Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/L’épervier et la sirène


L’ÉPERVIER ET LA SIRÈNE.


Un vieux pêcheur prit, un jour, une sirène dans ses filets. Celle-ci lui dit : « Amène-moi ton enfant nouvellement né pour que je l’embrasse, puis remets-moi en liberté et demain, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, les pièces d’or ne cesseront de tomber par la cheminée dans ta chaumière. » Le pêcheur s’empressa d’aller chercher son enfant nouveau-né et la sirène lui donna un baiser, puis elle le rendit à son père et plongea sous l’eau. Le lendemain, le pêcheur et sa femme passèrent toute la journée à ramasser de l’or sur la pierre de leur foyer. Les voilà riches à présent. Quand l’enfant eut dix-huit ans, il voulut voyager. Son père lui recommanda de ne s’approcher que le moins possible de la mer et de ne jamais s’y baigner surtout. Il partit, et, chemin faisant, il trouva sur sa route une charogne que se disputaient un loup, un épervier et un bourdon. Il en fit le partage entre eux de façon à les contenter tous les trois, et chacun d’eux, par reconnaissance du service qu’il leur avait rendu, lui accorda de devenir à sa volonté loup, épervier ou bourdon, et de plus, ils lui promirent de lui venir en aide dans le besoin, en quelque lieu qu’il se trouvât.

Plus loin, il obligea encore des oies et des fourmis, qui promirent aussi de s’en montrer reconnaissantes.

Il arriva alors à un vieux château. Il n’y vit personne d’abord, mais la table était servie, et il mangea. Quand il eut fini, une main invisible prit une lumière sur la table, et le conduisit ta son lit. Les trois jours qui suivirent, une vieille femme lui imposa trois épreuves : d’abord, retirer du fond d’un puits très-profond une boule d’argent qu’elle y jeta, puis trier un tas de trois grains différents et mettre chaque espèce à part ; enfin désigner, dans une salle obscure, quelle était la plus jeune et la plus jolie de trois femmes qui s’y trouvaient, dont deux vieilles très-laides, et une jeune et jolie. Il eut recours aux animaux qu’il avait obligés sur sa route : les oies lui retirèrent la boule d’argent du puits, les fourmis trièrent et mirent en trois tas les grains mélangés, et le bourdon l’aida à reconnaître la jeune femme des deux, vieilles, en venant voltiger autour de sa tête[1].

Il quitta alors ce château, et vint à Paris. Il devint amoureux de la fille du roi, qu’il aperçut un jour à sa fenêtre. Il pénétra jusqu’à elle en se changeant en épervier, et passa alors toutes les nuits avec elle, non pas sous forme d’épervier, mais bien sous sa forme naturelle d’homme. La princesse mit au monde un fils, et le roi, ayant appris qui en était le père, pensa que ce qu’il avait de mieux à faire c’était de la lui laisser épouser.

Un jour qu’il se promenait au bord de la mer avec un prince qui avait été aussi un prétendant à la main de la princesse, cet homme, d’un coup d’épaule, le fit tomber du haut d’une falaise dans l’eau, et aussitôt la sirène vint et l’emporta dans sa grotte. Il y resta deux ans avec elle. Un jour, elle consentit à l’élever sur la paume de sa main au-dessus des flots, pour qu’il pût jouir, une dernière fois, de la vue de son pays natal. Mais, dès qu’il fut hors de l’eau, il souhaita de devenir épervier, et s’envola auprès de sa femme qui, le croyant mort, allait se marier avec le prince qui l’avait jeté dans la mer. Alors, il fit chauffer un four, et le traître y fut jeté.


Il y a ici mélange de deux fables. Ainsi les trois épreuves me semblent appartenir aux récits concernant le soleil et la Princesse aux cheveux d’or, où on les trouve presque toujours. Ce conte se trouve dans le recueil des frères Grimm, sous le titre de l’Ondine de l’étang. La partie interpolée a du rapport avec la Reine des Abeilles du même recueil. J’ai une seconde version bretonne qui diffère beaucoup de celle-ci.



  1. Ces trois épreuves me semblent ici une interpolation. L’épisode du triage des grains de différente sorte, que nos conteurs aiment à intercaler dans leurs récits, et que j’ai déjà reproduit, se retrouve dans Apulée, Métamorphoseon, 1. VI. « Ruunt aliæ, superque alise sepedum populorum, summoque studio singulæ granatim totum digerunt acervum. »