Concerts divers/19 mars 1937

CONCERTS DIVERS


Le Triton (8 mars). — Parmi les œuvres données en première audition, il en est une qui se détache, qui en douterait ; c’est le Quatuor no 2 d’Arthur Honegger, un Honegger épuré, clair d’intentions, presque simple de forme, qui laisse admirer à loisir la constante grandeur d’une inspiration qui est sans doute la plus belle de notre temps. La première audition laisse en particulier sur le souvenir de cet Adagio d’une gravité religieuse, dont il serait beau d’étudier à loisir l’architecture.

Les sept Haï-Kaïs de M. Maurice Delage, que chanta Mme Madeleine Grey, se signalent par l’esprit et la fraîcheur. L’auteur, à coup sûr ne cherchait pas davantage. Il y a plus d’ambition dans les Danceries de M. Claude Delvincourt, mais l’auteur semble s’être laissé plutôt séduire par des formules, et la verve de ses Cinq pièces n’apparaît que comme un exercice de l’intelligence. La virtuosité de M. Roland Charmy, qu’accompagnait l’auteur, y trouvait du reste ample matière. Dirons-nous que nous préférons à ces élégances d’artiste la gauloiserie faubourienne de la Fête de M. Emile Passani, qui n’épargne pas les cocasseries de sonorités et d’écriture et qui, dans sa bonhomie un peu grosse, atteste une sorte de vrai tempérament. Mlle Marguerite Pifteau s’y tailla un succès. Quant au Quatuor de M. Jean Français, il nous apporta les joies mesurées et les déceptions auxquelles cet auteur nous a accoutumés ; c’est le triomphe de la facilité dans les cadres traditionnels.

Michel-Léon Hirsch.

Association Florence Blumenthal. — Une matinée artistique qui avait lieu au théâtre de l’Odéon était consacrée à quelques poètes et musiciens lauréats de cette fondation américaine « pour la Pensée et l’Art français ». Des poèmes d’André Berry, Eugène Dabit, Marcel Sauvage, Paul Haurigot et de bien d’autres encore, furent interprétés par des artiste de l’Odéon et de la Comédie-Française. La partie musicale était brillamment représentée avec : Georges Migot (Livre des Danceries) ; Manuel Rosenthal, dont les fragments du charmant opéra-bouffe, Rayon de Soieries furent très finement détaillés par Mme Vera Peeters, MM. Rousseau et Balbon ; P.-O. Ferroud (Trio en mi pour clarinette, hautbois et basson, remarquablement joué par le Trio d’Anches de Paris) ; enfin Marcel Delannoy qui, avec son Quatuor à cordes animé à la perfection par le Quatuor Calvet, nous donne une des manifestations les plus heureuses de son talent si personnel.

D.B.

La Sonate (10 mars). — Pour ce groupement, fondé par M. Heinz Jolles, et maintenu, dirigé et animé par lui, voici le deuxième Concert de la deuxième année ; et dans la salle du Conservatoire un public se presse, de plus en plus ample ; non comme à une séance fugitive, mais comme à une de ces rencontres régulières où se façonne une tradition. Tradition d’étude, en effet, et d’approfondissement ; avec la joie des découvertes, en un passé dont ne s’épuisent jamais les surprises. Cette fois il s’agit de Schumann et de Hugo Wolf. Et c’est le Schumann des toutes jeunes années que le jeu ardent et souple de M. Jolles nous fait d’abord ressaisir : celui des Intermezzi, op. 4, et de la fascination par Chopin et par l’enfant prodige Clara Wieck. « Mon repos est perdu », note-t-il au milieu de l’œuvre. Et cette perte de repos, c’est tout ce qui en un corps, en une âme, creusera comme des sillons de « légendes » et d’« images », de « Märchen » et de « Phantasien », toute l’architecture et tout le ravage où un être se crée et se détruit. Jusqu’à la Fantaisie en ut majeur et aux Arabesques, où la précision et la fougue de ce piano vinrent nous conduire. Et aussi jusqu’à ces Märchenbilder, pour alto et piano-forte, si rarement jouées et que M. Henri Benoit, auprès de M. Jolles, nous aida si diligemment à rejoindre.

Pour Hugo Wolf, ce fut Mme Elsa Scherz-Meister qui, toujours avec M. Heinz Jolles, nous permit de suivre les lignes puissantes et contrastées d’un rêve et d’un destin. Seule, faute d’espace, une allusion est ici possible. Mais que ce soit, du moins, signalée l’extrême beauté des deux Lieder retrouvés en 1936 : In der Fremde ; et, le second surtout, Ghazel !

Claude Altomont.