Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1186

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1186]


Geoffroi, comte de Bretagne, troisième fils de Henri, roi d’Angleterre, mourut à Paris, et fut, par le consentement du roi de France, enseveli dans la grande église de Sainte-Marie. Philippe, roi de France, délivra le château de Vergy, en Bourgogne, assiégé pendant long-temps par le duc de Bourgogne. Henri, fils de l’empereur Frédéric, fut créé roi des Romains par son père, et prit en mariage une soeur de Guillaume, roi de Sicile, nommée Constance. Il s’éleva entre elle et le pape Urbain une violente inimitié. Baudouin, roi de Jérusalem, mourut, encore enfant. Il eut pour successeur au trône Gui, comte de Lusignan, marié à Sybille, mère du jeune prince. Cette élection déplut au comte de Tripoli, qui avait été créé tuteur du jeune roi ; c’est pourquoi il commença par donner au roi et aux siens diverses preuves de sa haine. La sœur de Philippe, roi de France, auparavant femme de feu Henri le Jeune, roi d’Angleterre, fut conduite en Hongrie pour être mariée à Bêle, roi de ce pays.

Renaud, prince d’Antioche, rompit la trêve que de part et d’autre avaient promis d’observer les alliés chrétiens et le roi des Turcs, Comme une nombreuse et riche caravane de Turcs passait de Damas en Égypte, sans crainte de faire route dans l’intérieur de la terre des Chrétiens, car ils avaient confiance en la trêve, tout-à-coup ledit prince fondit sur eux, et eut l’infamie de les emmener prisonniers avec tous leurs bagages.

Il vint, du pays de Calabre vers le pape Urbain, qui demeurait à Vérone, un abbé, nommé Joachim, qui avait reçu de Dieu le don d’intelligence, en sorte qu’il expliquait avec éloquence et sagesse les difficultés des Ecritures. Il disait qu’ignorant les lettres, un ange du Seigneur lui avait apporté un livre, lui disant « Vois, lis et comprends. » Et ainsi avait-il été divinement instruit. Il disait que jusqu’alors les mystères de l’Apocalypse avaient été inconnus, mais que maintenant ils allaient être par lui éclaircis dans l’esprit de la prophétie, comme il serait évident à ceux qui liraient le petit ouvrage qu’il avait écrit. Il disait de plus que de même que les Ecritures de l’ancien Testament contiennent l’espace de cinq âges du monde écoulés depuis Adam jusqu’au Christ, ainsi le livre de l’Apocalypse expose le temps du sixième âge commençant depuis le Christ ; que ce sixième âge se divise en six petits âges, désignés assez convenablement par chaque période de ce livre. Il rapportait que ces choses lui avaient été révélées à la fin du cinquième petit âge, et que bientôt viendrait le sixième, dans lequel il assure qu’un grand nombre de différentes tribulations fondront sur le monde, et l’accableront, comme on le voit d’une manière évidente, à l’ouverture du sceau et dans la période du sixième livre, qui traite de la ruine de Babylone. Ce qu’il y a de plus remarquable et de plus suspect dans cet ouvrage, c’est qu’il y annonce la fin du monde, et pense qu’elle doit arriver dans l’espace de deux générations, formant selon lui soixante ans. On rapporte qu’il écrivit beaucoup, et offrit ses livres à corriger au Pape, car on dit que dans quelques-uns il commit des erreurs.