Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1254

Règne de Louis IX (1226-1270)

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[1254]


Pendant que le pape Innocent équipait une armée contre Mainfroi, prince de Tarente, qui s’était emparé du royaume de Sicile, il termina son dernier jour à Naples. Après lui, Alexandre IV, né dans la Campanie, cent quatre-vingt-cinquième pape, gouverna l’Église de Rome. Le jeune Conradin, fils de Conrad, craignant la tyrannie de son oncle Mainfroi, s’enfuit secrètement dans la terre de Bavière, auprès du duc de Bavière, père de sa mère. Jean, fils aîné de Marguerite, comtesse de Flandre et du Hainaut, et de Bouchard, seigneur d’Avesnes, se révoltant contre sa mère, voulut lui enlever le comté de Hainaut qui lui appartenait par droit héréditaire ; c’est pourquoi sa mère, indignée, appela à son aide Charles, comte d’Anjou, frère de saint Louis roi de France, et, au mépris de son fils, lui donna et concéda ledit comté. Charles, acceptant le don de la comtesse, envoya aussitôt à Valenciennes, très-fort château, qui était la capitale de tout le comté de Hainaut, une forte garnison de chevaliers, sous le commandement de Hugues de Beaugency, très-valeureux chevalier. Ils s’emparèrent des portes d’entrée et des fortifications du château malgré la résistance des bourgeois de la ville, qui leur étaient contraires. Ensuite Charles, ayant levé en France une grande armée, qu’on pouvait estimer de cinquante mille hommes, entra en grande force dans le comté de Hainaut, et, prenant d’assaut ou à composition un grand nombre de forteresses et de villes, arriva à un château appelé Mons en Hainaut, et l’assiégea. Cependant Jean, fils de la comtesse, ne se tenait pas tranquille. Il rassembla devant Valenciennes Wiliquin de Hollande, roi des Romains, et plusieurs nobles du Brabant et de l’Allemagne, ses parens du côté de son père, et y forma une puissante armée. Hugues de Beaugency, capitaine des gens de Charles, Pierre de Bellême, et quelques autres, les ayant aperçus de la ville, ouvrirent témérairement les portes du château, et firent une sortie contre eux, dans le désir d’éprouver le courage des Teutons. Le combat s’étant engagé devant les portes, comme ils se virent en grand danger, ils se retirèrent avec précipitation dans la ville. Un vaillant chevalier de l’armée ennemie, nommé Stradiot, les ayant poursuivis, entra dans le château avec eux, entonnant je ne sais quel chant de guerre ; mais les portes étant retombées, il fut retenu en dedans. Charles, ayant appris ce qui se passait, et craignant pour les siens une trahison de la part des bourgeois de Valenciennes, envoya promptement au secours de ses gens Louis, comte de Vendôme, homme vaillant à la guerre, accompagné de quelques autres chevaliers. Ceux-ci, lorsqu’ils commencèrent à approcher de Valenciennes, firent déployer leurs bannières, afin que les leurs, apercevant leurs enseignes de la ville, ouvrissent les portes, et que l’armée ennemie, qui se tenait de l’autre côté au-delà du fleuve de l’Escaut, conçût de l’effroi de leur arrivée. Le roi Wiliquin, voyant qu’il ne pouvait pendant long-temps fournir des vivres à son armée, se retira avec ses gens du côté de Charles, qui assiégeait Mons. Comme les vivres et l’argent lui manquaient à lui et à ses gens, il fut placé dans la nécessité, ou de combattre sur-le-champ, ou de se rendre promptement, et annonça le jour du combat à Charles, qui le desirait autant qu’il était en lui. Mais comme il avait avec lui quelques barons de France, parens de Jean, tels que le comte de Blois, le comte de Saint-Paul, le seigneur de Coucy, ils ne voulurent pas permettre qu’on livrât combat. Charles conclut donc une trêve, et, laissant les choses dans cet état, se retira en France. Mais dans le même temps revint du pays d’outre-mer en France le saint roi Louis, fils de la paix et de la concorde, qui établit ensuite la paix entre eux.

Haalon, très-puissant prince des Tartares, s’empara de Bagdad, ville des Sarrasins, et résidence des califes, et fit mourir de faim le calife lui-même. Pendant qu’il était en proie à une violente faim, Haalon fit placer devant lui de l’or, pour lequel il avait été excessivement passionné, et lui dit « Mange ce mets, que tu as tant aimé. »