Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1282

Règne de Philippe III le Hardi (1270-1285)

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[1282]


La veille des calendes de mai, le chevalier Jean d’Eppe, avec les troupes à la solde du seigneur pape Martin, s’étant avancés en guerre contre Gui de Montefeltro, prirent le faubourg de la ville de Forli et y demeurèrent jusqu’au lendemain matin, qu’ils rangèrent leur armée en trois bataillons en face de la ville ; ce que voyant, les ennemis envoyèrent des hommes de guerre diversement armés, afin de pouvoir détruire l’armée de Jean par la ruse plutôt que par les combats. Les deux troupes ayant couru l’une sur l’autre, il s’engagea un combat plein d’ardeur, dans lequel périt, avec environ cinq cents Français, le comte Thaddée, noble champion de l’Église. Les ennemis perdirent plus de mille cinq cents hommes, tant nobles que du commun peuple. La nuit étant enfin venue, ceux qui survivaient au combat se retirèrent chacun de son côté ; et ainsi la victoire ne fut assignée à aucun des deux partis.

On fit une solennelle recherche sur la vie et les miracles de saint Louis, roi de France. Le soudan de Babylone, chassé et poursuivi par les Tartares pendant huit jours et plus, perdit environ cinq cent mille des siens ; mais ayant rassemblé de nouvelles forces, il dispersa les Tartares, et en tua, dit-on, trente mille. Pierre, roi d’Aragon, qui, malgré la défense de l’Église de Rome, s’était fait couronner roi de Sicile, et pour ce motif avait été enchaîné des liens de l’anathème, fut dépouillé, par une sentence du pape Martin, du royaume d’Aragon et de tous les biens qu’il tenait en fief de l’Église romaine ; Ledit pape Martin délia ses vassaux de leur fidélité envers lui, et conféra et concéda à Charles, fils de Philippe, roi de France, le royaume d’Aragon avec toutes ses appartenances. Charles, prince de Salerne, fils du roi de Sicile, envoyé en France pour demander du secours, revint dans la Pouille accompagné d’un grand nombre de nobles, parmi lesquels étaient Pierre d’Alençon, frère de Philippe roi de France Robert, comte d’Artois ; le comte de Boulogne ; Jean, comte de Dammartin Othelin, comte de Bourgogne, et beaucoup d’autres.

A la nouvelle que le roi Charles avait reçu des secours de France, Pierre d’Aragon, qui voulait tâcher de vaincre ledit roi Charles par la ruse et l’artifice, plutôt que par aucune espèce de combat, et gagner du temps pour faire des préparatifs de guerre, proposa à Charles une convention de guerre en cette forme, que chacun d’eux tiendrait prêts au combat, dans les plaines de Bordeaux, cent chevaliers qu’il aurait choisis ou pu rassembler, et au nombre desquels eux deux, Pierre et Charles, devaient être comptés, et qu’ils combattraient ainsi cent contre cent ; que celui qui serait vaincu, serait déclaré infâme, privé du nom de roi, et se contenterait désormais d’être accompagné d’un seul serviteur ; celui qui ne se trouverait pas dans ledit lieu au premier jour de juillet de l’année suivante, préparé selon ces conventions, devait encourir les mêmes peines, et même être réputé parjure.