement.


CHAPITRE II.


JE n’avais d’autre amusement que l’éducation de ma petite sœur ; ma belle-mère ne voulait pas qu’elle sut la musique, mais elle m’avait permis de lui apprendre l’italien et le dessin, et je suis persuadée qu’elle se souvient encore de l’un et de l’autre, car je lui dois la justice qu’elle montrait alors beaucoup d’intelligence. Oswald, Oswald ! si c’est pour votre bonheur que je me suis donnée tant de soins, je m’en applaudis encore : je m’en applaudirais dans le tombeau. J’avais près de vingt ans, mon père voulait me marier, et c’est ici que toute la fatalité de mon sort va se déployer. Mon père était l’intime ami du vôtre, et c’est à vous, Oswald, à vous qu’il pensa pour mon époux. Si nous nous étions connus alors, et si vous m’aviez aimée, notre sort à tous les deux eût été sans nuage. J’avais entendu parler de vous avec un tel éloge, que, soit pressentiment soit orgueil, je fus extrêmement flattée par l’espoir de vous épouser. Vous étiez trop jeune pour moi, puisque j’ai dix-huit mois de plus que vous ; mais votre esprit, votre goût pour l’étude devançait, dit-on, votre âge, et je me faisais une idée si douce de la vie passée avec un caractère tel qu’on peignait le vôtre, que cet espoir effaçait entièrement mes préventions contre la manière d’exister des femmes en Angleterre. Je savais d’ailleurs que vous vouliez vous établir à Edimbourg ou à Londres, et j’étais sûre de trouver dans chacune de ces deux villes la société la plus distinguée. Je me disais alors, ce que je crois encore à présent, c’est que tout le malheur de ma situation venait de vivre dans une petite ville, reléguée au fond d’une province du nord. Les grandes villes seules conviennent aux personnes qui sortent de la règle commune, quand c’est en société qu’elles veulent vivre ; comme la vie y est variée la nouveauté y plaît ; mais dans les lieux oû l’on a pris une assez douce habitude de la monotonie, l’on n’aime pas à s’amuser une fois, pour découvrir que l’on s’ennuie tous les jours.

Je me plais à le répéter, Oswald, quoique je ne vous eusse jamais vu, j’attendais votre père, qui devait venir passer huit jours chez le mien, avec une véritable anxiété ; et ce sentiment était alors trop peu motivé pour qu’il ne fût pas un avant-coureur de ma destinée. Quand lord Nelvil arriva, je désirai de lui plaire, je le désirai peut-être trop, et je fis pour y réussir infiniment plus de frais qu’il n’en fallait ; je lui montrai tous mes talens, je dansai, je chantai, j’improvisai pour lui, et mon esprit, long-temps contenu, fut peut-être trop vif en brisant ses chaînes. Depuis sept ans l’expérience m’a calmée ; j’ai moins d’empressement à me montrer ; je suis plus accoutumée à moi ; je sais mieux attendre ; j’ai peut-être moins de confiance dans la bonne disposition des autres, mais aussi moins d’ardeur pour leurs applaudissemens, enfin il est possible qu’alors il y eût en moi quelque chose d’étrange. On a tant de feu, tant d’imprudence dans la première jeunesse ! on se jette en avant de la vie avec tant de vivacité ! L’esprit, quelque distingué qu’il soit, ne supplée jamais au temps : et bien qu’avec cet esprit on sache parler sur les hommes comme si l’on les connaissait, on n’agit point en conséquence de ses propres aperçus ; on a je ne sais quelle fièvre dans les idées, qui ne nous permet pas de conformer notre conduite à nos propres raisonnemens.

Je crois, sans le savoir avec certitude, que je parus à lord Nelvil une personne trop vive, car après avoir passé huit jours chez mon père, et s’être montré cependant très-aimable pour moi, il nous quitta et écrivit à mon père, que toute réflexion faite il trouvait son fils trop jeune pour conclure le mariage dont il avait été question. Oswald, quelle importance attacherez-vous à cet aveu ? Je pouvais vous dissimuler cette circonstance de ma vie, je ne l’ai pas fait. Serait-il possible cependant qu’elle vous parût ma condamnation ! Je suis, je le sais, améliorée depuis sept années ; et votre père aurait-il vu sans émotion ma tendresse et mon enthousiasme pour vous ! Oswald, il vous aimait, nous nous serions entendus.

Ma belle-mère forma le projet de me marier au fils de son frère aîné qui possédait une terre dans notre voisinage ; c’était un homme de trente ans, riche, d’une belle figure, d’une naissance illustre et d’un caractère fort honnête ; mais si parfaitement convaincu de l’autorité d’un mari sur sa femme, et de la destination soumise et domestique de cette femme, qu’un doute à cet égard l’aurait autant révolté que si l’on avait mis en question l’honneur ou la probité. M. Maclinson ( c’était son nom ) avait assez de goût pour moi, et ce qu’on disait dans la ville de mon esprit et de mon caractère singulier ne l’inquiétait pas le moins du monde, il y avait tant d’ordre dans sa maison, tout s’y faisait si régulièrement, à la même heure et de la même manière, qu’il était impossible à personne d’y rien changer. Les deux vieilles tantes qui dirigeaient le ménage, les domestiques, les chevaux mêmes n’auraient pas su faire une seule chose différente de la veille, et les meubles qui assistaient à ce genre de vie depuis trois générations se seraient, je crois, déplacés d’eux-mêmes si quelque chose de nouveau leur était apparu. M. Maclinson avait donc raison de ne pas craindre mon arrivée dans ce lieu ; le poids des habitudes y était si fort, que la petite liberté que je me serais donnée aurait pu le désennuyer un quart d’heure par semaine, mais n’aurait jamais eu sûrement une autre conséquence.

C’était un homme bon, incapable de faire de la peine ; mais si cependant je lui avais parlé des chagrins sans nombre qui peuvent tourmenter une ame active et sensible, il m’aurait considérée comme une personne vaporeuse, et m’aurait simplement conseillé de monter à cheval, et de prendre l’air. Il désirait de m’épouser précisément parce qu’il ne se doutait pas des besoins de l’esprit ni de l’imagination, et que je lui plaisais sans qu’il me comprît. S’il avait eu seulement l’idée de ce que c’était qu’une femme distinguée, et des avantages et des inconvéniens qu’elle peut avoir, il eut craint de ne pas être assez aimable à mes yeux ; mais ce genre d’inquiétude n’entrait pas même dans sa tête : jugez de ma répugnance pour un tel mariage. Je le refusai décidément ; mon père me soutint ; ma belle-mère en connut un vif ressentiment contre moi : c’était une personne despotique au fond de l’ame, bien que sa timidité l’empêchât souvent d’exprimer sa volonté : quand on ne la devinait pas, elle en avait de l’humeur ; et quand on lui résistait après qu’elle avait fait l’effort de s’exprimer, elle le pardonnait d’autant moins, qu’il lui en avait plus coûté pour sortir de sa réserve accoutumée.

Toute la ville me blâma de la manière la plus prononcée. Une union aussi convenable, une fortune si bien en ordre, un homme si estimable, un nom si considéré ; tel était le cri général ! J’essayai d’expliquer pourquoi cette union si convenable ne me convenait pas ; j’y perdis ma peine. Quelquefois je me faisais comprendre quand je parlais ; mais dès que j’étais partie, ce que j’avais dit ne laissait aucune trace ; car les idées habituelles rentraient aussitôt dans les têtes de mes auditeurs, et ils recevaient avec un nouveau plaisir ces anciennes connaissances que j’avais un moment écartées.

Une femme beaucoup plus spirituelle que les autres, bien qu’elle se fût conformée en tout extérieurement à la vie commune, me prit à part un jour que j’avais parlé avec encore plus de vivacité qu’à l’ordinaire, et me dit ces paroles qui me firent une impression profonde : — Vous vous donnez beaucoup de peine, ma chère, pour un résultat impossible : vous ne changerez pas la nature des choses ; une petite ville du nord, sans rapport avec le reste du monde, sans goût pour les arts ni pour les lettres, ne peut être autrement qu’elle n’est : si vous devez vivre ici, soumettez-vous ; allez-vous-en, si vous le pouvez ; il n’y a que ces deux partis à prendre. — Ce raisonnement n’était que trop évident ; je me sentis pour cette femme une considération que je n’avais pas pour moi-même ; car, avec des goûts assez analogues aux miens, elle avait su se résigner à la destinée que je ne pouvais supporter ; et tout en aimant la poésie et les jouissances idéales, elle jugeait mieux la force des choses et l’obstination des hommes. Je cherchai beaucoup à la voir ; mais ce fut en vain : son esprit sortait du cercle, mais sa vie y était renfermée ; et je crois même qu’elle craignait un peu de réveiller, par nos entretiens, sa supériorité naturelle : qu’en aurait-elle fait ?


CHAPITRE III.


J’AURAIS cependant passé toute ma vie dans la déplorable situation où je me trouvais, si j’avais conservé mon père ; mais un accident subit me l’enleva : je perdis avec lui mon protecteur, mon ami, le seul qui m’entendît encore dans ce désert peuplé, et mon désespoir fut tel, que je n’eus plus la force de résister à mes impressions. J’avais vingt ans quand il mourut, et je me trouvai sans autre appui, sans autre relation que ma belle-mère, une personne avec laquelle, depuis cinq ans que nous vivions ensemble, je n’étais pas plus liée que le premier jour. Elle se mit à me reparler de M. Maclinson, et quoiqu’elle n’eût pas le droit de me commander de l’épouser, elle ne recevait que lui chez elle, et me déclarait assez nettement qu’elle ne favoriserait aucun autre mariage. Ce n’était pas qu’elle aimât beaucoup M. Maclinson, quoiqu’il fut son proche parent ; mais elle me trouvait dédaigneuse en le refusant, et elle faisait cause commune avec lui, plutôt pour la défense de la médiocrité que par amour-propre de famille.

Chaque jour ma situation devenait plus odieuse ; je me sentais saisie par la maladie du pays, la plus inquiète douleur qui puisse s’emparer de l’ame. L’exil est quelquefois, pour les caractères vifs et sensibles, un supplice beaucoup plus cruel que la mort ; l’imagination prend en déplaisance tous les objets qui vous entourent, le climat, le pays, la langue, les usages, la vie en masse, la vie en détail ; il y a une peine pour chaque moment comme pour chaque situation : car la patrie nous donne mille plaisirs habituels que nous ne connaissons pas nous-mêmes avant de les avoir perdus :

.... La favella, i costumi,
L’aria, i tronchi, il terren, le mura, i sassi ![1].

C’est déjà un vif chagrin que de ne plus voir les lieux où l’on a passé son enfance : les souvenirs de cet âge, par un charme particulier, rajeunissent le cœur, et cependant adoucissent l’idée de la mort. La tombe rapprochée du berceau semble placer sous le même ombrage toute une vie ; tandis que les années passées sur un sol étranger sont comme des branches sans racines. La génération qui vous précède ne vous a pas vu naître, elle n’est pas pour vous la génération des pères, la génération protectrice ; mille intérêts qui vous sont communs avec vos compatriotes ne sont plus entendus par les étrangers ; il faut tout expliquer, tout commenter, tout dire, au lieu de cette communication facile, de cette effusion de pensées qui commence à l’instant où l’on retrouve ses concitoyens. Je ne pouvais me rappeler, sans émotion, les expressions bienveillantes de mon pays. Cara Canssima, disais-je quelquefois, en me promenant toute seule, pour m’imiter à moi-même l’accueil si amical des Italiens et des Italiennes, je comparais cet accueil à celui que je recevais.

Chaque jour j’errais dans la campagne, où j’avais coutume d’entendre, le soir, en Italie, des airs harmonieux chantés avec des voix si justes, et les cris des corbeaux retentissaient seuls dans les nuages. Le soleil si beau, l’air si suave de mon pays était remplacé par les brouillards ; les fruits mûrissaient à peine, je ne voyais point de vignes, les fleurs croissaient languissamment à long intervalle l’une de l’autre ; les sapins couvraient les montagnes toute l’année, comme un noir vêtement : un édifice antique, un tableau seulement, un beau tableau aurait relevé mon ame, mais je l’aurais vainement cherché à trente milles à la ronde. Tout était terne, tout était morne autour de moi, et ce qu’il y avait d’habitations et d’habitans servait seulement à priver la solitude de cette horreur poétique qui donne à l’ame un frisson assez doux. Il y avait de l’aisance, un peu de commerce et de la culture autour de nous ; enfin, ce qu’il faut, pour qu’on vous dise : Vous devez être contente, il ne vous manque rien. Stupide jugement porté sur l’extérieur de la vie, quand tout le foyer du bonheur et de la souffrance est dans le sanctuaire le plus intime et le plus secret de nous-mêmes !

À vingt et un ans, je devais naturellement entrer en possession de la fortune de ma mère et de celle que mon père m’avait laissée. Une fois alors, dans mes rêveries solitaires, il me vint dans l’idée, puisque j’étais orpheline et majeure, de retourner en Italie pour y mener une vie indépendante, tout entière consacrée aux arts. Ce projet, quand il entra dans ma pensée, m’enivra de bonheur, et d’abord je ne conçus pas la possibilité d’une objection. Cependant, quand ma fièvre d’espérance fut un peu calmée, j’eus peur de cette résolution irréparable ; et me représentant ce qu’en penseraient tous ceux que je connaissais, le projet que j’avais d’abord trouvé si facile me sembla tout-à-fait impraticable ; mais néanmoins l’image de cette vie au milieu de tous les souvenirs de l’antiquité, de la peinture, de la musique, s’était offerte à moi avec tant de détails et de charmes, que j’avais pris un nouveau dégoût pour mon ennuyeuse existence.

Mon talent que j’avais craint de perdre s’était accru par l’étude suivie que j’avais faite de la littérature anglaise ; la manière profonde de penser et de sentir qui caractérise vos poètes avait fortifié mon esprit et mon ame, sans que j’eusse rien perdu de l’imagination vive qui semble n’appartenir qu’aux habitans de nos contrées. Je pouvais donc me croire destinée à des avantages particuliers par la réunion des circonstances rares qui m’avaient donné une double éducation, et, si je puis m’exprimer ainsi, deux nationalités différentes. Je me souvenais de l’approbation qu’un petit nombre de bons juges avaient accordée dans Florence à mes premiers essais en poésie. Je m’exaltais sur les nouveaux succès que je pourrais obtenir ; enfin j’espérais beaucoup de moi, n’est-ce pas la première et la plus noble illusion de la jeunesse ?

Il me semblait que j’entrerais en possession de l’univers le jour où je ne sentirais plus le souffle desséchant de la médiocrité malveillante ; mais quand il fallait prendre la résolution de partir, de m’échapper secrètement, je me sentais arrêtée par l’opinion, qui m’en imposait beaucoup plus en Angleterre qu’en Italie ; car, bien que je n’aimasse pas la petite ville que j’habitais, je respectais l’ensemble du pays dont elle faisait partie. Si ma belle-mère avait daigné me conduire à Londres ou à Edimbourg, si elle avait songé à me marier avec un homme qui eût assez d’esprit pour faire cas du mien, je n’aurais jamais renoncé ni à mon nom, ni à mon existence, même pour retourner dans mon ancienne patrie. Enfin quelque dure que fut pour moi la domination de ma belle-mère, je n’aurais peut-être jamais eu la force de changer de situation, sans une multitude de circonstances qui se réunirent comme pour décider mon esprit incertain. J’avais près de moi la femme de chambre italienne que vous connaissez, Thérésine ; elle est Toscane, et, bien que son esprit n’ait point été cultivé, elle se sert de ces expressions nobles et harmonieuses qui donnent tant de grâce aux moindres discours de notre peuple. C’était avec elle seulement que je parlais ma langue, et ce lien m’attachait à elle. Je la voyais souvent triste, et je n’osais lui en demander la cause, me doutant qu’elle regrettait, comme moi, notre pays, et craignant de ne pouvoir plus contraindre mes propres sentimens, s’ils étaient excités par les sentimens d’un autre. Il y a des peines qui s’adoucissent en les communiquant ; mais les maladies de l’imagination s’augmentent quand on les confie ; elles s’augmentent surtout, quand on aperçoit dans un autre une douleur semblable à la sienne. Le mal qu’on souffre paraît alors invincible, et l’on n’essaie plus de le combattre. Ma pauvre Thérésine tomba tout à coup sérieusement malade ; et, l’entendant gémir nuit et jour, je me déterminai à lui demander enfin le sujet de ses chagrins. Quel fut mon étonnement de l’entendre me dire presque tout ce que j’avais senti ! Elle n’avait pas si bien réfléchi que moi sur la cause de ses peines ; elle s’en prenait davantage à des circonstances locales, à des personnes en particulier ; mais la tristesse de la nature, l’insipidité de la ville où nous demeurions, la froideur de ses habitans, la contrainte de leurs usages, elle sentait tout, sans pouvoir s’en rendre raison, et s’écriait sans cesse : — Oh ! mon pays, ne vous reverrai-je donc jamais ! — Et puis elle ajoutait cependant qu’elle ne voulait pas me quitter, et, avec une amertume qui me déchirait le cœur, elle pleurait de ne pouvoir concilier avec son attachement pour moi son beau ciel d’Italie, et le plaisir d’entendre sa langue maternelle.

Rien ne fit plus d’effet sur mon esprit que ce reflet de mes propres impressions dans une personne toute commune, mais qui avait conservé le caractère et les goûts italiens dans leur vivacité naturelle, et je lui promis qu’elle reverrait l’Italie. — Avec vous, répondit-elle. — Je gardai le silence. Alors elle s’arracha les cheveux, et jura qu’elle ne s’éloignerait jamais de moi ; mais elle paraissait prête à mourir à mes yeux en prononçant ces paroles. Enfin, il m’échappa de lui dire que j’y retournerais aussi, et ce mot, qui n’avait eu pour but que de la calmer, devint plus solennel, par la joie inexprimable qu’il lui causa et la confiance qu’elle y prit. Depuis ce jour, sans en rien dire, elle se lia avec quelques négocians de la ville, et m’annonçait exactement quand un vaisseau partait du port voisin pour Gênes ou Livourne ; je l’écoutais et je ne répondais rien ; elle imitait aussi mon silence, mais ses, yeux se remplissaient de larmes. Ma santé souffrait tous les jours davantage du climat et de mes peines intérieures ; mon esprit a besoin de mouvement et de gaieté, je vous l’ai dit souvent, la douleur me tuerait ; il y a trop de lutte en moi contre elle ; il faut lui céder pour n’en pas mourir.

Je revenais donc fréquemment à l’idée qui m’avait occupée depuis la mort de mon père ; mais j’aimais beaucoup Lucile, qui avait alors neuf ans, et que je soignais depuis six comme sa seconde mère ; un jour je pensai que si je partais ainsi secrètement, je ferais un tel tort à ma réputation, que le nom de ma sœur en souffrirait, et cette crainte me fit renoncer, pour un temps, à mes projets. Cependant, un soir que j’étais plus affectée que jamais des chagrins que j’éprouvais, et dans mes rapports avec ma belle-mère, et dans mes rapports avec la société, je me trouvai seule à souper avec lady Edgermond ; et, après une heure de silence, il me prit tout à coup un tel ennui de son imperturbable froideur, que je commençai la conversation en me plaignant de la vie que je menais, plus, d’abord, pour la forcer à parler que pour l’amener à aucun résultat qui put me concerner ; mais en m’animant, je supposai tout à coup la possibilité, dans une situation semblable à la mienne, de quitter pour toujours l’Angleterre. Ma belle-mère n’en fut pas troublée, et, avec un sang-froid et une sécheresse que je n’oublierai de ma vie, elle me dit : — Vous avez vingt-et-un ans, miss Edgermond, ainsi la fortune de votre mère et celle que votre père vous a laissée sont à vous. Vous êtes donc la maîtresse de vous conduire comme vous le voudrez ; mais si vous prenez un parti qui vous déshonore dans l’opinion, vous devez à votre famille de changer de nom et de vous faire passer pour morte. — Je me levai à ces paroles avec impétuosité, et je sortis sans répondre.

Cette dureté dédaigneuse m’inspira la plus vive indignation, et pour un moment un désir de vengeance tout-à-fait étranger à mon caractère s’empara de moi. Ces mouvemens se calmèrent ; mais la conviction que personne ne s’intéressait à mon bonheur rompit les liens qui m’attachaient encore à la maison où j’avais vu mon père. Certainement lady Edgermond ne me plaisait pas, mais je n’avais pas pour elle l’indifférence qu’elle me témoignait, j’étais touchée de sa tendresse pour sa fille, je croyais l’avoir intéressée par les soins que je donnais à cet enfant, et peut-être, au contraire, ces soins mêmes avaient-ils excité sa jalousie : car plus elle s’était imposé de sacrifices sur tous les points, plus elle était passionnée dans la seule affection qu’elle se fût permise. Tout ce qu’il y a, dans le cœur humain, de vif et d’ardent, maîtrisé par sa raison sous tous les autres rapports, se retrouvait dans son caractère, quand il s’agissait de sa fille.

Au milieu du ressentiment qu’avait excité dans mon cœur mon entretien avec lady Edgermond, Thérésine vint me dire avec une émotion extrême qu’un bâtiment arrivé de Livourne même était entré dans le port, dont nous n’étions éloignées que de quelques lieues, et qu’il y avait sur ce bâtiment des négocians qu’elle connaissait et qui étaient les plus honnêtes gens du monde. — Ils sont tous Italiens, me dit-elle en pleurant, ils ne parlent qu’italien. Dans huit jours ils se rembarquent, et vont directement en Italie ; et si Madame était décidée … — Retournez avec eux, ma bonne Thérésine, lui répondis-je. — Non, Madame, s’écria-t-elle, j’aime mieux mourir ici. — Et elle sortit de ma chambre, où je restai réfléchissant à mes devoirs envers ma belle-mère. Il me paraissait clair qu’elle désirait ne plus m’avoir auprès d’elle ; mon influence sur Lucile lui déplaisait : elle craignait que la réputation que j’avais autour de moi, d’être une personne extraordinaire, ne nuisît un jour à l’établissement de sa fille ; enfin elle m’avait dit le secret de son cœur, en m’indiquant le désir que je me fisse passer pour morte ; et ce conseil amer, qui m’avait d’abord tant révoltée, me parut, à la réflexion, assez raisonnable.

— Oui, sans doute, m’écriais-je, passons pour morte dans ces lieux où mon existence n’est qu’un sommeil agité. Je revivrai avec la nature avec le soleil, avec les beaux-arts, et les froides lettres qui composent mon nom, inscrites sur un vain tombeau, tiendront aussi-bien que moi ma place dans ce séjour sans vie. — Ces élans de mon ame vers la liberté ne me donnèrent point encore cependant la force d’une résolution décisive ; il y a des momens où l’on se croit la puissance de ce qu’on désire, et d’autres où l’ordre habituel des choses paraît devoir l’emporter sur tous les sentimens de l’ame. J’étais dans cette indécision qui pouvait durer toujours, puisque rien au-dehors de moi ne m’obligeait à prendre un parti, lorsque, le dimanche qui suivit ma conversation avec ma belle-mère, j’entendis, vers le soir, sous mes fenêtres, des chanteurs italiens qui étaient venus sur le bâtiment de Livourne, et que Thérésine avait attirés pour me causer une agréable surprise. Je ne puis, exprimer l’émotion que je ressentis, un déluge de pleurs couvrit mon visage, tous mes souvenirs se ranimèrent : rien ne retrace le passé comme la musique ; elle fait plus que le retracer, il apparaît, quand elle l’évoque, semblable aux ombres de ceux qui nous sont chers, revêtu d’un voile mystérieux et mélancolique. Les musiciens chantèrent ces délicieuses paroles de Monti, qu’il a composées dans son exil :


Bella Italia, amate sponcle,
Pur vi torno à riveder.
Trema in petto c si confonde
L’alma oppressa dal piacer[2].
………

J’étais dans une sorte d’ivresse, je sentais pour l’Italie tout ce que l’amour fait éprouver, désir, enthousiasme, regrets ; je n’étais plus maîtresse de moi-même, toute mon ame était entraînée vers ma patrie : j’avais besoin de la voir, de la respirer, de l’entendre, chaque battement de mon cœur était un appel à mon beau séjour, à ma riante contrée ! si la vie était offerte aux morts dans les tombeaux, ils ne soulèveraient pas la pierre qui les couvre avec plus d’impatience que je n’en éprouvais pour écarter de moi tous mes linceuls, et reprendre possession de mon imagination, de mon génie, de la nature ! Au moment de cette exaltation causée par la musique, j’étais loin encore de prendre aucun parti, car mes sentimens étaient trop confus pour en tirer aucune idée fixe, lorsque ma belle-mère entra, et me pria de faire cesser ces chants, parce qu’il était scandaleux d’entendre de la musique le dimanche. Je voulus insister : les Italiens partaient le lendemain ; il y avait six ans que je n’avais joui d’un semblable plaisir ; ma belle-mère ne m’écouta pas, et me disant qu’il fallait, avant tout, respecter les convenances du pays où l’on vivait, elle s’approcha de la fenêtre et commanda à ses gens d’éloigner mes pauvres compatriotes. Ils partirent, et me répétaient de loin en loin, en chantant, un adieu qui me perçait le cœur.

La mesure de mes impressions était comblée, le vaisseau devait s’éloigner le lendemain ; Thérésine, à tout hasard et sans m’en avertir, avait tout préparé pour mon départ. Lucile était depuis huit jours chez une parente de sa mère. Les cendres de mon père ne reposaient pas dans la maison de campagne que nous habitions : il avait ordonné que son tombeau fût élevé dans la terre qu’il avait en Écosse. Enfin je partis sans en prévenir ma belle-mère, et lui laissant une lettre qui lui apprenait ma résolution. Je partis dans un de ces momens où l’on se livre à la destinée, où tout paraît meilleur que la servitude, le dégoût et l’insipidité ; où la jeunesse inconsidérée se fie à l’avenir, et le voit dans les cieux comme une étoile brillante qui lui promet un heureux sort.


CHAPITRE IV.


DES pensées plus inquiètes s’emparèrent de moi quand je perdis de vue les côtes d’Angleterre ; mais comme je n’y avais pas laissé d’attachement vif, je fus bientôt consolée, en arrivant à Livourne, par tout le charme de l’Italie. Je ne dis à personne mon véritable nom, comme je l’avais promis à ma belle-mère ; je pris seulement celui de Corinne, que l’histoire d’une femme grecque, amie de Pindare, et poëte, m’avait fait aimer[3]. Ma figure, en se développant, avait tellement changé que j’étais sûre de n’ëtre pas reconnue ; j’avais vécu assez solitaire à Florence, et je devais compter sur ce qui m’est arrivé, c’est que personne à Rome n’a su qui j’étais. Ma belle-mère me manda qu’elle avait répandu le bruit que les médecins m’avaient ordonné le voyage du midi pour rétablir ma santé et que j’étais morte dans la traversée. Sa lettre ne contenait d’ailleurs aucune réflexion : elle me fit passer avec une très-grande exactitude toute ma fortune qui est assez considérable ; mais elle ne m’a plus écrit. Cinq ans se sont écoulés depuis ce moment jusqu’à celui où je vous ai vu ; cinq ans pendant lesquels j’ai goûté assez de bonheur ; je suis venue m’établir à Rome, ma réputation s’est accrue, les beaux-arts et la littérature m’ont encore donné plus de jouissances solitaires qu’ils ne m’ont valu de succès, et je n’ai pas connu, jusques à vous, tout l’empire que le sentiment peut exercer ; mon imagination colorait et décolorait quelquefois mes illusions sans me causer de vives peines ; je n’avais point encore été saisie par une affection qui pût me dominer. L’admiration, le respect, l’amour, n’enchaînaient point toutes les facultés de mon ame ; je concevais, même en aimant, plus de qualités et plus de charmes que je n’en ai rencontré ; enfin je restais supérieure à mes propres impressions, au lieu d’être entièrement subjuguée par elles.

N’exigez point que je vous raconte comment deux hommes, dont la passion pour moi n’a que trop éclaté, ont occupé successivement ma vie avant de vous connaître : il faudrait faire violence à ma conviction intime pour me persuader maintenant qu’un autre que vous a pu m’intéresser, et j’en éprouve autant de repentir que de douleur. Je vous dirai seulement ce que vous avez appris déjà par mes amis, c’est que mon existence indépendante me plaisait tellement, qu’après de longues irrésolutions et de pénibles scènes j’ai rompu deux fois des liens que le besoin d’aimer m’avait fait contracter, et que je n’ai pu me résoudre à rendre irrévocables. Un grand seigneur allemand voulait, en m’épousant, m’emmener dans son pays où son rang et sa fortune le fixaient. Un prince italien m’offrait à Rome même l’existence la plus brillante. Le premier sut me plaire en m’inspirant la plus haute estime ; mais je m’aperçus avec le temps qu’il avait peu de ressources dans l’esprit. Quand nous étions seuls il fallait que je me donnasse beaucoup de peine pour soutenir la conversation et pour lui cacher avec soin ce qui lui manquait. Je n’osais, en causant avec lui, me montrer ce que je puis être, de peur de le mettre mal à l’aise ; je prévis que son sentiment pour moi diminuerait nécessairement le jour où je cesserais de le ménager, et néanmoins il est difficile de conserver de l’enthousiasme pour ceux que l’on ménage. Les égards d’une femme pour une infériorité quelconque dans un homme supposent toujours qu’elle ressent pour lui plus de pitié que d’amour ; et le genre de calcul et de réflexion que ces égards demandent flétrit la nature céleste d’un sentiment involontaire. Le prince italien était plein de grâce et de fécondité dans l’esprit. Il voulait s’établir à Rome, partageait tous mes goûts, aimait mon genre de vie ; mais je remarquai dans une occasion importante qu’il manquait d’énergie dans l’ame, et que dans les circonstances difficiles de la vie ce serait moi qui me verrais obligée de le soutenir et de le fortifier : alors tout fut dit pour l’amour ; car les femmes ont besoin d’appui, et rien ne les refroidit comme la nécessité d’en donner. Je fus donc deux fois détrompée de mes sentimens, non par des malheurs ni des fautes, mais l’esprit observateur me découvrit ce que l’imagination m’avait caché.

Je me crus destinée à ne jamais aimer de toute la puissance de mon ame ; quelquefois cette idée m’était pénible, plus souvent je m’applaudissais d’être libre ; je craignais en moi cette faculté de souffrir, cette nature passionnée qui menace mon bonheur et ma vie ; je me rassurais toujours, en songeant qu’il était difficile de captiver mon jugement, et je ne croyais pas que personne pût jamais répondre à l’idée que j’avais du caractère et de l’esprit d’un homme ; j’espérais toujours échapper au pouvoir absolu d’un attachement, en apercevant quelques défauts dans l’objet qui pourrait me plaire ; je ne savais pas qu’il existe des défauts qui peuvent accroître l’amour même par l’inquiétude qu’ils lui causent. Oswald, la mélancolie, l’incertitude qui vous découragent de tout, la sévérité de vos opinions, troublent mon repos sans refroidir mon sentiment ; je pense souvent que ce sentiment ne me rendra pas heureuse ; mais alors c’est moi que je juge, et jamais vous.

Vous connaissez maintenant l’histoire de ma vie ; l’Angleterre abandonnée, mon changement de nom, l’inconstance de mon cœur, je n’ai rien dissimulé. Sans doute vous penserez que l’imagination m’a souvent égarée ; mais si la société n’enchaînait pas les femmes par des liens de tout genre dont les hommes sont dégagés, qu’y aurait-il dans ma vie qui put empêcher de m’aimer ? Ai-je jamais trompé ? ai-je jamais fait de mal ? mon ame a-t-elle jamais eté flétrie par de vulgaires intérêts ? Sincérité, bonté, fierté, Dieu demandera-t-il davantage à l’orpheline qui se trouvait seule dans l’univers ? Heureuses les femmes qui rencontrent à leurs premiers pas dans la vie celui qu’elles doivent aimer toujours ! Mais le mérité-je moins pour l’avoir connu trop tard ?

Cependant je vous le dirai, Mylord, et vous en croirez ma franchise : si je pouvais passer ma vie près de vous, sans vous épouser, il me semble que, malgré la perte d’un grand bonheur, et d’une gloire à mes yeux la première de toutes, je ne voudrais pas m’unir à vous. Peut-être ce mariage est-il pour vous un sacrifice ; peut-être un jour regretterez-vous cette belle Lucile, ma sœur, que votre père vous a destinée. Elle est plus jeune que moi de douze années ; son nom est sans tache, comme la première fleur du printemps ; il faudrait en Angleterre faire revivre le mien, qui est déjà passé sous l’empire de la mort. Lucile a, je le sais, une ame douce et pure ; si j’en juge par son enfance, il se peut qu’elle soit capable de vous entendre en vous aimant. Oswald, vous êtes libre ; quand vous le désirerez, votre anneau vous sera rendu.

Peut-être voulez-vous savoir avant que de vous décider ce que je souffrirai si vous me quittez. Je l’ignore : il s’élève quelquefois des mouvemens tumultueux dans mon ame, qui sont plus forts que ma raison, et je ne serais pas coupable si de tels mouvemens me rendaient l’existence tout-à-fait insupportable. Il est également vrai que j’ai beaucoup de facultés de bonheur ; je sens quelquefois en moi comme une fièvre de pensées qui fait circuler mon sang plus vite. Je m’intéresse à tout ; je parle avec plaisir ; je jouis avec délices de l’esprit des autres, de l’intérêt qu’ils me témoignent, des merveilles de la nature, des ouvrages de l’art que l’affectation n’a point frappés de mort. Mais, serait-il en ma puissance de vivre quand je ne vous verrais plus ? C’est à vous d’en juger, Oswald ; car vous me connaissez mieux que moi-même ; je ne suis pas responsable de ce que je puis éprouver ; c’est à celui qui enfonce le poignard à savoir si la blessure qu’il fait est mortelle. Mais quand elle le serait, Oswald, je devrais vous le pardonner.

Mon bonheur dépend en entier du sentiment que vous m’avez montré depuis six mois. Je défierais toute la puissance de votre volonté et de votre délicatesse de me tromper sur la plus légère altération dans ce sentiment. Éloignez de vous, à cet égard, toute idée de devoir ; je ne connais pour l’amour ni promesse ni garantie. La divinité seule peut faire renaître une fleur quand le vent l’a flétrie. Un accent, un regard de vous suffiraient pour m’apprendre que votre cœur n’est plus le même, et je détesterais tout ce que vous pourriez m’offrir à la place de votre amour, de ce rayon divin, ma céleste auréole. Soyez donc libre maintenant, Oswald, libre chaque jour, libre encore quand vous seriez mon époux ; car si vous ne m’aimiez plus, je vous affranchirais, par ma mort, des liens indissolubles qui vous attacheraient à moi.

Dès que vous aurez lu cette lettre, je veux vous revoir ; mon impatience me conduira vers vous, et je saurai mon sort en vous apercevant ; car le malheur est rapide, et le cœur, tout faible qu’il est, ne doit pas se méprendre aux signes funestes d’une destinée irrévocable. Adieu.

  1. La langue, les mœurs, l’air, les arbres, la terre, les murs, les pierres !
    Métastase.
  2. Belle Italie, bords chéris, je vais donc vous revoir encore ; mon ame tremble et succombe à l’excès de ce plaisir.
  3. Il ne faut pas confondre le nom de Corinne avec celui de la Corilla, improvisatrice italienne, dont tout le monde a entendu parler. Corinne était une femme grecque célèbre par la poésie lyrique ; Pindare lui-même avait reçu des leçons d’elle.