Contes et légendes annamites/Légendes/023 Le roi Dinh tien hoang


XXIII

LE ROI DINH TIEN HOÀNG[1].


Dinh tien hoàng avait perdu ses parents de bonne heure, il habitait avec son oncle maternel et allait garder les buffles. Un jour, qu’il les avait menés paître dans la montagne, il rassembla une bande de bergers qui le choisit pour son roi. Ils fabriquèrent avec des roseaux des pavillons pour l’escorter. Dinh tien hoàng tua un de ses buffles et le leur donna à manger, il n’en conserva que la queue qu’il ficha en terre. Le soir il ramena les buffles chez son oncle. Celui-ci vit qu’il en manquait un et demanda ce qu’il était devenu. Dinh tien hoàng répondit qu’il avait été englouti dans la terre près de la montagne. L’oncle s’étonna et lui dit de le mener à cet endroit. Son neveu lui montra la queue du buffle qui restait encore visible, l’oncle la prit et se mit à tirer dessus, mais elle lui resta dans la main et il tomba à la renverse. Transporté de colère, il se mit à la poursuite de son neveu. Celui-ci s’enfuit jusqu’à un bac dont le passeur s’appelait Rông (dragon). « Rông ! Rông ! cria le jeune homme, viens vite à mon secours ». À cet appel, un dragon se montra dans le fleuve et aida le fugitif à le traverser. L’oncle effrayé s’en retourna. Par la suite, Dinh tien hoàng devint roi.



  1. Dinh tien hoàng (968-980) est considéré comme le fondateur de la monarchie annamite. C’était un homme de la vallée (dong ( 筒) de Hoa lu, dans le Dai huinh (huyèn de Gia viên, dans la province de Ninh buih, au Tonquin). Son nom était Dinh, son prénom Bô lanh. Il était le fils de Dinh công trir, thu su du Hoang chàn. Sa naissance avait été annoncée, comme celle de plusieurs autres personnages remarquables, par un rêve dans lequel un génie priait sa mère de le prendre pour fils. Il perdit son père de bonne heure ; sa mère se retira à la campagne, et le jeune garçon allait avec les enfants du voisinage pour faire paître les buffles. Il conquit rapidement un grand ascendant sur ses camarades, ils l’élurent pour chef de leurs jeux ; ils lui faisaient un trône de leurs bras entrelacés et marchaient en pompe devant lui avec des roseaux en fleurs en guise de lances. Devenu grand, il forma une bande avec laquelle il eut d’abord à combattre un oncle qui sans doute ne croyait pas à sa mission. « Dinh demeurait au sâch (village) de Dào uc, son oncle au sâch de Bong. Il s’opposa à l’Empereur (c’est-à-dire à son neveu). L’Empereur était jeune, il n’avait pas encore de grandes forces, il s’enfuit par le pont de Dàm gia nuong. Le pont se rompit, et Dinh tomba dans la vase. Son oncle allait le frapper quand il vit deux dragons jaunes l’emporter. L’oncle eut peur et se sauva. » Dinh, échappé à ce péril, recommença la lutte. Son oncle se soumit à lui. Dinh vint ensuite à bout des douze gouverneurs qui se partageaient l’Annam sous la suprématie chinoise. Toujours vainqueur, il prit le titre de Roi des dix mille victoires. Il rétablit les relations avec la Chine, y envoya une ambassade et reçut de l’Empereur de Chine — (dynastie Tong, dont le fondateur fut son contemporain) — l’investiture de l’Annam avec le titre de Vuong du chau des Giao chi. Quant à lui, il donna à son royaume le titre de Dai cu viet. Dinh tien hoàng était un justicier. Il fit placer devant son palais deux chaudières et faisait nourrir des animaux féroces auxquels les criminels devaient être livrés. Il régla la hiérarchie des fonctions civiles et militaires, et même des bonzes et des Taosse. Il donna un costume aux fonctionnaires et divisa le pays en dix dao. Il fut assassiné par un officier du palais nommé Dô thich qui avait rêvé qu’une étoile lui entrait dans la bouche, et se croyait en conséquence appelé aux plus hautes destinées. L’assassin resta caché trois jours ; au bout de ce temps, pressé par la soif, il tendit la main pour recueillir de l’eau de pluie et fut aperçu par des jeunes filles. Il subit la mort lente, et sa chair fut dévorée par le peuple.
    Des prodiges avaient annoncé la catastrophe finale aussi bien que les gloires qui l’avaient précédée. Pendant sa jeunesse, un jour qu’il péchait dans le fleuve de Giao thùy, l’Empereur avait ramené dans son filet une grande pierre précieuse qui heurta l’avant de la barque et l’écorna. Il la cacha dans un baquet à poisson qui, pendant la nuit, était éclairé d’une lumière étrange. Un bonze à qui il montra l’escarboucle soupira et lui dit : « Mon fils, tu as eu l’autre jour un bonheur ineffable ; je crains seulement qu’il ne soit pas de longue durée. Sa mort violente et la grandeur future de la famille Lé avaient été également prédites.
    Les poésies de l’empereur Tu duc contiennent deux pièces de vers consacrées à la louange de Dinh tien hoàng. Les détails qui précèdent ont été empruntés au commentaire de ces deux pièces. Voici la plus étendue qui, s’il faut en croire les mandarins annotateurs, joint au mérite d’une composition parfaite celui de ne rien contenir d’étranger au sujet :
    Les vallées de Hoa lu ont produit un roi. — Au temps de ses jeux d’enfant il se distinguait déjà du vulgaire ; — Parmi la troupe des bergers tous cédaient (à son ascendant).
    De leurs mains unies ils faisaient son char (impérial) ; — De fleurs de roseaux ils faisaient les pavillons (de son cortège).
    Son visage imposant avait toute la majesté impériale ; — Les vieillards de son village le respectaient. — La physionomie de (celui de) Phong bai revivait en lui. — En vain les douze gouverneurs s’étaient-ils partagé le pays, — (Élevant le) drapeau du droit il pacifia, nivela tout. — Roi dix mille fois victorieux, il fonda le « grand et puissant empire de Vièt ». — Il réunit la montagne et le fleuve, renouvela le soleil et la lune.
    — Ce fut en ce temps que commença l’indépendance de la région brûlante (du midi).
    — Dépassant de loin les anciens rois, il était pareil aux Tong. — Comment cette rapide prospérité se changea-t-elle en une chute rapide ? — Du haut de son cheval il avait conquis, comment eut-il pu, du haut de son cheval gouverner ? — Par ses nombreuses violences il avait créé son propre péril. — Les paroles de l’oracle, l’angle (du bateau écorné par) l’escarboucle, tous ces prodiges avaient été vains.