Constitution de la monarchie espagnole du 30 juin 1876

Constitution de la monarchie espagnole du 30 juin 1876
Les Constitutions modernesChallamel AinéTome 2 (p. 1-18).

ESPAGNE

Notice historique

Les anciennes Cortès de Castille, d’Aragon, de Valence et de Catalogne avaient complètement disparu en Espagne à la fin du siècle dernier. Les abdications successives de Charles IV et de Ferdinand VII ayant livré à Napoléon Ier les destinées du pays, l’Espagne se vit imposer à la fois un roi et une Constitution. Un décret impérial du 25 mai 1808 convoqua à Bayonne une junte nationale qui délibéra pour la forme et adopta le 30 juin suivant le projet de Constitution préparé d’avance. Cette Constitution, en 146 articles, fut promulguée à Bayonne le 6 juillet par le roi Joseph Ier. Elle s’écroula quelques années après avec la domination française.

La lutte prolongée que le pays soutint contre la France pendant cinq ans (1808-1813) provoqua dans toutes les provinces la renaissance du sentiment national. Les juntes insurrectionnelles réunirent les Cortès à Cadix et concoururent avec elles à la rédaction d’une Constitution en 384 articles qui porte dans l’histoire la date du 19 mars 1812. Cette Constitution établissait une Chambre unique, et ses dispositions étaient conçues dans un esprit démocratique très avancé. Elle réservait au roi Ferdinand VII, alors détenu en France, son droit de sanction.

Lorsque Ferdinand remonta sur le trône en 1814, il ne tint aucun compte de la Constitution, et rétablit (4 mai) le pouvoir absolu. L’insurrection militaire de 1820 le contraignit à accepter la Constitution de 1812 à laquelle il prêta serment le 9 juillet devant les Cortès. L’intervention française en 1823 aboutit au second renversement de la Constitution (octobre), qui n’avait fonctionné que trois ans.

Ferdinand VII mourut en 1833 après avoir rétabli (30 mars 1830) la loi de succession féminine au trône d’Espagne. Le 10 avril 1834, la régente Marie-Christine octroya, sous l’influence de Martinez de la Rosa, une Constitution en 50 articles qui établissait deux Chambres, mais sans leur accorder le droit d’initiative (Statut royal d’Aranjuez).

L’émeute sanglante de la Granja (13 août 1836) décida la régente à convoquer les Cortès en Assemblée constituante pour élaborer une Constitution qui répondit davantage aux yeux du pays. Cette Assemblée se réunit le 19 novembre 1836 et vota une Constitution en 77 articles qui fut promulguée le 18 juin 1837. Elle était imitée de la Constitution belge.

Une grande instabilité ministérielle ayant démontré les vices de la Constitution de 1837, le parti modéré qui arriva au pouvoir en 1815 modifia la Charte dans le sens conservateur et la nouvelle Constitution (en 80 articles) fut promulguée à Madrid le 23 mai 1845, sous les auspices du général Narvaez.

A la suite d’émeutes incessantes, des Cortès extraordinaires furent convoquées en 1856 pour réviser la Constitution. Cette révision eut lieu, mais le projet en 92 articles qui avait été élaboré ne fut pas promulgué, et un décret royal du 15 septembre 1856 rétablit la Constitution de 1845 en la modifiant au moyen d’un Acte additionnel. Cet acte additionnel disparut lui-même l’année suivante en vertu d’une loi du 17 juillet 1857 qui se borna à modifier quelques articles de la Constitution relatifs à la composition du Sénat. Enfin, une loi du 20 avril 1864 supprima à son tour ces modifications et remit en vigueur le texte primitif de 1845, qui demeura la loi fondamentale de l’Espagne jusqu’à la révolution du 29 septembre 1868.

Le 8 octobre 1868, la junte révolutionnaire de Madrid confia le gouvernement provisoire au maréchal Serrano jusqu’à la convocation régulière des Cortès. Des élections eurent lieu au suffrage universel, et les Cortès constituantes réunies à Madrid le 11 février 1869 nommèrent le 3 mars suivant une Commission de 15 membres pour préparer une nouvelle Constitution. Les débats commencèrent le 7 avril, la Constitution (en 112 articles) fut votée le 1er juin et promulguée le 6. Elle établissait en principe le système monarchique, mais l’élection d’Amédée Ier n’eut lieu que le 16 novembre 1870.

Après deux ans de règne, Amédée abdiqua le 11 février 1873, et le lendemain 12 les Cortès, prenant le nom d’Assemblée nationale, proclamèrent la république. Une loi du 11 mars suivant convoqua pour le 1er juin une Assemblée constituante à l’effet d’organiser le régime républicain. Une Commission parlementaire de 17 membres élabora un projet en 117 articles qui fut déposé le 17 juillet, mais les événements politiques n’en permirent pas la discussion, et l’Assemblée fut dissoute le 3 janvier 1874 à la suite du pronunciamento militaire du général Pavia.

Un nouveau pronunciamento du 29 décembre 1874 rétablit en Espagne la monarchie des Bourbons et proclama Alphonse XII. Pendant toute l’année 1875, les Cortès ne furent point réunies ; le gouvernement ne se décida à les convoquer que l’année suivante. Élues le 20 janvier 1876 au suffrage universel, conformément à la législation en vigueur, les Chambres se réunirent le 15 février et s’occupèrent aussitôt du projet de Constitution, dont le roi avait confié l’élaboration à une Commission spéciale composée de notabilités du parti monarchique. Ce projet, présenté par M. Canovas de Castillo, président du Conseil des ministres, fut voté presque sans modifications. La Constitution porte la date du 30 juin 1876 ; elle a été publiée dans la Gacela du 2 juillet suivant.

La loi électorale du Sénat a été promulguée le 8 février 1877, celle de la Chambre des députés le 28 décembre 1878.

Une proposition tendant à la révision de la Constitution de 1876 sur les bases de celle de 1869 a été soumise récemment aux Cortés ; la Chambre des députés l’a repoussée à une grande majorité (222 voix contre 13) dans la séance du 23 décembre 1882.


CONSTITUTION
de la monarchie espagnole
du 30 Juin 1876
TITRE I. — des espagnols et de leurs droits.

1. — Sont Espagnols : 1° ceux qui sont nés sur le territoire espagnol ; 2° ceux qui sont nés de père ou de mère espagnol sur un territoire étranger ; 3° les étrangers qui ont obtenu des lettres de naturalisation ; 4° ceux qui ont acquis la bourgeoisie (vecindad) dans une localité quelconque de la monarchie. — La qualité d’Espagnol se perd par l’acquisition de la naturalisation en pays étranger et par l’acceptation sans l’autorisation du Roi d’un emploi conféré par un gouvernement étranger.

2. — Les étrangers peuvent s’établir librement sur le territoire espagnol, exercer leur industrie, s’adonner à n’importe quelle profession, pourvu que l’exercice n’en soit pas subordonné par la loi à des titres d’aptitude délivrés par l’autorité espagnole. — Les étrangers qui ne sont pas naturalisés ne peuvent exercer en Espagne aucune fonction qui implique avec elle autorité ou juridiction.

3. — Tout Espagnol est obligé de prendre les armes pour défendre sa patrie, lorsqu’il est appelé par la loi, et de contribuer dans la proportion de ses revenus aux dépenses de l’État, de la province et du municipe. — Nul n’est tenu de payer les contributions qui n’ont pas été votées par les Cortès ou les assemblées autorisées légalement à les imposer.

4. — Nul Espagnol ou nul étranger ne pourra être détenu que dans les cas et suivant les formes prescrites par la loi. — Toute personne détenue sera remise en liberté ou à la disposition de l’autorité judiciaire dans les vingt-quatre heures qui suivront son arrestation. — Toute détention devra cesser ou être régularisée dans les soixante-douze heures qui suivront la comparution de la personne arrêtée devant le juge compétent. — La sentence provisoire qui sera rendue devra être notifiée à l’intéressé dans le même délai.

5. — Nul Espagnol ne pourra être arrêté sans qu’il y ait un mandat du juge compétent. L’acte contenant ce mandat sera confirmé ou non, après l’audition de l’inculpé, dans les soixante-douze heures qui suivront son arrestation. — Toute personne détenue en dehors des formalités indiquées ou des cas prévus par la Constitution ou les lois sera remise en liberté sur sa demande, ou sur la demande d’un Espagnol quel qu’il soit. La loi déterminera les formalités sommaires à employer en pareil cas.

6. — Nul ne peut entrer dans le domicile d’un Espagnol ou d’un étranger résidant en Espagne, sans son consentement, excepté dans les cas et suivant les formalités prévues par les lois. — Les perquisitions domiciliaires se feront toujours en présence de l’intéressé, ou d’un membre de sa famille, ou, à son défaut, de deux témoins voisins de l’intéressé.

7. — L’autorité gouvernementale ne pourra ni saisir ni ouvrir la correspondance confiée à la poste.

8. — Tout acte ordonnant une arrestation, une perquisition domiciliaire ou une saisie de lettre, devra être notifié.

9. — Nul Espagnol ne pourra être forcé de changer de domicile ou de résidence, si ce n’est en vertu d’un ordre émanant de l’autorité compétente et dans les cas prévus par la loi.

10. — La peine de la confiscation des biens ne pourra jamais être rétablie, et nul ne pourra être privé de sa propriété si ce n’est par l’autorité compétente, après justification d’un motif d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité[1]. — Si ces formalités n’ont pas été observées, les juges maintiendront et au besoin réintégreront l’exproprié dans sa possession.

11. — La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’État. La nation s’oblige à entretenir le culte et ses ministres. — Nul ne pourra être inquiété sur le territoire espagnol pour ses opinions religieuses ni pour l’exercice de son culte, sauf le respect dû à la morale chrétienne. — Sont prohibées toutefois les manifestations et cérémonies publiques d’une religion autre que celle de l’État.

12. — Chacun est libre de choisir sa profession et de l’apprendre comme il lui paraîtra préférable. — Tout Espagnol peut fonder et entretenir des établissements d’instruction et d’éducation en se conformant aux lois. — A l’État appartient le droit de conférer les grades professionnels, et de déterminer les conditions d’admission ainsi que la forme dans laquelle devra être faite la preuve d’aptitude. — Une loi spéciale déterminera les devoirs des professeurs et les règles auxquelles sera soumis l’enseignement dans les établissements d’instruction publique entretenus par l’État, les provinces et les villes.

13. — Tout Espagnol a le droit : — d’émettre librement ses idées et ses opinions par la parole, l’écriture, par la voie de l’impression ou par tout autre procédé analogue, sans être soumis à la censure préalable[2] ; — de se réunir pacifiquement[3] ; — de s’associer dans un but temporel ; d’adresser des pétitions individuelles ou collectives au Roi, aux Cortès et aux autorités. — Le droit de pétition ne pourra être exercé collectivement par aucun corps de la force armée. — Ceux qui font partie de la force armée ne pourront exercer le droit individuel de pétition qu’en se conformant aux lois militaires spéciales.

14. — Les lois édicteront les dispositions nécessaires pour assurer aux Espagnols l’exercice des droits que leur confère le présent titre, sans porter atteinte aux droits de la nation, ni aux attributions essentielles des pouvoirs publics. — Elles détermineront également la responsabilité civile et pénale à laquelle seront soumis, suivant les cas, les juges, autorités et fonctionnaires de toutes classes, qui porteront atteinte aux droits énumérés dans le présent titre.

15. — Tous les Espagnols sont admissibles aux emplois et fonctions publiques, suivant leur mérite et leur capacité.

16. — Nul Espagnol ne peut être poursuivi, ni condamné, si ce n’est par le juge compétent, en vertu de lois antérieures au délit et en la forme prescrite par ces lois.

17. — Les garanties indiquées dans les art. 4, 5, 6 et 9 et les paragraphes 1, 2 et 3 de l’art. 13 ne pourront être suspendues dans toute l’étendue de la monarchie, ou dans une partie du territoire, que temporairement et en vertu d’une loi, quand la sûreté de l’État et des circonstances extraordinaires l’exigeront. — Si les Cortés ne sont pas réunies, et si le cas est grave et urgent, le gouvernement pourra, sous sa responsabilité, décréter la suspension des garanties dont il est question au paragraphe précédent, à charge de soumettre sa décision aux Cortès le plus tôt possible. — En aucun cas, on ne pourra suspendre d’autres garanties que celles qui sont indiquées dans le premier paragraphe de cet article. — Les fonctionnaires de l’ordre civil ou militaire ne pourront édicter des pénalités autres que celles qui sont écrites dans les lois.

TITRE II. — des cortès.

18. — Le pouvoir législatif appartient aux Cortès d’accord avec le Roi.

19. — Les Cortès se composent de deux assemblées législatives, dont les pouvoirs sont égaux : le Sénat et la Chambre (Congreso) des députés.

TITRE III. — du sénat.

20. — Le Sénat se compose : 1° de sénateurs de droit ; 2° de sénateurs nommés à vie par la couronne ; 3° de sénateurs élus par les corporations de l’État et les plus fort imposés dans la forme que déterminera la loi[4]. — Le total des sénateurs de droit et des sénateurs nommés à vie ne pourra excéder 180. — Ce chiffre sera celui des sénateurs élus.

21. — Sont sénateurs de droit : Les fils du Roi et de l’héritier présomptif de la couronne, lorsqu’ils ont atteint leur majorité ; — Les grands d’Espagne, qui ne sont sujets d’aucune puissance étrangère et qui jouissent d’une rente annuelle de 60.000 pesetas provenant de biens propres immobiliers ou de valeurs assimilées aux immeubles par la loi ; — Les capitaines généraux de l’armée et l’amiral de la flotte ; — Le patriarche des Indes et les archevêques ; — Les présidents du Conseil d’État, du tribunal suprême, du tribunal des comptes, du tribunal supérieur de la guerre, du tribunal de la flotte, après deux ans d’exercice.

22. — Pourront seuls être nommés sénateurs par le Roi, ou élus par les corporations de l’État et les plus fort imposés, les Espagnols qui appartiennent à l’une des catégories suivantes : — 1° Le président du Sénat ou le président de la Chambre des députés ; — 2 Les députés qui ont fait partie de trois Chambres différentes ou qui ont exercé pendant huit ans leurs fonctions législatives ; — 3° Les ministres de la couronne ; — 4° Les évêques ; — 5° Les grands d’Espagne ; — 6° Les lieutenants généraux de l’armée et les vice-amiraux de la flotte, ayant deux ans de grade ; — 7° Les ambassadeurs après deux ans de service effectif et les ministres plénipotentiaires après quatre ans ; — 8° Les conseillers d’État, le fiscal du Conseil d’État, les ministres et les fiscaux du tribunal suprême, ainsi que du tribunal des comptes, les conseillers du tribunal supérieur de la guerre et du tribunal de la flotte, le doyen du tribunal des ordres militaires après deux ans d’exercice ; — 9° Les présidents ou directeurs de l’Académie espagnole, des Académies d’histoire, des beaux-arts de Saint-Ferdinand, des sciences exactes, physiques et naturelles, des sciences morales et politiques, et de médecine ; — 10° Les académiciens des corporations ci-dessus mentionnées qui occupent la première place par rang d’ancienneté ; les inspecteurs généraux de première classe des corps des ingénieurs des chaussées, mines et montagnes ; les professeurs des universités qui comptent quatre années d’exercice à dater de leur nomination. — Les personnes indiquées dans les catégories précédentes devront jouir d’un revenu de 7500 pesetas provenant soit de leurs biens propres, soit des traitements de leurs emplois qui ne peuvent leur être enlevés sans décision judiciaire, soit de pensions de vétérance ou de retraite ; — 11° Ceux qui, depuis deux ans, possèdent une rente annuelle de 20.000 pesetas ou payent au Trésor 4.000 pesetas de contributions directes, s’ils jouissent d’un titre de noblesse (Títulos del Reino), ou s’ils ont été députés aux Cortès, députés provinciaux ou alcades dans les capitales de provinces ou dans les villes de plus de vingt mille âmes ; — 12° Ceux qui ont exercé une fois les fonctions de sénateur, avant la promulgation de la présente Constitution ; ceux qui, pour être sénateurs, auront à un moment donné prouvé qu’ils possédaient la rente exigée pour être sénateurs de droit, pourvu qu’une attestation du registre de la propriété constate qu’ils sont toujours propriétaires des mêmes biens. — La nomination des sénateurs par le Roi se fera toujours par décrets spéciaux, et ces décrets indiqueront toujours expressément le titre auquel aura lieu la nomination, conformément aux dispositions du présent article.

23. — Les conditions exigées pour être nommé ou élu sénateur peuvent être modifiées par une loi[5].

24. — Les sénateurs élus se renouvellent par moitié tous les cinq ans, et en totalité quand le Roi dissout la portion élective du Sénat.

25. — Les sénateurs ne peuvent accepter ni emplois, ni avancements de faveur, ni titres ou décorations, pendant que les Cortès sont en session. — Néanmoins le gouvernement peut leur confier les missions qu’exige le service public, eu égard à leurs emplois ou fonctions respectives. — Le paragraphe premier du présent article n’est pas applicable aux ministres de la couronne.

26. — Pour siéger au Sénat, il faut être Espagnol, avoir trente-cinq ans accomplis, n’avoir jamais été l’objet d’une poursuite criminelle ou déclaré inhabile à exercer ses droits politiques, et avoir ses biens libres d’engagements.

TITRE IV. — de la chambre des députés.

27. — La Chambre (Congreso) des députés se compose des députés élus par les juntes électorales, en la forme déterminée par la loi[6]. Il y a un député au moins par cinquante mille âmes.

28. — Les députés sont élus et peuvent être réélus indéfiniment, suivant le mode déterminé par la loi.

29. — Pour être élu député, il faut être Espagnol, laïque, majeur, et jouir de tous les droits civils. La loi déterminera quelles catégories de fonctions sont incompatibles avec celles de député[7], et les cas de réélection.

30. — Les députés sont élus pour cinq ans.

31. — Les députés à qui le gouvernement confère des pensions, emplois, avancements de faveur, missions avec traitement, dignités ou honneurs, cessent leurs fonctions sans qu’il soit nécessaire d’en faire la déclaration, si, dans les quinze jours qui suivent leur nomination, ils ne font pas connaître à la Chambre qu’ils renoncent à la faveur que leur offre le gouvernement. — La disposition qui précède ne s’applique pas aux députés qui sont nommés ministres de la couronne.

TITRE V. — des sessions et des attributions des cortès.

32. — Les Cortès se réunissent tous les ans. Le Roi a le droit de les convoquer, de les proroger, de clore leurs sessions, de dissoudre simultanément ou séparément la partie élective du Sénat, et la Chambre des députés, avec l’obligation d’en convoquer et d’en réunir d’autres, dans les trois mois à compter du jour de la dissolution.

33. — Les Cortès seront extraordinairement convoquées quand la couronne sera vacante, ou quand le Roi sera dans l’impossibilité de gouverner.

34. — Chacune des deux assemblées législatives fait son règlement pour son administration intérieure, et examine les qualités des membres qui la composent, ainsi que la régularité de leur élection.

35. — La Chambre des députés nomme son président, ses vice-présidents et ses secrétaires.

36. — Le Roi nomme pour chaque législature le président et les vice-présidents du Sénat, qu’il choisit parmi les sénateurs. Le Sénat nomme ses secrétaires.

37. — Le Roi ouvre et ferme les Cortès, en personne ou par l’intermédiaire des ministres.

38. — Une des deux assemblées législatives ne peut être réunie sans l’autre, sauf le cas où le Sénat exerce ses attributions judiciaires.

39. — Les deux assemblées législatives ne peuvent délibérer réunies, ni en présence du Roi.

40. — Les séances du Sénat et de la Chambre sont publiques, sauf les cas où il est nécessaire de tenir les séances secrètes.

41. — L’initiative des lois appartient au Roi et à chacune des deux assemblées législatives.

42. — Les lois sur les contributions et le crédit public sont d’abord présentées à la Chambre des députés.

43. — Les résolutions dans chacune des deux assemblées législatives sont prises à la majorité des voix ; mais, pour le vote des lois, on exige la majorité plus un de la totalité des membres de l’assemblée.

44. — Si une des assemblées législatives repousse un projet de loi, ou si le Roi refuse sa sanction, aucune proposition nouvelle ayant le même objet ne pourra être présentée dans la même session.

45. — En dehors de la puissance législative que les Cortés exercent d’accord avec le Roi, les Cortès exercent les attributions suivantes : — 1° Recevoir du Roi, du successeur immédiat de la couronne, de la Régence ou du Régent du royaume le serment d’observer la Constitution et les lois. — 2° Élire le Régent ou la Régence du royaume et nommer un tuteur au Roi mineur dans les cas prévus par la Constitution. — 3° Rendre effective la responsabilité des ministres, lesquels seront accusés par la Chambre et jugés par le Sénat.

46. — Les sénateurs et les députés sont inviolables pour les opinions et les votes qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions.

47. — Les sénateurs ne pourront pas être poursuivis ou arrêtés sans l’avis du Sénat, à moins qu’il n’y ait flagrant délit, ou que le Sénat ne soit pas réuni. Dans ce dernier cas, la poursuite doit être portée le plus tôt possible à la connaissance du Sénat, pour être statué par lui ce qu’il appartiendra. Les députés ne peuvent pas non plus être poursuivis ou arrêtés durant les sessions sans autorisation de la Chambre, à moins de flagrant délit. Mais dans ce cas, et dans le cas où ils seraient arrêtés et poursuivis en dehors des sessions, il en sera rendu compte le plus tôt possible à la Chambre, pour qu’elle prenne connaissance de l’affaire et rende sa décision. Le tribunal suprême connaitra des crimes imputés aux sénateurs et députés, dans les cas et les formes déterminés par la loi.

TITRE VI. — du roi et de ses ministres.

48. — La personne du Roi est sacrée et inviolable.

49. — Les ministres sont responsables. — Aucun ordre du Roi ne peut être mis à exécution s’il n’est contresigné par un ministre qui, par cela même, en assume la responsabilité.

50. — Le pouvoir de faire exécuter les lois réside dans la personne du Roi, et son autorité s’étend à tout ce qui se rapporte à la conservation de l’ordre public à l’intérieur et à la sécurité de l’État à l’extérieur, conformément à la Constitution et aux lois.

51. — Le Roi sanctionne et promulgue les lois.

52. — Il a le commandement suprême de l’armée et de la flotte ; il dispose des forces de mer et de terre.

53. — Il confère les grades, avancements et récompenses militaires, conformément aux lois.

54. — Il appartient au Roi : — 1 ° d’édicter les décrets, règlements et instructions nécessaires pour l’exécution des lois ; — 2° de veiller à ce que dans tout le royaume la justice soit rendue d’une manière rapide et équitable ; — 3° de gracier les coupables, en se conformant aux lois ; — 4° de déclarer la guerre et faire la paix, à charge de fournir en suite aux Cortès les explications et documents nécessaires ; — 5° de diriger les relations diplomatiques et commerciales avec les nations étrangères ; — 6° de présider à la fabrication des monnaies qui portent son effigie et son nom ; — 7° d’ordonner l’emploi des fonds destinés à l’une des branches de l’administration, dans les limites des prévisions budgétaires ; — 8° de nommer aux emplois civils, de conférer les honneurs et distinctions de toute classe, en se conformant aux lois ; 9° de nommer et révoquer librement les ministres.

55. — Le Roi doit être nécessairement autorisé par une loi spéciale : — 1° pour aliéner, céder ou échanger une portion quelconque du territoire espagnol ; — 2° pour incorporer un territoire étranger au territoire espagnol ; — 3° pour admettre des troupes étrangères dans le royaume ; — 4° pour ratifier les traités d’alliance offensive, les traités spéciaux de commerce, les traités qui stipulent des subsides en faveur d’une puissance étrangère, et tous ceux qui peu vent obliger individuellement des Espagnols. — Dans aucun cas, les articles secrets d’un traité ne pourront déroger aux articles publics de ce même traité ; — 5° pour abdiquer la couronne en faveur de son successeur.

56. — Le Roi, avant de contracter mariage, devra en donner connaissance aux Cortès, qui donneront, par une loi spéciale, leur approbation au contrat et aux conventions matrimoniales. — Les mêmes formalités seront observées lorsqu’il s’agira du successeur immédiat de la couronne. — Ni le Roi, ni le successeur immédiat de la couronne ne pourront contracter mariage avec une personne que la loi exclut de la succession à la couronne.

57. — La dotation du Roi et de sa famille sera fixée par les Cortès au commencement de chaque règne[8].

58. — Les ministres peuvent être sénateurs ou députés et prendre part aux discussions des deux Chambres, mais ils ne peuvent voter que dans la Chambre dont ils font partie.

TITRE VII. — de la succession a la couronne.

59. — Le Roi légitime de l’Espagne est Don Alphonse XII de Bourbon.

60. — La succession au trône d’Espagne aura lieu selon l’ordre régulier de primogéniture et par représentation, la ligne antérieure étant toujours préférée aux lignes postérieures ; dans la même ligne, le degré le plus proche sera préféré au degré le plus éloigné, dans le même degré l’homme à la femme, et, à égalité de sexe, la personne la plus âgée à celle qui l’est le moins.

61. — Si les lignes des descendants légitimes de Don Alphonse XII sont éteintes, ses sœurs lui succéderont, puis sa tante, sœur de sa mère, et ses descendants légitimes, et enfin ses oncles, frères de Don Ferdinand VII, s’ils ne sont exclus.

62. — Si toutes ces lignes sont éteintes, les Cortès feront les nouveaux choix qui conviendront le mieux à la nation.

63. — S’il s’élève, en fait ou en droit, quelque difficulté dans l’interprétation de la loi successorale de la couronne, l’intervention d’une loi sera nécessaire.

64. — Les personnes qui sont incapables de gouverner, ou qui par leurs actes ont mérité de perdre le droit à la couronne, seront exclues de la succession par une loi.

65 — Quand règne une femme, le prince-époux ne peut prétendre aucune part au gouvernement du royaume.

TITRE VIII. — de la minorité du roi et de la régende.

66. — Le Roi est mineur tant qu’il n’a pas accompli sa seizième année.

67. — Quand le Roi est mineur, le père ou la mère du Roi, ou à leur défaut le parent le plus proche pour succéder à la couronne dans l’ordre établi par la Constitution, sera appelé à exercer la régence, et l’exercera tout le temps de la minorité du Roi.

68. — Pour que le parent le plus proche puisse exercer la régence, il doit être Espagnol, avoir vingt ans accomplis, et n’être pas exclu de la succession à la couronne. Le père ou la mère du Roi ne pourront exercer la régence que s’ils ne sont pas remariés.

69. — Le Régent prêtera serment aux Cortès d’être fidèle au Roi mineur et de respecter la Constitution et les lois. — Si les Cortès ne sont pas réunies, le Régent les convoquera immédiatement, et, provisoirement, il prêtera le serment légal devant le Conseil des ministres en promettant de le renouveler devant les Cortès sitôt qu’elles seront assemblées.

70. — S’il ne se trouve personne à qui appartienne le droit à la régence, les Cortès désigneront une, trois ou cinq personnes pour l’exercer. — En attendant cette désignation, le gouvernement sera exercé provisoirement par le Conseil des ministres.

71. — Quand le Roi est dans l’impossibilité d’exercer le pouvoir, et que les Cortès ont reconnu cette impossibilité, la régence appartiendra, tant que durera l’empêchement, au fils ainé du Roi, s’il est majeur de seize ans, à son défaut au conjoint du Roi, et, à défaut de celui-ci, aux personnes appelées à la régence.

72. — Le Régent, et, le cas échéant, le Conseil de régence, exerceront toute l’autorité du Roi, au nom duquel se publieront les actes gouvernementaux.

73. — Le tuteur du Roi mineur sera la personne que le Roi défunt aura désignée dans son testament, pourvu qu’elle soit espagnole de naissance. S’il n’y a pas eu de tuteur désigné, le tuteur sera le père ou la mère, tant que durera leur veuvage. A leur défaut, la nomination appartiendra aux Cortès ; toutefois, les fonctions de Régent et de tuteur du Roi ne pourront être réunies si ce n’est en la personne du père ou de la mère du Roi.

TITRE IX. — de l’administration de la justice.

74. — La justice est rendue au nom du Roi.

75. — Les mêmes Codes régiront toute la monarchie, sauf les variations que nécessiteront les circonstances et que les lois détermineront. — Il n’y aura qu’un seul droit pour tous les Espagnols, en matière civile et criminelle.

76. — Aux tribunaux et aux juges appartient exclusivement le pouvoir d’appliquer les lois en matière civile et criminelle, sans qu’ils puissent exercer d’autres fonctions que les fonctions de juger et de faire exécuter les jugements.

77. — Une loi spéciale déterminera les cas où, pour poursuivre devant les tribunaux ordinaires les autorités et leurs agents, une autorisation particulière sera nécessaire.

78. — Les lois détermineront le nombre des cours et tribunaux, leur organisation, leurs pouvoirs, le mode suivant lequel ils l’exerceront, et les qualités requises pour remplir les fonctions de magistrat.

79. — Les jugements en matière criminelle seront publics, suivant la forme déterminée par les lois.

80. — Les magistrats et juges seront inamovibles et ne pourront être destitués, suspendus ou déplacés que dans les cas et suivant les formes déterminés par la loi organique des tribunaux.

81. — Les juges sont personnellement responsables de toutes les infractions à la loi commises par eux.

TITRE X. — des députations provinciales et des ayuntamientos.

82. — Dans chaque province il y aura une députation provinciale, élue suivant la forme déterminée par la loi, et comprenant le nombre de membres indiqués par la loi.

83. — Dans les municipes (pueblos), il y aura des alcades et des ayuntamientos. Les ayuntamientos seront nommés par les habitants à qui la loi aura conféré ce droit.

84. — L’organisation et les attributions des députations provinciales et des ayuntamientos seront régies par des lois spéciales[9]. — Ces lois reposeront sur les bases suivantes : — 1° Gouvernement et direction des intérêts particuliers de la province et du municipe par les assemblées provinciale et municipale ; — 2° Publication des budgets, comptes et résolutions de ces assemblées ; — 3° Intervention du Roi, et des Cortès s’il y a lieu, pour empêcher que les députations provinciales et les ayuntamientos ne sortent de leurs attributions au préjudice des intérêts généraux et permanents ; — 4° Détermination des droits de ces différentes assemblées en matière de finance, afin que les provinces et les municipes ne se mettent pas en opposition avec le système fiscal de l’État.

TITRE XI. — des contributions.

85. — Tous les ans, le gouvernement présentera aux Cortès le budget général des dépenses de l’État pour l’année suivante, l’exposé des voies et moyens pour y faire face ; ensemble, le compte rendu des recouvrements opérés des deniers publics et de leur emploi, pour être soumis à leur examen et à leur approbation. — Si la loi de finances ne peut être votée avant le premier jour de l’année budgétaire, on se conformera à la loi de finances antérieure, pourvû qu’elle ait été discutée et votée par les Cortès et sanctionnée par le Roi.

86. — Le gouvernement devra être nécessairement autorisé par une loi pour disposer des propriétés de l’État, et faire un emprunt national.

87. — La dette publique est placée sous la sauvegarde spéciale de la nation.

TITRE XII. — de la force militaire.

88. — Les Cortès fixeront tous les ans, sur la proposition du Roi, les forces militaires permanentes de terre et de mer[10].

TITRE XIII. — du gouvernement des provinces d’outre-mer.

89. — Les provinces d’outre-mer seront régies par des lois spéciales. Mais le gouvernement est autorisé à leur appliquer les lois promulguées ou qu’il promulgue pour la péninsule, avec les modifications qu’il juge nécessaire, à charge d’en rendre compte aux Cortès. — Cuba[11] et Porto-Rico seront représentées aux Cortès du royaume dans la forme déterminée par une loi spéciale, qui pourra être différente pour chacune de ces deux provinces[12].

Article transitoire. — Le gouvernement déterminera l’époque et le mode suivant lequel l’ile de Cuba enverra des représentants aux Cortès.


  1. Loi du 10 janvier 1879 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique (traduite dans l’Annuaire 1880, p. 412).
  2. Loi du 8 janvier 1879 sur l’exercice de la liberté de la presse (traduite dans l’Annuaire 1880, p. 398).
  3. Loi du 15 juin 1880 sur le droit de réunion (traduite dans l’Annuaire 1881, p. 342).
  4. Loi électorale du 8 février 1877 (traduite dans l’Annuaire 1878, p. 429). — Les 180 membres élus du Sénat se décomposent ainsi : 9 membres élus par le clergé, 6 par les Académies, 10 par les dix Universités, 5 par les sociétés économiques, et 150 par les députés provinciaux, et les délégués nommés par les municipalités avec l’assistance des plus fort imposés en nombre quadruple.
  5. La loi sénatoriale du 8 février 1877 contient quelques dispositions sur le mode de recrutement de la portion non élue du Sénat. Les vacances qui se produisent dans cette portion du Sénat peuvent être comblées par le Roi, s’il n’y a pas de candidats qui sollicitent leur entrée au Sénat par droit propre (art.21 de la Constit.). Ceux qui se trouvent dans ce dernier cas, lorsqu’est atteint le nombre de 180 fixé pour les sénateurs non élus, doivent attendre, pour être admis qu’une vacance se produise. S’il y a plusieurs candidats, ils sont admis dans l’ordre établi par l’art. 21 de la Constitution (art. 60 et 61, loi sénatoriale).
  6. La Constitution de 1869 avait établi en Espagne le suffrage universel. Ce système fut abandonné après la restauration d’Alphonse XII, et une loi provisoire du 20 juillet 1877 (Annuaire 1878, p. 443) remit en vigueur les principales dispositions de la loi électorale du 18 juillet 1865 qui établissait un cens électoral. La loi électorale définitive porte la date du 28 décembre 1878 (traduite dans l’Annuaire 1879, p. 353). Cette loi comprend 148 articles. Le nombre total des députés est fixé à 431, y compris ceux des colonies. Indépendamment des députés attribués à chaque district, la Chambre doit admettre, jusqu’à concurrence de dix, les candidats qui sans avoir été élus dans aucun district, ont obtenu, dans plusieurs districts, réunis, des votes s’élevant à plus de 10.000 (système cumulatif). — Sont électeurs : 1° tous les Espagnols, âgés de 25 ans, et payant 25 pesetas d’impôt foncier ou 50 pesetas de contributions industrielles (1 peseta = 1 fr. 08 c.) ; 2° neuf catégories de capacités.
  7. Loi du 7 mars 1880 sur les incompatibilités parlementaires.
  8. Loi du 26 juin 1876 fixant la dotation du roi (7 millions de pesetas) et de la maison royale. — Loi du 13 novembre 1879 fixant la dotation de la reine d’Espagne (430.000 pesetas).
  9. Loi municipale et provinciale du 16 décembre 1876 (analysée dans l’Annuaire 1877, p. 428), modifiant la loi du 20 août 1870. Loi du 9 décembre 1881 sur l’administration provinciale organique. Loi provinciale du 29 août 1882.
  10. Loi du 29 novembre 1878 sur l’organisation de l’armée (analysée dans l’Annuaire 1879, p. 333). Loi de 1882 sur le recrutement militaire.
  11. L’esclavage a été aboli à Cuba par une loi du 13 février 1880 (v. sa traduction dans l’Annuaire 1881, p. 331).
  12. Loi du 9 janvier 1879 réglant l’élection des sénateurs dans les îles de Cuba et de Porto-Rico.