Contes d’une vieille fille à ses neveux/La Fée Grignote


LA FÉE GRIGNOTE.


CHAPITRE PREMIER.

L’ACCUSATION.


La fée Grignote était une petite souris, la plus jolie petite souris qui ait jamais grignoté sur la terre. Elle était d’une gaieté folle ; elle avait de petits yeux tout éveillés qui lui sortaient de la tête et lui donnaient une physionomie toute gentille et capricieuse : elle trottait, sautait, jouait toujours ; ne pouvait rester un seul moment tranquille, si ce n’était pour méditer quelques niches.

Son grand plaisir était de chatouiller les pieds des enfants, de courir à tout moment dans leurs jambes et de les faire rire sans sujet, pendant qu’ils prenaient leurs leçons ; ce qui les faisait gronder par leur maître, lequel croyait toujours qu’on se moquait de lui.

N’ayez pas peur qu’elle les eût fait rire pendant la récréation ! non vraiment : c’était un plaisir permis, et mademoiselle se souciait fort peu de ce qui était permis. Ce qu’elle aimait, c’était le trouble et le scandale : elle n’allait point chatouiller les enfants chez leurs parents, ni au spectacle, ni à la danse, nulle part enfin où l’on doit s’amuser ; au contraire, elle les laissait là s’ennuyer tout à leur aise ; mais, en revanche, sitôt qu’ils étaient en classe, ou à la messe, pendant le sermon, ce qui était encore plus mal, elle arrivait, toute guillerette et maligne, et il n’était pas d’extravagances qu’elle n’inventât pour faire éclater de rire les pauvres enfants.

Si l’un d’eux se laissait tomber par terre, soudain elle allait chatouiller les autres, et ils en riaient ; alors le maître les appelait sans cœur ! et ils passaient tous pour méchants.

Les enfants, qui ne savaient ce que c’était que la fée Grignote, ne comprenaient rien eux-mêmes à leur gaieté.

— Pourquoi ris-tu ? disait l’un à son camarade.

— Moi ! je ris parce que je te vois rire. Et toi ?

— Moi ! je ris de ce grand niais de Mélibert, qui rit là-bas comme un fou. Regarde-le donc, comme il se tient les côtes !

Et tous recommençaient à rire de plus belle ; car la fée Grignote se promenait sous la table et s’amusait à les chatouiller à leur insu.

Cependant les maîtres se plaignaient fort de l’étourderie des élèves ; les punitions, les pensums, pleuvaient sur toute la classe comme grêle. On avait beau mettre en retenue tous les écoliers à la fois, ils n’en continuaient pas moins à rire, et, ce qu’il y a de plus étrange, sans pouvoir expliquer ce qui les avait fait tant rire.

Les parents s’indignaient de ne pouvoir point emmener leurs enfants le dimanche, quand ils se donnaient eux-mêmes la peine de venir les chercher. Ils se fâchaient, ils grondaient, menaçaient leurs fils de ne plus les aimer, et s’en retournaient furieux. Les enfants pleuraient bien un peu en les voyant partir, mais, une fois rentrés dans la classe, la méchante fée venait encore se promener dans leurs jambes, et les rires recommençaient. Ils riaient toujours : en mangeant, en courant, en pleurant même, oui, en pleurant ; en pénitence, avec le bonnet d’âne sur la tête ! Il est vrai que cette punition, hors de mode maintenant, était bien faite pour amuser.

Deux dimanches s’étaient passés ; et deux dimanches tous les écoliers furent mis en retenue, tous, excepté un seul pourtant, qui était toujours si triste et si maussade, qu’il n’y avait pas moyen de le punir pour sa gaieté. Cet élève, plus âgé que les autres, se nommait Louis ; mais ses camarades l’appelaient Louffi, pour se moquer de sa mauvaise humeur.

Le dimanche matin, Louis fut donc le seul des élèves qui obtint la permission de sortir. Ses camarades le virent s’éloigner avec envie ; et le soir, quand il rentra, on l’accabla de mauvaises plaisanteries : on l’appela hypocrite, vieux Louffi, ours, vilain philosophe, et mille autres injures de ce genre.

— Comment fais-tu donc, chien d’hypocrite, pour rester sérieux quand tout le monde rit, et pour n’être jamais mis en pénitence ?

— Je travaille, répondit Louis.

— Belle réponse ! Et nous aussi nous travaillons. Cependant il y a des moments où nous ne pouvons nous empêcher de rire ; mais toi, pourquoi donc ne ris-tu jamais ?

— Parce que je porte des clous à mes souliers.

Cette raison parut si niaise aux écoliers, qu’ils se regardèrent entre eux et qu’ils crurent un instant que leur camarade se moquait d’eux.

— Qu’est-ce que tu nous chantes avec tes souliers ? dit en haussant les épaules un bel enfant nommé Richemont ; à quoi peuvent-ils te servir, tes souliers ?

— À donner des coups de pied si forts à la fée Grignote, qu’elle ne vient plus s’y frotter.

— Grignote ! répétèrent tous les enfants.

— Qu’est-ce que c’est que la fée Grignote ?

— C’est, répondit Louis, une méchante souris qui cause tous vos chagrins.

— Une souris ! reprit Richemont ; ah ! oui, Grignote ! c’est un nom de souris. Et tu prétends que c’est elle qui nous fait gronder. Comment ?

— Elle se promène sous la table, dans vos jambes, pendant la leçon : elle vous chatouille et cela vous fait rire.

— Eh bien, nous ferons comme toi, nous mettrons des clous à nos souliers.

— Vous feriez bien mieux de mettre une souricière…

— Une souricière à mon soulier ! s’écria un petit garçon fort ingénu.

— Eh non, imbécile ! une souricière sous la table, avec du lard dedans.

— Du lard ! reprit à son tour Richemont étonné. Est-ce qu’on peut prendre aussi une fée avec du lard ?

— Certainement ! tout comme une autre, dit Louffi, quand cette fée est une souris. Essayez toujours ; vous verrez que quand Grignote sera prise, le maître ne vous grondera plus.

Plusieurs enfants refusèrent de croire à l’existence de la fée Grignote, et ceux qui ajoutaient foi à cette explication de leurs rires ne purent admettre qu’une souris fée se laissât jamais attraper, et surtout attraper avec du lard.


CHAPITRE DEUXIÈME.

LE DOS DU MAÎTRE.


Sur ces entrefaites, le maître entra. Il venait de surveiller un bâtiment qu’il faisait construire dans le jardin, et, sans s’en apercevoir, il s’était appuyé contre un mur nouvellement terminé, de sorte qu’il était barbouillé de plâtre ; il en avait le dos tout blanc. Du reste, cela ne l’empêchait pas d’être grave et sévère comme tous les jours.

Les enfants ne l’eurent pas plutôt aperçu avec son dos blanc qu’il promenait dans toutes les classes, que la fée Grignote vint leur chatouiller les jambes et qu’ils se prirent à rire comme des fous.

Les plus jeunes éclatèrent les premiers ; les grands se mordaient les lèvres, faisaient semblant de tousser, de ramasser leur plume, qui n’était pas tombée, inventaient enfin toutes sortes de contorsions pour cacher leur envie de rire. Il y en avait un surtout qui se tordait la bouche en grimaces horribles, à travers lesquelles un malin sourire se trahissait malgré lui. Le maître ne fut pas dupe de cette hypocrisie :

— Qu’avez-vous, monsieur ? dit-il sévèrement : pourquoi riez-vous ainsi ?

— Je ne ris pas, monsieur, répondit l’insolent menteur ; c’est un mal de dents que j’ai depuis ce matin, qui me tire la bouche de chaque côté et qui me donne toujours l’air de sourire, quoique je n’en aie pas envie.

À cet indigne mensonge, les écoliers ne purent garder leur sérieux, et la fée Grignote recommença encore ses promenades. Cette fois, le rire fut soudain et général. Louffi, Louffi lui-même, sentit que les clous de ses souliers ne suffisaient plus pour le défendre. Il se prit à rire, et sa gaieté fut d’autant plus grande qu’elle était rare. C’était un gros rire d’Allemand, une joie de plomb, qui retombait sur le maître comme une injure.

— Vous aussi, monsieur, vous vous mêlez de rire ! s’écria le maître dans une fureur impossible à dépeindre ; et, en se fâchant, il allait et venait, s’agitait, se retournait en faisant voir chaque fois son grand dos tout blanc, la cause de tant de trouble.

Plus il se démenait, plus les enfants riaient, plus la fée Grignote allait leur chatouiller les jambes.

Enfin, n’y pouvant plus tenir, le maître résolut de prendre un parti violent. — Messieurs ! dit-il, tant d’insubordination mérite une punition éclatante : toute la classe est en retenue pour la troisième fois ! Pas un de vous ne sortira dimanche ; pas un seul, entendez-vous bien ?

À ces mots, le maître indigné s’en alla. Mais comme la fée Grignote, effrayée par cette grosse voix, était retournée dans son trou, les enfants ne songèrent plus à rire ; et le dos blanc qu’en s’éloignant il leur montra n’excita plus leur gaieté.

La consternation était parmi les élèves : il y avait déjà trois dimanches qu’ils n’étaient sortis, qu’ils n’avaient vu leurs parents, et ils pressentaient combien ceux-ci seraient mécontents qu’on leur refusât encore leurs enfants pour la troisième fois.

Alors les plus petits se mirent à pleurer, parce qu’ils étaient les plus innocents ; les plus grands, au contraire, entrèrent dans une extrême fureur, parce qu’ils étaient les plus coupables.

Quand on a des torts, on est bien heureux de s’en prendre à quelqu’un ; et ceux même, parmi les écoliers, qui avaient le plus nié l’existence de la fée Grignote, furent les premiers à n’en plus douter dès qu’ils eurent une si belle occasion de l’accuser.

À peine le maître fut-il sorti de la classe que la colère éclata.

— Grignote ! s’écrièrent-ils, méchante Grignote ! c’est toi qui causes tous nos malheurs !

Ces paroles furent le signal de la révolte.

— Oui, dit Richemont, une des mauvaises têtes de la pension, c’est Grignote, j’en suis certain ; j’ai senti quelque chose qui me poussait les jambes pendant que le maître parlait.

— C’était moi, dit encore le petit enfant tout naïf, qui ne comprenait pas qu’il fallût mentir pour accuser quelqu’un, et qui d’ailleurs se sentait déjà en sympathie avec Grignote.

— Ah ! c’était toi ? reprit Richemont, impatienté d’être dérangé dans son mensonge. Eh bien, tiens ! voilà pour t’apprendre à me pousser les jambes !… — Et le méchant garçon, en disant cela, donna un grand coup de poing au petit ingénu. Puis, transporté de colère, il monta sur une table en criant : — Vengeance !

Et tous ses camarades, répétèrent : — Vengeance !

Ce fut un concert d’imprécations contre la malheureuse Grignote : chacun, selon son caractère, lui disait une injure ; et comme ils étaient au moins au nombre de trente dans cette classe, c’était un tapage épouvantable ; on n’entendait que Grignote… toujours Grignote…

— Maudite Grignote !

— Infâme Grignote !

— Abominable Grignote !

— Perfide Grignote !

— Misérable Grignote !

— Grignote d’enfer !

— Grignote la voleuse !

Grignote l’hypocrite !

— Petite scélérate de Grignote !

— Grignote la mauvaise !

— Grignote de Grignote !

— Grignote l’intrigante !

— Grignote la moucharde !

— Grignote la coquette !… dit enfin un grand écolier de seize ans, pour qui ce mot était déjà une injure.

Quand les imprécations furent épuisées, les regrets commencèrent. Chacun se rappela le plaisir qui lui était promis pour ce troisième et fatal dimanche qu’ils étaient encore une fois condamnés à passer à la pension.

— Dimanche ! s’écriait l’un, justement c’est la fête de Saint-Cloud : maman devait m’y conduire !

— Dimanche ! s’écriait un autre, c’est aussi la fête de ma tante : nous devions aller goûter chez elle !

— Et moi, papa devait me mener à Franconi !

— Et moi, au jardin des Plantes !

— Et moi, à la messe du roi !

— Et moi, mon oncle qui me donnait un fusil !

— Et moi, mon frère qui m’a acheté un petit cheval !

— Et moi, grand-papa qui me donne une montre !

— Et moi, maman qui est malade !

— Et moi, ma sœur qui se marie !

— Et moi, mon tuteur qui est à Londres !

C’est encore le grand écolier de seize ans qui dit cela. Ce méchant écolier n’était heureux que quand son tuteur était absent… Mais je n’en finirais pas si je voulais énumérer tous les regrets que la punition infligée à ces enfants faisait naître en leurs cœurs ; je me bornerai à raconter leur vengeance.


CHAPITRE TROISIÈME.

LA PRISONNIÈRE.


Celui qui était le beau parleur de la classe déclara qu’il n’y avait pas un moment à perdre, qu’il fallait à tout prix s’emparer de Grignote, que l’on n’aurait de repos que lorsque Grignote serait prise, que la prise de Grignote seule pourrait apaiser la colère du maître. — Le maître est trop juste, criait-il, espérant bien être entendu de lui ; il est trop juste, dis-je, pour nous punir du crime d’un autre. Je n’en doute point, dès qu’il saura que Grignote seule est coupable, il nous fera grâce, et toute sa colère sur elle seule retombera.

À ce discours, les écoliers battirent des mains, et l’orateur profita de cet enthousiasme pour demander des fonds, c’est-à-dire l’argent nécessaire à l’achat d’un peu de lard et d’une souricière. Chaque élève apporta la contribution de ses dix centimes, et l’on réunit bientôt une somme assez considérable pour se procurer de quoi prendre toutes les souris du quartier, même quelques gros rats par-dessus le marché.

On était au jeudi de la semaine et l’on avait encore deux grands jours à donner aux démarches nombreuses qui devaient rendre aux écoliers leur beau dimanche.

Les ruses allaient leur train : la souricière était achetée, le lard même était déjà grilloté ; les enfants, pour attirer leur persécutrice, semaient des miettes de pain dans toutes les chambres du collège. C’était pitié de voir tant d’ennemis et tant de courroux contre une si petite souris.

L’espiègle Grignote ne savait rien de ce complot. Depuis le jour de la grande colère du maître, elle s’était enfuie, et se tenait cachée dans une pension de jeunes filles, où elle faisait maintes folies ; car les petites filles sont encore plus rieuses que les garçons ne sont rieurs.

Cependant, voyant le calme rétabli chez les écoliers, elle revint le vendredi soir coucher dans son trou ordinaire, bien loin de soupçonner la trahison qui l’attendait.

Quand elle rentra, il n’y avait plus personne dans la classe, tous les élèves étaient dans les dortoirs. La souris se promenait çà et là sous les bancs, et trouvant tant de miettes de pain par terre, elle fut très-agréablement surprise ; comme elle les goûtait sans danger, elle ne soupçonnait aucune ruse. De miette en miette, elle arriva jusqu’au perfide lard, dont, hélas ! elle ne se défia point, l’imprudente !

À peine eut-elle goûté ce mets trompeur, qu’elle entendit un bruit terrible, terrible pour une souris, celui d’une trappe qui retombe, la souricière se trouva fermée et la souris se trouva prise.

La pauvre fée, en ce moment, fut aussi malheureuse qu’une véritable souris qui serait tombée dans un piège semblable ; d’ailleurs, c’était une fée du second ordre, une quasi-fée qui n’avait aucun pouvoir.

Son rôle sur la terre était de faire rire, et rien n’est plus méprisable que cela.

Elle sentit du premier coup toute l’étendue de son malheur, et elle passa la nuit à gémir et à se désoler.

Le lendemain matin, quand les écoliers la virent dans la souricière, ils éprouvèrent une joie délirante, une joie féroce, une joie de coupables qui triomphent !

— Au chat ! au chat ! au chat ! crièrent-ils aussitôt pour l’épouvanter : car c’est un instinct de cruauté qui nous porte à proclamer devant notre victime le nom de son ennemi ; en effet, c’est le plus cruel des outrages.

On posa la souricière sur la table, et les écoliers, s’étant mis sur leurs bancs, s’apprêtèrent à juger Grignote.

D’abord on exposa les griefs, et il y en avait beaucoup : la pauvre fée était toute tremblante. Plusieurs méchants élèves la menaçaient du poing, d’autres lui faisaient de gros yeux ; ceux-ci lui disaient mille injures ; ceux-là, gaiement cruels, lui faisaient d’ironiques compliments.

— Voyez donc, qu’elle est jolie ! disaient-ils. Pauvre prisonnière, elle me fait pitié !

Le petit ingénu, les croyant de bonne foi dans leur intérêt pour elle, et ne sachant pas encore ce que c’est que l’ironie, les prit au mot dans leur bienveillance, et joignit sa pitié sincère et naïve à leur perfide compassion.

— N’est-ce pas, dit-il, qu’elle est bien jolie ? elle ressemble à un petit lapin !

Pauvre enfant ! cet éloge lui valut encore un coup de poing…

Cependant le maître devant bientôt revenir, il fallait se hâter de forcer la souris à confesser son crime.

— Nous allons te livrer au maître, dit Louffi à la malheureuse fée ; sa femme a un chat qui fera justice de toi.

— Au chat ! au chat ! crièrent-ils encore une fois tous, jusqu’au pauvre ingénu, qui avait peur d’être battu s’il ne criait pas.

— Messieurs, dit la fée, daignez m’entendre. Je confesse que j’ai été bien coupable en attirant sur vous de grands châtiments : je ne chercherai point à m’excuser. Hélas ! je le sais trop, ce ne sont pas ceux qui souffrent de nos fautes qui peuvent leur trouver des excuses. Je reconnais les miennes, messeigneurs ; aussi n’est-ce point à votre clémence que je m’adresse, c’est à votre raison : c’est au nom de votre intérêt que je parle. Si vous m’accusez près de votre maître, il ne vous croira pas. Votre cruauté sera inutile, tandis que votre pitié peut vous être profitable.

— Eh bien, soit ! dit un des juges, que ce raisonnement venait d’attendrir ; nous te laissons la vie ; mais jure-nous de ne plus jamais nous faire rire, sinon…

— Hélas ! comment pourrais-je faire une promesse qu’il me serait impossible de tenir ! Ayez confiance en moi : je ne puis vous jurer de ne plus vous faire rire, mais je m’engage à ne plus vous faire gronder. Cela ne vous suffit-il pas ?

— J’accepte volontiers, dit un des élèves ; car ce qui m’ennuie, ce n’est pas de rire, c’est d’être toujours en retenue.

— Laissez-moi faire, ajouta la fée ; non-seulement on ne vous grondera plus désormais, mais encore vos fautes passées seront pardonnées, et, je vous le promets, vous obtiendrez de sortir dimanche.

— Nous sortirons dimanche ? crièrent-ils tous en même temps.

— Je m’y engage, foi de souris et de fée !

Les enfants, au comble de la joie, changèrent aussitôt leur haine en enthousiasme ; ils portèrent la fée en triomphe dans sa souricière et lui rendirent la liberté.

Puis, se livrant à l’espérance avec la même vivacité qu’ils s’étaient livrés naguère à leurs regrets, ils recommencèrent leurs acclamations :

— Nous sortirons dimanche ! dimanche ! dimanche !

— Moi, j’irai à la fête de Saint-Cloud !

— Et moi, à la fête de ma tante !

— Et moi, à Franconi avec papa !

— Et moi, au jardin des Plantes !

— Et moi, à la messe du roi !

— Et moi, j’aurai mon fusil !

— Et moi, je galoperai sur mon petit cheval !

— Et moi, j’irai aux Tuileries avec ma montre !

— Et moi, j’irai à la noce de ma sœur !

— Et moi, je pourrai voir maman !

— Et moi, je pourrai m’aller promener tout seul, sans tuteur !


CHAPITRE QUATRIÈME.

MOYEN INGÉNIEUX.


Mais bientôt ce grand espoir se dissipa. Le soir du samedi était arrivé, et les enfants n’avaient point obtenu leur grâce. Ils commençaient à se défier de Grignote, à se repentir de leur clémence.

La petite fée n’avait pas de temps à perdre pour exécuter ses projets : elle les méditait en silence ; elle guettait une occasion favorable. Quoique très-jeune, et, de plus, souris, elle savait que de l’à-propos seul dépend le succès des coups d’État, et elle attendait avec la patience de l’homme de génie que l’instant d’agir fût arrivé.

Tous les élèves étaient réunis dans le réfectoire : c’était l’heure du souper. On leur avait servi ce jour-là un grand plat de haricots qui n’avaient pas trop bonne mine. La sauce était si claire, si claire, si abondante, que je crois que toute la fontaine y avait passé. Les tristes haricots étaient dans le plat comme submergés.

Richemont, qui, comme nous l’avons déjà dit, était un mauvais plaisant, après avoir inutilement poursuivi un haricot au fond de cet océan, c’est-à-dire dans son assiette inondée de sauce, tout à coup ôta son habit. Cette action inaccoutumée attira l’attention du maître.

— Que faites-vous donc là, monsieur ? dit-il avec colère ; pourquoi ôtez-vous votre habit ?

— Pour aller chercher mes haricots à la nage, répondit Richemont avec effronterie.

Le maître allait se fâcher ; mais, au même instant, Grignote vint courir dans ses jambes, et, loin de se mettre en colère, il sourit.

Grignote, encouragée par ce succès, recommença ses promenades, et le maître finit par rire tout à fait de bon cœur avec ses élèves.

Sa femme, qui était très-douce, profita de sa bonne humeur pour lui demander la grâce des pauvres écoliers.

— Voulez-vous punir des enfants parce qu’ils ont ri, lui dit-elle, quand vous-même, qui êtes un homme grave, un père de famille, vous ne savez pas garder votre sérieux ? Cela ne serait pas juste.

Le maître se laissa attendrir, et la grâce des enfants fut accordée. Alors ce fut une ivresse générale ; ils crièrent, tous d’un commun accord :

— Vive notre bon maître !

— Vive Grignote !

— Vive la fée Grignote !

— Grignote l’immortelle !

— Grignote l’adorable !

— Grignote la belle !

— Grignote la charmante !

— Grignote d’amour !

— Grignote la mignonne !

— Grignote la favorite !

— Grignote la bien-aimée !

Et depuis ce temps, Grignote est devenue l’amie des petits enfants.