Consolations de la vieillesse


CONSOLATIONS
DE LA VIEILLESSE


Air du pas des Trois Cousines (dans la Dansomanie).


Quand des ans la fleur printanière
S’effeuille sous les doigts du temps,
Poursuivons gaîment la carrière ;
Un bel hiver vaut un printemps.

Pour moi l’impitoyable horloge
A soixante fois retenti :
Mais s’il faut que l’amour déloge,
Momus n’est pas encor parti.
    Quand des ans, etc.

J’aimais les couleurs de Rosine,
J’aime les couleurs du raisin,
Je trinquais avec ma voisine,
Je m’enivre avec mon voisin.
    Quand des ans, etc.

Chez moi plus de tendres missives ;
Mais lorsque je veux rajeunir,
Je relis mes vieilles archives,
Et j’y retrouve un souvenir.
    Quand des ans, etc.

Au sopha, trône des caresses,
Succède un couvert toujours mis ;
Aux baisers de jeunes maîtresses,
La gaîté de bons vieux amis.
    Quand des ans, etc.


À ma voix ma jument normande
Ne lutte plus avec le vent ;
Mais Pégase, que je gourmande,
Me désarçonne encor souvent.
    Quand des ans, etc.

Sur le galoubet, en cadence,
J’aime parfois à m’exercer,
Et j’ai du moins si je ne danse,
Le plaisir de faire danser.
    Quand des ans, etc.

Si mon luth, sous ma main tremblante,
Ne produit plus que de vains sons,
De ma fille la voix naissante
Rajeunit mes vieilles chansons.
    Quand des ans, etc.

Quand je bronche en suivant des belles,
Chloé rit et me montre au doigt ;
Mais sa mère eut de mes nouvelles,
Et sait bien que je marchais droit.
    Quand des ans, etc.

Hier, voulant tenter une intrigue,
Tout-à-coup ma force expira ;
De ce soufflet, nouveau Rodrigue,
C’est mon fils qui me vengera.
    Quand des ans, etc.

Sachons donc de la destinée
Sous les fleurs amortir les coups,
Et qu’à leur soixantième année,
Nos enfants chantent comme nous :


Quand des ans la fleur printanière
S’effeuille sous les doigts du Temps,
Poursuivons gaîment la carrière ;
Un bel hiver vaut un printemps.