Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/Préface

PRÉFACE



QUE je vous fasse une préface ? Fasse le ciel que je le pusse ! Mais je ne suis pas préfacier ! Je ne pourrais plus même faire un livre. Et vous voulez que je jette ma note triste, lamentable, rond-de-cuiresque, et par conséquent discordante, dans votre concert de joyeusetés gauloises quoique canadiennes ?

Tant pis pour vous si je réussis trop bien, ou trop mal, ou si je ne réussis pas du tout. Tu l’auras voulu, Georgette Dandine. Si je prête à rire, ce sera encore une manière d’amuser vos lecteurs. Vous leur révélerez un nouveau type canayen : le préfacier par persuasion.

À propos de types, les bonnes feuilles que vous m’adressez en pourtraicturent plusieurs qui sont bien du pays.

Le Franco-Canadien est resté Latin ; il est surtout resté Gaulois. Mais le climat, l’entourage, le frottement avec d’autres races lui ont fait une mentalité à part.

Avec le temps cela a un peu déteint sur son caractère. L’humour anglais et américain ne lui est pas inconnu. Il était déjà pince-sans-rire, il est devenu gouailleur à froid.

Le mot salé ne l’effraye pas outre mesure. Il en abuse parfois en petit comité, s’il ne sait pas toujours le dissimuler sous une couche suffisante de vernis.

Il n’a pas autant que son aïeul le Français l’art de dire des choses inconvenantes d’une façon convenable.

On lui a souvent répété qu’il parle la langue de Racine ; ne vous étonnez donc pas si, dans ses accès d’archaïsme, il s’efforce de remonter jusqu’à Rabelais et y parvient dans une certaine mesure.

Les anecdotes que vous livrez à la publicité nous le peignent assez bien, ce qui n’empêchera pas certains de vos personnages de rester mal peignés.

Ce n’est pas votre faute : il faut leur laisser la tête qu’ils ont. Grimés d’une autre manière, ils n’auraient plus de raison d’être.

Toutefois, si vous entreprenez de présenter au public tous les originaux du terroir, vous en entreprenez là un tannant de stunt, comme dirait Jules Lemaître. Vous avez un job qui durera jusqu’au jugement dernier, le plus redouté des jugements à cause de son incontestable justice.

Et maintenant que je vous ai fait pleurer, faites-moi rire.

Rémi Tremblay