Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/La Route du Pays Fin

LA ROUTE « DU PAYS FIN »




LA paroisse de Sainte-Thérèse, qui a eu l’honneur de me donner le jour, est « sandwichée » entre les beignets de Sainte-Rose et les habitants du « Pays Fin », c’est-à-dire, ceux de Saint-Janvier. En partant de Sainte-Thérèse, le voyageur malchanceux qui se dirige vers ce village se rend par la Côte Saint-Louis jusqu’à une montée de plusieurs milles de longueur où il ne pousse que des bleuets, de la fougère et du sable. À droite, le chemin de Saint-Lin.

Un vendeur de machines à coudre, bien connu dans tout le pays, s’était rendu à Saint-Lin, dans les intérêts de son commerce, et il revenait de son voyage, en voiture, pour opérer une descente chez les habitants du « Pays Fin ». Rendu à une certaine distance de Saint-Lin, il se trouva en présence d’un carrefour, aux quatre fourches de chemin, comme on dit dans le pays.

Il ne savait de quel côté se diriger lorsqu’il avisa un jeune homme qui coupait des rondins dans la cour d’une maison de ferme. Notre voyageur descendit de sa voiture et s’approchant du jeune garçon, il lui demanda :

— Dis donc, jeune homme, peux-tu me dire où je suis ?

— Oui, M’sieu, vous êtes su’ l’tas « d’écopeaux ».

— Idiot !

Il remonta dans sa voiture et prit au hasard, au petit bonheur, l’une des quatre fourches du chemin. Quelques arpents plus loin, il vit un vieillard, grave comme un notaire de campagne, perché sur une pagée de clôture, et fort occupé à se fabriquer un sifflet avec une branche de bois blanc qu’il gossait consciencieusement avec son couteau de poche.

— Aïe ! le Père, voulez-vous me dire où je me trouve à l’heure qu’il est ?

— Ben, j’vas vous dire, M’sieu, j’me sus donné à rente à mon garçon la s’maine darnière, et depuis c’temps-là j’m’occupe pus de rien en toute.

— Cré vieille bête, vous pourriez toujours bien me dire où ce chemin-là va ?

— Ben, j’vas vous dire, M’sieu. J’ai soixante et dix-huit ans, et j’ai pas honte de l’dire ; j’ai toujours resté par icitte. Ce ch’min-là a jamais voyagé. Je l’ai toujours vu à la même place. Ya jamais été nune part.


— Vot’fille, M’sieu Desrosiers, comment est-elle de sa personne ?

— Ben, M’sieu, ma fille est belle, pis elle est jolie aussi.