Contes et légendes annamites/Légendes/007 Histoire de trois hommes serpents


VII

HISTOIRE DE TROIS HOMMES-SERPENTS.



Du temps de la dynastie Ly[1] vivaient au village de Chi chàu, canton de Thruong nhùrt, huyên de Thach hà, province de Hà tinh, un homme nommé Trân thê vinh et sa femme Nguyén thi thoai. Ils étaient âgés d’environ quarante ans et mariés depuis plus de quinze années sans avoir eu d’enfants.

Une nuit d’automne, pendant une grande pluie, la femme prit un vase de terre pour recueillir l’eau qui coulait du toit. C’était vers la quatrième veille. Elle vit une étoile tomber dans le vase. Étonnée, elle appela son mari et lui conta ce qui s’était passé. Ils résolurent de garder le silence et de boire l’eau. La femme devint grosse, mais, au bout de trois ans, elle n’avait pas encore accouché, et l’on pensait qu’elle était hydropique ; ni remède, ni philtre n’y faisait. Un jour enfin, le premier jour du premier mois, à midi, elle accoucha de trois œufs bleus. Son mari fut très surpris et cacha avec soin l’aventure. Au bout de dix mois, ils virent éclore trois serpents : le premier avait le corps bleu et la tête rouge, le second le corps tacheté et la tête bleue, le troisième le corps blanc et la tête noire ; ils avaient environ un thu’oc et deux tâc de long[2] et croissaient à vue d’œil. Partout où allait leur père, ils le suivaient. Un jour qu’il travaillait aux champs, en coupant l’herbe, il trancha la queue de l’un des serpents dont le sang coula à flots. Le serpent se transforma aussitôt en un beau jeune homme haut de dix thu’oc : « Mes frères et moi, dit-il, nous sommes des génies célestes qui avons commis une faute, et nous avons été envoyés sur la terre pour secourir le royaume. Mes frères vont rester ; moi, je vais remonter au ciel en soulevant une tempête en signe de ce qui se passe »[3]. Les deux autres serpents demeurèrent à la maison ; quelquefois ils se transformaient en hommes, et nul alors ne les égalait. Du temps de cette dynastie des Ly, la Chine voulut s’emparer de l’or du Quàng nguyèn, de l’ivoire et de la cannelle du Thanh hôa et du Nghè an, mais, grâce à leur protection, ses entreprises furent déjouées. Aussi, le roi leur conféra-t-il le titre de généraux (Nguyên soâi). Par la suite, on leur éleva une chapelle, et, jusque sous la présente dynastie, ils ont manifesté leur puissance.



  1. Il y a deux dynasties de ce nom : les Ly antérieurs (541 à 603) ; les Ly postérieurs (1010-1225).
  2. Le thu’oc vaut vingt-deux diamètres de sapèque de Gia long, soit 525 millimètres ; le täc est le dixième du thu’oc.
  3. C’est toujours par un orage que se manifestent les dragons quand ils apparaissent sur la terre.