Contes du lit-clos/Le Solitaire

Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 283-285).


LE SOLITAIRE




Entre l’Océan vert et la verte Campagne,
Loin de tous bruits, heureux d’être un vieillard — enfin ! —
Dans mon coin je vis seul, sans enfant, sans compagne,
Sans même l’amitié d’un chien !

Je hais les jours trop longs qui font les nuits trop brèves.
Je hais les longs Étés qui font courts les Hivers :
J’aime les longs Sommeils qui ramènent les Rêves
Avec l’oubli des maux soufferts !

Assis devant mon seuil, sur un vieux banc de mousse.
J’écoute déferler le Flot plein de langueur ;
J’aime ses longs sanglots car la plainte qu’il pousse
Semble la plainte de mon cœur !

Puis, je prends mon bâton et, longuement, je rôde
Le long des chemins creux qui s’en vont n’importe où ;
Les hommes du pays m’accusent de maraude,
Les femmes disent : « C’est un fou ! »
 
On me montre le poing, souvent ; on me soupçonne
D’avoir sans doute, au cœur, un infernal dessein ;
Et, moi qui n’ai jamais fait de mal à personne,
On me traite en vil assassin !


J’enfonce mon chapeau, je souris… et je passe !
D’instinct l’homme est méchant : vouloir s’en faire aimer
Autant jeter au loin, au hasard, dans l’espace,
Le bon grain qui ne peut germer !

Dire à tous : « Aimez-vous toujours les uns les Autres ! »
Prêcher la Loi d’Amour… mais Jésus le tenta :
Insulté, renié, même par ses Apôtres,
Il mourut sur le Golgotha !

Ce qu’un Dieu ne fit pas quel homme peut le faire
Qui peut vaincre l’Envie et l’âpre Trahison ?
J’ai lutté soixante ans sans pouvoir m’en défaire
Ni les chasser de ma maison !

Et maintenant que, vieux, attendant que je meure,
J’espérais, vivant seul, vivre enfin sans émoi :
Je les entends encor ramper dans ma demeure,
Prêtes à s’élancer sur moi !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Mais, en mes jours de deuil, des secondes de joie
Viennent rasséréner mon pauvre cœur amer :
Je contemple, le soir, quand l’horizon rougeoie,
Tomber le soleil dans la Mer :

Ou bien, quand un enfant passe devant ma porte,
Je lui tends un jouet fait avec mon couteau ;
Et le beau chérubin, tout radieux, emporte
Sa toupie ou bien son bateau.


Et les petits enfants, entre eux, doivent se dire :
« On dit qu’il est méchant, le vieux Monsieur, pourquoi ? »
Et, de loin, j’aperçois leur confiant sourire
Qui s’en vient au-devant de moi !

Car les petits enfants ignorent tous encore
Qu’il faut se déchirer sur terre et se haïr ;
Pour être aimé par eux il faut qu’on les adore…
Mais ils ne savent pas trahir !

Alors donc que me font la Trahison des Hommes,
Et l’Envie, et la Haine, et le Mal triomphants ?
Dieu seul peut me ravir le Soleil, mes bons Sommes,
Et le sourire des Enfants !








(Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur.)