Contes et Nouvelles (Gogol)/Texte entier

Contes et Nouvelles (Gogol)
Traduction par Henri Chirol.
Contes et Nouvelles (p. 1-267).

Nikolaï GOGOL —CONTES ET NOUVELLES




CONTES ET NOUVELLES









émile colin — imprimerie de lagny









NIKOLAÏ GOGOL


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CONTES


ET


NOUVELLES


LA TERRIBLE VENGEANCE
LE NEZ
MÉMOIRE D’UN FOU
LA PLACE ENSORCELÉE


Traduits par HENRI CHIROL



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PARIS


ERNEST FLAMMMARION, ÉDITEUR
26,rue racine, près l’odéon


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Tous droits réservés.






LA TERRIBLE VENGEANCE


I

Tout un coin de Kiev est plein de bruit et de tapage : l’essaoul[1] Gorobietz célèbre le mariage de son fils. Beaucoup de personnes ont été invitées par l’essaoul. Dans l’ancien temps, on aimait beaucoup bien manger, on aimait encore plus bien boire, et par-dessus tout bien s’amuser. Le zaporogue[2] Mikitka est venu, sur son cheval bai, en droite ligne, des plaisirs débauchés de Piéréchlaia-polé, où il a bu, durant sept jours et sept nuits, le vin rouge des gentilshommes du roi de Pologne. Danilo Bouroulebache, frère de l’essaoul, est arrivé également, du rivage au delà du Dniepr, où, entre deux montagnes, se trouve sa terre ; il est accompagné de sa jeune femme Katerina et de son fils âgé d’un an. Les invités ont admiré le visage blanc de la pania[3] Katerina, ses sourcils noirs comme du velours d’Allemagne, son vêtement de fête et sa robe en soie bleue, ses bottes à boucles d’argent ; mais ce qui les a le plus étonnés, c’est que son vieux père ne l’ait pas accompagnée. Voilà seulement un an qu’il vit à Zadniéprovi ; mais durant vingt-et-une années il disparut sans donner de nouvelles, et il revint chez sa fille, quand elle se maria et eut un fils. Il raconta, en vérité, beaucoup de choses extraordinaires. Comment ne pas raconter, quand on est resté longtemps en pays étranger ? Là, tout est différent : les gens ne sont pas les mêmes, et il n’y a pas d’églises chrétiennes… Mais il n’était pas venu.

On servit aux invités un bischof aux raisins secs et aux prunes, et, sur un grand plat, un gâteau.

Les musiciens en reçurent le dessous, cuit ensemble avec de l’argent, et, pendant ce temps se taisant, placèrent autour d’eux les cymbales, violons et tambourins. Cependant les jeunes filles, s’étant essuyées de leurs mouchoirs brodés, rompirent leurs rangs ; et les garçons, la main au côté, regardant fièrement autour d’eux, s’apprêtaient à aller à leur rencontre, — quand le vieil essaoul apporta deux icônes pour bénir les jeunes époux.

Ces icônes lui avaient été données par un saint ermite, le vieux Varfolomiéi. Elles n’avaient pas de riches manteaux, ni argent ni or n’y brillait, mais aucune puissance impure n’osait toucher à celui qui les possédait chez lui. Élevant les icônes en l’air, l’essaoul s’apprêtait à dire une courte prière… quand, tout à coup, les enfants qui jouaient par terre poussèrent des cris, avec terreur, et, derrière eux, le peuple se recula, tandis que tous, effrayés, montraient du doigt un Kosak, qui se tenait debout devant eux. Qui était-ce, personne ne le savait. Il avait dansé déjà à merveille la kozatchka[4] et réussi à faire rire la foule qui l’entourait ; mais quand l’essaoul saisit les icônes, soudain toute la figure du Kosak changea : le nez s’allongea et s’inclina de côté, les yeux qui étaient bruns devinrent verts et sursautèrent, le menton trembla et s’amincit en pointe comme une lance, de la bouche sortit une dent, derrière la tête se leva une bosse, et au lieu du Kosak, on vit — un vieillard.

— C’est lui, le voilà ! criait-on dans la foule, en se pressant l’un contre l’autre.

— Le sorcier apparaît de nouveau ! — criaient les mères, en saisissant leurs enfants par la main.

Majestueusement, l’essaoul s’avança vers lui et lui dit d’une voix de tonnerre, en approchant de lui les icônes : « Disparais, image de Satan ! il n’y a pas de place ici pour toi ! » Et, sifflant et claquant des dents comme un loup, le vieillard fantastique disparut.

Les bruits et les discours allaient, allaient, parmi le peuple, et grondaient comme la mer, pendant un orage.

— Quel est ce sorcier ? demandaient les jeunes gens et les personnes sans expérience.

— Un malheur arrivera ! disaient les vieillards, en secouant la tête. Et, partout, dans la vaste cour de l’essaoul, on se mit à se rassembler en groupes et à écouter des histoires sur le sorcier merveilleux. Mais presque tous parlaient différemment ; car, au fond, personne ne savait rien sur son compte.

On roula par la porte un tonneau d’hydromel et on apporta beaucoup de védros[5] de vin de Grèce. Tout redevint gai. Les musiciens reprirent leurs airs, — les jeunes filles, les femmes, toute l’ardente jeunesse kosake, en surtouts clairs, s’élança. Et les vieux de quatre-vingt-dix et de cent ans, s’enivrant, se mirent aussi à danser, ne pensant plus aux années écoulées. On festina jusqu’à la nuit avancée, et on festina tellement que, jusqu’alors, on n’avait jamais tant festiné. Les invités commencèrent à se séparer, mais bien peu rentrèrent chez eux ; beaucoup restèrent à coucher chez l’essaoul, dans sa vaste cour ; et un plus grand nombre encore s’endormirent sous les bancs, par terre, dans les écuries, alentour des étables : là où la tête d’un Kosak vacilla d’ivresse, là il s’endormit ; et on ronfla dans tout Kiev.

II

Une douce lumière éclaire toute la terre : car la lune s’est levée de derrière une montagne. Elle couvre la rive montagneuse du Dniepr comme d’une riche mousseline damassée, blanche comme de la neige ; et l’ombre se retire plus loin dans l’épaisseur des bois de pins.

Au milieu du Dniepr vogue une barque. Deux garçons sont assis sur le devant, leurs noirs bonnets kosaks sur le côté de la tête, et, sous les rames, comme d’un feu de briquet, l’eau jaillit en tous sens.

Pourquoi les Kosaks ne chantent-ils pas ? Pourquoi ne parlent-ils pas de l’arrivée en Ukraine des moines qui baptisent le peuple kosak à la manière catholique, ni du combat que la horde a livré durant deux jours près du lac Solenii ? Mais comment pourraient-ils chanter, ou causer de ces faits malheureux ? En effet, leur pan[6] Danilo réfléchit, et la manche de son surtout cramoisi pend hors de la barque et pompe l’eau ; leur pania Katerina berce doucement l’enfant et ne le quitte pas des yeux, tandis que l’eau couvre d’une poussière grise la robe de fête, qu’aucune toile ne protège.

Rien d’agréable comme de regarder, du milieu du Dniepr, vers les hautes montagnes, les larges prairies, les bois verdoyants ! Les montagnes ne sont pas des montagnes : elles n’ont pas de bases ; en bas comme en haut est un sommet aigu, et dessous comme dessus on voit le ciel élevé. Les bois, qui se trouvent sur les coteaux, ne sont pas des bois : ce sont des cheveux, couvrant la tête poilue d’un vieux sylvain. Au-dessous de cette tête, une barbe flotte dans l’eau, et sous la barbe et sur les cheveux, c’est le ciel élevé. Les prés ne sont pas des prés : c’est la verte ceinture, qui coupe par le milieu le ciel rond ; et dans la partie supérieure et dans l’inférieure se promène la lune[7].

Le pan Danilo ne regarde pas alentour de lui ; il regarde sa jeune épouse.

— Pourquoi, ma jeune femme, ma Katerina adorée, t’abandonnes-tu au chagrin ?

— Je ne m’abandonne pas au chagrin, mon pan Danilo ! Les merveilleux récits sur le sorcier m’ont troublée. On dit qu’il est né si effrayamment… et qu’aucun des enfants ne voulait jouer avec lui. Écoute, pan Danilo, comme on en dit des choses terrifiantes : il lui semble toujours que tout le monde se moque de lui ; s’il rencontre, par un soir sombre, un homme quelconque, il paraît qu’aussitôt il ouvre la bouche et montre les dents ; et le lendemain, on trouve cet homme mort. Quand j’ai entendu tous ces récits, cela m’a étonnée et effrayée, répondit Katerina, en prenant son mouchoir et en essuyant le visage de son enfant dormant dans ses bras.

Sur le mouchoir étaient brodées en soie rouge des feuilles et des baies.

Le pan Danilo ne répondit pas et se mit à regarder la rive sombre ; au loin, d’une forêt, un rempart de terre surgissait en masse noire, et sur le rempart s’élevait un vieux château. Trois plis se creusèrent sur les sourcils du pan, et sa main gauche tortilla ses moustaches juvéniles.

― Ce n’est pas tant le sorcier en lui-même qui est effrayant, dit-il ; le plus terrible, c’est quand il vient en méchant hôte. Quelle folie pour lui de s’être traîné ici ? J’ai entendu dire que les Liakhs[8] veulent construire une forteresse, pour nous barrer la route des Zaporogues. Plaise à Dieu que ce soit vrai !… Je vais balayer ce nid du diable, si seulement court le bruit qu’il y a quelque repaire. Je vais brûler le vieux sorcier, tellement qu’il n’y en aura plus une miette à becqueter pour les corbeaux. Je pense, pourtant, qu’il doit avoir de l’or et des richesses… Voilà, où vit ce démon !… Voilà que nous voguons près de croix — c’est un cimetière ! Ses aïeux impurs y pourrissent. On dit qu’ils étaient tous prêts à se vendre à Satan pour de l’argent, avec leur âme et leurs surtouts déchirés. S’il a véritablement de l’or, il n’y a pas de temps à perdre ; on ne s’enrichit pas tous les jours à la guerre…

— Je sais ce que tu médites : une rencontre avec lui ne me présage rien de bon. Voilà que ta respiration est lourde, tes yeux sont durs, tes sourcils se pressent sur tes yeux d’un air morne !…

— Tais-toi, femme ! dit Danilo avec colère ; celui qui discute avec vous devient lui-même femme. Garçon, donne-moi du feu de ta pipe…

Il se retourna vers l’un des rameurs, qui, piquant la cendre chaude dans le fond de sa pipe, en jeta une pincée dans celle de son pan.

— Vais-je m’effrayer d’un sorcier ! continua le pan Danilo. Un Kosak, grâce à Dieu, ne craint ni les diables ni les moines ! Nous serions bien, si nous nous mettions à écouter les femmes. N’est-ce pas vrai, garçons ? notre femme, — c’est notre pipe et notre sabre tranchant !

Katerina se tut, et jeta les yeux sur l’eau endormie ; mais le vent en couvrit alors la surface de rides, et tout le Dniepr s’argenta, comme une fourrure de loup au milieu de la nuit.

La barque tourna sur le côté et commença à côtoyer le rivage boisé. On aperçut bientôt un cimetière : des croix antiques se pressèrent en foule. Aucune viorne ne croissait parmi elles ; aucune herbe verte n’y apparaissait ; seule, la lune les éclairait, du haut du ciel.

— Entendez-vous des cris, garçons ? Quelqu’un appelle au secours ! dit le pan Danilo, se retournant vers ses rameurs.

— Nous entendons les cris, et, semble-t-il, de ce côté, répondirent ensemble les garçons, en montrant le cimetière.

Mais tout se tut. Le canot se détourna et se mit à suivre le promontoire.

Tout à coup, les rameurs laissèrent échapper les rames et s’arrêtèrent les yeux fixes. Le pan Danilo resta immobile : une sueur froide courut dans les veines kosakes.

Une croix oscilla sur sa tombe, et de celle-ci sortit lentement un mort desséché. Sa barbe pendait jusqu’à la ceinture ; à ses doigts étaient des ongles plus longs que les doigts eux-mêmes. Il tendit lentement ses mains vers le ciel. Tout son visage tremblait et grimaçait. On voyait qu’il devait endurer une horrible souffrance. « J’étouffe ! j’étouffe ! » gémit-il d’une voix bizarre, qui n’avait rien d’humain. Sa voix, comme un couteau, fendait le cœur ; le mort soudain rentra sous terre.

Une autre croix vacilla, et un nouveau mort sortit, encore plus effrayant et plus grand que le précédent ; sa barbe allait aux genoux, et ses ongles, faits d’os, étaient encore plus longs. Il cria encore plus sauvagement : « J’étouffe ! » et il disparut sous terre.

Une troisième croix remua, et un troisième mort se leva. Il semblait que ses os seuls s’élevaient sur la terre. Sa barbe tombait à ses talons ; ses doigts aux ongles longs labouraient le sol. Il tendit effrayamment ses mains en l’air, comme s’il voulait atteindre la lune, et il poussa un tel cri qu’on eût pensé que quelqu’un lui sciait ses os jaunis…

L’enfant, qui dormait dans les bras de Katerina, poussa un cri et s’éveilla ; la pania, elle aussi, poussa un cri ; les rameurs laissèrent tomber leurs bonnets dans le Dniepr ; le pan lui-même frissonna.

Soudain, tout disparut, comme si rien n’était ; pourtant, les garçons restèrent longtemps sans reprendre leurs rames. Bouroulebache regarda avec tendresse sa jeune femme, qui, pleine d’effroi, balançait dans ses bras son enfant qui pleurait, la serra sur son cœur et l’embrassa sur le front. « Ne crains rien, Katerina ! Regarde : il n’y a rien ! dit-il, en lui montrant la rive. Le sorcier veut effrayer le monde, afin que personne ne vienne à son nid impur. Mais il n’effraye ainsi que les femmes ! Donne-moi mon fils ! »

À ces mots, le pan Danilo leva son fils en l’air et l’éleva à ses lèvres : « N’est-ce pas, Ivan, tu ne crains pas le sorcier ? — Non ! — Réponds : « Papa, je suis un Kosak ! » — Cesse de pleurer ! Nous retournons à la maison ! nous retournons chez nous. — Ta mère te donnera du gruau, te placera dans ton berceau, et chantera :


Berce, berce, berce,
Berce, petit enfant, berce-toi
Et grandis, pour notre joie,


Pour la gloire du peuple kosak
Et le châtiment des ennemis…


» Écoute, Katerina : il me semble que ton père ne veut pas vivre en bon accord avec nous. Il est arrivé rébarbatif, morose, comme s’il était fâché… allons, s’il est arrivé mécontent, pourquoi est-il venu ? Il n’a pas voulu boire à la liberté kosake ! Il n’a pas touché l’enfant des mains ! D’abord je voulais lui dire tout ce que j’ai sur le cœur, mais cela ne réussit pas, et je bégayai. Non ! il n’a pas un cœur kosak ! Comment des cœurs kosaks, quand ils se rencontrent quelque part, ne bondiraient-ils pas l’un vers l’autre ? Allons, mes garçons, vite au rivage ! Je vous donnerai des bonnets neufs. À toi, Stetzeko, je t’en donnerai un en velours brodé d’or. Je le prendrai ensemble avec la tête d’un Tatar ; tout son attirail me restera ; je rejetterai seulement son âme bien volontiers. Allons ! amarrez ! Voilà, Ivan, que nous sommes arrivés et tu pleures toujours ! Prends-le, Katerina ! »

Tous débarquèrent. De derrière la montagne, surgissait une maison de chaume ; c’était le manoir de famille du pan Danilo. Derrière lui se trouvait encore une montagne, mais aussi des champs, et on aurait pu parcourir cent verstes sans y rencontrer un seul Kosak.

III

Le domaine du pan Danilo se trouve situé entre deux montagnes, dans un étroit vallon qui descend vers le Dniepr. Son manoir n’est pas élevé ; il a l’aspect d’une chaumière, comme pour les simples Kosaks, et, à l’intérieur, il n’a qu’une seule chambre. Mais il y a là de quoi loger lui, sa femme, une vieille servante et dix jeunes gens choisis. Autour des murs, en haut, sont des rayons de chêne. Sur ces rayons se pressent des marmites et des pots pour les aliments. Au milieu, on voit aussi des coupes d’argent et des verres ciselés d’or, reçus en cadeau ou conquis à la guerre. Au-dessous, sont suspendus de riches mousquets, des sabres, des arquebuses, des lances ; de gré ou de force, ces armes furent prises sur les Tatars, les Turcs et les Liakhs ; aussi, beaucoup sont ébréchées. En les regardant, le pan Danilo, comme devant des inscriptions, se rappelle ses combats. Le long du mur, en bas, des bancs de chêne poli ; tout auprès, devant le poêle, est le berceau, suspendu à des cordes qui s’enroulent autour d’un anneau fixé au plafond. Dans toute la chambre, le plancher poli est frotté et ciré à la terre glaise. Sur les bancs se couchent le pan Danilo et sa femme ; sur le poêle repose la vieille servante ; dans le berceau, s’amuse et s’en- dort au bruit d’une chanson le petit enfant ; sur le plancher dorment les jeunes gens. Mais un Kosak préfère dormir sur la terre unie, à ciel ouvert ; il n’a besoin ni de lit de plume ni d’oreiller ; il place sous sa tête un peu de paille fraîche et s’allonge à son aise sur l’herbe. Il lui est agréable, quand il se réveille au milieu de la nuit, d’apercevoir le ciel profond constellé d’étoiles et de frissonner au froid de la nuit, qui rafraîchit les membres ; alors, en s’allongeant et marmottant à travers son sommeil, il allume sa pipe et s’enroule plus étroitement dans sa chaude pelisse.

Bouroulebache ne se réveilla pas de bonne heure, après le festin de la veille, et, une fois levé, s’assit sur un bout du banc, et se mit à aiguiser un nouveau sabre turc, qu’il avait troqué contre une autre marchandise ; et la pania Katerina entreprit de broder d’or un mouchoir de soie.

Soudain, le père de Katerina entra, en colère, les sourcils froncés, une pipe étrangère entre les dents ; il alla vers sa fille, et lui demanda durement pour quelle cause elle était rentrée si tard chez elle.

— Pour cette affaire, beau-père, c’est moi, et non elle, qu’il faut interroger. Ce n’est pas la femme, mais l’homme, qui est responsable. Chez nous, cela est ainsi, ne t’en fâche pas ! dit Danilo, sans quitter son ouvrage. Peut-être que dans certaines contrées du Nord les choses vont autrement, — cela je l’ignore.

Une rougeur de colère couvrit le visage du beau-père, et ses yeux brillèrent d’une façon bizarre :

— Qui donc, sinon le père, doit s’occuper de sa fille ? marmotta-t-il en lui-même. Alors, je t’interroge toi-même : où as-tu couru jusqu’au milieu de la nuit ?

— Ah ! voilà donc l’affaire, cher beau-père ! Mais je dois te dire à ce sujet que, depuis déjà longtemps, je ne fais plus partie de ceux que les vieilles femmes emmaillotent. Je sais me tenir à cheval ; je sais aussi manier dans ma main un sabre tranchant, et je sais encore quelque chose… Je sais ne donner à personne les raisons de ce que je fais.

— Je vois, Danilo, et je sais que tu aimes les disputes. Celui qui se cache doit avoir, à coup sûr, de mauvaises intentions.

— Pense ce que tu veux, répondit Danilo, et je pense de même. Grâce à Dieu, je n’ai encore jamais trempé dans une affaire déshonorante ; je me suis toujours levé pour la foi orthodoxe et pour la patrie, et non pas comme certains vagabonds qui errent, Dieu sait où, quand les orthodoxes vont à la mort, et ensuite, qui reviennent ravir à ceux-ci le blé qu’ils ont semé. Ils ne ressemblent même pas aux uniates ; ils n’entrent jamais dans l’église de Dieu. À ceux-là, il est nécessaire de demander où ils vont.

— Eh ! Kosak ! sais-tu… Je suis mauvais tireur : à cent sagènes[9] ma balle traverse le cœur ; au sabre, je suis médiocre : d’un homme, je taille des morceaux plus menus que le gruau dont on fait la kacha[10].

— Je suis prêt, dit le pan Danilo, brandissant hardiment son sabre en l’air, comme s’il l’avait aiguisé exprès pour cette occasion.

— Danilo ! s’écria vivement Katerina, le saisissant par la main et s’y suspendant, rappelle-toi, insensé, regarde sur qui tu lèves la main. Toi, père, tes cheveux sont blancs comme la neige, et tu t’emportes ainsi qu’un garçon qui perd la tête !

— Femme ! s’écria avec menace le pan Danilo, tu sais que je n’aime pas cela ; fais ton ouvrage de femme !

Les sabres résonnèrent terriblement ; le fer frappa le fer, et une pluie d’étincelles entoura les Kosaks. Éplorée, Katerina se sauva dans une autre pièce, se jeta sur un lit et se couvrit les oreilles, pour ne pas entendre le choc des sabres. Mais les Kosaks se battaient trop bien, pour qu’il fût possible d’assoupir leurs coups. Son cœur battait à se rompre ; dans tout son corps, elle ressentait les bruits : touk ! touk ! « Non, je ne souffrirai pas, je ne les laisserai pas… Peut-être que déjà le sang vermeil coule à flots des corps blancs ; peut-être qu’en ce moment mon bien-aimé perd ses forces, et moi, je reste ici ! » Et toute tremblante, perdant presque connaissance, elle rentra dans la chaumière.

Les Kosaks se battaient terriblement et à forces égales ; ni l’un ni l’autre ne l’emportait. Tantôt le père de Katerina attaquait, — le pan Danilo se dérobait ; tantôt le pan Danilo attaquait, — le rude père se dérobait ; et ils se trouvaient de nouveau sur la même ligne. Ils écumaient. Ils levèrent les bras… ouk ! Les sabres résonnèrent…, et, avec bruit, les lames volèrent sur les côtés.

— Je te remercie, mon Dieu ! dit Katerina. Mais elle poussa un nouveau cri, en voyant les Kosaks saisir des mousquets. Ils placèrent les silex, et amorcèrent les chiens.

Le pan Danilo tira, — il manqua le but. Le père mit en joue… Il est vieux, ne voit pas très bien comme un jeune homme ; sa main pourtant ne tremble pas. Il tire, le coup résonne… Le pan Danilo vacille ; un sang vermeil rougit la manche gauche de son surtout.

― Non ! s’écria-t-il, je ne me livrerai pas à si bon compte ! Ce n’est pas la main gauche, mais la droite qui est importante. J’ai, pendu au mur, un pistolet turc : dans toute ma vie il ne m’a jamais trahi. Descends du mur, vieux camarade ; rends-moi un nouveau service.

Danilo étendit la main.

― Danilo ! cria Katerina avec désespoir, en le saisissant par la main et se jetant à ses genoux, je ne te supplie pas pour moi ! Car ma mort sera prompte : celle-là est une mauvaise femme qui survit à son époux ; le Dniepr, le Dniepr glacé sera ma tombe… Mais regarde ton fils, Danilo ! pense à ton fils ! Qui réchauffera le malheureux enfant ? Qui le caressera ? Qui lui apprendra à voler sur un cheval noir, à se battre pour la liberté et pour la foi, à boire et à se divertir, comme un Kosak ? Meurs, mon fils, meurs ! Ton père ne veut pas te connaître. Vois comme il détourne la tête !… Oh ! à présent je te connais ! Tu es une bête féroce, et non un homme ! Tu as un cœur de loup, une âme de vermine ! Je pensais qu’il y avait en toi une goutte de pitié, que dans ton cœur de pierre il existait encore quelque sentiment d’humanité. Je me trompais d’une façon insensée ! Cela te causera de la joie. Tes os se mettront à danser de plaisir dans la tombe, quand ils entendront comme les Liakhs, bêtes impies, jetteront ton fils dans le feu, comme ton fils criera sous les couteaux ! Oh ! je te connais ! Tu en seras ravi dans ton cercueil, et tu exciteras de ton bonnet le feu qui brûlera sous lui !

— Arrête, Katerina ! Viens, mon Ivan chéri, que je t’embrasse ! Non, mon enfant, personne ne touchera tes cheveux ! Tu grandiras pour la gloire de la patrie ; comme l’orage, tu galoperas devant les Kosaks, le bonnet de velours sur la tête, le sabre tranchant à la main ! Donne la main, père ! Soyons entre nous comme auparavant ! Ce que je t’ai fait est injuste, — je le reconnais. Me donneras-tu la main ? dit Danilo au père de Katerina, qui restait au même endroit, ne laissant paraître sur son visage ni colère ni réconciliation.

— Père ! s’écria Katerina, le saisissant et l’embrassant ; ne sois pas inflexible, pardonne à Danilo ; il ne te contrariera plus !

― Pour toi seule, ma fille, je pardonne ! répondit-il ; et tandis qu’il l’embrassait, ses yeux brillèrent étrangement.

Katerina frissonna un peu : le baiser lui semblait étonnant, et la lueur des yeux singulière. Elle s’accouda sur la table, sur laquelle le pan Danilo pansait sa main blessée ; celui-ci, changeant d’avis, réfléchissait qu’il avait mal fait et non agi comme un Kosak, en demandant pardon, quand il n’était coupable de rien.

IV

Le jour se leva, mais sans soleil : le ciel se couvrit, et une pluie fine tomba sur les prés, sur les bois, sur le large Dniepr. La pania Katerina se réveilla, l’âme chagrine : ses yeux étaient rouges, et tout son être inquiet et troublé. « Mon cher mari, mon mari bien-aimé ! j’ai eu un songe effrayant ! »

― Quel songe, ma Katerina chérie ?

― Ce que j’ai rêvé est effrayant, et pourtant il me semblait être réveillée. J’ai rêvé que mon père est ce même monstre, que nous avons vu chez l’essaoul. Mais, je t’en prie, ne crois pas à ce songe : que de stupidités n’apparaissent pas en rêve ! Je me tenais devant lui, toute tremblante ; j’avais peur, et chacune de ses paroles me tordait les nerfs. Si tu savais ce qu’il m’a dit…

― Que t’a-t-il dit, ma Katerina adorée ?

― Il m’a dit : « Regarde-moi, Katerina ; je suis très beau. C’est à tort que les gens prétendent que je suis laid. Je te serai un mari parfait. Vois comme mes yeux brillent ! » Il tourna vers moi ses yeux ardents ; je poussai un cri et je m’éveillai.

― Oui, les songes disent souvent la vérité. Sais-tu que derrière la montagne, ce n’est rien moins que tranquille ? Les Liakhs recommencent à jeter les yeux de notre côté. Gorobietz m’a envoyé dire de prendre garde ; c’est à tort qu’il s’inquiète, car, sans cela, je veille toujours. Mes jeunes hommes ont cette nuit fait douze abatis d’arbres. Nous les recevrons avec des pruneaux de plomb, et les seigneurs polonais danseront au son du bâton.

― Et mon père, sait-il cela ?

― Ton père me pèse sur les épaules ! Jusqu’à présent je n’ai pu le comprendre. Il a commis sûrement, en terre étrangère, beaucoup de crimes. Pour quelles raisons, par le fait, vit-il ainsi depuis un mois sans s’amuser jamais, comme un honnête Kosak ? Il n’a pas voulu boire d’hydromel ! Tu entends, Katerina : il a refusé de boire l’hydromel que j’ai pris à des juifs de Brestov. — Eh ! garçon ! cria le pan Danilo, cours à la cave, enfant, et apporte-moi de l’hydromel juif ! Il ne boit pas non plus d’eau-de-vie de grains ! Quel malheur ! Il me semble, pania Katerina, qu’il ne croit pas au Christ notre Seigneur ! Dis ? Que t’en semble-t-il ?

— Dieu saint ! que dis-tu, pan Danilo ?

— C’est bizarre, pania ! continua Danilo, en prenant des mains du Kosak un pot de terre ; les catholiques impurs eux-mêmes aiment l’eau-de-vie ; seuls les Turcs n’en boivent pas. Eh bien ! Stetzeko, tu as bu pas mal d’hydromel à la cave ?

— J’y ai seulement goûté, pan !

— Tu mens, fils de chien ! Vois comme les mouches assaillent tes moustaches ! Je vois dans tes yeux que tu en as pris un demi-vedro[11]. Ah ! les Kosaks ! Quel mauvais peuple ! Il est toujours prêt à donner à un camarade, mais il tarit tout ce qui est liquide. Et moi, pania Katerina, depuis longtemps, je n’ai pas été ivre. Dis ?

— Voilà longtemps ! Mais pour la dernière…

― Ne crains rien, ne crains rien, je ne boirai plus de pots ! Mais voici que le prêtre turc ouvre la porte !… dit-il entre ses dents, en voyant son beau-père qui arrivait à la porte.

― Mais qu’est-ce donc, ma fille ? dit le père en enlevant son bonnet de sa tête, et rectifiant sa ceinture, à laquelle pendait un sabre aux pierres bizarres ; le soleil est déjà haut, et ton repas n’est pas prêt.

― Le repas est prêt, père pan ; nous allons nous installer. Prends un pot de galouchki ! dit la pania Katerina à la vieille servante, qui essuyait la vaisselle de bois ; ou plutôt, attends, je vais le prendre moi-même ; et toi, appelle les garçons.

Tous s’assirent par terre en cercle : sous la fenêtre le pan père, à sa main gauche le pan Danilo, à sa droite la pania Katerina, et les dix loyaux jeunes gens, en surtouts bleus et jaunes.

― Je n’aime pas ces galouchki ! dit le pan père, mangeant un peu et remettant sa cuillère, cela n’a aucun goût !

— Je sais que tu préfères la lapcha[12] juive, pensa en lui-même Danilo. Pourquoi donc, beau-père, continua-t-il à haute voix, pourquoi dis-tu que les galouchki n’ont aucun goût ? Veux-tu dire qu’ils sont mal faits ? Ma Katerina les fait comme l’hetman[13] lui-même en mange rarement de tels. Pourquoi les dédaigner ? C’est une nourriture chrétienne ! Tous les gens pieux et les saints ont mangé des galouchki…

Le père ne répondit rien, et le pan Danilo se tut.

On servit un sanglier rôti avec du chou et des prunes :

― Je n’aime pas le porc ! dit le père de Katerina, en prenant une cuillerée de chou.

― Pourquoi ne pas aimer le porc ? dit Danilo ; seuls les Turcs et les Juifs ne mangent pas de porc.

Le père fronça les sourcils.

Il mangea seulement un seul gâteau avec du lait, et but, au lieu d’eau-de-vie, une certaine eau noire, contenue dans une gourde, qu’il portait sur son sein.

Après le repas, Danilo s’endormit d’un sommeil profond et ne se réveilla que vers le soir. Il s’assit et se mit à écrire des listes pour l’armée kosake, tandis que la pania Katerina, assise sur le poêle, poussait du pied le berceau.

Le pan Danilo était assis ; il regardait de l’œil gauche sur son papier et du droit par la fenêtre. Il voyait, de là, briller au loin les montagnes et le Dniepr ; au delà du Dniepr, des forêts bleuissaient ; au-dessus le ciel serein de la nuit éclairait le tout.

Mais le pan Danilo ne regardait pas le ciel profond ni les forêts bleues ; son œil se fixait sur le promontoire où noircissait le vieux château. Il était surpris d’apercevoir un feu briller par une petite fenêtre. D’ailleurs, tout disparut bientôt ; ce n’était, sûrement, qu’une illusion. On ne percevait que le bruit du Dniepr grondant sourdement en dessous, et l’attaquant des trois côtés de ses flots montant l’un sur l’autre. Le Dniepr ne se soulève pas ; mais, comme un vieux, il grogne et murmure ; tout ne lui plaît pas ; tout change autour de lui ; il ronge doucement les montagnes qui sont sur ses rives, les bois et les prés et apporte ses plaintes à la mer Noire.

Voilà que sur le large fleuve apparut une Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/50 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/51 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/52 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/53 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/54 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/55 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/56 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/57 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/58 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/59 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/60 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/61 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/62 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/63 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/64 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/65 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/66 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/67 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/68 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/69 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/70 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/71 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/72 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/73 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/74 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/75 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/76 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/77 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/78 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/79 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/80 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/81 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/82 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/83 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/84 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/85 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/86 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/87 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/88 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/89 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/90 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/91 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/92 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/93 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/94 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/95 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/96 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/97 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/98 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/99 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/100 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/101 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/102 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/103 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/104 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/105 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/106 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/107 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/108 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/109 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/110 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/111 enterré sous la terre, s’allonger, tordre ses os dans d’horribles souffrances et ébranler effroyablement le sol… »



L’aveugle acheva ainsi sa chanson et se remit à faire résonner les cordes de sa bandoura. Il raconta ensuite des histoires amusantes sur Khoma et Ierema, sur Stkliara Stokosa… mais les vieillards et les jeunes gens ne pouvaient reprendre leurs sens, et restaient immobiles, la tête baissée, réfléchissant à la terrible aventure qui se passa dans le vieux temps.





LE NEZ





LE NEZ



Il se passa le 25 mars, à Saint-Pétersbourg, un fait extraordinairement bizarre.

Sur la perspective Vosnecenski demeure le coiffeur Ivan Iakovlevitch, dont le nom de famille a disparu de l’enseigne, où l’on ne distingue plus rien, sauf la peinture d’un monsieur à la joue couverte de savon, et l’inscription : « On fait aussi les saignées ». Le coiffeur Ivan Iakovlevitch se réveilla donc d’assez bonne heure, et sentit une odeur de pain chaud. S’étant soulevé légèrement sur son lit, il vit que sa femme, dame d’aspect respectable et adorant le café, retirait du poêle quelques pains cuits.

— Aujourd’hui, Prascovia Ossipovna, je ne prendrai pas de café, dit Ivan Iakovlevitch, je préfère à la place manger un pain avec un oignon. Pour dire la vérité, Ivan aurait bien voulu goûter de l’un et de l’autre, mais il savait la chose complètement impossible, car Prascovia Ossipovna n’admettait pas de tels caprices.

— Mange du pain, imbécile, pensa la femme en elle-même ; il me restera davantage de café… Et elle jeta un pain sur la table.

Ivan Iakovlevitch passa, par convenance, un frac sur sa chemise, et, s’étant installé devant la table, prit du sel, prépara deux têtes d’oignons, saisit un couteau, et, avec une mine significative, se mit à couper le pain. Il le coupa en deux moitiés, regarda le milieu, et à son étonnement, distingua quelque chose de blanchâtre. Ivan IakovlevKch gratta soigneusement avec son couteau, et tâta du doigt. « C’est ferme ! se dit-il en lui-même ; qu’est-ce que c’est que cela ? » Il fourra ses doigts et retira — un nez !

Ivan Iakovlevitch laissa tomber ses bras ; puis LE NEZ

il commença à se frotter les yeux et retâta du doigt ; c’était bien un nez, un véritable nez, et encore, luisembla-t-il, un nez ayant une tournure connue. La frayeur se peignit sur le visage d’Ivan ; mais cette frayeur n’était rien auprès de l’indignation qui saisit son épouse. — Où as-tu coupé ce nez, animal? se mit-elle à crier avec colère. Fripon ! ivrogne ! Je te dénonce- rai moi-même à la police! Quel brigand ! Voilà déjà trois messieurs qui m’ont dit que lorsque tu rases, tu tires tellement sur les nez que tu les arraches presque ! Mais Ivan Iakovlevitch n’était plus ni mort ni vivant car il venait de reconnaître que ce nez n’était autre que celui de l’assesseur de collège Kovalev, qu’il rasait le mercredi et le dimanche. - Tais-toi, Prascovia Ossipovna, dit-il, je vais l’envelopper dans un linge et le mettre dans un coin, pour qu’il y reste quelques jours; ensuite, je l’emporterai. - Et je n’y consens pas! Que je permette de placer un nez coupé dans la chambre ! Biscuit roussi ! II ne sait que repasser son rasoir, et n’est pas capable de terminer sa tâche vite et entièrement ! Coureur, chenapan ! Crois-tu que je vais pour toi m’attirer des histoires avec la police ? Ah ! tu es un propre-à-rien, une bûche stupide ! Regardez-le ! Voyez ! Emporte cela où tu veux ! Que je n’en entende plus jamais parler. »

Ivan Iakovlevitch était complètement abasourdi. Il réfléchissait, réfléchissait, — et ne savait à quoi réfléchir.

— Le diable sait comment cela s’est fait ! dit-il enfin, portant la main derrière l’oreille. Suis-je rentré ivre hier, ou non ? Cela, je ne puis le dire avec certitude. Mais, selon toutes les apparences, voilà une affaire qui me semble extraordinaire, car le pain, — c’est quelque chose qui se cuit, tandis qu’un nez, jamais de la vie ! Je n’y comprends rien !

Ivan Iakovlevitch se tut. L’idée que les agents de police allaient découvrir ce nez chez lui et l’en rendre responsable, le plongea dans une prostration complète. Il lui semblait déjà voir le collet rouge, élégamment brodé d’argent, l’épée… et il trembla de tout son corps. Enfin, il mit la main sur sa culotte et ses bottes, revêtit ses frusques, LE NEZ 119 et, au milieu des lourdes admonitions de Prasco- via Ossipovna, entortilla le nez dans un linge, et sortit dans la rue. Il avait le dessein de déposer ce nez n’importe où, près d’une borne, sous une porte, ou de le laisser tomber quelque part, à l’improviste, et de tourner dans une autre rue. Mais, par malheur, il lui tomba sur le dos quelqu’un de connaissance, qui se mit aussitôt à le questionner: « Où vas-tu? » ou « Qui vas-tu raser de si bonne heure? » De telle sorte qu’Ivan Iakovlevitch ne put trouver d’abord une seule minute. Deux fois, ensuite, il réussit à laisser tomber le nez ; mais un agent lui fît signe de loin de sa hallebarde et lui cria : « Ramasse, tu as laissé glisser quelque chose! ». Et Ivan Iakovlevitch fut obligé de ramasser le nez et de le serrer dans sa poche. Le désespoir le sai- sit, d’autant plus que la foule augmentait sans cesse dans la rue, à mesure que s’ouvraient les magasins et les boutiques. Il se décida à gagner le pontlsaakiev; peut-être, là, trouverait-il moyen de jeter le nez dans la Neva?... Mais j’ai fait la faute de ne vous avoir rien dit Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/121 LE NEZ 121 poissons, et, tout doucement, jeta le linge avec le nez. Il lui sembla qu’on lui enlevait d’un coup dix poudes (1) de dessus le corps. Et même, il sourit. Au lieu d’aller ensuite raser des barbes de fonctionnaires, il entra dans un établissement ayant sur l’enseigne : « Aliments et thé », et de- manda un verre de punch. 11 aperçut soudain, au bout du pont, le commissaire de police du quar- tier, homme à la tournure distinguée, aux favoris rouges, portant le chapeau à trois cornes et l’épée. Ivan lakovlevitch fut glacé d’effroi. Cependant, le commissaire lui fit signe de la main et lui dit : « Approche donc ici, mon cher! » Ivan lakovlevitch, connaissant les convenances, enleva de loin sa casquette, et, s’étant approché promptement, dit: - Je souhaite le bonjour à votre noblesse ! - Non, non, frère, il n’y a pas de noblesse ! - Dis-moi, qu’as-tu fait là-bas, sur le pont? — Ma foi, monsieur, j’allais raser des clients, et je regardais seulement si la rivière coule vite.

(i) Mesure de poids valant l6 kilogrammes et demi.

122 CONTES ET NOUVELLES

— Tu mens, tu mens ! Tu n’en seras pas quitte ainsi. Veux-tu répondre ?

— Je suis prêt à raser votre Grâce deux fois par semaine, et même trois, sans faute, répondit Ivan Iakovlevitch.

— Non, ami ; cela, c’est des bêtises ! Trois barbiers me rasent déjà, et encore s’en considè- rent comme très honorés. Mais je te prie de me dire ce que tu as fait là-bas.

 Ivan Iakovlevitch pâlit...
 Mais l’histoire se couvre ici d’un nuage opaque, 

et, de ce qui arriva ensuite, on n’en sait plus absolument rien. Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/124 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/125 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/126 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/127 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/128 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/129 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/130 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/131 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/132 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/133 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/134 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/135 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/136 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/137 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/138 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/139 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/140 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/141 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/142 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/143 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/144 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/145 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/146 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/147 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/148 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/149 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/150 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/151 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/152 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/153 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/154 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/155 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/156 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/157 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/158 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/159 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/160 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/161 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/162 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/163 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/164 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/165 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/166 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/167 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/168 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/169 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/170 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/171 on réfléchit à tout cela, sûrement, il y a là quelque chose. On a beau dire, de semblables faits se produisent dans le monde ; — rarement, mais il s’en produit.





MÉMOIRE D’UN FOU




MÉMOIRES D’UN FOU


3 octobre.

Une aventure extraordinaire est arrivée aujourd’hui. Je me suis levé le matin assez tard, et quand Mavra m’a apporté mes bottes nettoyées, je lui ai demandé quelle heure il était. Ayant appris que dix heures étaient sonnées depuis déjà longtemps, je me dépêchai de m’habiller. Je l’avoue, je n’avais pas envie d’aller au ministère, sachant à l’avance quelle vilaine mine ferait notre chef de section. Déjà depuis longtemps il me dit : « Qu’est-ce donc, frère, que toutes ces billevesées que tu as dans la tête ? Tu t’agites parfois comme un possédé ; tu embrouilles, d’autres fois, à tel point une affaire que Satan lui-même ne s’y retrouverait pas ; au titre tu mets une petite lettre, et tu ne mets ni date ni numéro d’ordre. » Maudit héron ! il est sûrement jaloux de ce que je m’assieds dans le cabinet du directeur et que je taille les plumes pour Son Excellence. En un mot, je n’aurais pas été au ministère, si je n’avais pas eu l’espérance d’y rendre visite au caissier et, s’il y avait moyen, de demander à ce juif une petite avance, si petite fût-elle, sur mes appointements. En voilà encore un être ! qu’il donne quelque chose à l’avance sur l’argent du mois, — Seigneur, mon Dieu ! plus vite arrivera le jugement dernier[14]. Demande, éclate même, sois dans le besoin, — il ne donnera rien, le vieux démon ! Et à son logis, sa propre cuisinière lui donne des gifles ; cela est connu de tout le monde, Je ne vois pas l’avantage de servir dans un ministère ; on n’y a aucune ressource. Tandis que dans les régences de gouvernement, les administrations civiles et les chambres des finances, c’est une toute autre affaire ; vois, celui-ci est serré dans un coin et y met du noir sur du blanc ; son frac est malpropre ; sa tête est si laide que tu en as envie de cracher[15] ; regarde pourtant quels émoluments il touche ! Ne va pas lui porter une tasse en porcelaine dorée. « Cela, dirait-il, est un présent de docteur. » Mais donne-lui une paire de trotteurs, ou un drochki[16], ou une fourrure de castor de trois cents roubles. À première vue il est très doux, il vous dit très délicatement : « Ayez l’obligeance de me donner un canif pour tailler une plume », et pourtant il nettoie si bien le solliciteur, que celui-ci ne garde que sa chemise. À la vérité, le service, chez nous, est distingué ; il y règne partout une telle propreté que la régence du gouvernement n’en aura jamais une pareille ; les tables sont en acajou, et les chefs ne tutoient pas… Oui, je l’avoue, si ce n’avait été cette distinction du service, j’aurais quitté le ministère depuis longtemps.

Je revêtis un vieux manteau, et pris un parapluie, car il tombait une pluie battante. Il n’y avait personne dans les rues ; seules, quelques vieilles femmes, se protégeant du revers de leur robe ; aussi, des marchands russes sous leurs parapluies, et des courriers, frappèrent mes yeux. En fait de gens comme il faut, je rencontrai seulement un collègue tchinovnik[17] ; je l’aperçus à un carrefour. Quand je le vis, je me dis aussitôt : « Eh ! non, pigeonneau, tu ne vas pas au ministère ; tu te presses derrière celle-là, qui court devant toi, et tu regardes ses petits pieds. » Quel animal, que ce collègue tchinovnik ! Par Dieu, il ne le cède à aucun officier ; que seulement passe une femme en chapeau, sans faute il l’accroche. Comme je pensais à cela, je vis une voiture s’arrêter devant un magasin, près duquel je me trouvais. Je la reconnus aussitôt : c’était la voiture de notre directeur. « Mais qu’a-t-il besoin dans un magasin ? pensai-je ; sûrement, c’est sa fille. » Je me serrai le long du mur. Un laquais ouvrit la portière, et elle s’envola de la voiture, comme un oiseau. Lorsqu’elle regarda à droite et à gauche, quand elle brilla des sourcils et des yeux… Seigneur mon Dieu, j’étais perdu, complètement perdu ! Pourquoi l’ai-je rencontrée un tel jour de pluie ! Prétends donc maintenant que les femmes n’ont pas un grand amour des chiffons. Elle ne m’a pas reconnu, et j’ai fait exprès moi-même de m’envelopper le plus possible car j’avais sur moi un manteau très sale, et, de plus, d’ancienne forme. On porte maintenant les manteaux avec de longs collets, et les miens étaient courts, croisés l’un sur l’autre ; et puis, le drap n’était pas tout à fait intact.

Sa petite chienne n’ayant pas eu le temps de passer par la porte du magasin, était restée dans la rue. Je connais cette petite chienne, on l’appelle Miedji. Une minute n’était pas écoulée, que j’entendis soudain une petite voix ténue : « Bonjour, Miedji ! » En voilà une bonne ! Qui a dit cela ? Je regardai et aperçus deux dames abritées sous un parapluie, l’une vieille, l’autre jeune ; mais elles étaient passées outre ; et près de moi retentit de nouveau ; « C’est une erreur, Miedji ! » Que diable ! je vis que Miedji se flairait avec une petite chienne, qui suivait les dames. « Hé ! » me dis-je en moi-même, « non, sûrement, je ne suis pas ivre ! Cela, je crois, m’arrive rarement. »

« Non, Fidèle, tu penses cela à tort », continua-t-elle. Je vis bien moi-même que Miedji parlait :

« J’ai été, ouap ! ouap ! j’ai été, ouap ! ouap ! ouap ! très malade ! » Voyez cette petite chienne ! Je l’avoue, je fus très étonné de l’entendre parler comme une personne ; mais ensuite, lorsque j’eus examiné tout cela avec soin, je cessai d’être surpris. Véritablement, en ce monde, il se passe beaucoup de pareils exemples. On dit qu’en Angleterre un poisson sortit un jour au-dessus de l’eau et prononça deux mots dans une langue tellement bizarre, que depuis deux ans déjà les savants s’efforcent de la déterminer, sans avoir encore rien trouvé. J’ai lu également dans des journaux l’histoire de deux vaches, qui entrèrent dans une boutique et demandèrent une livre de thé. Mais, je l’avoue, mon étonnement grandit encore quand Miedji dit : « Je t’ai écrit, Fidèle ; sûrement, Polkane n’a pas porté ma lettre ! » Le diable m’emporte

! Durant toute ma vie, je n’ai jamais entendu dire qu’un chien pût écrire ! Un noble seul peut écrire correctement. Il est certain que quelques marchands, et encore le peuple serf écrivent parfois ; mais leur écriture est le plus souvent mécanique : ni virgules, ni points, ni style.

J’étais très étonné. J’avoue que depuis peu de temps je commence à entendre et à voir des choses que personne n’a encore jamais vues ni entendues. « Je vais suivre », me dis-je en moi-même, « cette petite chienne et je saurai qui elle est, et ce qu’elle pense ». J’ouvris mon parapluie, et partis derrière les deux dames. Elles passèrent dans la Gorokhovaia, tournèrent dans la Miestchanskaia, de là dans la Stoliarnaia, passèrent enfin le pont Kokouchkine et s’arrêtèrent devant une grande maison. « Je connais cette maison », me dis-je en moi-même, « c’est celle de Zverkov ». Quelle demeure ! Quel peuple n’y demeure-t-il pas ; que de cuisinières, que de forains ; et mes collègues tchinovniks, comme des chiens, sont les uns sur les autres. Mais j’ai là un ami, qui joue divinement de la trompette. Les dames montèrent au cinquième étage. « Parfait ! » pensai-je, « je ne vais pas aller plus loin ; je noterai l’endroit, et, à la première occasion, je ne manquerai pas d’en profiter ».


4 octobre.


C’était aujourd’hui mercredi ; aussi ai-je été Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/183 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/184 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/185 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/186 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/187 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/188 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/189 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/190 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/191 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/192 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/193 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/194 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/195 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/196 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/197 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/198 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/199 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/200 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/201 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/202 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/203 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/204 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/205 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/206 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/207 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/208 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/209 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/210 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/211 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/212 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/213 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/214 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/215 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/216 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/217 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/218 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/219 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/220 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/221 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/222 presse sur ta poitrine ton pauvre orphelin ! Il n’y a plus de place pour lui sur la terre ! on le chasse ! — Mère, aie pitié de ton enfant malade !… Mais, a propos, savez-vous qu’une loupe a poussé sur le nez même du dey d’Alger ?





LA PLACE ENSORCELÉE


Histoire véritable, racontée par le Sacristain
de l’église de…ski.

Ma foi, cela commence à m’ennuyer de raconter. Qu’en pensez-vous ? C’est véritablement assommant : raconte, et raconte encore, et pas moyen de rester tranquille. Enfin, soit, je vais vous raconter quelque chose, mais soyez certains que c’est bien pour la dernière fois. Donc, vous avez discuté sur ce sujet : que l’homme peut venir à bout, comme on dit, de l’esprit impur. Cela, assurément, est vrai ; et si on y réfléchit tant soit peu, on en trouve dans le monde plus d’un exemple. Pourtant, il vaut mieux ne pas le dire, car, quand Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/227 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/228 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/229 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/230 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/231 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/232 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/233 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/234 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/235 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/236 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/237 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/238 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/239 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/240 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/241 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/242 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/243 Page:Gogol Chirol - Contes et nouvelles.djvu/244 criait-il, comme cela ! parfait ! ; et il se mettait à placer des croix.

Quant à la place ensorcelée, où l’on ne pouvait danser, il l’entoura d’une haie et nous ordonna d’y jeter toutes les ordures, herbes et saletés, qu’on ôtait du bachtane.

Et voilà comme la force impure mystifie l’homme ! Je connais très bien cette terre : plus tard, des Kosaks voisins la louèrent à mon père, près du bachtane. C’est une terre excellente, et toujours y pousse une récolte abondante, presque miraculeuse. À l’endroit ensorcelé seul, jamais rien de bon n’a poussé. On l’ensemence comme il faut ; mais ce qu’il en sort est impossible à expliquer : le melon d’eau — n’est pas un melon d’eau ; la citrouille — n’est pas une citrouille ; le concombre — n’est pas un concombre ; le diable seul sait ce que c’est.



FIN




TABLE DES MATIÈRES



 115
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MAUPASSANT (GUY DE).
MENDÉS (CATULLE)....
• *
MARTEL (T.) ■ La Main aux Dames. i
La Parpaillotte.
MARY (JULES) Un coup de Revolver.
— Ua Mariage de confiance.
— Le Boucher de Meudon.
L'Héritage.
Histoire d'une Fille de Fermai
Le Roman Rou^e.
Monstres parisiens. (Nouv. sëne.)
Pour lire au Bain.
Le Cruel Berceau.
Pour lire au Couvent.
Pierre le Véridique, roman.
Jeunes Filles.
Jupe Courte.
Jsoline.
L'Art d'Aimer.
L'Enfant amoureux.
Caprice des Dames.
La Chair.


La Grâce.
Myrrha*Maria.
L'Esprit et le Cœur des Bêtes.
Quand j'étais Petite (Mémoires
d'une Entant.)
L'Kcluse des Cadavres.
— L'Enfant du Fossé.
— Les Aventurières.
MOLÊNES (E. DE) Pâlotte.
MQNSELET (CHARLES) Les Ruines de Paris.
MONTER (E.) Jean des Galères.
MONTAGNE (ÉD.) La Bohème camelotte.
MONTIFAUO (M. DE). .... . Hêluïse et A bëlard.
MOULIN (M.) ET LEMUNNIER (P.). Aventures de Mathurius.
MOULIN (M.) Nella. •
— Le Curé Comballuzier.
MULLEM (L) Contes d'Amérique.
MURGER (HfcNRi) Le Roman du Capucin.
NAPOLEON I Allocutions et Proclamation* ni-
li ta ires.
MÉROUVEL (CH.)
METENIER OSCAR)
MEUNIER (V.)..
MICHELET (M™)
MIED f A6H0NNE
NERVAL fGÉhARD DE)..
NOIR (LOUIS)..
Les Filles du Feu.
Le Fauteuil fatal. (Trad. du russe.)
L'Auberge maudite.

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SOULIÉ (FRÉDÉRIC) Le Lion amoureux.
SPOLL (E.-A.) Le Secret des Villiers.
STAPLEAUX (L) Le Château de la Rage.
STERNE Voyage sentimental.
SWIFT Voyages de Gulliver,
TALMEYR (MAURICE) Le Grisou.
THEUR1ET (ANDRÉ) Le Mariage de Gérard.
— Lucile Désenclos. — Uue Ondine.
— Contes tendres.
TOLSTOÏ (COMTE LÉON). . . Le Roman du Mariage.
— La Sonate à Kreutzer,
i— , Maître et Serviteur.
TOUDOUZE (G.) Les Cauchemars.
TOURGUENtFF (I.) Devant la Guillotine.
— Récits d’un Chasseur.
Premier Amour.
UZANNE (OCTAVE) La Bohème du cœur.
VALLERY-RADOT Journal d’un Volontaire d’un an,
(Ouvrage couronné.)
VAST-R1C0UARD La Sirène.
— Madame Lavernou.
— Le Chef de Gare.
VAUTIER (CL) Femme et Prêtre.
VEBER (PIERRE) L’Innocente du Logis.
VIAL3N (P.) L’Homme au Chien muet.
VIGNON (CLAUDE) Vertige.
VILLIERS DE L’ISLE-ADAM. Le Secret de l’Échafaud.
VOLTAIRE Zaïiig. — Candide. — Micromégas.
XANROF Juju.
Yl/ELING RAMBAUD Sur le tard.
ZACCONE (PIERRE) Seuls!
ZOLA (EMILE) Thérèse Raquin.
— Jacques Damour.
— Jean Gourdon.
Sidoine et Médéric.
Nantas.
A
— La Fête à Coqueville.
— Madeleine Fera t.
(Envoi franco contre mandat ou timbres-poste français.)

BMILB COLIN — IMPRIMERIE 1>K I AGNY

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  1. Capitaine de Kosaks.
  2. Peuple kosak.
  3. Femme de seigneur, en polonais.
  4. Danse nationale des Kosaks.
  5. Mesure valant 12 litres.
  6. Mot polonais voulant dire : Seigneur.
  7. N. Gogol veut parler ici du reflet des montagnes dans le Dniepr.
  8. Polonais
  9. Mesure valant deux mètres
  10. Soupe au gruau.
  11. C’est-à-dire six litres.
  12. Pâte semblable au vermicelle.
  13. Chef des Kosaks.
  14. Les Russes disent : le terrible jugement.
  15. Cracher est un signe de mépris, très usité en Russie.
  16. Sorte de voiture.
  17. Employé d’administration.