Chronique de la quinzaine - 14 décembre 1851

Chronique n° 472
14 décembre 1851


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


Séparateur


14 décembre 1851.

La parole est aux événemens, et l’on connaît ceux qui se sont accomplis. Ce n’est le moment ni de les raconter, ni de les caractériser ; ils entrent à peine dans l’histoire. Quelques jours seulement nous séparent du scrutin du 20 décembre ; nous attendons le régime nouveau qui doit en sortir. Aujourd’hui nous resterons dans le domaine purement littéraire. Quand fut-il d’ailleurs plus nécessaire de rasséréner les âmes, de combattre les fausses doctrines, de défendre ces lois sociales qui n’auraient jamais besoin d’appeler la force à leur aide, si on les avait toujours entourées d’assez de déférence et de respect ? Comment se dérober à cette mission réparatrice qui peut changer de forme suivant les vicissitudes publiques, mais qui s’exerce constamment au nom des mêmes vérités ? L’anarchie intellectuelle et morale, tel est malheureusement le funeste point de départ de ces passions fébriles que nous voyons se traduire en déchiremens et en désordres. Ah ! détournons nos regards de ces sinistres images et de nos discordes intérieures. Reportons-les plutôt là où il y a pour notre drapeau des gloires moins pénibles à acquérir, et où l’ascendant de la France se manifeste, comme il vient d’éclater sur les côtes marocaines devant Salé.

Plus que jamais il s’agit de rétablir dans le domaine de la pensée ce sentiment de réparation et d’ordre, ce culte pour le vrai et le bien, trop long-temps oubliés au milieu des enivremens de la prospérité. Que de fois alors ceux qu’on traitait de censeurs importuns ont averti les intelligences contemporaines qu’elles se préparaient, par leurs prodigalités brillantes, des jours d’angoisse et de regret, qu’elles imitaient ces millionnaires imprévoyans qui, à force d’abuser du superflu, finissent par perdre le nécessaire ! Que de fois ils se demandaient, avec une sorte de douloureux pressentiment, si les coupables excès des imaginations ne creusaient pas sous nos pieds ces abîmes qui, en s’entr’ouvant, laissent échapper des flammes menaçantes et de livides lueurs ! Ce rôle d’avertissement et de conseil, utile et salutaire toujours, le devient plus encore quand les temps et les esprits sont plus troublés.

Au milieu des émotions de cette quinzaine, y a-t-il eu place pour ces calmes sujets d’étude, pour ces récréations élégantes, ornemens des sociétés paisibles, distractions passagères des sociétés agitées ? Oui sans doute, et un regard jeté sur les théâtres suffirait pour prouver que le public ne renonce pas si aisément à ses habitudes et à ses plaisirs. Et nous, s’il y revient, faut-il nous en détourner ? Assurément il serait puéril, coupable presque, de s’y arrêter cette fois avec trop d’insistance ; nous nous reprocherions tout ce qui ressemblerait à une obstination d’esprits frivoles : pourtant il convient d’y toucher, d’en dire un mot en passant, ne fût-ce que pour rester dans notre rôle en suivant le mouvement de cette société dont la vie intime, intellectuelle et morale se mêle constamment à la vie extérieure et publique : double existence, mouvement parallèle dont l’ensemble forme plus tard l’histoire complète d’une époque et d’un pays.

Presque tous les théâtres luttent, par de persévérans efforts, contre les circonstances qui portent ailleurs l’attention et l’intérêt. Au Théâtre-Français, Mademoiselle de la Seiglière a retrouvé tout son succès des premiers jours, succès très réel, très légitime, constaté ici même avec trop d’autorité et de justesse pour que nous ayons à y revenir. Quoi qu’en aient dit quelques juges malveillans, le marquis de la Seiglière, tant reproché à M. Jules Sandeau, n’est pas une caricature, encore moins une satire : c’est un type, un type offert à la comédie, comme tout ce qui trahit ou résume, sous une forme quelconque, les secrètes faiblesses du cœur humain. Ce qui nous plait dans Mademoiselle de la Seiglière, ce qui nous semble la pensée même de l’ouvrage, c’est que, loin de consacrer ou d’aigrir les dissidences d’opinion ou de caste, l’auteur a voulu les déjouer toutes ; l’action se noue entre les prévoyans et les habiles, au nom de leurs intérêts, de leurs passions et de leurs rancunes ; puis survient un sentiment naïf, un amour vrai, naissant dans deux cœurs sincères, et tout se dénoue et s’arrange au moyen de cet amour qui n’est ni émigré, ni révolutionnaire, mais qui se charge d’unir le passé au présent par la plus douce des chaînes.

Ce n’est pas nous, à coup sûr, qui nous plaindrons de voir les noms vraiment littéraires se rapprocher du théâtre, s’y acclimater, y multiplier leurs tentatives, y établir avec le public des communications plus directes et plus vives. Après nous avoir montré dans des cadres d’une rusticité un peu suspectes ces légendes de chaumière et de bergerie, ces scènes de la vie champêtre qui ressemblaient trop à des épigrammes contre la société civilisée, voici que Mme Sand, par un nouveau caprice d’artiste et de poète, s’est avisée de continuer Sedaine, et de donner une suite au Philosophe sans le savoir. Les suites, on le sait, réussissent rarement au théâtre ; Corneille y a échoué ; Beaumarchais, dans la Mère coupable, n’est parvenu qu’à attrister et à enlaidir les piquantes physionomies du Mariage de Figaro. Il y a dans une œuvre d’art, dans une œuvre dramatique surtout, je ne sais quel jet libre et spontané que rien ne remplace plus tard, lorsqu’on veut y ajouter ou y reprendre. Le Mariage de Victorine est plutôt une étude qu’un drame. Préoccupée d’un retour sincère et louable vers le simple et le vrai, Mme Sand a feuilleté Sedaine, comme elle feuilletait naguère ce livre charmant que la nature tient sans cesse ouvert sous les regards qui savent la comprendre et l’aimer. Elle a été tentée par l’aimable figure de Sedaine, chez qui le naturel fait tout pardonner, et le gracieux rôle de Victorine a achevé de la séduire. Ce que nous blâmerons dans la nouvelle pièce de Mme Sand, c’est qu’à force d’éviter les complications et les effets, de chercher dans l’analyse seule d’un sentiment, dans l’étude attentive et subtile d’un repli du cœur, cet élément de curiosité et de succès que le drame demandait jadis au fracas des péripéties, l’auteur finit par nous promener dans le vide, et le spectateur somnolent a besoin d’un effort pour saisir ce tissu léger, amoindri, où rien n’arrête plus les yeux ni la main. La pièce de Sedaine n’est pas, que nous sachions, surchargée d’événcmens ; pourtant l’intérêt s’y soutient et va croissant jusqu’à la fin, personnifié, pour ainsi dire, dans cette charmante Victorine qui trahit, dans les dernières scènes, une passion si dramatique et si vraie. Chez Mme Sand, il faut bien l’avouer, Victorine a perdu quelque peu de sa grâce et de sa fraîcheur. Tout se réduit à savoir si Alexis Yanderk l’aime véritablement ; en conscience, ce n’est pas assez pour trois actes, malgré l’intervention de Fulgence, nouveau personnage créé par Mme Sand, et qui, dans sa rivalité avec Alexis Yanderk, joue un rôle bizarre, équivoque, presque odieux dans les premiers actes, presque touchant dans le dernier.

Tout cela, on le voit, n’est pas de nature à donner à un drame beaucoup de mouvement et de vie, et il faut au théâtre d’autres conditions pour passionner la foule. N’importe : il y a dans le Mariage de Victorine des qualités d’analyse et de style qu’il serait injuste de méconnaître, et qui reposent des vulgarités bruyantes de la plupart de nos auteurs : ce qu’il faut aussi y louer sans réserve, et surtout sans témoigner une surprise qui aurait trop l’air d’une malice, c’est le parfum d’honnêteté qu’on respire dans toute la pièce, l’irréprochable pureté de l’ensemble, et surtout le tact exquis avec lequel Mme Sand s’est préservée des déclamations sur les inégalités sociales, un peu prodiguées par le bon Sedaine. Mme Sand a deviné que ce qui faisait partie, en 1765, du bagage des gens d’esprit pouvait bien, en 1851, avoir passé dans le camp contraire, et elle a résisté a la tentation. Sachons lui en tenir compte. Espérons que ce retour d’un esprit éminent aura des imitateurs, et que l’on comprendra mieux chaque jour le vrai rôle de l’écrivain aux époques agitées : éviter tout ce qui irrite et divise ; rechercher tout ce qui unit et console. Ce qui fait le mérite des beaux-arts, et particulièrement de la musique, c’est qu’ils échappent facilement aux perturbations accidentelles de la politique, et qu’ils portent avec eux une sérénité inaltérable. Écoutez une symphonie de Beethoven, la Symphonie pastorale par exemple, et, quelque préoccupé que soit votre esprit, il sera bientôt subjugué par l’inspiration du maître suprême qui a eu la puissance de réaliser ce tableau magnifique des vicissitudes de la nature. Tel n’est pas, sans doute, l’avantage de la musique dramatique, dont le but essentiel est de se mêler à nos passions pour en exprimer tour à tour le calme et l’agitation. Toutefois l’objet de la musique dramatique, aussi bien que celui de la musique instrumentale, est de traduire les sentimens éternels de l’âme humaine et de nous soustraire aux tristesses des faits contemporains. Le troisième théâtre lyrique, dont l’existence est encore si précaire, a failli avoir une bonne fortune. M. Félicien David s’est décidé à composer un opéra en trois actes, qui était destiné au théâtre de l’Opéra-Comique. Par suite de quelques difficultés survenues entre le directeur de l’Opéra-Comique et le compositeur, celui-ci est allé offrir son œuvre au troisième théâtre lyrique, qui venait de s’ouvrir, et qui a accepté avec reconnaissance le cadeau qu’on lui faisait. En effet, le nom déjà populaire de M. Félicien David était de bon augure pour un théâtre qui se proposait surtout de venir en aide aux jeunes musiciens français, dont la carrière est si difficile. L’événement a-t-il justifié toutes les espérances qu’avait conçues une partie du public sur l’avenir réservé au talent de M. Félicien David ? C’est ce qu’il convient d’examiner. Le sujet de l’opéra de M. Félicien David, la Perle du Brésil, pour être un sujet de fantaisie, n’en est pas moins fort ordinaire et puisé dans les données les plus communes et les plus usées. Zora est une jeune étrangère qui a été recueillie encore enfant sur un champ de bataille par l’amiral portugais Salvador, qui en a pris soin et l’a fait élever à Lisbonne dans la religion catholique. Devenue une grande et belle personne, pieuse et toute charmante, Zora est l’objet d’une admiration générale. Le roi, les plus grands seigneurs de la cour, et surtout l’amiral Salvador, sont tous sous le charme d’une personne aussi distinguée, lorsqu’on apprend que Zora vient d’être enlevée par l’ambassadeur de Suède, le comte de Horn, qui en était éperdument amoureux. Délivrée par un jeune cavalier, Lorenz, Zora revient tout heureuse dans les bras de son tuteur, l’amiral, qui éprouve pour sa pupille un sentiment plus vif que celui d’un père. Aussi l’amiral Salvador, au moment d’entreprendre un voyage pour le Nouveau-Monde, se décide-t-il à la faire embarquer avec lui. Tout le second acte se passe au milieu de l’Océan, sur le vaisseau amiral le Saint-Raphaël qui renferme dans ses vastes flancs bien des élémens de discorde. En effet, une lettre saisie apprend à l’amiral que Zora est éprise du jeune Lorenz. Cette découverte donne lieu à une scène des plus tumultueuses au milieu de laquelle l’amiral déclare, à la stupéfaction générale, que Zora va devenir sa femme. Le troisième acte nous introduit dans une forêt vierge du Brésil, dont un fort beau décor représente la riche végétation. Une lutte s’engage entre les Portugais et les sauvages du Nouveau-Monde, lorsque Zora intervient au milieu des combattans et fait connaître, par quelques refrains d’une chanson naïve qui sont restés gravés dans sa mémoire dès sa plus tendre enfance, qu’elle est la fille de l’ancien cacique de ces contrées. Tout s’explique alors, tout s’arrange, et le drame finit, si drame il y a, par le mariage de la Perle du Brésil avec le cavalier Lorenz. Telle est la donnée du libretto que M. David a bien voulu mettre en musique, donnée qui a été traitée cent fois par M. Scribe avec l’esprit et la dextérité qu’on ne saurait lui refuser.

M. Félicien David aura sans doute été séduit par les perspectives que ce poème offrait à son imagination ; il n’aura pas été fâché de repasser encore une fois le grand Océan et d’aller revoir les rivages qu’il avait déjà visités dans son Christophe Colomb. N’était-il pas à craindre qu’en parcourant les mêmes parages, le compositeur ne fût également attiré dans le même cercle d’idées, idées gracieuses, mais de courte haleine, dont il eût été nécessaire de varier un peu la monotonie ? L’ouverture de la Perle du Brésil est un morceau sans caractère, trop long et mal ordonné dans les différentes parties qui le composent. On s’attendait à mieux de la part d’un musicien qui connaît les res* sources de l’orchestre, et qui a réussi à trouver plusieurs effets heureux. Au premier acte, on peut signaler une jolie romance de ténor, dite avec goût par le chanteur qui représente le personnage de Lorenz. Puis vient un trio pour deux voix de femme et une voix de ténor, dont le motif est repris successivement en forme de canon par chacun des trois personnages, et au milieu duquel se trouve encadrée une ballade que chante Zora avec accompagnement de chœur. Les airs de danse du second acte sont agréables, et le quatuor pour deux voix de femme, ténor et basse, qui forme l’avant-propos du finale, est sans contredit le meilleur morceau de tout l’ouvrage. Ce quatuor est accompagné avec ce goût ingénieux et sobre qui a fait la fortune du Désert et de quelques parties de Christophe Colomb. l’introduction instrumentale du troisième acte est tout aussi dépourvue de caractère que l’ouverture, et cependant c’était là une belle occasion pour M. Félicien David de nous donner une bonne page de musique pittoresque, comme il s’en trouve tant dans les œuvres de Mendelssohn et dans les grands symphonistes allemands. À vrai dire, il n’y a de remarquable dans tout le troisième acte qu’un air de basse avec chœur que le public a redemandé. Ce coup d’essai dramatique est-il décisif pour la destinée de M. Félicien David ? Nous serions tentés de le croire. Nous n’avons pas remarqué dans les trois actes de la Perle du Brésil cette inexpérience de bon augure, ces tâtonnemens vigoureux qui laissent entrevoir une veine féconde. Tout y est proprement, mais faiblement écrit ; les mêmes idées se représentent incessamment sous les mêmes formes qui accusent une nature délicate resserrée dans un cercle très étroit. Un critique fort compétent écrivait ici même, il y a quelques années, à propos de M. Félicien David, qu’il était bien possible que l’auteur du Désert et de Christophe Colomb fût déjà arrivé aux limites de son gracieux empire : la musique de la Perle du Brésil confirme ce jugement. L’exécution de l’opéra de M. David, sans être parfaite, est au moins supportable. Mme Duez, qui représente l’héroïne Zora, est une cantatrice qui ne manque pas de talent, et dont la voix de mezzo soprano, assez timbrée et assez flexible, gagnerait à être mieux dirigée. M. Philippe est un jeune ténor dont la voix vibrante n’est point désagréable ; mais ce qu’il y a de mieux au troisième théâtre lyrique, ce sont les chœurs et surtout l’orchestre que M. Varney dirige avec intelligence.

Le théâtre de l’Opéra-Comique vient d’éprouver un échec qui interrompra pour quelque temps peut-être l’étonnante prospérité à laquelle il s’est habitué depuis un ou deux ans. Le Château de la Barbe-Bleue, dont le sujet est emprunté à un assez mauvais roman de M. Eugène Sue, n’aura pas même le succès de ces partitions laborieuses qui ne vivent quelques jours au théâtre que grâce à la fantasmagorie de la mise en scène et au talent des acteurs. Puisque M. de Saint-Georges avait consenti à puiser dans un roman connu la donnée d’un libretto d’opéra-comique, il aurait dû pousser plus loin encore la modestie en copiant tout simplement la fable conçue par M. Eugène Sue, qui est du moins vraisemblable et parfois intéressante, et non pas complètement absurde comme celle qu’il y a substituée.

Un certain comte de Rochambeau, qui vivait du temps de Louis XIV, s’en va chercher dans les Indes un oncle riche, dont il espère devenir l’héritier. Il arrive à Madras, le cœur rempli d’une image charmante, l’image d’une jeune fille qu’il a aperçue un soir au château de Saint-Germain, où résidait alors le roi d’Angleterre, Jacques II, sous la protection de Louis XIV, Le comte de Rochanabeau, en débarquant dans une auberge de Madras, la trouve occupée par une troupe de flibustiers, qui lui parlent aussitôt d’une femme mystérieuse, la Barbe-Bleue, dont la main s’est déjà appesantie sur quatre maris qui ont tous disparu l’un après l’autre. Cette terrible femme, qui fait une si grande consommation de maris, habite un château assis sur un roc escarpé et de toutes parts impénétrable. Sans plus ample informé et sans autre intérêt que la curiosité, le comte de Rochambeau, suivi d’un compagnon de voyage qui s’appelle le chevalier de Lantillac, se décide à visiter la terrible Barbe-Bleue malgré tous les dangers dont on le menace. On a déjà deviné que cette femme mystérieuse n’est autre que la belle inconnue que le comte a vue une seule fois au château de Saint-Germain, et dont le souvenir est resté gravé dans son cœur. Au troisième acte, les choses s’éclaircissent encore davantage, car on apprend, non sans peine et encore moins sans ennui, que la Barbe-Bleue est la propre nièce du roi Jacques II, qui se croit obligé de donner en mariage au comte de Rochambeau cette nièce bien-aimée. C’est là, on le voit, une fable dénuée d’intérêt comme de vraisemblance ; malheureusement la musique n’est pas de nature à atténuer l’ennui que vous fait éprouver la prose de M. de Saint-Georges. M. Limnander est un Belge qui est venu s’établir en France depuis plusieurs années. Il s’est fait connaître d’abord par quelques morceaux détachés qui ont été exécutés dans un ou deux concerts publics, puis par un opéra-comique en trois actes, les Monténégrins, où l’on a remarqué du talent et une certaine vigueur de style. La musique de la Barbe-Bleue confirmera, sans y rien ajouter, l’opinion qu’on s’était faite du mérite de M. Limnander. Il est assez curieux de remarquer en passant que, depuis qu’on s’occupe avec succès de musique instrumentale, on ne sait plus faire une ouverture en France. Ni M. Félicien David dans la Perle du Brésil, ni M. Limnander dans la Barbe-Bleue, n’ont réussi à condenser dans un avant-propos symphonique les principales idées qui se trouvent éparses dans leurs partitions. M. Limnander a bien essayé de composer une ouverture assez développée et que l’on a pu entendre à la répétition générale de son dernier ouvrage, mais le compositeur s’est ravisé depuis, et il a eu le bon esprit de supprimer l’ouverture en ne laissant que quelques mesures d’introduction qui ne manquent pas de couleur. Au premier acte, on remarque une ballade, Sur la cime du pic terrible, qui ressemble à toutes les ballades qu’on entend à l’Opéra-Comique. Un duo pour soprano et ténor entre le comte de Rochambeau et Mirette, la suivante de la Barbe-Bleue, dont l’andante a de la grâce, mais qui n’est dans son ensemble qu’un long point d’orgue à deux voix ; un air de basse que chante le boucanier, écrit avec prétention, et puis une romance de ténor qui n’a rien de saillant, complètent le menu de cet acte. À l’acte suivant, dont la scène se passe dans l’intérieur du château de la Barbe-Bleue, on peut signaler un chœur chanté dans la coulisse, un quatuor sans grands développemens, une nouvelle ballade, à Lahore jadis régnait un roi, dont la mélodie connue pourrait bien être empruntée à quelque chanson populaire. Au troisième acte, qui est d’une longueur à fatiguer la plus angélique patience, se trouvent une gracieuse romance pour voix de ténor, un duo en écho qui exprime une des situations les plus burlesques qu’on puisse imaginer, un trio avec chœur qui a de la vigueur, et puis encore un duo d’amour qui produirait de l’effet, s’il était mieux conçu, moins long et placé dans une meilleure situation.

L’opéra du Château de la Barbe-Bleue est l’œuvre d’un homme de talent, d’un musicien instruit, qui connaît l’orchestre et qui a plus de passion que de distinction dans les idées. Cette partition, trop touffue, renferme trois fois plus de musique qu’on ne saurait en supporter dans un opéra-comique, et chacun des nombreux morceaux qui la composent n’a pas d’autre raison d’être que le plaisir du compositeur. C’est le système de la mauvaise école italienne sans ses avantages, c’est-à-dire de la musique pour de la musique sans que l’intérêt de l’action en explique la nécessité. Mme Ugalde, qui remplit le rôle très important de la Barbe-Bleue, n’a pas été cette fois plus heureuse dans son entreprise que M. Limnander dans la sienne. Elle chante trop, et les morceaux confiés à son talent audacieux manquent d’originalité. Ce ne sont que des vocalises qui fatiguent son organe aussi bien que le public. M. Dufrène, qui est chargé du personnage du comte de Rochambeau, est un ténor de province, dont la voix, un peu pâteuse et terne, n’est pas dépourvue de charme. M. Dufrène chante avec assez de goût, mais on peut lui souhaiter un peu plus de distinction. M. Coulon, jeune élève du Conservatoire, possède une voix de basse qui produit un bon effet dans le fragment de ballade qu’il chante au second acte, ainsi que dans d’autres morceaux du rôle de boucanier qui lui est échu tout à coup sans qu’il ait pu s’y préparer suffisamment. Cette voix, un peu rude, gagnera beaucoup à s’assouplir.

L’Opéra a donné un nouveau ballet, Vert-Vert, qui n’est qu’un cadre ingénieux disposé pour faire valoir le talent d’une jeune danseuse que nous envoie l’Italie. Mme Priora est née à Milan. Elle est grande, svelte, flexible, aux traits un peu sévères, et elle semble avoir été mise au monde tout exprès pour danser. Sa pantomime est noble ; ses gestes, peu nombreux, sont expressifs, et révèlent un sentiment élevé de l’art. Elle danse avec vigueur, et sa jambe nerveuse et souple se déroule au gré de sa fantaisie. Il y a de la Taglioni dans cette jeune fille, et le public a fait à Mme Priora un accueil plein d’espérances.

A. DE PONTMARTIN.

Notes historiques sur la Vie de Molière, par M. A. Bazin[1]). — Un intérêt particulier s’attache à cette nouvelle édition d’un excellent travail de critique littéraire qui, lors de son apparition dans cette Revue[2], fut justement regardé comme la pierre de touche à laquelle il fallait soumettre toutes les précédentes biographies de Molière. M. Bazin avait, dans cette curieuse étude, laissé, comme il le disait lui-même, son dernier mot sur l’auteur du Misanthrope : c’est pour ainsi dire l’adieu d’un homme de goût aux lettres, qui avaient fait le charme de sa vie. En faisant marcher de front la critique littéraire et la biographie, en retraçant avec la sympathie qu’éveillent les belles choses l’historique de chaque comédie, M. Bazin a fait revivre dans sa vie intime, dans sa gloire et dans ses douleurs, cet étonnant écrivain, ce contemplateur, comme le nommait Boileau, qui n’a point de maître dans le passé, et qui sans doute n’en aura point dans l’avenir. Éclaircir le petit nombre de renseignemens qui nous ont été transmis sur la vie de notre grand comique, les faire coordonner avec les faits publics et avérés de l’histoire, dégager la légende qui se forme autour de tous les nom éclatans, substituer la certitude au mensonge, la vérité à la calomnie, tel est le but que M. Bazin s’était proposé d’atteindre, et qu’il a heureusement touché. Ce qui donne beaucoup de prix à cette œuvre d’érudition sagace et patiente, c’est que l’auteur, sans exagérer les rapprochemens, a toujours expliqué l’écrivain par l’homme, par les circonstances intimes de sa vie et la société de son temps ; c’est surtout la façon piquante dont il a donné ce qu’on pourrait appeler la biographie de chaque pièce. Il y a en effet dans les comédies de Molière les hommes du XVIIe siècle et l’homme de tous les temps, la peinture des éternelles faiblesses de notre nature, et celle des ridicules et des travers qui naissent et meurent avec chaque génération. Dans le Misanthrope, l’Avare, l’École des Femmes, le Tartufe, Molière, moraliste et contemplateur, sonde jusqu’aux derniers abîmes les replis du cœur humain, et il devient, par la force de la vérité, le contemporain de tous les âges. Dans les Précieuses, la Critique de l’École des Femmes, les Femmes savantes, il est surtout l’homme du XVIIe siècle. Esprit ferme et droit, écrivain de génie à force de bon sens et toujours écrivain de grand style, il poursuit dans chacune de ses pièces la fausseté de l’esprit et du langage.

Les Précieuses et la Critique ne sont en quelque sorte que les premières escarmouches d’une guerre dont les Femmes savantes seront plus tard le suprême et dernier combat. Le Lysidas de la Critique, en se dédoublant dans les Femmes savantes, deviendra Trissotin et Vadius ; Climène annonce déjà Philaminte, comme Dorante annonce Clitandre, comme Élise annonce Henriette, et il ne faut pas s’étonner que Molière ait insisté complaisamment, et à trois reprises différentes, sur des travers qui sont au fond les mêmes ; car, en attaquant les pédans, les prudes, leurs sentimens affectés et, comme le dit La Bruyère, leurs prononciations contrefaites, il défendait en même temps ses propres ouvrages, dont la cause était inséparable de la cause du bon sens et du bon goût. La gradation dans les trois pièces est curieuse à observer. Poète comique dans les deux premières, il devient dans la troisième un moraliste profond, tout en restant encore un satirique inimitable, et, dans le développement successif de la même idée, il ne fait que suivre le développement même des mœurs de son temps. En effet, de précieuses qu’elles étaient d’abord, certaines femmes étaient devenues encyclopédistes tout en restant romanesques. Elles savouraient La Calprenède et Mlle de Scudéry, en même temps qu’elles méditaient Platon et Descartes. Elles ne tenaient plus seulement des bureaux d’esprit, mais de véritables académies des sciences, et la poursuite vaniteuse d’un savoir souvent stérile les détournait de leurs devoirs d’épouses et de mères. Dans cette phase nouvelle de la préciosité, il n’y avait donc plus seulement un ridicule, mais un véritable danger social, et c’est ce danger que Molière combat corps à corps. Ce qui s’est passé depuis deux siècles dans la société française justifie pleinement la donnée morale des Femmes savantes, à savoir que les femmes, en cherchant à forcer leur talent et leur vocation, à sortir de la destinée de leur sexe, n’arrivent souvent qu’à l’impuissance et au ridicule, et ce qui le prouve. c’est la lignée d’Armande et de Bélise qui s’est perpétuée jusqu’à notre temps, comme pour rendre la pièce du grand comique d’une vérité toujours présente. En effet, au XVIIe siècle, Bélise, devenue la maîtresse d’un athée, remplace Descartes par le baron d’Holbach, et la sentimentalité innocemment nuageuse de Mlle de Scudéry par le positivisme du chevalier de Bertin. Bientôt Bélise renonce à la philosophie pour la politique ou l’économie sociale ; elle travaille à désubalterniser son sexe, et nous arrivons de la sorte à la femme réformatrice, en rencontrant successivement sur notre route les femmes esprit-fort, les tricoteuses, les femmes romantiques, les femmes libres, les femmes bas-bleus et les femmes incomprises. Les modes ont beau changer : sous leur toilette nouvelle, nous reconnaissons toujours Armande et Bélise ; seulement c’était la pruderie qui distinguait les précieuses, c’est souvent le contraire qui distingue celles qui leur ont succédé.

En suivant dans les détails les œuvres du grand poète, en les comparant entre elles, on est frappé de voir avec quelle persistance et quelle logique Molière défendait la cause de la raison, de la probité et du bon sens. Dans les Précieuses, il combat l’hypocrisie des sentimens et du langage ; dans le Médecin malgré lui, l’hypocrisie de la science ; dans Tartufe, l’hypocrisie de la piété. Chaque étude a de la sorte sa contre-partie. L’Impromptu de Versailles est le pendant du Bourgeois gentilhomme, et, dans cette double peinture de la sottise titrée et de la sottise roturière, les portraits sont tracés avec une vérité si frappante qu’on les prit pour des signalemens. Quand le Bourgeois gentilhomme fut représenté à Paris, le 23 novembre 1670, le succès fut immense, parce que chaque bourgeois, dit Grimarest, croyait trouver son voisin peint au naturel et ne se lassait point d’aller voir ce portrait. Cependant, malgré les sarcasmes qui tombaient sur elle avec tant de gaieté et de malice, la bourgeoisie ne se montra nullement scandalisée et rit de bon cœur, tandis que, parmi les gens de cour, on murmura contre le rôle de Dorante, qui offrait le type accompli et sans aucun doute très reconnaissable des chevaliers d’industrie si nombreux au XVIIe siècle dans la haute société. L’un des ennemis les plus acharnés de Molière, De Visé, essaya de soulever contre lui toute la noblesse de France en l’accusant du crime de lèse-majesté ; mais, cette fois comme toujours, Louis XIV s’interposa entre le poète et ses détracteurs, et si l’on se demande comment le grand roi laissait ainsi un simple comédien attaquer ce qu’au déclin de son règne l’un de ses ministres appelait le « corps sacré de la noblesse, « la réponse est toute simple : c’est que Louis XIV aimait à rire des ridicules que mieux que personne il était à même d’étudier des hauteurs de son rang, et qu’en cette période ascendante et glorieuse de sa vie, il continuait l’œuvre de Richelieu et se souvenait de la fronde.

Un des reproches les plus fréquens qui aient été adressés à Molière, reproche confirmé par la sévère autorité de Boileau, c’est d’être, comme on dit, tombé dans la farce. Sans doute, quand on se place au point de vue étroitement classique, quand on juge, comme certains rhéteurs, d’après le code du gout, qui n’est souvent que le code de l’impuissance et de l’ennui, on peut parfois se montrer sévère ; mais il faut d’abord tenir compte des circonstances dans lesquelles Molière composa les pièces que l’on est convenu de regarder comme des farces. Directeur de théâtre et poète comique de la cour, Molière devait faire rire le roi quand le roi voulait rire ; de plus, il devait se conformer, pour attirer le public à son théâtre, au goût de la foule, habituée depuis long-temps aux parades de la comédie italienne, et c’est pour satisfaire à la double exigence de la foule et du roi qu’il écrivit des pièces du même genre. Il voulait amuser, il a réussi. Là est toute la question, et, dans tous les cas, on ne peut refuser à ces étourdissantes compositions le premier rang parmi les chefs-d’œuvre du même genre. Il nous semble d’ailleurs que l’on n’a point suffisamment pénétré le sens intime de certains détails, et que tel passage, signalé par un grand nombre de critiques et de commentateurs comme une véritable parade, n’est souvent en réalité qu’une scène de haute comédie : nous citerons à l’appui de cette remarque la querelle de Sganarelle avec Pancrace et Marphurius dans le Mariage forcé. Les coups de bâton de Sganarelle ne tombent pas sur les pédans, mais sur le pédantisme philosophique. L’aristotélisme scholastique, au XVIIe siècle, régnait encore souverainement dans l’école. L’université de Paris, au moment où fut représenté le Mariage forcé, poursuivait la confirmation d’un arrêt du parlement en date du 4 septembre 1624, qui prononçait la peine de mort contre ceux qui oseraient combattre le système d’Aristote, et de la sorte, en mettant le bâton aux mains de Sganarelle, Molière combattait à côté de Descartes. La cérémonie grotesque du Bourgeois gentilhomme, tant de fois et si vivement critiquée à cause de son invraisemblance, se trouva en quelque sorte justifiée, quelques années plus tard, par l’aventure de l’abbé de Saint-Martin. Ce digne abbé, qui cependant ne manquait pas d’esprit, s’imagina un beau jour, sur la foi de quelques plaisans, que le roi de Siam l’avait nommé mandarin et marquis de Miskou, et on lui conféra à Caen, en 1686, les insignes de sa nouvelle dignité.

Dans le Malade imaginaire, qu’on a voulu flétrir du nom de farce, la pensée morale éclate à chaque scène. Molière, en faisant d’Argan l’esclave de la médecine et de M. Purgon, en même temps qu’il en fait un époux dupé, un père injuste, un sot égoïste, Molière a voulu évidemment montrer, et il a montré, en effet, combien l’amour obstiné de la vie est destructeur de tout bon sentiment et de toute vertu, et la pièce n’est pas, comme l’ont dit ceux qui ne l’ont point comprise, une plaisanterie attristante sur les malades et les médecins, mais une admirable satire contre l’égoïsme.

L’intéressante étude de M. Bazin, qui succède à tant d’autres études, ouvre encore, dans les œuvres du grand poète comique, une foule de perspectives nouvelles, car Molière est au premier rang de ces rares élus qui grandissent de siècle en siècle, et qui restent toujours jeunes et toujours vrais, parce qu’ils reflètent le monde et la vie. On l’a dit justement : chaque homme de plus qui sait lire est un lecteur de plus pour Molière, et, plus on s’éloigne du temps où il a vécu, plus on apprend à l’admirer, en le comparant à ceux qui l’ont précédé, et surtout à ceux qui l’ont suivi. La comédie de caractère et de mœurs, la haute comédie, c’est-à-dire celle qui réunit à la fois l’enseignement moral, la moquerie, la raison, la vérité, la passion, la poésie ; la farce, dans laquelle il épuisa la poétique du rire ; le drame romantique, Molière a touché à tout, et dans chaque genre il est resté le maître souverain. S’il emprunte à ceux qui l’ont précédé, et nous ne parlons ici que des écrivains de l’Europe moderne, il semble qu’il ne l’ait fait que pour les écraser par la comparaison ; car, à l’exception de la Farce de Pathelin, sur la limite extrême du moyen-âge, et du Menteur au XVIIe siècle, on ne trouve avant lui que d’informes essais, où figurent, pour tous personnages, des vieillards imbéciles, de jeunes débauchés, des femmes de toutes les espèces, excepté, comme le dit Suard, de l’espèce honnête, et des intrigues uniquement défrayées par deux ou trois déguisemens, trois ou quatre surprises et autant de reconnaissances. Molière arrive ; d’un coup il fait oublier tous ceux qui l’ont précédé, et, en emportant dans la tombe sa puissance d’observation, sa verve et son style inimitable, il efface tous ceux qui l’ont suivi. Il aura des imitateurs souvent heureux, il n’aura plus de rivaux. Regnard, Le Sage, Piron, Gresset dans le Méchant, Sedaine dans le Philosophe sans le savoir, rencontreront encore une haute inspiration, mais ils resteront tous éloignés du maître de la distance qui sépare le talent du génie. Certes, ce serait une belle étude littéraire que celle qui embrasserait depuis les premiers temps jusqu’à nos jours l’histoire de l’art dramatique en France, et quand on parle de Molière, il est difficile de ne point songer à cette œuvre. Ce que nous ont appris M. Sainte-Beuve sur le XVIe siècle et Molière, M. Magnin sur le moyen-âge, ne fait que rendre plus attrayantes encore les époques qui sont restées dans l’ombre. Que de changemens en effet sur cette scène du théâtre, mobile et variée comme celle du monde, depuis le jour où Rome victorieuse nous donne ses mœurs et ses plaisirs ! Chez nous, comme chez les Grecs, l’art dramatique à l’origine est un enseignement religieux, et le drame embrasse la création tout entière. Exclusivement guidé par la foi qui l’inspire, il marche au hasard à travers l’infini ; il offre aux populations croyantes le tableau des grandes scènes de la tradition religieuse, le monde du passé et le monde de l’avenir, le paradis des premiers jours où elles retrouvent leurs premiers parens, l’enfer et le paradis de la vie future où elles trouveront le Dieu qui punit et qui récompense. La foule alors regardait avec les yeux de la foi, et la puissance du drame sacré n’était pas un triomphe de l’art, mais un miracle de la croyance. Quand le mysticisme a replié ses ailes, le drame redescend sur la terre, et semble de nouveau se convertir au paganisme. Il demande des modèles à l’Italie, et non-seulement à l’Italie de Plaute, de Sénèque et de Térence, mais à l’Italie toujours païenne de Boccace, de Pogge, de Machiavel et de Bibbiena. Dans cette grande époque du scepticisme et de l’érudition, il est érudit et railleur, sans idéal, sans originalité, et toujours effacé par ceux qu’il reproduit et qu’il imite. Au XVIe siècle, il imite encore ; mais, original et créateur à la fois, il s’ouvre à tous les grands sentimens, il est romain, grec, chrétien, profondément vrai, profondément humain, et c’est là ce qui fait sa grandeur. Transformé, au XVIIIe siècle, en organe de la prédication philosophique, il travaille à démolir ce vieux monde qui doit s’abîmer bientôt dans un immense naufrage ; ce n’est plus le cœur, la passion qui l’inspirent : c’est l’esprit, et son défaut, c’est l’excès de cet esprit même. Dans les jours troublés de la révolution, il est orageux comme une émeute, désordonné comme un discours de la convention, et presque toujours faux, parce qu’il exagère dans la politique comme dans le sentiment. Méthodique et régulier sous l’empire, il emprunte ses règles au classicisme ; enfin, depuis vingt-cinq ans, il a tenté tous les systèmes, il a été tout à la fois religieux, chevaleresque, classique, parce qu’une partie de cette société était conservatrice ; romantique, c’est-à-dire révolutionnaire en littérature, parce qu’une autre partie était révolutionnaire en politique ; il a été souvent atroce, parce qu’il s’adressait à un public blasé sur toutes les émotions fortes ; obscène, parce qu’il avait besoin, pour réussir, de flatter des instincts dépravés ; il a été fécond plus que dans aucune autre époque, parce qu’il était devenu mercantile. Au milieu d’une foule de productions destinées à ne vivre qu’un jour, il a donné des œuvres durables qui se placeront incontestablement à côté de ce qu’il y a de plus élevé dans notre répertoire du second ordre ; mais, dans tous les genres vraiment littéraires, il est resté inférieur au grand siècle, et, par les solennels hommages qu’il a rendus à Molière, il a semblé reconnaître que c’était à un autre temps qu’il devait demander sa gloire impérissable.

ch. louandre.


  1. Paris, Techener, 1831, in-18.
  2. Voyez les livraisons du 13 juillet 1847 et du 15 janvier 1848.