Contes populaires de Basse-Bretagne/Le Prix des Belles Pommes



III


LE PRIX DES BELLES POMMES
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ON dit qu’il y avait autrefois un roi de France qui aimait tellement les belles pommes, qu’on l’avait surnommé le Roi des Pommes.

Il n’avait qu’une fille, une princesse d’une beauté remarquable.

Il fit publier aux quatre coins de son royaume et même à l’étranger, qu’il accorderait la main de sa fille à l’homme, quel qu’il fût, prince ou fils de fermier, qui lui apporterait une douzaine des plus belles pommes. Aussi, ne voyait-on plus sur les chemins, de tous côtés, que des gens qui se rendaient à la cour avec des pommes, rois, princes, ducs, comtes, marquis, chevaliers, et de simples jardiniers et fermiers.

Un bon cultivateur aisé du pays de Tréguier, nommé Dagorn, avait dans ses vergers des pommes superbes. Nul, dans le pays, ne pouvait rivaliser avec lui pour les pommes.

Il avait aussi trois fils, dont deux bien venus, de bonne mine, pleins de santé et de force, et le troisième, bossu et maladif.

L’aîné, nommé Ervoan, demanda à son père de lui permettre d’aller aussi à Paris, avec une douzaine de ses plus belles pommes. Le bonhomme ne s’en souciait guère, mais Ervoan insista tant, qu’il finit par lui dire :

— Eh bien ! vas-y, puisque tu y tiens tant.

Il choisit une douzaine de pommes et partit, à pied, et tout le long de la route, il ne fit que rêver de la princesse, et il comptait bien l’emporter sur tous les autres concurrents : ses pommes étaient si belles ! Il ne possédait que deux pièces de six livres, ce qui est peu, pour aller de Tréguier à Paris.

Un jour qu’il marchait avec son panier au bras, déjà loin de chez lui, il s’arrêta près d’une fontaine, au bord de la route, pour se reposer un peu et manger un morceau. Il vit bientôt se diriger vers lui une petite vieille, courbée sur un bâton et qui paraissait avoir beaucoup de peine à se traîner. Elle lui demanda un morceau de pain, pour l’amour de Dieu.

— Allez au diable, lui cria-t-il, je n’ai pas trop de pain ni d’argent, pour régaler des sorcières comme vous !

— C’est bien, mon garçon, répondit tranquillement la vieille, les couleuvres seront belles !

Et elle s’en alla.

Ervoan ne comprenait pas ce que signifiaient ces paroles, mais il l’apprit plus tard.

En arrivant à Paris, il se rendit tout droit au palais du roi.

— Que voulez-vous, mon brave homme, lui demanda le portier du palais ?

— Montrer mes pommes au roi, répondit-il.

— De quel pays êtes-vous ?

— De Tréguier.

— De Tréguier ?... Où est-ce cela ?

— En Basse-Bretagne.

— La Basse-Bretagne ?... Ce n’est pas de là, je pense, que nous viendront les pommes qui remporteront le prix ; entrez, tout de même, puisque le roi a dit qu’il fallait recevoir tous ceux qui se présenteraient avec des pommes.

Et l’on introduisit Ervoan dans une grande salle, où beaucoup d’autres attendaient déjà, ayant chacun son panier de pommes au bras.

Peu après, le roi vint et se mit à examiner les pommes. Celles-ci étaient belles, celles-là plus belles, d’autres plus belles encore, et il avait un plaisir indicible à les voir et à les admirer. Arrive devant Ervoan, il le reconnut, à son costume, pour un Bas-Breton et lui dit :

— Comment, de la Basse-Bretagne aussi ! Voyons tes pommes.

Il souleva la serviette blanche qui recouvrait les pommes, et aussitôt douze couleuvres s’élancèrent du panier, en sifflant. Le pauvre garçon fut chassé par les valets, à coups de pied, et jeté en prison.

Il y avait trois mois qu’il était parti de la maison, et, comme il ne revenait pas et ne donnait pas de ses nouvelles, le vieux Dagorn était très inquiet. Son fils puîné, nommé Hervé, demanda à aller à la recherche de son aîné, avec l’intention de concourir aussi pour le prix des belles pommes.

Il part avec une douzaine de pommes, dans un panier, et deux pièces de six livres dans sa poche, comme Ervoan.

Il arrive à la fontaine où s’était arrêté son frère, au bord de la route, et s’y arrête aussi, pour se désaltérer et manger un morceau de pain. Une vieille femme, — la même sans doute, — vient aussi lui demander un morceau, pour l’amour de Dieu, et il lui dit durement :

— Allez-vous-en, vieille sorcière, je n’ai rien pour vous !

— C’est bien, mon garçon, répondit la vieille, les crapauds seront beaux !

Et elle s’en alla.

Hervé reprit sa route et finit par arriver à Paris. Il se rendit tout droit au palais du roi, et, quand on visita son panier, on y trouva douze énormes crapauds au lieu de pommes.

— Que l’on jette en prison ce grossier manant ! s’écria le roi, en colère.

Et Hervé fut emprisonné avec son frère aîné, et ils se racontèrent l’un à l’autre leur aventure. Et ils se demandaient comment il avait pu se faire qu’étant partis de la maison avec de belles pommes, dans leurs paniers, ils y avaient trouvé des couleuvres et des crapauds, à Paris. A moins que ce ne soit, ajoutaient-ils, le fait de la vieille femme que nous avons rencontrée près de la fontaine, et qui devait être une sorcière ?

Un an et un jour se passent, et comme il n’arrivait au vieux Dagorn aucune nouvelle de ses deux aînés, il les crut morts et sa douleur était grande. Son troisième fils, le bossu, qui avait nom Tugdual, demanda à partir à leur recherche et aussi pour concourir pour le prix des belles pommes.

— A quoi bon ? lui dit son père ; c’est pure folie de ta part que d’espérer réussir, là où tes frères ont échoué.

Mais, il insista tant, que le bonhomme lui dit de faire comme il voudrait.

Il se mit donc en route, plein d’espoir et emportant aussi un panier de douze belles pommes et un écu de six livres seulement.

Il s’arrêta, pour se rafraîchir et manger un morceau, à la même fontaine où s’étaient arrêtés ses deux aînés. La vieille femme vint aussi lui demander un morceau, au nom de Dieu.

— Ma foi ! grand’mère, lui dit-il, le régal est maigre ; un peu de pain noir et de l’eau claire ! Mais, le peu que j’ai, je le partagerai avec vous, de bon cœur.

Et il cassa son pain en deux et lui en donna une moitié.

— La bénédiction de Dieu soit sur toi, mon fils, — dit la vieille, — les pommes seront belles !

Et elle s’en alla.

Tugdual continua sa route, de son côté, et finit par arriver à Paris, après beaucoup de mal. Il se rendit tout droit au palais du roi. On souriait, à voir sa tournure, on se moquait de lui ; mais, il n’y prêtait aucune attention. Quand le roi souleva la serviette qui recouvrait ses pommes, dans le panier, il les admira et s’écria :

— A toi le prix, mon garçon, et tu seras mon gendre !

La princesse, qui était aussi présente, fit une singulière grimace, à la vue du mari qu’on lui destinait.

— Cela !... s’écria-t-elle avec dédain et colère, un être fait de la sorte ! jamais ! plutôt la mort !...

Le Prince-Bleu qui, jusqu’alors, avait montré les plus belles pommes et se croyait assuré de l’emporter sur tous les concurrents, n’était pas content non plus, et il dit :

— Si le Bossu obtient la princesse, je trouve qu’il serait juste d’exiger de lui quelque chose de plus que des autres, à cause de sa laideur.

— C’est vrai, répondirent tous les prétendants, d’une voix, et le roi aussi se rangea volontiers à leur avis.

Le lendemain matin, on envoya donc le pauvre garçon garder des écureuils, dans un grand bois, et on lui dit de les ramener à la maison, au coucher du soleil, et que s’il en manquait un seul, tout serait dit, et il ne lui resterait qu’à s’en retourner à la maison, comme il était venu.

Il s’en va vers le bois, triste, la tête basse, et portant deux douzaines d’écureuils dans un sac, sur son dos. Il rencontre en son chemin une vieille femme, toute cassée, qu’il reconnaît bientôt pour la vieille de la fontaine.

— Que t’est-il donc arrivé, mon garçon, que tu es si triste ? lui demanda-t-elle ; fais-moi part de ton chagrin.

— C’est que, grand’mère, bien que mes pommes aient été trouvées les plus belles, on me refuse le prix, à présent, et l’on m’envoie garder des écureuils au bois, avec ordre de les ramener à la maison, au coucher du soleil, après les avoir laissés libres, toute la journée. Je vous demande un peu si cela a le sens commun ?

— Ce n’est rien, cela, mon enfant ; ne t’en chagrine donc pas et aie confiance en moi. Voici un sifflet (et elle lui donna un petit sifflet d’argent), et il te suffira de souffler dedans, quand tu voudras réunir tes écureuils ; ils arriveront aussitôt, en quelque lieu qu’ils puissent être, et te suivront partout où tu voudras les mener. Mais, garde-toi bien de siffler sans besoin.

Tugdual remercia, et la vieille disparut aussitôt. Il avait des doutes, tant la chose lui paraissait invraisemblable, et il se disait :

— Puisse-t-elle avoir dit vrai !

Il continua sa route et, arrivé à un beau vallon fleuri, au milieu du bois, il ouvrit son sac et donna la liberté à ses écureuils. Et les voilà, flip ! flip ! flip ! de courir aux arbres, de grimper le long des troncs et de sauter de branche en branche, avec autant d’agilité et de légèreté que s’ils avaient eu des ailes.

— Dieu veuille, se dit-il encore, en soupirant, que la vieille ne m’ait pas trompé avec son sifflet !

Le temps était beau, le ciel bleu, le soleil brillant, et il se mit à cueillir des mûres noires et des noisettes, dans les haies et les buissons.

Au coucher du soleil, il tira son sifflet de sa poche, le considéra quelque temps, et y souffla trois fois, avec émotion. Aussitôt les écureuils accoururent et se groupèrent autour de lui, doux et dociles comme des moutons. Et le voilà rassuré et tout joyeux.

Et il retourna au palais du roi, en chantant et suivi de ses écureuils, qui sautaient et cabriolaient autour de lui. Grand fut l’étonnement de tous, à cette vue. On compta les écureuils : il n’en manquait pas un.

Le Prince-Bleu et la princesse étaient fort désappointés, et ils se regardaient et se demandaient : Que faire ? Il doit y avoir de la sorcellerie là-dessous !

— Il faudra, dit le prince, l’envoyer encore demain au bois, avec les écureuils, pour voir s’il les ramènera tous, comme aujourd’hui.

Le lendemain matin, donc, Tugdual retourna au bois, avec ses écureuils, mais, en chantant et exempt de toute inquiétude, cette fois. A midi, la princesse envoya une de ses femmes lui porter à dîner, en lui recommandant d’acheter un écureuil, dût-elle le payer cinq cents écus, et de le lui apporter.

Quand la soubrette arriva dans le vallon où se tenait le Bossu, elle le vit avec étonnement qui jouait avec ses écureuils, sur l’herbe, comme avec des petits chats. Il y en avait sur ses épaules, sur sa tête, et c’était un plaisir de voir leurs jeux et leurs ébats.

— Dieu ! les gentils oiseaux ! s’écria-t-elle ; je voudrais bien en avoir un ; vendez-m’en un, je vous prie.

— Nenni ! je veux garder tous mes écureuils, tous, tous !...

— Je vous en prie, un seul, celui que vous voudrez.

— Non, dussiez-vous m’en offrir deux cents écus.

— Eh bien ! soit, je vous en donnerai deux cents écus.

Deux cents écus, pour un écureuil ! pensait Tugdual, c’était bien de l’argent, et jamais de sa vie il n’avait vu tant d’argent à la fois.

— Eh bien ! reprit-il, pour deux cents écus... et un baiser.

— Non, deux cents écus et pas de baiser.

— Alors, rien n’est fait.

— Eh bien ! puisqu’il le faut... mais, vous ne le direz à personne, au moins.

Et Tugdual céda un écureuil pour le prix convenu.

La soubrette le mit dans son tablier et partit. Mais, elle n’était pas encore loin qu’un coup de sifflet se fit entendre, et l’écureuil se démena si bien, dans le tablier, égratignant et mordant, qu’il finit par s’échapper et revint au possesseur du sifflet enchanté.

Quand la femme de chambre rentra au palais, le prince et la princesse, qui l’attendaient, lui demandèrent :

— Nous rapportez-vous un écureuil ?

— Non, répondit-elle, je n’ai pas pu.

— Et l’argent ?

— Ni l’argent non plus.

— Où donc est-il ?

— Je le lui ai donné.

— Sotte ! il ne fallait donner l’argent que lorsque vous auriez tenu l’écureuil.

— Je l’ai bien tenu, un instant, Madame, mais... Et elle raconta comment les choses s’étaient passées.

Au coucher du soleil, le Bossu revint tranquillement et, comme la veille, pas un écureuil ne lui manquait.

— Il faut que cet homme soit un magicien ou un sorcier ! dit le Prince-Bleu.

— Demain, dit la princesse, on l’enverra encore au bois, avec les écureuils, et c’est moi-même qui irai lui en acheter un, coûte que coûte, et je ne le lâcherai pas, moi !

Le lendemain matin, Tugdual retourna donc au bois, avec ses écureuils. A midi, la princesse accompagna la servante qui lui portait à manger. Elle marchanda un écureuil et finit par l’obtenir, pour cinq cents écus et un baiser. Après avoir reçu le prix convenu et promis le secret, le Bossu le lui livra, et elle le mit dans son giron, et partit. Mais, un coup de sifflet se fit entendre presque aussitôt, et l’écureuil se démena tant et si bien, qu’il mit en sang la poitrine de la princesse et la força à le lâcher.

Le prince, au récit de ce qui lui était arrivé, se mit en colère et dit qu’il irait lui-même, le lendemain, trouver le gardeur d’écureuils, au bois, et viendrait à bout de lui, et quand il serait le diable lui-même.

Il alla donc au bois, à cheval, et déguisé en paysan. Mais Tugdual le reconnut facilement, et se garda de le lui faire sentir. Il obtint un écureuil, pour sept cents écus et sept coups d’alène dans son derrière. Les sept coups d’alêne furent si violents et pénétrèrent si profondément, que, au dernier coup, l’alène disparut et resta dans le derrière du prince. Celui-ci mit l’écureuil dans son chapeau, monta péniblement à cheval, et partit, pour retourner à la maison. Il souffrait beaucoup et avait de la peine à se tenir en selle. Comme il passait dans une lande, où l'on avait nouvellement coupé de l'ajonc, un coup de sifflet se fit entendre, et aussitôt l'écureuil fit sauter le chapeau du prince, lui égratigna la figure et retourna au bois. Le prince tomba de cheval, et si malheureusement, qu'une tige d'ajonc, aiguë et longue, lui entra fort avant dans le derrière, et, ne pouvant se dégager, il lui fallut rester là, à moitié empalé.

Au coucher du soleil, le Bossu rentra, comme d'ordinaire, avec ses écureuils.

— Et le Prince-Bleu, où est-il ? lui demanda la princesse, inquiète.

— Je n'en sais rien, princesse, répondit-il, je n'ai vu aucun prince aujourd'hui.

— Hélas ! dit-elle à son entourage, je vois clairement que nous ne pouvons rien contre cet homme, qui, certainement, est magicien ou sorcier.

— A quand la noce, princesse ? lui demanda Tugdual ; j'ai rempli toutes les conditions exigées, et je vous ai gagnée, deux fois, au lieu d'une.

— J'ai encore une chose à vous demander, une seule, et si vous la faites, je n'aurai plus aucune objection à vous opposer, et notre mariage aura lieu, quand vous voudrez.

— Parlez, princesse.

— Voici un sac, que je vous demande de remplir de vérités.

Et elle lui présenta un grand sac.

— Rien de plus facile, princesse, répondit-il, sans embarras, et je vais vous satisfaire, à l’instant même.

Et, se tournant vers la femme de chambre, qui était venue la première lui acheter un écureuil :

— N’est-il pas vrai. Mademoiselle, qu’étant venue me voir au bois, où j’étais avec mes écureuils, vous m’avez donné deux cents écus et un baiser, en échange d’un écureuil, que je vous ai livré, mais, qui m’est revenu presque aussitôt ?

La fille rougit et détourna la tête en disant :

— Taisez-vous, démon !...

— Dites-moi oui ou non ; c’est une vérité ou un mensonge.

— Je ne le puis nier, mais...

— Cela suffit : entrez dans mon sac. Et d’une ! Puis, se tournant vers la princesse, qui déjà ne

se trouvait pas à son aise :

— Et vous, princesse, ne vous rappelez-vous pas aussi...

— Assez ! pas un mot de plus ! interrompit vivement la princesse ; je consens à vous épouser...

— A quand les noces, alors ?

— Demain prochain.

Et, en effet, les noces eurent lieu, dès le lendemain, des noces magnifiques.

Les frères de Tugdual, qui étaient en prison, furent mis en liberté et lui servirent de garçons d’honneur.

Comme le cortège se rendait à l’église, en grande cérémonie et musique eu tête, on vit dans le porche une petite vieille, que personne ne connaissait, et qui avait à la main une baguette blanche. Elle s’approcha du nouveau marié, toucha sa bosse, du bout de sa baguette, et la bosse disparut aussitôt, et Tugdual devint un beau jeune homme, aussi droit et aussi bien tourné qu’on peut l’être.

Les fêtes, les danses et les festins durèrent quinze jours entiers.

Et le Prince-Bleu, que devint-il ?

Le malheureux prince était resté empalé, sur la lande, et les bruits des fêtes et des jeux, et l’odeur des festins, arrivant jusqu’à lui, augmentaient son supplice, et il mourut là, tristement et misérablement.


Conté par Guillaume Garandel, du
Vieux-Marché (Côtes-du-Nord). — Décembre 1870.