G. Lebaucher, Libraire-éditeur, Montréal, 1899.
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III


Pour une telle maîtresse, mon maître se passionna de tête, et moi des muscles. Nous trouvâmes interminables les moments passés loin d’elle. De son côté, elle nous rendit la pareille. Les deux amants, animés d’aussi tendres dispositions, négligèrent le travail. Julien étudiait son droit. Ses parents lui servaient une pension mensuelle de trois cents francs. Ce n’était pas suffisant pour entretenir une femme de l’élégance et de la gentillesse de Clotilde. Cependant, ils songèrent sérieusement à se réunir, Clotilde en abandonnant le toit paternel où elle continuait d’habiter, mon maître en délaissant ses cours. Un événement inattendu se jeta en travers de ce beau projet. Coup sur coup, le père et la mère de Clotilde moururent à deux mois d’intervalle, laissant à leur fille une somme de vingt mille francs, reliquat d’une ancienne et rondelette fortune, perdue à la bourse. Ce petit héritage apparut comme une mine d’or inépuisable. Clotilde abandonna le magasin de pianos, s’installa très coquettement, et s’arrangea pour avoir une année d’existence assurée avec le solde de ses vingt mille francs. Elle voulait que Julien habitât avec elle. Par un restant d’honnêteté sociale, mon maître refusa, promettant néanmoins à sa maîtresse de lui consacrer tout son temps. Elle versa quelques larmes, puis se soumit à sa volonté. Je crois que, déjà, une arrière-pensée germait dans son esprit. Pourquoi ne s’épousaient-ils pas ? Par la raison toute simple que les parents de Julien n’auraient pas donné leur consentement, et qu’ils se seraient empressés de supprimer la pension. On a beau être amoureux, il faut bien calculer, puisque les lois de la sage humanité l’exigent. À user sans répit des mêmes mets succulents, l’estomac s’affadit. Le même phénomène se produit en amour. Non pas que Julien et Clotilde se dégoûtassent des jolis exercices auxquels ils se livraient, mais parfois la fatigue survenait, et ils s’endormaient ans réaliser les folies espérées. La femme possède en passion plus de sang-froid que l’homme. Clotilde comprit que son amour courait du danger, et comme elle tenait à son amant, elle le rationna, sous le prétexte qu’elle n’entendait pas porter tort à son avenir, et qu’il importait qu’il continuât ses études. Mon maître avait reçu des lettres menaçantes de sa famille, il se résigna. Du reste, eut-il insisté, que bien des fois il n’aurait pas rencontré Clotilde au bercail, celle-ci sortant pour se promener, ou chercher des élèves, car elle s’était résolue à professer la musique. À partir de ces séparations plus ou moins longues, les conversations se ressentirent d’un changement de direction dans les idées. On se lança moins dans les tirades amoureuses, dans les serments et les protestations de toujours s’aimer, on se complut davantage dans l’extatique languissance qui précédait le plaisir, on échangea ses impressions sur la vie des uns et des autres, on échafauda des projets de fortune, de bonheur, on examina les moyens de satisfaire ses fantaisies. La bourse de Clotilde diminuait dans de redoutables proportions. Elle forgeait mille rêves pour remédier à la pénurie d’argent qui approchait, elle parlait des gens qui l’accostaient dans la rue et dont elle se moquait, elle avançait cette énormité qu’elle adorerait bien son petit Julien s’il avait assez d’amour et de raison pour consentir à ce qu’elle choisisse un vieux qui l’aiderait. Mon maître s’échauffait l’esprit à la dissuader de telles lubies, il se désolait, elle le comblait de caresses, de câlineries, de chatteries, et murmurait :

— Dis, mon amour, il y a un gros banquier qui m’a fait offrir tout ce que je désirerais, rien que pour me voir toute nue. Quel crime y aurait-il à ce qu’il me contemplât une seconde. Adieu les soucis qui me tourmentent. Tu ne te doute pas combien on contente avec peu les idées cochonnes de ces vieux richards.

— Qui te l’a appris ?

— Je l’ai entendu raconter par une employée du magasin.

À la pensée qu’un autre homme admirerait ces trésors qui m’appartiennent, la folie me bouleverse l’esprit.

— Sois raisonnable, mon chéri. Si tu m’aimais bien sérieusement, tu craindrais la misère pour ta Titilde. Dis, ne m’aimes-tu qu’en égoïste ! Vois-tu, je te connais mieux que tu ne te connais. Je suis certaine que tu te consolerais vite, en te disant qu’un autre homme a admiré des richesses dont tu es le seul à jouir. Tu serais flatté, et m’aimerais encore plus.

— Dès qu’il t’aura vue, il demandera à te toucher.

— À me toucher ! Du moment où je ne le toucherai pas, où je serai comme une morte, qu’importe ! Si tu étais aussi ardent à mon égard que je le suis au tien, tu accepterais, ne serait-ce que pour entendre dire le bien qu’on penserait de mon corps.

— Je ne l’entendrais pas.

— Si fait. Un mot d’assentiment de ta part, et sous un prétexte quelconque, je te présenterai le banquier, auquel on aura raconté une histoire préparée à l’avance. Je me sens assez habile pour inventer une fable qui t’empêchera de me quitter une seule minute.

Elle tourna tant et si bien que mon maître consentit à se prêter à l’expérience. Clotilde donna un rendez-vous au banquier, en le prévenant que si par hasard Julien était là, elle s’arrangerait pour qu’ils fassent connaissance ensemble ; ainsi il la rencontrerait ensuite plus facilement seule. Le gros homme ne manqua pas l’occasion. La fine mouche de Clotilde, étendue sur une coucheuse, connaissant l’heure exacte où Chrétien Swenderberg arriverait, avait arrangé son scénario, sans en prévenir mon maître. Simulant un demi-assoupissement après avoir bien excité son amant, elle retenait entre les cuisses, sous la matinée à peine relevée, la main de Julien qui lui grattait le bouton.

La servante annonça soudain :

— Monsieur Chrétien Swenderberg.

Clotilde serra les cuisses pour que Julien ne retirât pas la main, et ordonna qu’on introduisit le visiteur, en murmurant à la hâte et tout bas à mon maître :

— Ne le renvoyons pas. Assieds-toi à mes pieds, et laisse ta main où elle se trouve. Il comprendra ainsi combien je t’aime, et il deviendra notre ami.

Très pâle, très décontenancé, Julien n’osa pas refuser. Il lut dans les yeux de sa maîtresse qu’elle était décidée à tout braver, et il craignit de la perdre. Oh, Messieurs les hommes, avec toute leur fermeté, leur énergie, leur virilité, leur dignité, sont tous des lâches, quand ils tombent sous les jupes d’une femme !

Le banquier entra. Son teint rouge, couperosé, rendu écarlate par la vue du tableau qu’on lui offrait, contrasta avec celui de Julien, aussi blanc que son linge. Tout embarrassé de la situation, il s’assit guindé, raide comme la justice, sur une chaise, à côté de la coucheuse, et la conversation s’engagea.

Clotilde se plaignit d’un violent mal à la tête que calmait seul le magnétisme de mon maître, s’attaquant à ses jambes et favorisant ainsi la circulation du sang. Dans le but d’aider à sa guérison, elle allongea l’une d’elles sur les genoux de Julien, et eut soin, la coquine, de dégager le mollet de dessous le peignoir, afin de l’étaler aux regards avides de Chrétien. Ce mollet, nettement tracé, bien, cambré, bien affriolant, sous des bas de soie rose, exerça de suite la fascination qu’en attendait la coquette.

— Nous vous traitons déjà en ami, balbutia-t-elle dans un souffle, j’espère que nous le serons bientôt.

— Oh, j’y suis tout disposé, répliqua le banquier.

Il renifla comme un phoque, et, suant sang et eau, il comprit qu’une partie importante se jouait dans l’intérêt de la passion qu’il avait vouée à Clotilde. Sous cette intuition, il décida de se contenter des miettes qu’on lui servirait.

La belle ajouta ces quelques mots :

— Ma tête, ma pauvre tête, comment la soulager ? Ah, mon dieu, si je sommeillais une seconde, peut-être le mal se calmerait-il ! Dites, Monsieur, causez avec Julien, je me tourne vers le mur pour que le jour ne m’incommode pas, je suis assurée d’être guérie avant que vous nous quittiez ? Vous me le permettez, n’est-ce pas ?

— Certainement, chère Madame, je suis vraiment confus de la bonté que vous avez eue en me recevant.

Clotilde tourna le dos avec assez d’habileté, et dit à voix imperceptible à son amant.

— Montre lui mon cul, il sera tout plein joyeux.

Dans la culotte de Julien je bondissais, frémissant, aspirant à ma curée.

Un moment indécis, mon maître se rendit compte qu’il fallait sauver la situation, très énervante, malgré tout, il cligna des yeux au banquier, un de ces clignotements intelligents qui signifiait :

— Mon cher, vous n’avez pas comme moi la main aux fesses de la belle, et je vous dois une compensation. Ma maîtresse dort sous la douleur que lui occasionne sa migraine, je vais vous récompenser. Ne faites pas de bruit, et suivez avec attention mes mouvements. J’espère que vous serez discret. Quand à moi, je ne suis pas fâché de vous montrer les trésors sur lesquels règne mon amour.

Chrétien Swenderberg, la face épanouie, saisissant qu’il avait affaire à un bon zig, ouvrit des yeux aussi perçants que la lumière d’un phare, et Julien commença la manœuvre. Doucement, il ramena les jupes de sa maîtresse vers la ceinture, la retroussa avec adresse, et étala aux regards concupiscents de son rival les délicieuses et superbes rotondités que je considérais comme une province de mon empire. Ô perfidie de mon maître ! Lancé sur cette voie, il ne s’arrêta plus.

Clotilde connaissait bien la crasse bêtise qui gît au fond de l’âme d’un homme. Les regards admiratifs et passionnés du banquier le ravirent d’aise, loin de lui inspirer de la jalousie. On eût dit, ma parole, que ce cul de femme était le sien, et que le frémissement sensuel qu’il inspirait à l’homme, appelé à le contempler lui revenait de droit. Pris d’une sympathie subite pour ce goinfre de cochonneries, il l’invita à s’agenouiller et à baiser ces chairs blanches et rembourrées, mon bien, ma propriété. Le bandit ne se fit pas prier. Comme une masse il roula sur le tapis, ses grosses lèvres lippues parcoururent toute la raie, la belle entrouvrit un coin de l’œil, sourit à mon maître debout au haut de la coucheuse et paraissant savourer le spectacle. Je n’y tins pas davantage, et d’indignation le foutre me partit, inondant toute la culotte du traître Julien. Le scélérat voguait en aussi pleine béatitude que Chrétien, dont le visage empourpré ressortait sur la blancheur du cul qu’il dévorait de suçons.

— Merci, merci, murmura-t-il tout bas à Julien.

Le cul de Clotilde, comme s’il n’eut attendu que ce remerciement, s’arrondit, se développa, ondula, sans que l’homme, absorbé dans ses caresses, s’en aperçut. Clotilde n’observait presque plus de mesure. Les yeux ouverts et fixés sur ceux de Julien, elle élevait et abaissait la croupe, suivant les désirs de Chrétien, dont les mains la pelotaient sans opposition de la part des deux amants. Elle s’excita au jeu, étendit avec nonchalance une main vers ses jupes, les retroussa par devant et souffla à mon maître :

— Maintenant, qu’il me branle !

Le tableau hypnotisait le maroufle ! Il s’approcha de Chrétien Swenderberg, et lui guida le doigt sur le bouton de sa belle. Le pauvre sire eût une pâmoison. La face collée contre ces fesses qui se prêtaient si bien à sa fantaisie, il agita avec fièvre son index entre les cuisses de la charmante sirène qu’on lui livrait, le glissa dans le conin, ce conin jusqu’alors mon sanctuaire aimé, et parvint à faire jouir la voluptueuse créature. Quand le plaisir fût à son comble, Clotilde referma les yeux, non sans indiquer à mon maître par un signe rapide qu’elle allait simuler le réveil, et qu’il s’agissait de reprendre les positions respectives. L’animal éprouva du regret à l’interruption de cette débauche. Ô les hommes ! Il toucha cependant le banquier à l’épaule, lui montra que Clotilde venait de porter la main à son front, que sans doute son sommeil cessait, et qu’il importait d’interrompre cette partie pour éviter une bouderie, ou une fâcherie. Le même phénomène que j’avais valu à la culotte de Julien : s’était produit dans celle de Chrétien. Il se soumit sans difficulté à la prière de mon maître, se rassit sur sa chaise, et Julien, d’un brusque mouvement rajusta de façon décente le peignoir de Clotilde. Elle s’éveilla comme si elle sortait d’un doux rêve.

— Oh, dit-elle, ma migraine s’est dissipée ; vous avez été bien gentils, vous avez causé bas, je compte bien, Monsieur Swenderberg, qu’un de ces soirs vous nous procurerez le plaisir de vous avoir à dîner.

Le bon homme s’inclina en signe d’acquiescement, on parla de la pluie et du beau temps, et il se retira. Je l’avoue à ma honte, dès qu’il eut tourné les talons, les bras de Clotilde s’étant ouverts à mon maître, je tirai là un des plus beaux coups de mon existence.