Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1215

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1215]


La victoire que Dieu avait refusée à l’empereur Othon près de Bovines fit qu’un grand nombre quittèrent son parti en sorte que, cédant au sort, et ne pouvant secouer l’infortune, il alla vivre dans son patrimoine, c’est-à-dire en Saxe, dépouillé de l’Empire, et privé des consolations de ses amis. Attaqué enfin de la dysenterie, il convoqua les évéques et le reste du clergé, demanda avec larmes l’absolution, et mourut peu de temps après l’avoir reçue. Frédéric, roi de Sicile, qui, par l’ordre du pape Innocent, avait été couronné roi des Romains à Mayence, ayant appris qu’Othon était revenu de Flandre dans son pays, sans avoir obtenu de succès, fit marcher son armée, du pays de Souabe, où il demeurait alors, et étant arrivé à Aix-la-Chapelle, assiégea et prit d’assaut cette ville, où il fut de nouveau proclamé roi des Romains, le 15 juillet. Bientôt après, pour ne pas se montrer indigne de l’honneur que Dieu lui avait accordé, il prit le signe de la croix du Seigneur, dans l’intention de marcher avec d’autres au secours de la Terre-Sainte.

Quelques grands du royaume d’Angleterre se révoltèrent contre leur roi Jean, à cause de quelques coutumes qu’il avait établies, et qu’il refusait d’observer lui-même, selon son serment : le commun peuple, à savoir la foule des paysans et un grand nombre de villes, se rangèrent du parti des grands. Ceux-ci, craignant cependant de ne pouvoir résister au roi Jean jusqu’à la fin, invitèrent par des messagers Louis, fils aîné du roi des Français, à leur porter secours, lui promettant la monarchie de toute l’Angleterre lorsqu’ils auraient chassé le roi. Louis, ayant reçu d’eux des otages, leur envoya un grand nombre de ehevaliers. Au mois de septembre, de nobles hommes, tant du Brabant que de la Flandre, éprouvèrent un naufrage, et furent submergés en voulant passer en Angleterre au secours du roi, qui promettait une riche solde à ceux qui viendraient à son secours. Les ennemis du roi, joyeux de cet accident, en furent d’autant plus ardemment animés dans leur révolte contre lui, assurant qu’il apparaissait en toutes choses que la main de Dieu était contre le roi.

Au mois de novembre le pape Innocent tint à Rome un concile général, appelé le concile de Latran, auquel assistèrent quatre cent douze évêques, parmi lesquels il y eut deux patriarches, le patriarche de Constantinople et celui de Jérusalem. Le patriarche d’Antioche, retenu par une grave maladie, n’y put venir, mais il envoya à sa place l’évêque d’Antarados ; le patriarche d’Alexandrie, placé sous la domination des Sarrasins, fit ce qu’il put, et envoya pour lui un diacre, son frère. On y vit les primats, soixante-onze métropolitains et plus de huit cents abbés et prieurs de couvens ; on y vit en foule les envoyés de l’empereur des Romains, de l’empereur des Grecs, du roi des Français, du roi de Jérusalem, du roi d’Angleterre, du roi de Chypre, du roi d’Espagne, et d’autres rois et princes. Le saint synode décréta beaucoup de choses utiles, et en confirma beaucoup d’autres anciennement établies. Raimond, comte de Toulouse, et son fils Raimond furent condamnés comme hérétiques, et un grand nombre d’autres hérétiques et de leurs fauteurs furent frappés du glaive de l’anathême. On condamna un ouvrage ou traité sur la Trinité, que l’abbé Joachim avait écrit contre maître Pierre Lombard ; et le dogme pervers d’Amauri fut déclaré impie et hérétique.

Dans le même temps, comme quelques-uns prétendaient que Denis l’Aréopagite était le même que Denis évêque de Corinthe, qui avait souffert le martyre en Grèce, où on l’avait enterré, et qu’il avait existé un autre Denis qui avait prêché la foi chrétienne en France à Paris ; et que d’un autre côté, d’autres affirmaient qu’après la mort des apôtres Pierre et Paul, Denis était venu à Rome, et avait été envoyé en France par le pape saint Clément, successeur de l’apôtre Pierre, le pape Innocent, ne voulant adopter aucun des deux partis, mais desirant honorer l’église de Saint-Denis en France, y envoya, par les moines de ce monastère présens au concile, le corps de saint Denis évêque et confesseur de Corinthe, transporté de Grèce à Rome par un cardinal-légat, et acquitta des pénitences qui leur seraient ordonnées ceux qui, s’approchant des sacrées reliques du saint, se repentiraient sincèrement, et se confesseraient pendant quarante jours.