Contes du lit-clos/La Noël des bêtes

Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 129-134).


LA NOËL DES BÊTES







… « Tous les animaux de la Ferme
Parlent en la nuit de Noël !…
(Affirma le fermier Joël
De sa voix toujours rude et ferme).

Et moi qui vous parle à cette heure
J’ai bien, durant une heure ou deux,
Entendu bavarder tous ceux
Dont je partageais la demeure ;

Car c’était dans une écurie
Qu’autrefois je couchais la nuit…
Et j’y dormais mieux qu’aujourd’hui
Dans le lit de ma métairie !

Bref, une nuit, venant d’entendre
La Messe de Nativité,
Dans mon coin je m’étais gîté
Sous le sainfoin, sur l’herbe tendre,

Quand j’entendis parler les Bêtes. —
Ia sûr, vat ! je les entendis !
Vrai, sur ma part du Paradis,
Aussi vrai qu’avec moi vous êtes :

« Meuh ! disait une vache rousse,
« À ses voisins les grands bœufs roux,
« Les hommes sont bien durs pour nous :
« Tout les offense et les courrouce,

« Matin et soir je leur dispense
« Le lait dont sont gonflés mes pis :
« Meuh ! des coups de pieds, souvent pis,
« Voilà quelle est ma récompense ! »

« L’homme abuse de sa faiblesse »
Disaient les bœufs en gémissant :
« Son aiguillon nous pique au sang,
« Meuh ! Meuh ! son joug de bois nous blesse ! »

Hihan ! disaient l’âne et l’ânesse,
Hi ! hi ! gémissaient les chevaux :
« Nous aidons l’homme en ses travaux,
« Dès notre plus tendre jeunesse ;

« Nous tournons sa « machine à battre »
« Et transportons, roués de coups,
« Des faix vingt fois lourds comme nous…
« Et puis l’ingrat nous fait abattre ! »

Bèèh ! Bèèh ! disait la brebis blanche,
« Les pauvres moutons sont tondus ;
« Après quoi leurs cous sont tendus
« Au rouge boucher qui les tranche ! »

Moc’h !… et nous donc, disait la truie,
« Il nous soigne pour se nourrir ;
« Puis, quand il s’agit de mourir
« Il prolonge notre agonie ! »

Cott ! cott ! disaient les poules noires,
Coin ! coin ! disaient les canards verts,
« Sans pitié, nous irons tous vers
« La marmite ou les rôtissoires ! »

Il n’était pas jusqu’à l’oiselle
Qui logeait, là-haut, sous les toits,
Qui ne gémit, dans son patois,
Sur ses sœurs autant que sur elle :

Tui ! tui ! vous vous plaignez des pères :
« Nous nous plaignons, nous, des enfants
« Qui sont joyeux et triomphants
« Quand ils nous ont fait des misères ;

« Nous, qui protégeons les cultures.
« Ils osent, ces monstres finis,
« Voler nos œufs, briser nos nids,
« Massacrer nos progénitures ! »

… Et c’était vraiment lamentable
D’entendre tous ces malheureux…
Et je pleurais, tout bas, honteux,
Dans le coin de la pauvre étable !

Longtemps, sur leur sort, ils gémirent…
Après quoi, je n’entendis plus
Que ceux-là qui veillaient Jésus…
Et tous les autres s’endormirent.

Mais moi, tout tremblant sous ma paille,
De la nuit je ne fermai l’œil :
Cela rabattait mon orgueil
De me sentir… une canaille !


Et voilà pourquoi j’ai, moi-même,
Toujours soigné mes animaux,
Pourquoi, connaissant tous leurs maux,
J’exige que chacun les aime :

Aimons-les, ingrats que nous sommes ;
Soyons doux, indulgents pour eux !
Ce sont nos frères malheureux :
Les bons frères des méchants hommes ! »




Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur.