Contes populaires de Basse-Bretagne/Pipi Menou et les Femmes volantes

François-Marie Luzel
Contes populaires de Basse-Bretagne
PERSONNAGES ET ANIMAUX FABULEUX ET APOCRYPHES



VII


PIPI MENOU ET LES FEMMES VOLANTES
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IL y avait une fois un jeune garçon, nommé Pipi Menou, qui gardait tous les jours ses moutons, sur une colline, au bas de laquelle s’étendait un bel étang. Il avait remarqué que, souvent, quand le temps était beau, de grands oiseaux blancs s’abattaient près de cet étang. Mais, dès qu’ils touchaient la terre, chaque peau emplumée se fendait, s’entr’ouvrait, et il en sortait une belle jeune fille, toute nue. Puis, elles entraient dans l’étang, et s’y baignaient et folâtraient au soleil. Un peu avant le coucher du soleil, elles sortaient de l’eau, rentraient dans leurs peaux emplumées, et s’élevaient dans l'air, bien haut, avec de grands bruits d’ailes.

Le jeune berger regardait tout cela, de loin, du haut de la colline, et il en était fort étonné et n’osait pas s’approcher de l’étang. Cependant,

cela lui paraissait si extraordinaire, qu’il en parla, un soir, à la maison.

Sa grand’mère, qui tournait son fuseau entre ses doigts, assise sur un galet rond (eur vilienn), au coin du foyer, lui parla de la sorte :

— Ce sont des femmes-cygnes, mon enfant, filles d’un puissant magicien, et qui habitent un beau palais, tout resplendissant d’or et de pierres précieuses, et retenu par quatre chaînes d’or, au-dessus de la mer, bien haut, bien haut.

— N’y aurait-il donc pas moyen d’aller voir ce beau château, grand’mère ? demanda le jeune garçon.

— Cela n’est pas facile, mon enfant ; cependant, on peut y aller, car du temps que j’étais jeune, on parlait d’un garçon de ton âge, à peu près, nommé Roll Dagorn, qui y avait été, et en était même revenu, et c’est par lui qu’on a eu des nouvelles de là-haut.

— Et comment faut-il donc s’y prendre pour y aller, grand’-mère ?

— Ah ! pour cela, il faut n’être pas peureux, d’abord ; ensuite, il faudrait se cacher dans les buissons qui bordent l’étang, s’y tenir bien tranquille et bien silencieux, puis, quand les princesses (car ce sont des princesses) auraient quitté leurs peaux de plumes, enlever une de ces peaux et ne la rendre, ni pour prières ni pour menaces, qu’à la condition être transporté jusqu’au château aérien, d’être aidé et protégé par celle dont on tient le vêtement, et de l’épouser ensuite. Il n’y a pas d’autre moyen.

Pipi écouta attentivement les paroles de sa grand’mère et ne fit que rêver, toute la nuit, des femmes-cygnes et de leur palais.

Le lendemain matin, il partit avec ses moutons, comme à l’ordinaire, mais, bien décidé à tenter l’aventure. Il alla se cacher parmi les saules et les aunes qui bordaient l’étang, et, à l’heure accoutumée, le ciel s’obscurcit et il vit trois grands oiseaux blancs, aux ailes énormes, qui planaient au-dessus de l’étang. Ils s’abattent sur le rivage, leurs peaux s’entr’ouvrent, et il en sort trois jeunes filles, d’une beauté merveilleuse, qui se jettent aussitôt à l’eau et se mettent à nager, à se poursuivre et à folâtrer. Pipi était à son affaire ; sans s’attarder à regarder les belles baigneuses, il s’empara de la peau emplumée de l’une d’elles. C’était celle de la plus jeune et la plus jolie des trois. Elles l’ont aperçu et, sortant aussitôt de l’eau, elles se précipitent sur leurs vêtements de plume. Les deux aînées trouvent bien les leurs, mais l’autre, voyant le sien entre les mains de Pipi, court à lui en criant :

— Rends-moi mon vêtement.

— Oui, si vous voulez me porter jusqu’au palais de votre père.

— Nous ne pouvons pas faire cela, — dirent les trois sœurs ensemble, — il nous battrait, et toi-même tu serais mangé par lui ; rends vite le vêtement de plume de notre sœur.

— Je ne vous le rendrai que si vous me promettez de me porter jusqu’au palais de votre père.

Les deux aînées, déjà dans leurs peaux emplumées, vinrent au secours de leur sœur.

— Rends son vêtement de plumes à notre sœur, ou nous allons te mettre en pièces ! crièrent-elles.

— Bast ! je n’ai pas peur de vous, répondit Pipi, bien qu’il ne fût pas très rassuré.

Voyant que ni prières ni menaces ne pouvaient le fléchir, elles dirent à leur cadette :

— Il faut faire ce qu’il te demande, car sans tes plumes, tu ne peux retourner à la maison, et si notre père nous voyait revenir sans toi, il nous punirait sévèrement.

La jeune princesse pleura, mais promit. Pipi lui rendit alors sa peau de plume. Elle s’y introduisit et lui dit ensuite de monter sur son dos ; — ce qu’il fit. Alors, les trois sœurs s’enlevèrent en l’air, si haut, que le jeune garçon ne vit plus ni la terre ni l’eau. Mais, il aperçut bientôt le château du magicien, retenu au-dessus des nuages par quatre chaînes d’or.

Les princesses n’osaient rentrer avec le jeune pâtre. Elles le déposèrent dans le jardin, qui était sous le château, et le recommandèrent au jardinier. Elles rentrèrent, un peu plus tard que d’ordinaire, et leur père les gronda et leur défendit de retourner, pendant quelques jours, à l’étang, si bien qu’elles s’ennuyaient fort, dans leurs chambres. Elles ne faisaient que rêver de Pipi, qui était joli garçon, et celui-ci, de son côté, était aussi tout préoccupé d’elles, surtout de celle qui l’avait porté sur son dos, si bien que, des deux côtés, ils songeaient aux moyens de se rejoindre. Tous les soirs, la mère des princesses descendait, au bout d’une corde, un grand panier, dans le jardin, et le jardinier le remplissait de légumes et de fruits, pour la provision du lendemain, puis la vieille le remontait. Un soir. Pipi se plaça dans le panier, sous les choux, les carrottes et autres légumes. Quand la vieille tira à elle : — « Comme c’est lourd ! qu’avez-vous donc mis dans le panier ? » demanda-t-elle au jardinier, qui ne répondit pas, car il avait, pour cette fois, confié à Pipi le soin de la provision journalière.

Mais, la jeune princesse était à sa fenêtre, et elle avait reconnu Pipi, dans le panier. Elle s’empressa d’aller porter aide à sa mère et lui dit : « — Laissez-moi faire, ma mère, et ne vous donnez pas tant de mal, à votre âge ; je monterai désormais le panier, tous les soirs ; ne vous en inquiétez pas davantage. »

La vieille s’en alla, satisfaite des attentions de sa fille pour elle. Pipi fut alors hissé en haut et caché dans la chambre de la princesse, où il passa la nuit. Et chaque soir, il montait ainsi, par le même chemin, et descendait le matin, de bonne heure. Mais, les deux aînées, ayant découvert la fraude, furent jalouses de leur cadette, et menacèrent de tout dévoiler, si Pipi ne leur rendait aussi visite. Alors, Pipi et la jeune princesse résolurent de quitter ensemble le château, et de descendre sur la terre. Ils remplirent leurs poches d’or et de pierres précieuses, puis, quand tout le monde dormait, la jeune magicienne revêtit sa peau de plume. Pipi lui monta sur le dos, et ils partirent. Le lendemain matin, le vieux magicien et sa femme se mirent à leur poursuite ; mais, c’était trop tard, et ils ne purent les atteindre.

La princesse se fit baptiser, car elle n’était pas chrétienne, puis Pipi l’épousa, et ils vécurent heureux ensemble, et eurent plusieurs enfants. Mais, on dit que ces enfants leur furent tous enlevés par les Morgans.


Conté par Marie Tual, dans l’ile d’Ouessant, mars 1873.