Constitution de la Principauté de Monaco de 1911

Pour les autres éditions de ce texte, voir Constitution de Monaco.

Principauté de Monaco
Journal de Monaco n°2745, du 7 Janvier 1911
(p. 4-6).
LOI CONSTITUTIONNELLE
portant
Organisation de la Principauté de Monaco

Nous, ALBERT Ier,
par la grâce de dieu,
prince souverain de monaco,

Avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité souveraine, accordé et accordons à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, l’organisation constitutionnelle qui suit :

TITRE PREMIER
Le Prince, le Territoire, le Domaine.

Article premier. — La Principauté de Monaco forme un État indépendant.

Art. 2. — La, liberté et la Souveraineté du Prince sont telles qu’elles ont été reconnues et consacrées de tous temps par les traités internationaux, notamment par les traités conclus entre la France et la Principauté le 14 septembre 1641 et le 2 février 1861.

Art. 3. — Le domaine public de la Principauté est constitué par prélèvement sur le domaine privé du Prince. Il est inaliénable et imprescriptible.

Font partie du domaine public les rues, places et chemins de la Principauté sous la condition qu’ils demeureront toujours affectés à la circulation publique, et exception faite des rues et chemins qui sont le prolongement de routes françaises.

En font également partie, en sus des immeubles dont il est parlé aux articles 432 et 433 du Code civil, les terrains et bâtiments qui seront énumérés dans l’ordonnance qui sera rendue par le Prince dans un délai de trois mois en exécution des présentes.

Art. 4. — Le Prince pourvoit aux besoins de la Principauté, à l’aide des recettes, revenus et produits du domaine privé ou public, réel ou incorporel.

Les dépenses de la Principauté sont divisées en deux parties :

La première partie intitulée Services Consolidés comprend les « Dépenses de Souveraineté », savoir notamment les charges de la famille princière, de la maison du Prince avec tout ce qui s’y rapporte, les dotations, les pensions, les frais du Gouvernement, de la Représentation diplomatique, de la Sûreté publique, des Cultes, de la Justice et autres analogues.

La deuxième partie intitulée {{sc|Services Intérieurs comprend :

1o Les Dépenses d’intérêt national déterminées à l’article 33 de la présente Constitution ;

2o Les Dépenses communales.

TITRE II
Les droits publics.

Art. 5. — Les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n’y a pas entre eux de privilèges.

Sont Monégasques :

1o Tout individu né, dans la Principauté ou à l’étranger, d’un père Monégasque.

L’enfant naturel, dont la filiation est établie pendant sa minorité par reconnaissance ou par jugement, suit la nationalité de celui de ses parents à l’égard duquel elle a été d’abord constatée. Si elle résulte, à l’égard du père et de la mère, d’actes ou de jugements concomitants, l’enfant suit la nationalité du père.

2o La femme étrangère qui épouse un sujet Monégasque.

3o Tout étranger naturalisé.

La naturalisation est accordée par Ordonnance souveraine après enquête sur la moralité et la situation du postulant.

Peuvent être naturalisés :

a) L’étranger qui justifie d’une résidence de dix années dans la Principauté, après qu’il a atteint l’âge de vingt et un ans accomplis.

b) L’étranger qui a obtenu du Prince l’autorisation d’établir son domicile dans la Principauté, conformément à l’article 13 du Code civil, après trois ans de domicile à dater de la promulgation de l’Ordonnance d’autorisation.

Il n’est pas porté atteinte aux droits acquis jusqu’à ce jour.

Art. 6. — La liberté individuelle est garantie. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit.

Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures.

Art. 7. — Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi.

Art. 8. — Le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit.

Art. 9. — La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité.

Art. 10. — La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés.

Art. 11. — Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos.

Art. 12. — Les Monégasques ont le droit de se réunir paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police.

Art. 13. — Chacun a le droit d’adresser aux autorités publiques des pétitions, signées par une ou plusieurs personnes.

Art. 14. — Un Tribunal Suprême est institué pour statuer sur les recours ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le présent titre.

TITRE III
Le Gouvernement.

Art. 15. — Le Gouvernement de la Principauté est exercé, sous la haute autorité du Prince, par un Ministre d’État, assisté d’un Conseil.

Art. 16. — Le Ministre d’État représente le Prince ; il est spécialement chargé des relations extérieures de la Principauté ; il a la disposition de la force publique ; il dirige les services judiciaires ; il préside, avec voix prépondérante, le Conseil de Gouvernement ; il préside aussi le Conseil d’État.

Art. 17. — Le Conseil de Gouvernement comprend, sous la présidence du Ministre d’État, trois conseillers, nommés par le Prince, et placés chacun à la tête d’un des trois départements suivants :

1o Intérieur (Police générale, Sûreté publique, Instruction publique et Beaux-Arts, Cultes, Hôpitaux et Établissement de bienfaisance, Tutelle administrative des Communes).

2o Finances (Budget national, Enregistrement, Administration du fonds de réserve, Domaines, Trésorerie, Perceptions diverses, Rapports avec les sociétés à monopole, Tutelle financière des Communes).

3o Travaux Publics et Affaires diverses (Voirie et travaux publics, Hygiène et salubrité publique, Port).

Art. 18. — Des Chambres ou Comités techniques pourront être institués par Ordonnance du Prince pour seconder les Conseillers de Gouvernement dans l’exercice de leurs attributions.

TITRE IV
Le conseil d’État.

Art. 19. — Le Conseil d’État comprend le Ministre d’État, président ; le Secrétaire d’État, les trois Conseillers de Gouvernement, le premier Président de la Cour d’appel et le Procureur général.

Art. 20. — Le Conseil d’État est chargé de la préparation des projets de lois et d’ordonnances qui seront soumis à son examen par le Prince ; il examine, prépare, chaque année, et fait approuver par le Prince le projet de budget des dépenses de la Principauté.

TITRE V
Le Pouvoir Législatif.

Art. 21. — Le pouvoir législatif est exercé par le Prince et par un Conseil national.

Art. 22. — Le Conseil national se compose de vingt et un membres élus pour quatre ans, au suffrage universel direct, et au scrutin de liste pour toute la Principauté.

Art. 23. — Le bureau du Conseil national comprend un président et un vice-président, choisis chaque année par le Prince parmi les membres du Conseil.

Art. 24. — Le Conseil national arrête son règlement intérieur qui doit être approuvé par le Prince.

Art. 25. — Le Conseil national se réunit, chaque année, en deux sessions ordinaires, en mai et en octobre, sur la convocation du Gouvernement princier.

Chacune de ces sessions aura au plus une durée de quinze jours.

Art. 26. — Le Prince prononce la clôture des sessions. Il peut aussi convoquer le Conseil en sessions extraordinaires.

Art. 27. — Le Prince peut, après avoir pris l’avis du Conseil d’État, prononcer la dissolution du Conseil national ; dans ce cas, il sera procédé à la nouvelle élection dans le délai de trois mois.

Art. 28. — Le Prince communique avec le Conseil national par des Messages qui sont lus par le Ministre d’État.

Art. 29. — Le Ministre d’État et les Conseillers de Gouvernement ont leurs entrées et leurs places réservées au Conseil national. Ils doivent être entendus quand ils le demandent.

Art. 30. — L’initiative et la sanction des lois appartiennent au Princes. Le Prince leur confère la force obligatoire par une promulgation.

Art. 31. — Le Conseil national a la faculté de demander au Prince de proposer une loi sur un sujet déterminé, mais en indiquant, sous forme d’avant-projet, notamment en matière de travaux, les dispositions qui pourraient y trouver place, et les voies et moyens d’exécution.

Art. 32. — Aucune contribution directe ne peut être établie que sur le vœu du Conseil national.

Art. 33. — Les dépenses soumises aux délibérations du Conseil national concernent :

1o Les Travaux publics ;

2o Les services de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ;

3o Les services hospitaliers, d’Hygiène, de, Bienfaisance.

Art. 34. — Il sera pourvu à ces dépenses au moyen de crédits prélevés sur les ressources générales de la Trésorerie.

Lorsque les opérations budgétaires auront laissé des reliquats disponibles sur les prévisions, ces reliquats, au lieu de tomber en annulations de crédits, seront versés dans un fonds de réserve, à la formation initiale duquel le Prince contribue par un don de un million de francs.

Art. 35. — Le Conseil national détermine, au cours de la session d’octobre et pour l’exercice commençant le premier janvier suivant, les sommes qui pourront être laissées à la disposition des Conseils communaux, en vue des services des travaux et des dépenses d’intérêt local, rentrant dans leurs attributions.

Art. 36. — Dans le cas où le budget des dépenses de la Principauté n’aurait pas été arrêté en temps utile par le Conseil national, il y sera pourvu par ordonnance souveraine, en prenant pour base les chiffres de l’année précédente.

TITRE VI
Les communes.

Art. 37. — Le territoire de la Principauté est divisé en trois communes, correspondant aux agglomérations de Monaco, de la Condamine et de Monte-Carlo, et ayant chacune à sa tête un corps municipal.

Art. 38. — Le Corps municipal se compose, dans chaque commune, d’un Conseil communal, d’une maire et d’un adjoint.

Art. 39. — Le Conseil communal comprend neuf membres, élus pour trois ans, au suffrage universel direct, et au scrutin de liste.

Il n’existe aucune incompatibilité entre le mandat de Conseiller communal et celui de Conseiller national.

Art. 40. — Le conseil communal se réunit, tous les trois mois, en session ordinaire. La durée de chaque session ne peut se prolonger au delà de huit jours.

Art. 41. — Des sessions extraordinaires peuvent en outre être tenues sur la réquisition ou avec l’autorisation du Ministre d’État pour des objets déterminés.

Art. 42. — Les Conseils communaux peuvent être dissous par arrêté du Ministre d’État, après avis du Conseil d’État.

Art. 43. — En cas de dissolution d’un Conseil communal, une délégation spéciale est chargée par le Ministre d’État d’en remplir les fonctions jusqu’à l’élection d’un nouveau Conseil. Il est procédé à cette élection dans les trois mois.

Art. 44. — Le Conseil communal est présidé par le maire, ou, à défaut, par l’adjoint ou le conseiller qui le remplace suivant l’ordre du tableau.

Art. 45. — Le Conseil communal délibère sur les affaires de la commune. Ses délibérations communiquées au Ministre d’État, sont exécutoires dix jours après cette communication, sauf opposition de sa part.

Art. 46. — Le Conseil communal statue de la manière prévue à l’article précédent sur les matières ci-après :

1o Organisation et fonctionnement des services locaux ; règlements de police municipale locale, d’hygiène, de prévoyance sociale locale ;

2o Projets de nivellement et d’alignement de la voie publique dans l’étendue de la commune ;

3o Projets de construction d’édifices communaux ;

4o Budget communal.

Art. 47. — Le budget de la commune est alimenté par le produit des propriétés communales et par les sommes mises, chaque année, par le Conseil national à la disposition de la commune.

Art. 48. — Le maire et l’adjoint sont élus par le Conseil communal, parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages. Cette élection doit avoir lieu dans le mois qui suit celle du Conseil communal.

Si, après deux scrutins, aucun candidat n’a obtenu la majorité requise, il est procédé à un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui ont réuni le plus de suffrages.

En cas d’égalité, le plus âgé est nommé.

La séance dans laquelle l’élection a lieu est présidée par le plus âgé des membres présents du Conseil communal.

Art. 49. — Le maire est l’agent de l’Autorité supérieure pour l’exécution des lois et règlements. Il est l’agent et le représentant de la Commune pour la conservation et l’administration de ses propriétés, pour l’exécution des délibérations du Conseil communal, et pour la direction des services municipaux. Il représente la commune en justice. Il est officier de l’état-civil.

En cas d’absence ou d’empêchement, le maire est remplacé par l’adjoint, ou, à son défaut, par un conseiller communal en suivant l’ordre du tableau.

Art. 50. — Jusqu’à concurrence des sommes allouées au Conseil communal, il sera ouvert des crédits au maire en sa dite qualité, à la Trésorerie de la Principauté.

Art. 51. — Le maire seul peut délivrer des mandats payables à la Trésorerie, dans la mesure de ces crédits, soit à son nom, soit au nom de toute autre personne.

Néanmoins, s’il refusait de mandater une dépense régulièrement autorisée et liquide, il y serait pourvu par le Ministre d’État dont l’arrêté tiendrait lieu de mandat du maire.

Art. 52. — Les comptes de l’administration financière du maire pour l’année écoulée sont par lui présentés au Conseil communal au début de l’année nouvelle.

Ils devront être soumis à l’approbation du Ministre d’État.

Art. 53. — Dans le cas où le maire refuserait ou négligerait de faire un des actes de sa fonction, le Ministre d’État peut, après l’en avoir requis, y procéder d’office.

Art. 54. — Le maire et l’adjoint peuvent être suspendus pour deux mois par arrêté du Ministre d’État.

Ils peuvent être révoqués par arrêté du Ministre d’État, rendu après avis du Conseil d’État.

Le maire ou l’adjoint révoqué cessera de faire partie du Conseil communal et ne pourra y être réélu qu’après un délai de trois ans.

Art. 55. — Sont maintenues en tant qu’elles ne sont pas contraires à la présente Constitution les dispositions des Ordonnances Souveraines sur la Police Municipale du 11 juillet 1909, et de l’Ordonnance sur le Conseil communal du 7 mai 1910.

Art. 56. — À moins de dispositions nouvelles, les conditions d’électorat et d’éligibilité, la formation des listes, les opérations électorales, tant pour les Conseils Communaux que pour le Conseil national, demeurent réglées par les articles 6 à 75 de l’Ordonnance du 7 mai 1910.

Une Ordonnance du Prince déterminera les conditions dans lesquelles les femmes seront admises à prendre part à l’élection des Conseils communaux, — sous réserve d’une extension ultérieure de leur capacité qui serait également réglée par Ordonnance.

Pareille réserve est faite relativement à l’établissement de la représentation proportionnelle.

TITRE VII
La Justice.

Art. 57. — Aucune modification n’est apportée à l’organisation judiciaire actuelle de la Principauté, telle qu’elle résulte de l’Ordonnance du 18 mai 1909.

Art. 58. — Le Tribunal Suprême institué par l’article 14 de la présente Constitution est composé de cinq membres nommés par le Prince, savoir : un membre présenté par le Conseil d’État ; un, par le Conseil national ; deux, par la Cour d’Appel ; un, par le Tribunal Civil de première instance.

Ces présentations sont faites par chacun des corps ci-dessus désignés, à raison de deux pour un siège.

Disposition générale.

Les détails d’applications seront réglés par Ordonnances du Prince, rendues conformément aux principes de la présente loi constitutionnelle.

Disposition transitoire.

La présente Constitution entrera en vigueur aussitôt après les élections du Conseil national et des Conseils communaux. Ces élections auront lieu au plus tard au mois d’avril 1911.

Jusqu’à la mise en vigueur de la Constitution, le Conseil communal continuera ses fonctions dans les conditions légales des Ordonnances qui l’ont institué.

Donné à Paris, le 5 janvier 1911.
ALBERT.

Par le Prince :

Le Secrétaire d’État,

Fr. Roussel.