Chronique de la quinzaine - 14 janvier 1840

Chronique no 186
14 janvier 1840
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
Séparateur



14 janvier 1840.


La discussion de l’adresse dans les deux chambres est à l’intérieur le fait capital de la quinzaine qui vient de s’écouler.

Quelques bruits de salon avaient annoncé un effort de la pairie pour sortir du rôle par trop secondaire auquel elle paraît s’être exclusivement résignée dans ces grands drames politiques. On citait un noble pair préludant par ses lectures, dans un cercle élégant, aux combats de la tribune, et se fortifiant d’illustres approbations et de savans conseils. On disait que les diverses oppositions lanceraient dans l’arène leurs plus vaillans champions, que la lutte serait sérieuse, l’attaque renouvelée, et la victoire long-temps disputée.

Ces espérances des amis sincères et éclairés de nos belles institutions ne se sont pas réalisées. La chambre des pairs n’a employé à la discussion de son adresse qu’une séance et demie, pas tout-à-fait six heures. Le premier jour, la discussion, offrit un instant les apparences d’un combat ; le second jour, il n’y eut pas même escarmouche.

M. le duc de Noailles lut d’une voix monotone un discours digne d’estime, mais que les coteries avaient eu le tort de trop prôner. Un discours politique n’est pas une pièce de théâtre, et l’attention religieuse et le silence affectueux d’un petit salon, j’ai presque dit d’un boudoir, sont un mauvais criterium pour juger à l’avance les effets de la tribune. M. de Noailles a mieux fait lorsqu’il n’a pris conseil que de lui-même.

M. de Brézé a plusieurs des qualités de l’orateur parlementaire. C’est à lui que reviennent les honneurs de cette discussion. Malheureusement son talent est aussi inutile qu’il est incontestable. M. de Brézé est condamné, par ses opinions politiques, à faire tous les ans le commentaire du même chapitre d’histoire ancienne. À moins de dépouiller le vieil homme, il ne peut prendre aucune part vraiment active aux choses réelles, aux affaires vivantes du pays. L’opposition de gauche, celle qui prétend dépasser ce qui est, ou du moins le modifier profondément, peut, malgré son excentricité et ses exagérations, jouer dans nos débats un rôle actif, de tous les jours ; mais que peut une opposition qui voudrait, contrairement aux lois de notre nature, ramener le pays en arrière et ressusciter les morts ? Le jour n’est pas loin où M. de Brézé ne sera plus compris de personne, où ses refrains obligés fatigueront même la politesse de la pairie, où son beau talent sera perdu pour tout le monde, pour son parti comme pour la France. Les royalistes de quelque valeur devraient pourtant comprendre, à la lumière de l’histoire, que le moment est arrivé de cesser, sous peine du ridicule, d’être des hommes rétrospectifs pour devenir des hommes de leur temps et de leur pays. La France, qui ne veut pas de jacobites, peut encore comprendre et accepter, dans une certaine mesure, des tories.

La première séance de la chambre des pairs n’a été remarquable que par deux faits bien divers, et, nous le dirons, la satisfaction que nous avons ressentie du premier de ces faits, n’a pu effacer l’impression pénible que le second nous a fait éprouver.

Un des ministres s’étant servi, pour dire qu’il ne parlerait pas du passé, d’expressions qui, à la rigueur, auraient pu être interprétées comme ne promettant au 15 avril qu’un silence indulgent, M. le comte Molé prit la parole pour déclarer que le 15 avril n’acceptait l’indulgence de personne, qu’il se faisait gloire de son administration et de tous ses actes, qu’il était prêt à les défendre envers et contre tous, et qu’il ne lui manquerait pas de nombreux et fidèles auxiliaires dans l’une et l’autre chambre. Cette déclaration faite d’un ton ferme, en termes pleins de simplicité et de noblesse, fut accueillie par de nombreuses marques d’approbation, et plus d’un membre de la chambre regrettait hautement que les orateurs qui ont parlé après la déclaration de M. Molé, ne lui eussent point fourni l’occasion de monter à la tribune.

Nous n’insisterons pas sur le second fait, sur l’apparition à la tribune de M. le président du conseil. Nous avouerons sans détour qu’il nous est impossible de comprendre la résignation d’un homme aussi éminent à un rôle si peu digne de sa renommée et de sa gloire.

L’adresse ne s’est écartée du cadre tracé par le discours de la couronne que par un amendement en faveur de la Pologne, proposé par MM. d’Harcourt et Tascher, et que la chambre des pairs a adopté.

C’est à la chambre des députés que de rudes combats ont été livrés au ministère. Dans la discussion générale, les partis ont essayé de se dessiner ; le jeu des répulsions et des attractions n’a pas tardé à se faire apercevoir, et le travail parlementaire pour la reconstruction d’une majorité a pu frapper tous les yeux.

Il n’est pas d’observateur impartial qui, assistant à cette lutte, n’ait dû s’avouer à lui-même trois résultats importans, décisifs.

Le premier, c’est que, pour tout homme sérieux, ministre ou non, il est évident qu’il n’y a dans la chambre de majorité possible que celle qui aura pour noyau l’ancienne majorité, les 221. Hors de là, il n’y a que poussière et impossibilité de gouverner. Aussi c’est à elle que s’adressent toutes les coquetteries de la politique, toutes les séductions du talent. Les ministres ne sont pas les seuls qui la caressent et la flattent. L’ancienne majorité représente assez bien, pendant ces débats, un personnage grave, puissant, et par trop silencieux, qui reçoit sans dédain, sans colère, mais non sans froideur, les soins empressés des hommes qui espèrent capter sa faveur.

Le second fait, non moins grave, et qui, par ses résultats, corrobore et accroît l’importance du premier, c’est la gauche arborant de nouveau sa vieille bannière, et annonçant au pouvoir une hostilité plus dédaigneuse que violente, il est vrai, mais une hostilité qui n’admet pas de trêve et moins encore une transaction. M. Odilon Barrot a lancé contre les centres le manifeste de son parti. La révocation des lois de septembre, le jugement de tous les attentats renvoyé au jury, la réforme électorale admise du moins en principe, tels sont pour le moment les dogmes du catéchisme de la gauche ; M. Barrot en a fait l’exposé avec un talent, une éloquence qu’il serait injuste de méconnaître. En reprochant au cabinet, à plusieurs de ses membres du moins, de s’être détachés du centre gauche, d’avoir abandonné leur drapeau, de se laisser entraîner fatalement vers la droite, M. Barrot a voulu à la fois se replacer fortement à la tête de l’opposition, ressaisir les rênes de son gouvernement, et mettre le marché à la main à tous ceux qui, dans les crises de 1839, ont pu avoir avec la gauche des accointances plus ou moins intimes. Qui n’est pas avec nous est contre nous, qui n’est pas avec nous aujourd’hui sera contre nous demain ; nous ne voulons plus de mélanges temporaires, de confusion, et par là même d’affaiblissement dans nos rangs. Les situations dans le parlement doivent être désormais nettes et tranchées pour tout le monde. Tels étaient le sens, la pensée dominante de la chaleureuse improvisation de M. Barrot. Ceux qui auraient pu se flatter de le voir peu à peu s’écarter des bancs de la gauche, et marcher lentement vers le pouvoir, au lieu d’attendre fièrement et fort inutilement, selon nous, que le pouvoir vienne à lui ; ceux-là, s’il en est, n’ont qu’à faire amende honorable envers eux-mêmes ; ils s’étaient trompés.

Peu importe qu’à la fin de son discours et par une transition qui, aux yeux d’un sévère logicien, pourrait peut-être mériter un autre nom, M. Odilon Barrot, après avoir tonné contre la confusion des partis et le pêle-mêle des opinions, ait appelé de tous ses vœux la formation et l’entrée au pouvoir d’un parti qu’il a appelé intermédiaire, intermédiaire entre la gauche et l’ancienne majorité. Quoi qu’il en soit de sa rigueur logique, cette conclusion a dû être avouée, louée même comme habile par les amis politiques de M. Barrot. Ce parti intermédiaire, en effet, s’il était viable, ne pourrait vivre que des suffrages de la gauche, que dis-je ? des suffrages de toutes les oppositions. M. Barrot en serait nécessairement le protecteur, le suzerain. L’avénement de ce parti, s’il pouvait se réaliser, s’il pouvait durer quelque temps, ne serait qu’un pont jeté entre la gauche et le pouvoir. La gauche a raison de le désirer, de l’appeler de tous ses vœux, d’en proclamer les avantages, la nécessité. Elle prêche dans le désert. Ceux-là même auxquels elle paraît s’adresser ne se font pas, ou, si l’on veut, ne se font plus d’illusion. Ils savent, à n’en pas douter, qu’il n’y aurait là pour eux ni probabilité de succès pour le présent, ni sûreté pour l’avenir. Des hommes politiques, des hommes d’état ne se placent pas ainsi entre deux abîmes, sur une crête entourée de précipices, uniquement pour le plaisir de montrer un moment au monde beaucoup d’adresse, beaucoup d’habileté, le talent plus étonnant qu’admirable des danseurs de corde. Ils ne sacrifient point ainsi l’avenir au présent, l’histoire de leur vie politique aux vanités d’un jour. Encore une fois, le conseil n’est ni acceptable ni accepté. Il s’adressait à des hommes qui connaissent mieux que personne la situation de la chambre, l’état du pays, leur propre position et les conditions de tout pouvoir honorable et durable.

Le discours de M. Odilon Barrot, dont la dernière partie, par trop posthume, peut être regardée comme non avenue, n’a donc pu avoir qu’un seul et unique résultat. Mais ce résultat est considérable, il est décisif à nos yeux. Nous tenons le problème de la nouvelle majorité comme à peu près résolu. Les déclarations de la gauche ont dû nécessairement refouler vers nos rangs tous les hommes que les accidens de la politique avaient seuls séparés momentanément du parti gouvernemental. Le travail de la nouvelle fusion est fortement préparé. Qu’on y apporte de tous les côtés de la franchise et de la modération, qu’on reconnaisse surtout de tous les côtés que rien n’est plus ridicule en politique que d’aspirer à l’impossible, et ce travail, si important pour le pays, pour la dignité de la chambre, pour la stabilité du pouvoir, ne tardera pas à être accompli. Nous aurons l’ancienne chambre moins le tiers-parti, moins ce parti bâtard, qui, impuissant par lui-même, avait cependant servi de dissolvant, et amené le gouvernement représentatif à deux doigts de sa perte ; moins le tiers-parti, qui, dans la personne de ses membres les plus influens, fait peut-être en ce moment sa dernière expérience du pouvoir. Il y aura sans doute encore, et dans la majorité et dans l’opposition, des variétés, des nuances. C’est l’esprit de notre temps. Les corps puissamment organisés, le renoncement aux éclats d’une individualité impatiente et vaniteuse, la soumission absolue aux règles de conduite de son parti, ne sont plus de nos mœurs ; ce sont ou vertus ou défauts étrangers à notre société. Il faut pour cela des aristocraties ou des couvens, des tories ou des jésuites. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Nous sommes des Français, et des Français du XIXe siècle. Il y aura donc toujours dans nos assemblées un fractionnement : cela est inévitable ; mais ce qu’on peut espérer, ce à quoi on doit travailler, c’est qu’il n’y ait cependant que deux armées, les amis et les adversaires du pouvoir, ceux qui, sans repousser des progrès sages et mesurés, veulent cependant avant tout affermir et maintenir ce qui est, et ceux dont la pensée dominante est l’innovation, dont le premier désir est de toujours marcher en avant, ceux pour qui la société ne devrait jamais connaître ni halte ni repos.

Dans ces deux armées, il pourra sans doute y avoir des nuances, comme il y a des armes et des bannières diverses dans nos camps militaires. Tout le monde cependant suit le même drapeau, et au jour de la bataille tout le monde combat pour la même cause. La variété dans l’unité, ce beau et brillant caractère du génie européen, doit se retrouver même dans nos assemblées politiques.

Le troisième fait mis en évidence par la discussion de l’adresse dans les deux chambres, est celui que nous avions si souvent et si vivement annoncé. C’est que, si nous avons quelques ministres, nous n’avons pas de ministère. Plus les ministres qui n’occupent pas les sommités politiques du cabinet, celles où se traitent nécessairement les grandes affaires du pays, les affaires étrangères et la guerre, montrent d’habileté et de talent parlementaire, plus il est évident pour tous que les intérêts du pays ne peuvent être confiés à des hommes qui ont besoin à chaque instant de trouver parmi leurs collègues un suppléant dévoué. Si nous sommes condamnés à vivre avec le 12 mai tel qu’il est, qu’on mette du moins les hommes qui le composent là où ils peuvent être le plus utiles ; qu’on fasse au moins des échanges, qu’on donne à M. Villemain les affaires étrangères, et la guerre à M. Dufaure.

Au surplus, la majorité une fois reconstruite d’elle-même par la force des choses, elle ne se résignera point à ne pas avoir à sa tête les hommes d’état dont elle doit regretter l’absence et l’inaction.

Le cabinet du 12 mai, produit de la nécessité du moment, de circonstances fugitives, n’a pu être qu’une transition. Il a donné l’occasion à quelques hommes de développer leur habileté politique, leur talent de tribune. M. Villemain, en particulier, a pris rang parmi les hommes politiques et a été franchement accepté par la chambre. Mais encore une fois le cabinet est par trop incomplet ; l’agencement des hommes est mauvais ; il met en évidence les plus faibles, et en forçant les autres à sortir du rôle que leur assignent leurs fonctions, il les place tous dans une situation peu digne de la France et d’eux-mêmes.

La discussion des paragraphes de l’adresse a amené à la tribune M. Thiers. Sa parole a été ce qu’elle est toujours, brillante, vive, lucide, transparente. Son discours n’a pu laisser dans les esprits aucune obscurité, pas le moindre nuage. M. Thiers n’a point fait un discours d’opposition : adoptant sans réserve le système, il a seulement présenté quelques observations sur la conduite du gouvernement. Les armes du combat, si combat il y a eu, ont été si courtoises, que le cabinet aurait pu à toute rigueur se regarder comme n’ayant pas été attaqué. Les observations douces et polies d’un orateur qui pourrait être si formidable sont à peine des avertissemens. M. Thiers a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il aurait pu être sévère : il n’a pas voulu l’être ; il a amnistié le cabinet : « Soyons amis, Cinna ! » C’est là le résumé.

Le beau discours de M. Thiers a trompé plus d’une attente et donné un démenti spirituel et de bon goût aux prédictions de la salle des conférences. On disait qu’il voulait prendre le ministère corps à corps et le terrasser sur place ; à peine s’est-il un instant occupé de lui pour lui dire : Tâchez de mieux vous conduire et vivez si vous le pouvez. On disait que, pour rendre son attaque plus directe et plus décisive, il parlerait de la politique générale, de l’état des partis, de la chambre, du ministère, en un mot de l’intérieur : M. Thiers n’a parlé que d’affaires étrangères, de l’Orient, et surtout de l’alliance anglaise.

Le paragraphe de l’Orient a été voté après quelques observations de M. Duchâtel et de M. Jouffroy, en réponse au discours de M. Thiers.

Il est juste de reconnaître que la position de M. le ministre de l’intérieur, faisant fonctions de ministre des affaires étrangères, n’était pas sans embarras. M. Thiers, simple député, sans responsabilité, sans pièces officielles dans son cabinet, pouvait tout dire, affirmer tout ce qui lui paraissait vrai, probable même. Le ministre, au contraire, devait être d’autant plus réservé qu’il connaissait mieux la vérité, l’état présent des négociations.

Nous croyons qu’il aurait pu faire une réponse péremptoire à une partie du moins du discours de M. Thiers. Nous croyons qu’il aurait pu dire : — L’alliance anglaise n’est point compromise ; les nouvelles démarches de la Russie n’ont pas eu de succès ; M. de Brunow a de nouveau échoué. Le cabinet anglais ne veut pas se séparer de nous ; il n’accédera à aucune proposition que d’accord avec son allié, la France. Nous ne sommes donc pas dépourvus de tout crédit et de toute influence à Londres. Nous avons su à la fois défendre les intérêts et la dignité de la France, et ne pas rompre une alliance également utile et honorable aux deux pays. — C’est là, nous le croyons, la réponse qu’on aurait pu faire, si un ministre pouvait ainsi plier son langage officiel à toutes les vicissitudes du moment, et parler des faits diplomatiques à la tribune, avant qu’ils soient entrés dans le domaine de l’histoire. Il paraît certain, en effet, que tout ce qu’on a dit ces derniers jours sur le succès de la mission de M. de Brunow n’avait heureusement rien de fondé.

En attendant, un autre fait important s’est manifesté dans la chambre, et il n’a certes pas échappé à la sagacité de M. Thiers. C’est que la chambre n’entend pas raillerie sur le compte du pacha d’Égypte. Elle désire sans doute, et elle a raison de le désirer, dans l’intérêt des deux pays et de la paix du monde, elle désire, dis-je, le maintien, le raffermissement de l’alliance anglaise. Mais elle n’entend nullement sacrifier l’Égypte à l’Angleterre.

Les espérances qu’on pourrait lui faire concevoir de l’union intime de deux puissances aussi redoutables que l’Angleterre et la France, de la France représentée comme puissance essentiellement continentale, de l’Angleterre comme tenant le sceptre des mers, ces espérances ne la flattent que très médiocrement. Son instinct national lui dit que la question capitale aujourd’hui, c’est la question du commerce du monde, et en conséquence la question de l’Orient et de l’Égypte ; que la puissance qui ne ferait pas tous ses efforts, qui ne dépenserait pas son dernier écu pour être une puissance maritime de premier ordre, souscrirait à sa propre déchéance, qu’elle aurait beau obtenir une, deux provinces d’agrandissement territorial, elle ne serait plus qu’une puissance de second ordre le jour où elle permettrait à la Russie et à l’Angleterre d’exploiter à leur gré l’Orient, et de s’emparer seules de tout ce qu’il renferme d’avenir pour la grandeur et la prospérité de l’Europe. La puissance aujourd’hui est au bord du Nil et de l’Euphrate. La France ne prétend pas s’en faire un privilége ; mais elle ne doit y reconnaître privilége et droit exclusif pour personne.

Les affaires d’Espagne n’ont donné lieu qu’à un incident de quelque importance. M. le procureur-général Chégaray a interpelé le cabinet sur la persistance que les Anglais mettent à occuper le port du Passage. La réponse a été faible. Dire que les Anglais évacueront le Passage quand les circonstances le permettront, c’est ne rien dire. Ajoutons que la présence dans le port d’une frégate française ne change rien à l’état de la question. Toujours est-il qu’il y a garnison anglaise au Passage, que l’Angleterre est de fait maîtresse de ce point ; qu’un port espagnol, à six lieues de notre frontière, est au pouvoir de ceux qui ont su se maintenir à Gibraltar, garder Malte, s’emparer des sept îles, et qui, tout récemment encore, ont montré, par leurs expéditions et leurs tentatives dans l’Orient, que l’extension et la sûreté de leur immense commerce, et la domination des mers, qui leur semble en être la garantie, sont le but qu’ils ne perdent jamais de vue, et auquel ils subordonnent toute autre considération et tout autre intérêt.

La question d’Afrique jouera probablement un grand rôle dans les discussions de la chambre. À la vérité il nous paraîtrait utile, raisonnable, d’ajourner cette importante question au moment où le gouvernement fera une demande spéciale de crédits pour l’Algérie. Il est peut-être imprudent d’intervenir dans la guerre d’Afrique par un débat prématuré, et qui se ressentira du vague et du décousu qui règne nécessairement dans la discussion de l’adresse. Ces considérations, nous le savons, n’influeront guère sur les luttes de la tribune. Les discours qu’on a préparés, les discours que les commettans attendent, nul ne veut les ajourner, nul du moins de ceux qui doivent les prononcer, et dont le Moniteur attend les feuillets. Cependant, dans l’état actuel de la question, il n’y a évidemment qu’une chose à dire, comme il n’est qu’une seule chose à faire : il faut donner, sans délai et sans lésinerie, au gouvernement, tous les moyens nécessaires pour maintenir en Afrique l’honneur de nos armes, et venger la violation des traités que la France avait bien voulu sanctionner. Toute autre discussion ne peut être qu’ajournée. Le châtiment et la réparation d’abord ; ce n’est qu’après, avec une pleine liberté de moyens et d’action, que la France pourra délibérer sur le parti définitif qu’il lui conviendra de prendre relativement à l’Afrique.

On annonce aussi une discussion sur le dernier paragraphe de l’adresse. On dit que plusieurs membres de la majorité sont curieux de savoir si l’expression de gouvernement parlementaire, dont les hommes de nuances diverses et les ministres eux-mêmes s’emparent comme d’une ancre de salut, est prise par tous dans une seule et même signification. Il est sans doute permis d’être curieux, même aux hommes politiques ; mais il est en toutes choses des curiosités téméraires, imprudentes. Nous ne sommes pas frappés de l’utilité de ces débats spéculatifs. Nous ne voyons pas quel profit il peut y avoir à susciter à la tribune de subtiles controverses de théologie constitutionnelle.

Pour dire toute notre pensée, nous craignons qu’il n’y ait là quelques restes de ressentimens et de rancunes politiques que certes nous concevons mieux que personne, mais dont les effets ne seraient utiles ni aux hommes ni aux affaires du pays. L’ancienne majorité doit être satisfaite de la marche des choses ; il ne serait ni sage ni politique de la troubler ; les choses sont plus habiles que les hommes ; elles s’arrangent d’elles-mêmes. Gardons-nous de les brouiller par une intervention plus passionnée que prudente.