Contes populaires de Basse-Bretagne/Le Perroquet Sorcier



VIII


LE PERROQUET SORCIER
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IL y avait une fois une pauvre veuve qui avait trois fils. Les trois gars allaient tous les jours chercher leur pain, de porte en porte, et la mère restait à la maison, à filer. Ils avaient beaucoup de peine à vivre, tous les quatre.

Ils dirent un jour à leur mère :

— Mère, si vous voulez nous le permettre, nous irons voyager au loin, bien loin, et quand nous reviendrons, nous serons riches et nous vous apporterons beaucoup d’argent.

— Jésus ! mes pauvres enfants, vous êtes bien jeunes pour voyager, Bihanic surtout (c’était le cadet), et je crains qu’il ne vous arrive malheur.

— Bah ! mère, dit Bihanic, n’ayez pas tant de souci de moi ; je me tirerai d’affaire, aussi bien que mes frères, car, quoique petit, je ne suis pas peureux, ni bête.

— Eh bien, mes pauvres enfants, allez alors, à la grâce de Dieu. Voici six réales (trente sous) pour chacun de vous ; c’est tout mon trésor.

Les trois frères firent leurs adieux à leur mère et partirent ensemble.

Après avoir marché pendant trois jours, ils arrivèrent, vers le soir, sous les murs d’un château, au milieu d’un grand bois. Ils frappèrent à la porte. Elle s’ouvrit.

— Que cherchez-vous, mes enfants ? leur demanda le portier.

— Nous voudrions loger, pour la nuit seulement.

— Hélas ! mes pauvres enfants, vous ne pouviez tomber plus mal. Ce château est habité par trois géants et six géantes, dont trois vieilles et trois jeunes, leurs filles, et tout chrétien qui entre ici est dévoré par eux.

— Allons-nous-en, bien vite ! dirent les deux aînés.

— Ma foi ! répondit Bihanic, si nous devons être mangés, peu importe que ce soit par des géants ou des loups ; le bois est rempli de bêtes féroces, et nous n’en sortirons pas vivants, si nous y passons la nuit ; entrons donc, et nous verrons ensuite.

Ils entrèrent. En arrivant dans la cuisine, ils y virent un homme qui rôtissait à la broche, et une vieille géante qui était là leur dit :

— Soyez les bienvenus, mes enfants ! Approchez-vous du feu, vous avez l’air d’avoir froid.

Les deux aînés se mouraient de peur, et voulaient s’en aller. Bihanic alla s’asseoir sur un escabeau, au coin du foyer, et ils firent comme lui. Quand le souper fut prêt, les autres géants et géantes arrivèrent, regardèrent les enfants avec des yeux de convoitise et en se disant tout bas :

— Voilà un bon déjeûner pour demain matin ! Puis, ils s’assirent à table et invitèrent les trois frères à y prendre place aussi. Le plus âgé des géants découpa l’homme rôti et donna sa part à chacun. Les géants et les géantes mangèrent avec gloutonnerie et se léchaient les doigts et les babines en regardant les enfants, avec des yeux qui les faisaient trembler.

Bihanic faisait bonne contenance et feignait de manger, mais, ses deux frères étaient d’une pâleur mortelle et pleuraient.

— Tu m’as l’air d’un gaillard, toi, dit le vieux géant à Bihanic ; j’aime ton air décidé ; veux-tu rester ici avec nous ?

— Je le veux bien, répondit l’enfant.

— Eh bien, viens que je te fasse voir mon château, avec toutes les belles choses qui y sont. Voilà d’abord un Perroquet (et il lui montrait un beau Perroquet, sur son perchoir), qui n’a pas on pareil au monde : il me tient au courant de tout ce qui se passe au château. Ils se rendirent à l’écurie.

— Voici un dromadaire, qui fait cent lieues à l’heure et qui devance à la course tous les animaux ; il dépasse même les oiseaux ; rien ne peut lui échapper.

Puis, lui montrant du doigt une haute tour :

— J’ai une escarboucle, que je dresse sur le sommet de cette tour, quand la nuit est sombre, et qui éclaire à sept lieues à la ronde, comme le soleil en plein midi. J’ai encore nombre de choses merveilleuses, que je te ferai voir plus tard ; reste avec moi et tu t’en trouveras bien ; rien ne te manquera ici. Quant à tes frères, nous les mangerons, demain matin, à déjeûner.

Bihanic et ses frères furent ensuite conduits à la même chambre à coucher. Dans la chambre située au-dessous de la leur, couchaient les trois jeunes géantes, et ils les entendaient qui disaient :

— C’est pitié de faire mourir ces trois jeunes garçons ; ils sont si gentils !

— Le plus jeune, surtout, m’intéresse beaucoup, dit la seconde.

— Oui, mais quel excellent déjeûner nous en ferons demain ! dit la troisième.

— Entendez-vous ?... dit Bihanic à ses frères ; il faut trouver le moyen de nous tirer d’un si mauvais pas.

Bientôt ils entendirent les géantes ronfler. Bi-hanic, avec son couteau, enleva alors une planche du plancher, descendit dans la chambre des géantes, et, avec un grand sabre qu’il trouva là, il leur coupa le cou à toutes les trois. Puis, ses frères le hissèrent dans leur chambre, au moyen de leurs draps de lit.

— Déguerpissons, à présent, dit-il, et promptement et sans bruit !

Et ils descendirent, en nouant leurs draps ensemble. Un d’eux, l’aîné, tomba et se cassa la jambe. Les deux autres l’emportèrent et le déposèrent dans la première maison qu’ils trouvèrent, en recommandant de le bien soigner et promettant de payer généreusement. Puis, ils partirent et prirent la route de Paris.

Le lendemain matin, le grand géant, étonné de ne pas voir descendre les trois jeunes géantes, à l’heure ordinaire, monta à leur chambre. En les voyant mortes et baignant dans leur sang, il se mit à pousser des cris épouvantables. Les autres géants et les géantes accoururent et crièrent et hurlèrent avec lui. Tous les animaux en furent effrayés, à plus d’une lieue à la ronde.

Le grand géant alla consulter son Perroquet.


Beau Perroquet, dans mon château,
Que se passe-t-il de nouveau ?


Le Perroquet répondit :

— C’est Bihanic, le plus jeune des trois frères que vous avez logés, cette nuit, qui a fait le coup.

— Où est-il ?

— Il n’est plus dans le château, il est parti avec ses frères.

— Ah ! le misérable ! si je l'attrape !...

Et les trois géants de leur donner la chasse ; mais, c’était trop tard.

Bihanic et son frère, en arrivant à Paris, allèrent tout droit au palais du roi, et y demandèrent du travail. Bihanic fut employé à sarcler, dans le jardin, et l’autre, à fendre du bois pour la cuisine.

Le roi, en se promenant dans ses jardins, remarqua un jour Bihanic, et, lui trouvant une mine éveillée et l’air intelligent, il lui adressa la parole, l’interrogea sur ses parents, son pays, et ses réponses l’intéressèrent. Le lendemain, il vint encore causer avec lui et en fut si satisfait, qu’il le prit pour valet de chambre. A partir de ce moment, Bihanic accompagnait partout le roi, la reine et leur fille, une princesse d’une beauté remarquable.

Un jour, il leur raconta son aventure, dans le château des géants, ce qui les intéressa beaucoup et leur donna une haute opinion de son intelligence et de son courage. Il leur parla du Perroquet Sorcier, du dromadaire, qui faisait cent lieues à l’heure, et de l’escarboucle, qui éclairait, la nuit, comme le soleil, en plein jour. La jeune princesse écoutait tout cela, émerveillée, et elle dit à son père :

— Je voudrais bien, mon père, avoir le dromadaire du château des géants.

— Votre désir est déraisonnable, ma fille, répondit le vieux monarque ; cela est impossible.

— Peut-être, mon père ; demandez à Bihanic.

— Pensez-vous, Bihanic, qu’il soit possible d’enlever le dromadaire du château des géants ?

— C’est bien difficile et bien périlleux, sire ; pourtant, pour faire plaisir à la princesse, je suis prêt à tenter l’épreuve, à la condition que vous me fournirez ce que je vous demanderai.

— Demandez-moi tout ce que vous voudrez, je vous le donnerai, si c’est en mon pouvoir.

— Eh ! bien, donnez-moi la charge d’un mulet d’or, et je tenterai l’entreprise.

— Vous l’aurez, répondit le roi.

Le lendemain matin, Bihanic se mit en route, avec son mulet chargé d’or. Il se rendit d’abord à la maison où était resté son frère aîné, blessé.

— Comment va mon frère ? demanda-t-il.

— Il va assez bien, grâce à Dieu ! lui répondit-on ; bientôt il sera complètement rétabli.

Il laissa tout son or à son frère et aux bonnes gens qui avaient pris soin de lui, chargea son mulet d’eau-de-vie et de cassis, et continua sa route. Il arriva, vers le soir, au château des géants et y demanda à loger.

— Passez votre chemin, mon ami, lui répondit le portier, qui ne le reconnaissait pas ; ici on ne loge plus personne, depuis que Bihanic y a passé.

— Que vous a donc fait ce mauvais garnement de Bihanic ?

— Passez votre chemin, vous dis-je !

Et le portier, sans plus parlementer, allait fermer le guichet, quand Bihanic lui dit :

— Ecoutez donc un peu, l’ami ; j’ai ici toutes sortes de bonnes liqueurs ; buvons un coup et causons.

Et il lui présenta un verre d’eau-de-vie. Le portier l’avala d’un trait, puis un second, un troisième et maints autres. L’eau-de-vie épuisée, il traita de même le cassis. Enfin, il en but tant, qu’il se trouva bientôt ivre-mort. Alors, Bihanic entra facilement. Il courut tout droit à l’écurie, monta sur le dromadaire, partit et fut bien vite rendu à Paris.

Le lendemain matin, quand le géant se leva, il alla, comme d’habitude, consulter son Perroquet.


Beau Perroquet, dans mon château,
Que se passe-t-il de nouveau ?


— Bihanic est encore venu au château, cette nuit, et il a enlevé le dromadaire !

Et le géant de courir aussitôt à l’écurie, en tempêtant et en maudissant Bihanic. Le dromadaire n’y était plus ! Et de courir après Bihanic ; mais en vain, Bihanic était déjà loin.

Huit jours après, la princesse dit à son père :

— Je voudrais bien avoir l’escarboucle du château des géants, mon père. On la placerait, la nuit, quand il ferait sombre, sur la plus haute tour, et nous pourrions nous promener dans les jardins, comme en plein jour.

— Et comment veux-tu, mon enfant, répondit le roi, que nous puissions nous procurer cette merveille ?

— Il faut dire à Bihanic de nous l’aller quérir, mon père. Pourquoi ne nous apporterait-il pas l’escarboucle, puisqu’il est déjà venu à bout de nous procurer le dromadaire ?

Le roi fit appeler Bihanic et lui dit :

— Grâce à vous, Bihanic, je possède dans mes écuries le dromadaire du château des géants, et je vous en suis obligé. Si vous pouviez, à présent, me procurer leur escarboucle merveilleuse, vous feriez grand plaisir à ma fille et à moi aussi.

— Ah ! sire, répondit Bihanic, si vous saviez comme ce que vous me demandez là est difficile ! Mais, il n’est rien de si difficile que je ne sois résolu à tenter pour vous et la princesse votre fille. Donnez-moi deux mulets chargés d’or, et je partirai demain.

Le roi lui accorda ce qu’il demandait, et il se mit en route. Il passa encore par la maison où était son frère aîné, et y laissa, comme l’autre fois, tout son or et un de ses mulets. Il chargea sur le dos de l’autre un sac rempli de sel, et partit avec lui. Il arriva devant le château, un peu avant le coucher du soleil, et se tint caché dans le bois, en attendant que la nuit fût venue. Quand il jugea le moment opportun, il monta sur un grand chêne, qui touchait aux murs du château, puis, de l’arbre, il passa sur le toit et enfin sur le haut de la cheminée. Il avait enroulé autour de son corps l’extrémité d’une corde dont l’autre bout était attaché au sac de sel, resté en bas. Il tira alors le sac à lui, le déchargea dans la cheminée, et le sel alla tomber dans une grande marmite, qui était sur le feu, dans la cuisine, et où cuisait le souper des géants.

La géante chargée de la cuisine était sortie, pour le moment. Quand elle rentra, elle goûta le bouillon, avant de tremper la soupe, et le trouva trop salé, ce qu’elle ne pouvait s’expliquer. Les deux autres géantes arrivèrent, un instant après, goûtèrent aussi le bouillon et s’écrièrent :

— C’est salé en diable ! Il faut préparer d’autre bouillon, vite !

— Mais, il n’y a pas d’eau dans la maison, dit la première.

— Allons toutes les trois en chercher, à la fontaine, répondirent les deux autres.

Elles montèrent l’escarboucle au haut de la tour, pour les éclairer, car la nuit était sombre, puis elles se rendirent à la fontaine, portant chacune sur la tête une barrique défoncée par un bout. Comme elles s’en revenaient, Bihanic, qui avait réussi à monter sur la tour, s’empara de l’escarboucle et la mit dans le sac à sel. Une grande obscurité se fit aussitôt, et les géantes, n’y voyant plus, se heurtaient contre les arbres et roulaient à terre avec leurs barriques pleines d’eau. Elles arrivèrent enfin au château, avec beaucoup de mal, fort en colère et sans eau.

— Qui a enlevé l’escarboucle du haut de la tour ? demandèrent-elles aux géants.

— Nous n’en savons rien, répondirent-ils.

Le grand géant alla consulter son Perroquet.


Beau Perroquet, dans mon château,
Que se passe-t-il de nouveau ?


— Bihanic est encore venu au château, répondit le Perroquet, et il a volé l’escarboucle et est parti avec.

Les géants hurlèrent et beuglèrent de colère, et firent un vacarme épouvantable. Ils essayèrent de courir après le voleur, mais, comme l’obscurité était profonde, dans le bois, ils se heurtaient contre les arbres, roulaient à terre, et il leur fallut renoncer à la poursuite.

Quand Bihanic arriva à Paris, avec l’escarboucle, il fut acclamé par la population. Le roi et la princesse ne se possédaient pas de joie. Il y eut un grand festin, à la cour, puis, le soir, un grand bal, et le palais, les jardins et toute la ville étaient éclairés, comme en plein midi, par l’escarboucle, placée sur la plus haute tour. Toutes les nuits, quand il faisait sombre, on l’y mettait et elle éclairait toute la ville, et épargnait aux habitants les frais de luminaire. On venait de tous côtés pour admirer cette merveille, et les rois et les princes étrangers affluaient à la cour et aspiraient à la main de la princesse.

Celle-ci dit encore à son père, au bout de quelque temps :

— Si vous aviez, à présent, mon père, le Perroquet des géants, vous auriez à votre cour les trois plus grandes merveilles du monde. Bihanic, qui vous a déjà procuré le dromadaire et l’escarboucle, est bien homme à vous apporter aussi le Perroquet.

— C’est vrai, ma fille ; mais, comment récompenser ce garçon de tout ce qu’il aura foit pour nous ?

— En lui donnant ma main, mon père, mais, seulement quand nous tiendrons le Perroquet.

Et Bihanic fut encore envoyé à la conquête du Perroquet Sorcier, avec promesse de la main de la princesse, s’il réussissait. Il part avec trois mulets chargés d’or, qu’il laisse encore aux gens qui avaient pris soin de son frère, à présent complètement rétabli, et il se dirige vers le château, triste et soucieux. — Comment m’y prendre ? se disait-il ; je crains bien de ne pas en revenir, cette fois ; mais, aussi, quand je songe à la princesse !... Bast ! à la grâce de Dieu, après tout !

Il entre dans le bois qui entoure le château ; il y voit un jeune pâtre, qui garde les moutons des géants ; il va à lui et lui dit :

— Va me chercher un peu de feu, au château, pour allumer ma pipe, et je te donnerai un écu de six livres.

L’enfant prend l’argent et court au château. Pendant ce temps-là, Bihanic s’empare d’un des moutons du troupeau, le plus garni de laine, l’emporte au fond du bois, le tue, l’écorche, et puis, vers le soir, s’étant couvert de sa peau, il se mêle au troupeau et entre avec lui dans le château, à l’insu du pâtre et du portier.

Le grand géant, avant de se coucher, alla consulter son Perroquet (car il le consultait, à présent, soir et matin) :


Beau Perroquet, dans mon château,
Que se passe-t-il de nouveau ?


— Bihanic est encore dans le château, répondit le Perroquet.

— Encore !… Où donc est-il, le misérable ?

— Dans la bergerie, caché sous la peau d’un mouton, qu’il a tué et écorché, dans le bois[1].

Le géant courut à la bergerie et se mit à tâter les moutons, l’un après l’autre. Bihanic sut l’éviter, et, comme il ne trouvait pas ce qu’il cherchait, il alla encore consulter son Perroquet et lui dit :

— Je ne le trouve pas, dans la bergerie.

— Il y est pourtant : cherchez bien, et vous le trouverez.

Et il retourna aux moutons, donna l’ordre au pâtre de les faire sortir un à un, et, à mesure qu’ils passaient le seuil de la porte, où il se tenait, il les examinait et les tâtait. Ils étaient sortis presque tous, lorsque la peau d’un d’eux lui resta entre les mains.

— Ah ! je te tiens ! cria-t-il.

— Hélas ! c’en est fait de moi, cette fois ! pensa Bihanic, en se sentant serrer fortement les côtes.

Le géant le porta à la cuisine.

— Voici enfin ce coquin de Bihanic, dit-il, en le montrant aux autres géants et aux géantes ; il ne nous jouera plus de tours. A quelle sauce le mangerons-nous ?

— Il faut le mettre à la broche, répondirent les autres.

On le mit tout nu, on le ficela comme un poulet et on le jeta dans un coin de la cuisine, en attendant le moment de l’embrocher. La cuisinière, restée seule, se plaignit de manquer de bois.

— Desserrez un peu mes liens et j’irai vous en prendre, belle cuisinière, lui dit Bihanic.

Comme il la flattait, en l’appelant belle et aimable, elle se laissa toucher, et défit les liens. Mais, aussitôt Bihanic, saisissant une cognée, qui servait à fendre le bois, et qu’il aperçut dans un coin de la cuisine, en déchargea un grand coup sur la tête de la géante et la fendit en deux. Elle tomba morte à ses pieds. Il courut alors au Perroquet, le mit dans son sac et partit.

Quand le géant revint à la cuisine, pour voir si le rôti était cuit à point, et qu’il vit sa femme morte et baignant dans son sang et le Perroquet disparu, il se mit à beugler et à hurler comme une bête fauve. Les autres géants et les géantes accoururent, et ce fut alors un bruit et un vacarme infernal.

Quand Bihanic arriva à Paris, avec le Perroquet, le roi en fut si content, qu’il lui sauta au cou pour l’embrasser et lui dit :

— Vous n’avez pas votre pareil au monde, Bihanic, et je suis heureux de vous donner la main de ma fille et de vous avoir pour gendre. Pourtant, avant de célébrer le mariage, je voudrais voir les géants et les géantes morts, car je ne vivrai pas tranquille, pendant qu’ils seront en vie ; je crains leur vengeance.

— S’il ne vous faut que cela, sire, répondit Bihanic, vous serez satisfait. Faites-moi faire un carrosse tout en fer, très solide, et dont les portières se refermeront d’elles-mêmes sur quiconque y entrera, sans qu’il puisse les ouvrir, quelle que soit sa force ; donnez-moi ensuite six bons chevaux pour y atteler, et je me charge du reste.

Le roi lui promit ce qu’il demandait.

Quand le carrosse eut été confectionné, dans les conditions voulues, Bihanic y fit atteler six chevaux, monta sur le siège du cocher, fouetta et partit pour-le château des géants. Arrivé dans le bois, il entrouvrit les portières, monta sur un chêne dont les branches s’étendaient au-dessus du carrosse, et attendit.

Tôt après, quand ils eurent dîné, les trois géants et les deux géantes vinrent se promener dans le bois.

— Voyez-donc le beau carrosse qui est là-bas ! s’écria le premier qui vit le carrosse en fer ; à qui donc peut-il être ? Allons voir.

Et ils y coururent.

— Les portières sont entr’ouvertes... Il n’y a personne !... Comme on doit être bien là-dedans !... Entrons-y, puisque personne ne vient.

Et ils entrèrent tous les cinq dans le carrosse. Aussitôt les portières se fermèrent avec bruit ; Bihanic descendit de son arbre, monta sur le siège du cocher, fouetta les chevaux et partit, au grand galop, vers Paris. Il fallait entendre les cris, les hurlements et le vacarme d’enfer que faisaient les prisonniers, dans leur prison de fer ! Tout fuyait, saisi de terreur, sur leur passage, hommes et bêtes.

Quand le carrosse arriva dans la cour du palais du roi, on entassa dessus vingt-quatre charretées de fagots, puis on y mit le feu, et les géants et les géantes furent réduits en cendres.

Bihanic se maria alors à la princesse, et il l’avait bien mérité !

Sa mère et ses deux frères furent aussi de la noce, puis ils restèrent à la cour, et ils vécurent tous heureux ensemble.

Les fêtes et les festins durèrent quinze jours entiers, et je pense qu’il y avait là autre chose que des pommes de terre cuites à l’eau et de la bouillie d’avoine, qui font mon régal de tous les jours.


Conté par une vieille mendiante, de Plouaret. —
Décembre 1868.


Ce conte rappelle le Petit Poucet de Perrault. Dans Perrault, le Petit Poucet se fait remettre par l’Ogresse les bottes de sept lieues de l’Ogre et tout ce qu’il a vaillant, dans son château. Ici, le héros lui enlève le Dromadaire, l’Escarboucle et le Perroquet Sorcier, par son courage, son adresse et son industrie, et je crois que c’est là la forme primitive. Le géant Goulaffre, de mon recueil de Contes Bretons (Quimperlé, Clairet, 1870), est une version de ce même conte, avec des variantes curieuses.

Le Perroquet Sorcier me semble une forme de l’Oiseau de la Vérité, que l’on trouve dans d’autres contes bretons, et même de La Princesse aux Cheveux d’Or, dont la vue seule suffit pour guérir et rajeunir le vieux roi. A comparer encore avec le conte des Mille et une Nuits : Histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette, etc.



  1. On dirait un souvenir du stratagème employé par Ulysse pour sortir de la caverne de Polyphème, dans l’Odyssée.