Constitution du 7 février 1831

Constitution du 7 février 1831
Les Constitutions modernesChallamel AinéTome premier (p. 57-76).
BELGIQUE

Notice historique

Le Protocole de Londres du 21 juin 1814, art. 1er, avait réuni la Belgique à la Hollande. La loi fondamentale des Pays-Bas, promulguée le 24 août 1815, fut donc commune aux deux pays jusqu’à la révolution belge du 25 août 1830.

Avant même que le Congrès national, convoqué pour le 10 novembre, eût proclamé l’indépendance de la Belgique et que les puissances l’eussent reconnue, le gouvernement provisoire de Bruxelles, par arrêtés des 6, 7, 8, 9 et 14 octobre 1830, nommait une Commission de 12 membres pour préparer un projet de Constitution belge. Cette commission se prononça à l’unanimité moins une voix pour l’adoption de la forme monarchique constitutionnelle.

Le Congrès national vota l’indépendance du pays le 18 novembre, et adopta le 22 du même mois la forme monarchique en même temps que le principe de la dualité des Chambres. La Constitution fut élaborée sur les bases du projet adopté par la Commission des douze. Elle fut votée dans son ensemble le 7 février 1831, date qui lui fut donnée officiellement.

Circonstance curieuse à noter : depuis cinquante et un ans que la Constitution belge existe, elle n’a jamais subi de révision, même partielle.


CONSTITUTION
du 7 Février 1881
TITRE Ier. — du territoire et de ses divisions.

1. — La Belgique est divisée en provinces. — Ces provinces sont : Anvers, le Brabant, la Flandre occidentale, la Flandre orientale, le Hainaut, Liège, le Limbourg, le Luxembourg, Namur, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique[1]. — Il appartient à la loi de diviser, s’il y a lieu, le territoire en un plus grand nombre de provinces.

2. — Les subdivisions des provinces ne peuvent être établies que par la loi.

3. — Les limites de l’Etat, des provinces et des communes ne peuvent être changées ou rectifiées qu’en vertu d’une loi.

TITRE II. — des belges et de leurs droits.

4. — La qualité de Belge s’acquiert, se conserve et se perd d’après les règles déterminées par la loi civile. — La présente Constitution et les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles sont, outre ces qualités, les conditions nécessaires pour l’exercice de ces droits.

5. — La naturalisation est accordée par le pouvoir législatif. — La grande naturalisation seule assimile l’étranger au Belge, pour l’exercice des droits politiques.

6. — Il n’y a dans l’Etat aucune distinction d’ordres. — Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers.

7. — La liberté individuelle est garantie. — Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit. — Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures.

8. — Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne.

9. — Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi.

10. — Le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu’elle prescrit.

11. — Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité.

12. — La peine de la confiscation des biens ne peut être établie.

13. — La mort civile est abolie ; elle ne peut être rétablie.

14. — La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés.

15. — Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos.

16. — L’Etat n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. — Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s’il y a lieu.

17. — L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi. — L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par la loi.

18. — La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. — Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi.

19. — Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. — Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police.

20. — Les Belges ont le droit de s’associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive.

21. – Chacun a le droit d’adresser aux autorités publiques des pétitions, signées par une ou plusieurs personnes. — Les autorités constituées ont seules le droit d’adresser des pétitions en nom collectif.

22. — Le secret des lettres est inviolable. — La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste.

23. — L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires[2].

24. — Nulle autorisation préalable n’est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à

l’égard des ministres[3].
TITRE III. — des pouvoirs.

25. — Tous les pouvoirs émanent de la nation. — Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution.

26. Le pouvoir législatif s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat.

27. — L’initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. Néanmoins, toute loi relative aux recettes ou aux dépenses de l’Etat, ou au contingent de l’armée, doit d’abord être votée par la chambre des représentants.

28. — L’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’au pouvoir législatif[4].

29. — Au roi appartient le pouvoir exécutif, tel qu’il est réglé par la Constitution.

30. Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux. — Les arrêts et jugements sont exécutés au nom du roi.

31. — Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la Constitution.

CHAPITRE Ier. — des chambres.

32. — Les membres des deux chambres représentent la nation, et non uniquement la province ou la subdivision de province qui les a nommés.

33. — Les séances des chambres sont publiques. — Néanmoins chaque chambre se forme en comité secret, sur la de mande de son président ou de dix membres. — Elle décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet.

34. — Chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres, et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet.

35. — On ne peut être à la fois membre des deux chambres.

36. — Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres nommé par le gouvernement à un emploi salarié, qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection[5].

37. — A chaque session, chacune des chambres nomme son président, ses vice-présidents, et compose son bureau.

38. — Toute résolution est prise à la majorité absolue des suffrages, sauf ce qui sera établi par les règlements des chambres à l’égard des élections et présentations[6]. — En cas de partage des voix, la proposition mise en délibération est rejetée. — Aucune des deux chambres ne peut prendre de résolution qu’autant que la majorité de ses membres se trouve réunie.

39. — Les votes sont émis à haute voix ou par assis.et levé ; sur l’ensemble des lois, il est toujours voté par appel nominal et à haute voix. Les élections et présentations de candidats se font au scrutin secret.

40. — Chaque chambre a le droit d’enquête.

41. — Un projet de loi ne peut être adopté par l’une des chambres qu’après avoir été voté article par article.

42. — Les chambres ont le droit d’amender et de diviser les articles et les amendements proposés.

43. — Il est interdit de présenter en personne des pétitions aux chambres. — Chaque chambre a le droit de renvoyer aux ministres les pétitions qui lui sont adressées. Les ministres sont tenus de donner des explications sur leur contenu, chaque fois que la chambre l’exige.

44. — Aucun membre de l’une ou de l’autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

45. — Aucun membre de l’une ou de l’autre chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu’avec l’autorisation de la chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. — Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de l’une ou de l’autre chambre durant la session, qu’avec la même autorisation. — La détention ou la poursuite d’un membre de l’une ou de l’autre chambre est suspendue pendant la session et pour toute sa durée, si la chambre le requiert.

46. — Chaque chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions.

Section I. — De la Chambre des représentants.

47. — La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins[7].

48. — Les élections se font par telles divisions de provinces et dans tels lieux que la loi détermine[8].

49. — La loi électorale fixe le nombre des députés d’après la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d’un député sur 40.000 habitants. Elle détermine également les conditions requises pour être électeur et la marche des opérations électorales[9].

50. — Pour être éligible, il faut : — 1 ° Etre belge de nais sance ou avoir reçu la grande naturalisation ; — 2° Jouir des droits civils et politiques ; — 3° Etre âgé de vingt-cinq ans accomplis ; — 4 ° Etre domicilié en Belgique. — Aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise.

51. — Les membres de la chambre des représentants sont élus pour quatre ans. Ils sont renouvelés par moitié tous les deux ans, d’après l’ordre des séries déterminé par la loi électorale[10]. En cas de dissolution, la chambre est renouvelée intégralement.

52. — Chaque membre de la chambre des représentants jouit d’une indemnité mensuelle de 200 florins pendant toute la durée de la session[11]. Ceux qui habitent la ville où se tient la session ne jouissent d’aucune indemnité.

Section II. Du Sénat.

53. — Les membres du sénat sont élus, à raison de la population de chaque province, par les citoyens qui élisent les membres de la chambre des représentants.

54. — Le sénat se compose d’un nombre de membres égal à la moitié des députés de l’autre chambre.

55. — Les sénateurs sont élus pour huit ans ; ils sont renouvelés par moitié tous les quatre ans, d’après l’ordre des séries déterminé par la loi électorale[12]. — En cas de dissolution, le sénat est renouvelé intégralement.

56. — Pour pouvoir être élu et rester sénateur, il faut : — 1° Etre belge de naissance ou avoir reçu la grande naturalisation ; —— 2° Jouir de ses droits politiques et civils ; — 3° Etre domicilié en Belgique ; — 4° Etre âgé au moins de quarante ans ; – 5° Payer en Belgique au moins 1.000 florins d’impositions directes, patentes comprises. — Dans les provinces où la liste des citoyens payant 1.000 florins d’impôt direct n’atteint pas la proportion de 1 sur 6.000 âmes de population, elle est complétée par les plus imposés de la province, jusqu’à concurrence de cette proportion de 1 sur 6.000[13].

57. — Les sénateurs ne reçoivent ni traitement ni indemnité.

58. — A l’âge de dix-huit ans, l’héritier présomptif du roi est de droit sénateur. Il n’a voix délibérative qu’à l’âge de vingt-cinq ans.

59. — Toute assemblée du sénat qui serait tenue hors du temps de la session de la chambre des représentants est nulle de plein droit.

CHAPITRE II. — du roi et des ministres.
Section I. —Du Roi.

60. — Les pouvoirs constitutionnels du roi sont héréditaires dans la descendance directe, naturelle et légitime de S. M. Léopold-Georges-Chrétien-Frédéric de Saxe-Cobourg, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.

61. — A défaut de descendance masculine de S. M. Léopold-Georges-Chrétien-Frédéric de Saxe-Cobourg, il pourra nommer son successeur, avec l’assentiment des chambres, émis de la manière prescrite par l’article suivant. — S’il n’y a pas eu de nomination faite d’après le mode ci-dessus, le trône sera vacant.

62. — Le roi ne peut être en même temps chef d’un autre Etat, sans l’assentiment des deux chambres. — Aucune des deux chambres ne peut délibérer sur cet objet, si deux tiers au moins des membres qui la composent ne sont présents, et la résolution n’est adoptée qu’autant qu’elle réunit au moins les deux tiers des suffrages.

63. — La personne du roi est inviolable ; ses ministres sont responsables.

64. — Aucun acte du roi ne peut avoir d’effet, s’il n’est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s’en rend responsable.

65. — Le roi nomme et révoque ses ministres.

66. — Il confère les grades dans l’armée. — Il nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par les lois. — Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi.

67. — Il fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.

68. — Le roi commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent, en y joignant les communications convenables. — Les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’Etat ou lier individuellement des Belges, n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. — Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi. Dans aucun cas, les articles secrets d’un traité ne peuvent être destructifs des articles patents.

69. — Le roi sanctionne et promulgue les lois.

70. — Les chambres se réunissent de plein droit, chaque année, le deuxième mardi de novembre, à moins qu’elles n’aient été réunies antérieurement par le roi. — Les chambres doivent rester réunies chaque année au moins quarante jours. — Le roi prononce la clôture de la session. — Le roi a le droit de convoquer extraordinairement les chambres.

71. — Le roi a le droit de dissoudre les chambres, soit simultanément, soit séparément. L’acte de dissolution contient convocation des électeurs dans les quarante jours, et des chambres dans les deux mois.

72. — Le roi peut ajourner les chambres. Toutefois l’ajournement ne peut excéder le terme d’un mois, ni être renouvelé dans la même session, sans l’assentiment des chambres.

73. — Il a le droit de remettre ou de réduire les peines prononcées par les juges, sauf ce qui est statué relativement aux ministres.

74. — Il a le droit de battre monnaie, en exécution de la loi.

75. — Il a le droit de conférer des titres de noblesse, sans pouvoir jamais y attacher aucun privilège.

76. — Il confère les ordres militaires, en observant, à cet égard, ce que la loi prescrit.

77. — La loi fixe la liste civile pour la durée de chaque règne[14].

78. — Le roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même.

79. — A la mort du roi, les chambres s’assemblent sans convocation, au plus tard le dixième jour après celui du décès. Si les chambres ont été dissoutes antérieurement, et que la convocation ait été faite, dans l’acte de dissolution, pour une époque postérieure au dixième jour, les anciennes chambres reprennent leurs fonctions, jusqu’à la réunion de celles qui doivent les remplacer. — S’il n’y a qu’une chambre dissoute, on suit la même règle à l’égard de cette chambre. — A dater de la mort du roi et jusqu’à la prestation du serment de son successeur au trône ou du régent, les pouvoirs constitutionnels du roi sont exercés, au nom du peuple belge, par les ministres réunis en conseil, et sous leur responsabilité.

80. — Le roi est majeur à l’âge de dix-huit ans accomplis. — Il ne prend possession du trône qu’après avoir solennellement prêté, dans le sein des chambres réunies, le serment suivant : — « Je jure d’observer la Constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. »

81. — Si, à la mort du roi, son successeur est mineur, les deux chambres se réunissent en une seule assemblée, à l’effet de pourvoir à la régence et à la tutelle.

82. — Si le roi se trouve dans l’impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette impossibilité, convoquent immédiatement les chambres. Il est pourvu à la tutelle et à la régence par les chambres réunies.

83. — La régence ne peut être conférée qu’à une seule personne. — Le régent n’entre en fonctions qu’après avoir prêté le serment prescrit par l’art. 80.

84. — Aucun changement à la Constitution ne peut être fait pendant une régence.

85. — En cas de vacance du trône, les chambres, délibérant en commun, pourvoient provisoirement à la régence, jusqu’à la réunion des chambres intégralement renouvelées ; cette réunion a lieu au plus tard dans les deux mois. Les chambres nouvelles, délibérant en commun, pourvoient définitivement à la vacance.

Section II. — Des ministres.

86. — Nul ne peut être ministre, s’il n’est belge de naissance, ou s’il n’a reçu la grande naturalisation.

87. — Aucun membre de la famille royale ne peut être ministre.

88. — Les ministres n’ont voix délibérative dans l’une ou l’autre chambre que quand ils en sont membres. — Ils ont leur entrée dans chacune des chambres, et doivent être entendus quand ils le demandent. — Les chambres peuvent requérir la présence des ministres.

89. — En aucun cas, l’ordre verbal ou écrit du roi ne peut soustraire un ministre à la responsabilité.

90. — La chambre des représentants a le droit d’accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l’exercice de l’action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors l’exercice de leurs fonctions. — Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l’accusation admise par la chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées.

91. — Le roi ne peut faire grâce au ministre condamné par la cour de cassation, que sur la demande de l’une des deux chambres.

CHAPITRE III. — du pouvoir judiciaire.

92. — Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.

93. — Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi.

94. — Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu’en vertu d’une loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit.

95. — Il y a pour toute la Belgique une cour de cassation. — Cette cour ne connaît pas du fond des affaires, sauf le jugement des ministres.

96. — Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement. — En matière de délits politiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé qu’à l’unanimité.

97. — Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique.

98. — Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques et de la presse.

99. — Les juges de paix et les juges des tribunaux sont directement nommés par le roi. — Les conseillers des cours d’appel et les présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance de leur ressort sont nommés par le roi, sur deux listes doubles, présentées l’une par ces cours, l’autre par les conseils provinciaux. — Les conseillers de la cour de cassation sont nommés par le roi, sur deux listes doubles, présentées l’une par le sénat, l’autre par la cour de cassation. — Dans ces deux cas, les candidats portés sur une liste peuvent également être portés sur l’autre. — Toutes les présentations sont rendues publiques, au moins quinze jours avant la nomination. — Les cours choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents[15].

100. — Les juges sont nommés à vie. — Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement. — Le déplacement d’un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement.

101. — Le roi nomme et révoque les officiers du ministère public près des cours et des tribunaux.

102. — Les traitements des membres de l’ordre judiciaire sont fixés par la loi[16].

103. — Aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi.

104. — Il y a trois cours d’appel en Belgique. — La loi détermine leur ressort et les lieux où elles sont établies[17].

105. — Des lois particulières règlent l’organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions. — Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres, et la durée des fonctions de ces derniers.

106. — La cour de cassation prononce sur les conflits d’attributions, d’après le mode réglé par la loi[18].

107. — Les cours et les tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois.

CHAPITRE IV. — des institutions provinciales et communales.

108. — Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois. — Ces lois consacrent l’application des principes suivants : — 1° L’élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux ; — 2° L’attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine ; — 3° La publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limites établies par la loi ; 4° La publicité des budgets et des comptes ; — 5° L’intervention du roi ou du pouvoir législatif, pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l’intérêt général[19].

109. — La rédaction des actes de l’état civil et la tenue des registres sont exclusivement dans les attributions des autorités communales.

TITRE IV. — des finances.

110. — Aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi. – Aucune charge, aucune imposition provinciale ne peut être établie que du consentement du conseil provincial. — Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. — La loi détermine les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité, relativement aux impositions provinciales et communales.

111. — Les impôts au profit de l’Etat sont votés annuellement. — Les lois qui les établissent n’ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées.

112. — Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. — Nulle exemption ou modération d’impôt ne peut être établie que par une loi.

113. — Hors les cas formellement exceptés par la loi, aucune rétribution ne peut être exigée des citoyens qu’à titre d’impôt au profit de l’Etat, de la province ou de la commune. Il n’est rien innové au régime actuellement existant des polders et des wateringen, lequel reste soumis à la législation ordinaire.

114. — Aucune pension, aucune gratification à la charge du trésor public ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi.

115. — Chaque année, les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portées au budget et dans les comptes.

116. — Les membres de la cour des comptes sont nommés par la chambre des représentants et pour le terme fixé par la loi. — Cette cour est chargée de l’examen et de la liquidation des comptes de l’administration générale et de tous comptables envers le trésor public. Elle veille à ce qu’aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé et qu’aucun transfert n’ait lieu. Elle arrête les comptes des différentes administrations de l’Etat, et est chargée de recueillir à cet effet tout renseignement et toute pièce comptable nécessaire. Le compte général de l’Etat est soumis aux chambres avec les observations de la cour des comptes. — Cette cour est organisée par une loi[20].

117. — Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’Etat ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget.
TITRE V. — de la force publique.

118. — Le mode de recrutement de l’armée est déterminé par la loi. Elle règle également l’avancement, les droits et les obligations des militaires[21].

119. — Le contingent de l’armée est voté annuellement. La loi qui le fixe n’a de force que pour un an, si elle n’est renouvelée.

120. — L’organisation et les attributions de la gendarmerie font l’objet d’une loi[22].

121. — Aucune troupe étrangère ne peut être admise au service de l’Etat, occuper ou traverser le territoire qu’en vertu d’une loi.

122. — Il y a une garde civique ; l’organisation en est réglée par la loi[23]. — Les titulaires de tous les grades, jusqu’à celui de capitaine au moins, sont nommés par les gardes, sauf les exceptions jugées nécessaires pour les comptables.

123. — La mobilisation de la garde civique ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi.

124. — Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi.

TITRE VI. — dispositions générales.

125. – La nation belge adopte les couleurs rouge, jaune et noire, et pour les armes du royaume, le lion belgique. avec la légende : L’union fait la force.

126. — La ville de Bruxelles est la capitale de la Belgique et le siège du gouvernement.

127. — Aucun serment ne peut être imposé qu’en vertu de la loi. Elle en détermine la formule.

128. – Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi.

129. — Aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale, provinciale ou communale n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi.

130. — La Constitution ne peut être suspendue en tout ou en partie.

TITRE VII. — de la révision de la constitution.

131. — Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu’il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu’il désigne. Après cette déclaration, les deux chambres sont dissoutes de plein droit. — Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l’art. 71. — Ces chambres statuent, de commun accord avec le roi, sur les points soumis à la révision. — Dans ce cas, les chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d’elles ne sont présents ; et nul changement ne sera adopté, s’il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages.

TITRE VIII. — dispositions transitoires.

132. — Pour le premier choix du chef de l’Etat, il pourra être dérogé à la première disposition de l’art. 80.

133. — Les étrangers établis en Belgique avant le 1er janvier 1814, et qui ont continué d’y être domiciliés, sont considérés comme Belges de naissance, à la condition de déclarer que leur intention est de jouir du bénéfice de la présente dis position. — [Suivent quelques prescriptions concernant le mode et le délai de cette déclaration].

134. — Jusqu’à ce qu’il y soit pourvu par une loi, la chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine. — Néanmoins, la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales[24].

135 et 136. — [Aujourd’hui sans objet].

137. — La loi fondamentale du 24 août 1815 est abolie, ainsi que les statuts provinciaux et locaux. Cependant les autorités provinciales et locales conservent leurs attributions jusqu’à ce que la loi y ait autrement pourvu.

138. — A compter du jour où la Constitution sera exécutoire, toutes les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires sont abrogés.

139. — Le congrès national déclare qu’il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants : — 1° La presse[25] ; — 2° L’organisation du jury[26] ; — 3° Les finances ; — 4° L’organisation provinciale et communale[27] ; — 5° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir ; — 6° L’organisation judiciaire[28] ; — 7° La révision de la liste des pensions ; — 8° Les mesures propres à prévenir les abus du cumul ; — 9° La révision de la législation des faillites et des sursis ; — 10° L’organisation de l’armée, les droits d’avancement et de retraite, et le code pénal militaire[29] ; – 11° La révision des codes[30].


Bibliographie

Les Constitutions nationales belges de l’ancien régime à l’époque de l’invasion française en 1794, par E. Pouillet. Bruxelles, 1875.

Etudes sur les Constitutions nationales, par Ch. Faider. Bruxelles, 1842.

Les Codes belges annotés (de 1830 à 1880), par G. Beltjens. — 1° Fascicule : Constitution. Bruxelles, 1880. — Texte annoté avec la jurisprudence.

Les Codes belges, édition annotée, par J. Servais. — 1. Constitution. Bruxelles, 1880.

Commentaire sur la Constitution, par Bivort, 3e édit. Bruxelles, 1858. — Textes annotés.

La Constitution belge annotée, par Thonissen, 3e édit. Bruxelles, 1879, 1 vol. in-8.

Notions élémentaires sur la Constitution belge et les lois politiques et administratives, par Wyvekens. 6e édit. Bruxelles.

La Constitution belge commentée, par F. Croquet. Verviers, 2 vol. in-12.

Manuel à l’usage des membres du Sénat et de la Chambre des représentants en Belgique (Règlements, Constitution, Lois organiques), Bruxelles, 1874.

De la responsabilité des ministres dans le droit public belge, par O. de Kerchove de Denterghem. Gand et Paris, 1867. — Dissertation.


  1. Les limites du royaume de Belgique ont été définitivement fixées par le traité du 19 avril 1839. Par ce traité, une partie du Luxembourg a été séparée de la Belgique et érigée en duché, de sorte que la réserve des rapports de cette province avec l’Allemagne est aujourd’hui sans objet. Ces rapports ont d’ailleurs pris fin en 1867 par la neutralisation du Luxembourg.
  2. Les lois et arrêtés royaux sont publiés en français par le Moniteur ; le texte français est seul officiel. Loi du 28 février 1845.
  3. Infra, art. 90.
  4. Les art. 23, 24 et 25 de la loi du 24 août 1832 décidaient qu’il y avait lieu à interprétation législative lorsque, dans un litige particulier, la cour de cassation se prononçait deux fois de suite dans un sens contraire à l’opinion des cours d’appel ; après la deuxième cassation, il était sursis au jugement jusqu’après le vote d’une loi interprétative. Cette extension dangereuse du droit législatif d’interprétation fut supprimée par la loi du 7 juillet 1865 ; elle avait donné lieu à des abus criants. Désormais, l’interprétation dans laquelle persiste le second arrêt de cassation s’impose au juge du fond.
  5. Cette disposition a été considérablement étendue par la loi du 26 mai 1848 sur les incompatibilités parlementaires. D’après cette loi, les fonctionnaires et les employés salariés de l’Etat, nommés membres de l’une ou de l’autre chambre, sont tenus, avant de prêter serment ; d’opter entre le mandat parlementaire et leur fonction. En outre, les membres des chambres ne peuvent être nommés à des fonctions salariées par l’Etat qu’une année après la cessation de leur mandat.
  6. Il est aussi trois cas où la Constitution a elle-même dérogé à la règle, et exige la majorité des deux tiers des voix. Infra, art. 61, 62, 131.
  7. La loi du 12 mars 1848 a abaissé le cens électoral au minimum de 20 florins (42 fr. 32 c.).
  8. La répartition des représentants et sénateurs, déterminée par le tableau annexé à la loi du 20 avril 1878, a été modifiée en 1882. Le nombre actuel des représentants est de 138, celui des sénateurs de 69.
  9. Code électoral du 18 mai 1872 (V. Annuaire 1873, p. 411), modifié et complété par la loi du 16 mai 1878 (V. Annuaire 1879, p. 458). V. aussi la loi du 9 juillet 1877 sur le secret du vote (Annuaire 1878, p. 512), et la loi du 30 juillet 1881 (Annuaire 1882, p. 427) qui a modifié le titre II des lois électorales coordonnées.
  10. Art. 175 et suiv. du Code électoral de 1872, modifié par les lois postérieures.
  11. Loi du 20 octobre 1831 sur le règlement de l’indemnité. 200 florins = 423 fr. 20 c.
  12. Art. 174 et suiv. du Code électoral de 1872, modifié par les lois postérieures.
  13. Les citoyens qui possèdent le cens de 1,000 florins (= 2, 116 fr.) sont éligibles dans toutes les provinces, tandis que ceux qui possèdent le cens requis pour être inscrits sur la liste complémentaire, ne sont éligibles que dans la province où ils sont domiciliés (Art. 199 des lois électorales coordonnées).
  14. La loi du 25 décembre 1865 a fixé à 3.300.000 fr. la liste civile de Léopold II.
  15. L’ordre dans lequel les présentations s’opèrent est déterminé par la loi du 18 juin 1869.
  16. Loi du 18 juin 1869.
  17. Même loi.
  18. Aucune loi n’a tracé la procédure à suivre en cette matière.
  19. Pour les autorités communales, le vœu de l’art. 108 a été rempli par les lois du 30 mars 1836, du 30 juin 1842, du 1er mars et du 13 avril 1848, du 30 juin 1865, du 18 mai 1872, du 7 mai 1877 et du 4 juin 1878. — Pour les autorités provinciales, par la loi du 30 avril 1836, modifiée par celles du 27 mai 1870, des 28 mars et18 mai 1872 et du 13 mai 1878.
  20. Loi du 29 octobre 1846.
  21. L’organisation de l’armée belge est réglée par les lois du 5 avril 1868 et du 16 août 1873.
  22. Cette loi n’existe pas ; les anciens règlements sont encore en vigueur.
  23. Lois du 8 mai 1848, du 13 juillet 1853 et du 6 avril 1861.
  24. Cette législation transitoire est encore vigueur, aucune loi organique n’ayant déterminé les cas de responsabilité ministérielle.
  25. Décret du 20 juillet 1831.
  26. Loi d’organ. judic. du 18 juin 1869.
  27. V. ci-dessus, art. 108 et note.
  28. Loi du 18 juin 1869.
  29. Code pén. milit. du 27 mai 1870.
  30. Code pénal du 8 juin 1867. — Plusieurs titres du nouveau Code de commerce ont été promulgués par les lois des 18 avr. 1851, 30 déc. 1867, 5 mai, 20 mai, 15 déc. 1872, 18 mai 1873 et 11 juin 1874. — Le titre Ier du livre préliminaire du nouveau Code de procédure civile a été promulgué le 25 mars 1876. — La loi du 17 avril 1878 contient le titre préliminaire du Code de procédure pénale.