COMPLAINTES AMOUREUSES



I


Doulce dame, vueillez oïr la plainte
De ma clamour ; car pensée destraintte
Par trop amer me muet a la complainte
De mon grief plour
Vous regehir, si ne croiez que faintte[1]
Soit en nul cas ; car friçon, dont j’ay mainte
Et maint grief dueil me rendent couleur tainte
Et en palour.
Chiere dame, dont me vient la dolour,
Par qui Amours trembler, en grant chalour,
Me fait souvent, dont j’ay vie et coulour
Par fois estaintte.
Mon piteux plaint ne tenez a folour,[2]
Pour ce qu’en vous il a tant de valour ;
Car je sçay bien, du dire n’ay coulour.
Mais c’est contrainte.

Dame sanz per, et sanz vous décevoir
Il m’est besoing de vous faire assavoir

De mon tourment amoureux tout le voir ;
Car amours fine
Sy m’y contraint pour faire mon devoir.
Hé ! dame, en qui il a plus de savoir
Qu’il ne pourroit en autre dame avoir,
La droitte mine,
Ou tout bien croist, se comble et se termine.
Helas ! le mal qui occist et affine
Mon dolent cuer et ma vie decline,
Apercevoir
Vueilliez un pou, ou dedens brief termine
M’estuet morir ; se par vous medecine
Je n’ay, par quoy mon malage deffine,
Je mourray voir.

Et mors fusse certes pieça de dueil ;
Mais garison vo trés doulz riant oeil,
Par leur plaisant et gracieux accueil
Si doulcement
Me promettent, quant, en plaisant recueil,
Leur amoureux et trés doulz regart cueil,
Dont torner font souvent en aultre fueil
Mon marrement ;
De nulle part n’ay confort autrement.
Dame, or vueilliez, s’il vous plaist, liement
Et bouche et cuer accorder plainement
A leur doulz vueil,
Et se d’accort ils sont entierement.
Vous m’arez mis et trait hors de tourment.
Et de vivre a tousjours joyeusement
Dessus le sueil.

Mais de mon mal je ne m’ose a nul plaindre ;
Car mieulz morir je vouldroie ou estaindre[3]

Que regehir, tant me sceust on contraindre,
La maladie
Que j’ay pour vous, ne comment j’aim sanz faindre,[4]
Fors seulement a vous que je doy craindre,
Car mesdisans doy doubter et recraindre[5]
Et leur boisdie ;
Mais, fors a vous, n’avendra que le die ;
Quant autrement sera, Dieu me maudie !
Mais, belle, a vous n’est droit que je desdie
Par moy reffraindre
Ce qu’Amours veult que souvent vous redie[6]
Trés humblement a chiere acouardie,[7]
Pour moy garir du mal dont je mendie,[8]
Viegne a vous plaindre.[9]

Helas ! ma trés aourée deesse,
Et ma haulte souveraine princesse,
Ma seule amour, ma dame, ma leece,[10]
Qui reclamer
Me fault souvent en ma poignant destrece.
Ne prenez pas garde a la grant haultece
De vous envers ma foible petitece,[11]
Mais a l’amer
Que j’ay pour vous, qui me fait las clamer.
Et tant de plours et de larmes semer,
Et comment je vous vueil toudis amer
Comme maistrece,
Servir, doubter, obeïr et fermer
En vostre amour, et toudis confermer[12]
A vo bon vueil, sanz ja m’en deffermer,
Pour nulle asprece.

Mais j’ay doubte qu’en vain tant me travail ;
Car je sçay bien, dame, que trop pou vail
Pour si hault bien, et croy bien se g’y fail
Ce yert par despris,
Mais s’il vous plaist a daignier prendre en bail
Mon povre cuer que vous livre et vous bail,
Je sçay de vray que se je ne deffail
Ou mort ou pris,
Que je pourray par vous monter en pris,
En qui tous biens sont parfais et compris,
Et en qui puet a toute heure estre pris,[13]
A droit detail,
Los et honneur ; en quoy seray apris
Par vous, si bien que ne seray repris
D’avoir failli, se je puis, ne mespris,[14]
Se si hault fail.

Ha ! hay dolens ! mais trop me desconforte
Esperance, qui en mon cuer est morte,
Soventes fois, dont trop grief doulour porte
Et trop grant rage,
Quant je repense a la trés haulte sorte[15]
Dont vous estes, par quoy doubt que la porte
D’umble pitié pour mon bien sera torte
Chose et ombrage ;
Mais Amours vient après qui m’assoage
Et me redit par si trés doulz langage
Que jadis ot Pymalion de l’ymage
De pierre forte
Vray reconfort de l’amoureux malage,
Par lui servir de trés loial corage,
Et vraye amour, ouquel trés doulz servage
Tout bien enorte.

Helas ! dame, puis que Pymalion,
Aussi Pirra et Deücalion,
Ains que fondé fust le noble Ylion,
Amolierent
Pierres dures, n’ayez cuer de lyon[16]
Et sanz pitié vers moy ; ains alion
Noz deux vrays cuers et ne les deslion
De leurs jointures
Jamais nul jour pour nulles aventures ;
En loiaument amer soient noz cures,
Et noz amours savoureuses et pures
Apalion,
Si bien que les desloiales pointures
De mesdisans, et leurs fausses murmures,[17]
Ne nous soient ne nuisables ne sures,
Si nous celion.

Et vous vueille, ma dame, souvenir
Que de ce fait ainsi ne puist venir
Com retraire j’oÿ et maintenir
Que il avint
D’un vray amant qu’Amours si voult tenir
En ses durs las et tant lui maintenir,
Que hors du sens lui convint devenir,
Et a tant vint
A la parfin que morir lui convint
Par trop amer, mais pour riens qu’il avint
A sa dame nulle pitié n’en vint,
Ne retenir
Ne le daigna n’en vie soustenir,
Ainçois le voult la crueuse banir
D’environ soy pour lui du tout honnir,
Dont mort soustint.

Mais le dolent amant trés douloreux,
Gitant sangloux et plains mausavoureux,
Quant vint a mort par piteux moz aireux,
D’entente pure
Moult supplia aux dieux a yeulz plureux,
Que de celle qui le tint langoureux,
Par qui moroit dolent maleüreux,
De mort trop sure
Encor vengiez peust estre de l’injure
Qu’elle lui fait, et sentir tel pointure
Lui donnassent que fust com pierre dure,
Mal doulcereux,
Son corps cruel toudis comme estature,[18]
Dont les dames en ycelle aventure
Se mirassent, qui n’ont pitié ne cure
Des amoureux.
A donc fina le las a tel hachée ;
Mais n’ot en vain sa prière affichée ;
Car bien ont puis les dieux sa mort vengée,
Et quant en terre
On le portoit, la felonne approchée
De la biere s’est, lors fut accrochée,[19]
Car tel pitié s’est en son cuer fichée[20]
Et si la serre.
Que, tout ainsi com fouldre chiet grant erre.[21]
Celle enroidi et devint une pierre
De marbre blanc ; encor le puet on querre
La accrochée.
Ainsi les dieux qui aux amans fait guerre
Vengence en font ; pour ce vous vueil requerre
Dame, pour Dieu, qu’en ce vostre cuer n’erre,
Dont mal en chée !

Ne me devez doncques bouter arrière
Combien qu’a moy si haulte honneur n’affiere,[22]
Quant en penser n’ay en nulle manière
Chose villaine,
Ne ne croiez, dame, que vous requière[23]
Ne que jamais en ma vie je quiere
Chose nulle dont vostre honneur acquière,
Soiez certaine,
Blasme en nul cas ne nulle riens mondaine
Ou vostre honneur ne soit entière et saine,
Ma doulce amour, ma dame souveraine,
Et la lumière
De mon salut qui me conduit et meine
A joyeux port, trés noble tresmontaine,
Ne vueilliez pas vers moy estre hautaine[24]
N’a ma priere.

Et s’il vous plaist, trés belle, a ottroier[25]
Mov vostre amour, sanz la me desvoier[26]
Et que j’aye si trés noble loier
Par vous servir,
Je vous promet a du tout emploier
Et cuer et corps, et moy tout avoier
A vous servir sanz jamais anoyer,[27]
Pour desservir
Si hault honneur : je m’y vueil asservir,
Et loiaulté vous promettre et pleuvir ;
Et quant ainsi m’y vueil du tout chevir,[28]
M’en envoier
Honteux et maz par escondit ouïr
Ne me vueilliez, pour ma vie ravir,
Et pour mes jours faire tost assovir,
N’en plours baignier.

Or y pensés, pour Dieu, trés belle née,
Dame d’onnour en ce monde ordonnée,
Pour ma plaisant joyeuse destinée,
De qui je port
Emprainte ou cuer, toute heure de l’année,
La trés plaisant face escripte et signée,
Et vo beauté parfaicte et affinée,
Et le doulz port
De vo gent corps, lequel est le droit port.
Ou joye maint et plein de doulz aport,
En qui je prens mon savoureux déport ;
Et deffinée
Soit ma dolour du tout et tel raport
Vo trés doulz oeil, a qui je me raport,
Me facent tost que tout mon mal enport
En brief journée.
Trés doulce flour, de qui fault que j’atende
Le doulz vouloir, a vous me recommande
Trés humblement et vo cuer pri qu’entende[29]
M’umble requeste,
Et a garir mon mal amoureux tende
Humble pitié, qui envers moy s’estende,
Si que soulas qu’ay tout perdu me rende[30]
Et joye et feste.
Adonc sera souvie ma requeste,
Et m’esperance amoureuse et honneste.
Si pry a Dieu qu’a ce vous face preste,
Et vous deffende
De tout anuy, et vous doint sanz arreste
Tous voz désirs et longue vie preste
A vo beau corps, et puis a Famé apreste
Legiere amende.


Explicit Complainte amoureuse.
  1. I. — 5 B et ne c.
  2. — 13 A1 ne teniez
  3. I. — 50 B et e.
  4. I. — 53 B et c.
  5. — 55 B Car m. je d. trop fort r.
  6. — 61 B que vous die et r.
  7. — 62 B T. h. non pas a l’estourdie
  8. — 63 B P. m. q. a chiere pou hardie
  9. — 64. B Vieng je
  10. — 67 B Ma vraye a.
  11. — 71 A2 n’a ma très f. p.
  12. — 78 B et du tout c.
  13. — 91 B a t. honneur est p.
  14. — 95 Omis dans A — 95 A2 A mon pouoir n’en nulle faulte pris
  15. — 101 A Q. je pense
  16. I. — 117 B neis c. de l.
  17. — 126 A2 Des m.
  18. I. — 157 A2 ainsi (en interligne) c. e.
  19. — 166 B Lors s’est du corps, adonc f. a.
  20. — 167 B fu en s. c.
  21. — 169 A2 a. que f.
  22. I. — 178 A2 si h. amour
  23. — 181A2 Et ne
  24. — 191 B p. e. v. m. h.
  25. — 193 a effacé dans A1A2 ma t. b. o.
  26. — 194 A2 A m.
  27. — 199 A2 A v amer
  28. — 203 A1 B a. me v.
  29. I. — 227 A2 a vo c.
  30. — 231 A2 Et q.