Contes et légendes annamites/Légendes/014 Histoire d’un prince de la famille Mac


XIV

HISTOIRE D’UN PRINCE
DE LA FAMILLE MAC.



Autrefois régnaient la dynastie Le et le chua Nguyén. L’Empire jouissait de la paix depuis plus de cent ans, lorsque Mac parvint aux honneurs et se révolta contre l’autorité royale. Mac eut dix-huit fils et une fille ; le dernier de ses fils s’appelait Ninh, il avait un esprit pénétrant et était habile à tout. On lui donna le commandement d’une armée pour combattre les Lé ; le gendre de Mac, nommé Nam, était lui aussi un habile général ; les Lé n’avaient personne à leur opposer ; le chùa Nguyén bien essaya bien de leur résister, mais il bit vaincu et forcé de se réfugier dans le Nghê an où il se retrancha dans la montagne de Rum, en faisant des barrages sur le fleuve. Ninh le poursuivit par terre, Nam par eau ; celui-ci détruisit tous les barrages et Nguyén hiên fut encore battu et s’enfuit au Dèo ngang, défilé qui sépare les provinces de Quàng binh et de Hà tinh. Là il rencontra le Trang nguyén Trinh qui lui dit : « La dynastie Le est perdue, la famille des Mac l’emporte ; mais, vous, emmenez votre armée dans le Quàng nam et, par la suite, il y aura dans votre maison quatre générations de rois[1]. »

L’aîné des Mac, Mac dàng dung, prit le titre de roi. Jaloux des talents de son frère Ninh, il eut peur qu’il ne lui disputât le pouvoir et conçut le dessein de le faire périr ; Ninh, au contraire, se fiait aux sentiments fraternels et ne soupçonnait rien.

Après avoir vaincu le chûa Nguyén bién, Ninh s’en retourna et arriva au bac de Thành Rum, à un point où le fleuve était très large. Il se mit à réfléchir et dit au passeur : « Voudrais-tu devenir mandarin ? — Tout le monde veut d’un bon morceau, répondit l’homme, ou d’un bel habit ; mais je suis un pauvre diable et n’ai à espérer rien de pareil. » À ces mots, la figure de Ninh s’empourpra[2] et il ordonna à ses hommes de couper la tête du passeur. La femme et les enfants de celui-ci épouvantés s’enfuirent. Ninh ordonna alors de prendre le cadavre et d’aller l’ensevelir, je ne sais où, dans la montagne Hong lanh ; il fit ensuite dresser près du bac une stèle où il grava une inscription disant : « Quand la montagne de Hong cessera de produire des arbres, quand le fleuve Rum cessera de rouler ses eaux, cette famille cessera de fournir des mandarins. »

Il faut savoir que ce passeur fut l’ancêtre de Nguy khac dâng,[3] et que, depuis sa mort, la famille Nguy n’a cessé d’avoir des succès aux examens et de s’élever aux premiers emplois, grâce à la situation du tombeau que Ninh donna à leur ancêtre.

Ninh avait pacifié le Nghê an. Mac dàng dung eut peur qu’il ne lui disputât la couronne et lui écrivit pour lui demander pour quelle raison, en ayant fini avec la rébellion, il ne revenait pas à la cour ; et pourquoi ayant vaincu le chùa Hién il ne l’avait pas emmené prisonnier et l’avait épargné. Ninh se mit en colère et dit : « Moi seul j’ai pu vaincre l’Empereur Lé et son chùa Nguyèn hién, mais mon frère méconnaît mes sentiments et me soupçonne ; je pourrais lui résister si je le voulais et m’emparer du pouvoir, mais ce serait pécher contre la loi divine, et me rendre l’objet du mépris de la postérité. Que mon frère me fasse donc ce qu’il voudra ! »

Mac dang dung ordonna de décapiter Ninh, mais la terre se mit à trembler, et les mouches couvrirent le cou de Ninh en tel nombre que l’exécuteur ne put lui trancher la tête. On le lia ensuite sous le ventre d’un éléphant que l’on poussa dans le fleuve afin que Ninh fut noyé, mais l’éléphant refusa d’entrer dans l’eau. Tout le monde plaignait Ninh, lui seul causait librement à son ordinaire, sans souci de la mort. Quelques jours après, Mac dang dung ordonna de mettre du poison dans ses aliments, mais le poison n’eut aucun effet sur Ninh. Son frère le fit alors jeter en prison et Ninh voyant que rien ne pouvait le détourner de ses mauvais desseins se pendit.

À la nouvelle de la mort de Ninh, Mac dang dung fut transporté de joie. Il donna un grand banquet auquel il invita son gendre Nam, et plusieurs autres généraux, et leur annonça qu’il leur conférait de nouvelles dignités. Nam lui dit : « C’est Ninh et moi qui avons fondé votre trône ; il avait pacifié le midi, moi j’ai soumis les rebelles de Cao bang ; vous, qui étiez resté dans votre palais, vous avez fait périr cet homme juste et qui vous avait rendu de grands services. » Quatre généraux de l’armée de Ninh approuvèrent ces paroles, repoussèrent les titres qui leur étaient offerts et délibérèrent avec Nam de faire la guerre à Mac dang dung. La sœur de Mac, qui avait épousé Nam, ayant appris le complot qui se tramait contre son frère, fit prévenir celui-ci qui envoya des soldats pour assiéger la maison de Nam et s’emparer de lui et des quatre généraux de Ninh. Nam, voyant qu’il avait été trahi par sa femme, mit celle-ci à mort et se défendit ensuite contre les assaillants, mais il fut vaincu et tué ainsi que les quatre généraux. Les Mac disputèrent pendant soixante-sept ans le pouvoir à la famille Lé, mais ils furent enfin vaincus par les chua de la famille Trinh.



  1. Je ne me charge pas de concilier ce récit avec celui que l’on trouvera dans l’histoire de M. Pétrus Truong vïnh ky, tome II, p. 59 et suivantes. Le narrateur pourrait bien avoir mêlé des événements qui se sont passés à des époques différentes, mais cela n’enlève rien à la valeur de cette légende au point de vue de l’étude des idées annamites. Cette prédiction que la famille Nguyên n’aura que quatre rois est très répandue dans l’Annam et a été constamment invoquée par tous les Tonquinois qui se sont révoltés sous le règne de Tu duc.
  2. Ce n’est pas un signe de colère mais d’inspiration supra humaine.
  3. Un des membres de l’ambassade annamite qui alla en France sous la conduite de Nguyèn tri phuong.