Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/26

CHAPITRE XXVI

DOURDAN AU XIXe SIÈCLE.


Bien que la chronique d’une ville royale finisse tout naturellement à l’heure où cesse l’ancien régime de la France, et que nous sentions tout ce qu’a de délicat l’appréciation des personnes et des choses actuelles, nous croirions avoir quitté trop tôt Dourdan et paraître oublier son présent et son avenir si nous ne résumions, dans quelques dernières pages, le siècle nouveau, dont les deux tiers appartiennent dès à présent à l’histoire ; dont la marche, les événements, les progrès ne sont qu’une suite de l’ancienne période, et dont beaucoup de faits ont déjà la valeur de souvenirs.

Dourdan, au lendemain de la république, à l’aurore de l’empire, c’est-à-dire au moment décisif de sa vie moderne, eut le bonheur de n’avoir pas à chercher le représentant de ses intérêts et de ses besoins. L’homme qui avait naguère sa confiance mérita alors toute sa gratitude. Le consul Lebrun paya largement aux Dourdanais le mandat du député au tiers-état.

Triumvir, architrésorier, collègue, puis ministre du maître, Lebrun, duc de Plaisance, demeura toujours fidèle à Dourdan et n’omit jamais une occasion de servir sa cause avec un dévouement et un empressement affectueux. Réouverture de l’église dès 1798 ; — choix de l’intelligent et bon curé M. Roussineau qui pendant de si longues années administra Saint-Germain, et laissa un souvenir vénéré ; — création de deux justices de paix pour les deux sections nord et sud de Dourdan (arrêté du 25 octobre 1801) ; — restitution aux sœurs de la communauté de leur maison et d’une partie de leurs biens ; — conservation à Dourdan du tribunal de commerce créé par la république, lors de la réorganisation générale de 1807 ; — amélioration des routes qui desservent la ville et de la ville elle-même ; — élan donné à l’industrie locale ; — importation de manufactures nouvelles ; — création de Ville-Lebrun et des fabriques de Grillon : le nom, l’initiative ou la protection de M. Lebrun se retrouvent partout.

Dourdan avait à la tête de son administration un homme laborieux, qui cherchait dans le travail de son cabinet et dans l’exercice consciencieux des devoirs publics de sa charge, l’oubli d’un passé troublé et des tristes irrésolutions de sa jeunesse[1]. M. Dauvigny, après avoir administré la ville en qualité d’agent municipal et de maire provisoire, avait été définitivement nommé maire en 1800, et remplit cette fonction jusqu’en 1808. Il lui fut donné d’assister et de participer au mouvement de renaissance et de réorganisation qui répara à Dourdan, comme partout, bien des désordres, et de présider au fonctionnement de la nouvelle administration cantonale. La ville lui doit plus d’une mesure d’embellissement ou d’utilité. Une belle avenue d’arbres, qui mène de la porte de Paris au Jeu de Paume, a conservé son nom et perpétue son souvenir.

M. Dauvigny eut l’honneur de recevoir à Dourdan le héros du siècle, Napoléon Ier, qui, lui aussi, parut un jour dans nos murs pour qu’il ne manquât aucun nom à la liste des illustres hôtes d’une ville qui, à l’exception de Louis XIV, a vu passer presque toutes les figures historiques de la France. Le 24 août 1806, l’empereur, accompagné de l’impératrice Joséphine, venant de Rambouillet et se rendant à la chasse aux loups dans la plaine du Plessis-Authon, traversa deux fois Dourdan dans la même journée. Les enfants d’alors se rappellent aujourd’hui les brillants équipages de la chasse impériale, les fanfares des trompes, les quatre loups pendant aux selles des piqueurs, les troupes de l’escorte et surtout le fameux mameluck galopant en avant de l’empereur[2]. Le maire, en offrant les hommages des habitants, n’oublia pas leurs besoins. L’empereur laissa une somme de 6,000 francs, moitié pour l’hospice, moitié pour les réparations de l’église. La reconnaissance des Dourdanais pensa quelques instants se traduire par un monument commémoratif de ce passage, mais le projet demeura sans exécution[3]. — C’est vers cette époque que le mouvement industriel dû à l’initiative de M. Lebrun atteignit son apogée.

De 1808 à 1813, maire une première fois, M. Demetz, avocat, enfant de Dourdan, fut témoin des brillantes années de l’empire, des journées de réjouissances et de victoire, mais aussi des hécatombes sanglantes et des dures levées d’hommes qui coûtèrent à Dourdan plus d’un sacrifice.

Un ancien nom, au service du pouvoir nouveau, fit revivre pour Dourdan les souvenirs du siècle passé. Le marquis de la Brousse de Verteillac, officier de la Légion d’honneur, chambellan de l’empereur, fut nommé maire en 1813. La mémoire de sa famille était toute vivante encore. Le Parterre, qu’il avait dû vendre par actions en 1809, était toujours sa demeure. Dourdan, durant de tristes jours, lui dut peut-être son salut. En effet, le territoire était envahi deux fois en quinze mois par l’étranger. Plus d’un demi-siècle a passé sur ce souvenir et n’a pas suffi pour l’effacer. Paris avait capitulé le 3 mars 1814. Le 2 avril, à la chute du jour, trois hussards prussiens traversèrent Dourdan au galop, de la porte de Paris à la porte de Chartres. Une impression de douloureuse terreur s’empara des habitants, et plus d’un homme mûr d’aujourd’hui se souvient d’avoir vu son père enfouir alors, dans quelque coin de la cave ou du jardin, l’argent de la famille. Le lendemain soir, dimanche 3 avril, une troupe de Cosaques parut à son tour. Des tentes se dressèrent autour de la ville et l’on vit successivement quatre à cinq cents Russes de la garde impériale campés près de Saint-Laurent ; l’artillerie prussienne stationnant avec ses pièces au Jeu de Paume, des bivouacs organisés en face du Parterre, sur la route et sur la plaine de Liphard ; six mille cavaliers anglais passant à la fin de juin, et la cavalerie russe défilant au son d’une musique sauvage. On jugera de la fermeté et de la prudence que dut déployer l’autorité locale, quand on saura que, durant tout ce temps, la ville était pleine de soldats français logés dans toutes les maisons et dont la moindre susceptibilité eût pu amener une collision terrible.

Partie d’Orléans pour se rendre à Rambouillet et de là en exil, l’impératrice Marie-Louise, accompagnée du roi de Rome, traversa Dourdan. Son équipage, entouré de cinquante cosaques couverts de haillons, s’arrêta sur la place devant le château et à la poste aux chevaux, rue de Chartres. La foule se pressa, respectueuse et émue, autour de la voiture. Le roi de Rome, debout à la portière, embrassa quelques enfants de son âge présentés par leurs mères, et apercevant dans l’assistance un dragon impérial s’écria vivement : « Oh ! maman, un soldat de papa ! » Des larmes mouillèrent les yeux de Marie-Louise et le triste cortége repartit au grand trot.

Dourdan retrouvait en quelque sorte, avec l’ancienne dynastie, ses anciens maîtres. Le 9 octobre 1814, MM. de Verteillac, Boivin, Dauvigny et Roussineau présentaient, aux Tuileries, au roi Louis XVIII, les hommages de la ville de Dourdan, et se rendaient le même jour au Palais-Royal, chez le duc d’Orléans, dans l’apanage duquel la forêt de Dourdan rentrait dès le 21 octobre.

L’année suivante reparut l’étranger. Cette fois on avait tout à redouter de sa présence. M. de Verteillac, colonel de la garde nationale de Seine-et-Oise, sut encore par son influence et sa ferme attitude prévenir tout excès de l’ennemi et tout conflit avec la population. La ville de Dourdan n’eut réellement pas à souffrir, comme elle pouvait le craindre, de cette dangereuse invasion. Elle en a gardé un reconnaissant souvenir à son maire d’alors, l’aimable marquis, ancien militaire aux allures de vrai gentilhomme, aussi peu ménager de sa fortune que de ses bons offices.

Secondé dans son administration par MM. Thirouin et Genêt, adjoints, il conserva la mairie jusqu’en 1817, et fut remplacé par M. Demetz, élu pour la seconde fois. C’est grâce à l’initiative de MM. Demetz, Lebrun et Boivin, que la souscription ouverte pour l’achat du Parterre par les habitants avait été couverte. M. Demetz s’était engagé par avance à garder pour son compte deux fois le nombre des actions prises par le plus fort souscripteur. Préoccupé du projet de retrait de la maison de détention à laquelle la ville paraissait tenir, il fit faire à ses frais un plan général de réorganisation des bâtiments, mais ne put réussir à le faire accepter de l’administration supérieure. M. Demetz a eu le bonheur de laisser, pour perpétuer son nom, un fils que Dourdan revendique comme un de ses plus chers citoyens. La France entière connaît le vénérable magistrat qui a fondé l’admirable colonie pénitentiaire de Mettray ; la ville de Dourdan aime à posséder, trop rarement, hélas ! dans ses murs, l’homme infatigable et dévoué toujours fidèle à l’amour du toit paternel et du pays natal, dont il représente depuis de si longues années un des cantons au conseil général de Seine-et-Oise.

M. Moulin, baron de Menainville, fut maire de Dourdan de septembre 1821 à février 1826. Des réparations importantes à l’église et au presbytère datent de son passage. Un souvenir précieux aux Dourdanais se rattache à son administration l’institution de la Rosière.

Un homme généreux, né à Dourdan, M. Michel, doyen des avoués de la Cour d’appel de Paris, eut l’heureuse et féconde pensée de laisser un legs de douze mille francs, dont l’intérêt permettrait d’offrir, chaque année, une dot de six cents francs à la jeune fille de Dourdan réputée la plus vertueuse, « dans la vue de ramener la jeunesse à de bonnes mœurs, à la saine morale et aux pratiques de la religion chrétienne. » Le premier couronnement d’une rosière eut lieu en juin 1823. Une jeune ouvrière de la filature de Grillon, mademoiselle Cocheteau, recueillit tous les suffrages. Solennellement conduite, en grand cortége, le dimanche de la Trinité, elle fut reçue au Parterre par le sous-préfet et les autorités de la ville. Le maire, après un discours, la mena en procession à l’église. Une foule immense se pressait au dedans et au dehors ; deux cents jeunes filles en blanc escortaient leur compagne. En face la chaire, où un sermon fut prêché, une estrade était dressée pour madame la baronne Auguste Lebrun. C’est elle qui déposa sur la tête de la rosière la couronne de roses blanches bénite à l’autel. Vis-à-vis, le vieux duc de Plaisance, octogénaire, assis, aimable et souriant, près d’une charmante quêteuse, mademoiselle Guenée-Guerrier, donnait, avant de mourir, à la population de Dourdan, le dernier témoignage d’une fidèle sympathie. L’après-midi, deux cents ouvriers de la filature, avec musique et bannières, vinrent offrir à la rosière une chaîne d’or ; des jeux, des illuminations, des bals au Parterre retinrent la foule jusqu’à la nuit.

Tel est encore aujourd’hui le programme de la fête qui, chaque année, le dimanche de la Trinité, attire à Dourdan un grand concours. C’est maintenant la première des fêtes de Dourdan, et, depuis bientôt un demi-siècle, modestes et sages rosières, riches et nobles couronnantes, joyeux et brillants cortéges n’ont jamais manqué à cet anniversaire de la vertu. La mémoire de M. Michel est en grand honneur à Dourdan, et quand on sait la salutaire émulation des futures rosières et les mérites persévérants des rosières passées, on ne peut s’empêcher de bénir l’homme dont une bonne pensée encourage tant de bonnes actions[4].

Le 26 février 1826, M. Denis-Aubin Boivin, qui avait puisé dans le notariat une connaissance approfondie des affaires, et dont l’expérience et l’éminent bon sens avaient déjà rendu à Dourdan plus d’un service, fut installé comme maire, et depuis, plusieurs fois réélu. Conseil et ami du duc de Plaisance, il fut honoré de la part de ses concitoyens d’une confiance qui fit sa force dans les années difficiles qu’il dut traverser. La révolution de 1830, avec les malaises et les agitations qui en furent les symptômes et les conséquences, l’invasion du terrible choléra de 1832, qui fit à Dourdan un grand nombre de victimes et eût pu faire des séditieux, s’opérèrent sans fâcheuse secousse. À cette période se rattachent la délimitation des territoires de Dourdan et de Saint-Arnoult, — l’annexion de la forêt au territoire de la commune de Dourdan, — la reconstruction complète de la halle (1836)[5].

M. Émile Boivin remplaça son père le juillet 1843. Il avait appris à bonne école la science administrative, et son passage fut tout d’abord signalé par une grande impulsion donnée à l’instruction primaire, à la vicinalité, à la police urbaine. La révolution de 1848, précédée de la disette de 1847, vint à la traverse, mais le bon esprit de la population sut prévenir et empêcher tout sérieux désordre.

M. le docteur Diard, médecin de la ville et adjoint, fut élu maire au mois de novembre, et pendant dix-sept ans a mené de front cette lourde tâche avec les devoirs de son art. Sous son administration, la ville de Dourdan a été tenue constamment au courant de tous les progrès utiles : réédification des clochers de l’église, — construction d’une école de garçons, — addition d’une aile aux bâtiments de l’hospice (avril 1853), — acquisition et réunion au domaine communal de la belle et précieuse propriété du Parterre, — édification d’une prison municipale, création d’une société de secours mutuels et de prévoyance (2 mars 1851), et d’une caisse de retraite pour les vieillards, — établissement d’une caisse d’épargne (décret du 27 nov. 1859). Nous ne faisons qu’indiquer en passant ces différents résultats d’un développement matériel et moral. La confection et l’ouverture du chemin de fer de Paris à Tours, par Vendôme (automne 1865), avec station à Dourdan, ne sauraient être oubliées, car c’est là un de ces faits à portée immense qui eussent tant étonné nos pères et qui modifient profondément toutes les relations économiques de la contrée.

Par décret du 23 septembre 1865, M. Émile Boivin a repris une seconde fois la charge de la mairie. Représentant d’un des cantons de Dourdan, depuis près de quarante années, au conseil général de Seine-et-Oise, qui lui a confié à chaque session la délicate et laborieuse rédaction du budget, ce n’est pas seulement à la ville de Dourdan, c’est au département tout entier que l’habile administrateur a dévoué son infatigable activité. Jaloux de la fortune, du bien-être et de l’honneur de sa ville natale, il voudrait la voir à la fois s’enrichir de toutes les ressources et de tous les progrès. Dourdan, disons-le, paraît devoir rapidement marcher dans la carrière qui lui est ouverte. Un conseil municipal, intelligent et uni, ne néglige et ne diffère aucune bonne mesure. Depuis peu de temps, il a été beaucoup fait : développement de l’instruction primaire, classes d’adultes, études et exécutions instrumentales et chorales, — amélioration de la voirie urbaine et progrès de la petite vicinalité, — fixation des plans d’alignement des rues de la ville, — création d’un octroi municipal sur les boissons[6], — construction d’une spacieuse caserne de gendarmerie, — établissement d’une usine à gaz et éclairage de toutes les parties de la ville, — restauration complète du vaisseau de l’église, — institution de sœurs pour garder les malades, etc., — voilà le dernier mot d’un récent passé, ce n’est certes pas celui de l’avenir.

Quelles sont les futures destinées de Dourdan ? La Providence seule le sait. Dès à présent, l’extension régulière de la ville, le chiffre toujours croissant des habitations qui s’y élèvent et de la population qui y demeure, l’attrait de son charmant et paisible site qui retient ou appelle de bonnes et honorables familles, l’excellente tenue de ses établissements publics, l’importance bien connue de son marché de grains et sa position privilégiée par rapport à Paris et aux régions agricoles, tout fait croire que Dourdan ne s’arrêtera point dans la voie prospère où il est entré. Certaines éventualités peuvent l’y pousser. L’augmentation prévue du réseau ferré, ouvrant un second débouché sur Paris, viendrait accroître, à un instant donné, le mouvement commercial de la localité, en y plaçant le point de jonction de deux lignes. Qui sait encore si, dans le remaniement probable de la circonscription départementale des environs de Paris et la nouvelle délimitation des arrondissements, Dourdan, déjà siége de deux cantons, ne retrouverait pas la place que lui promettait son ancienne élection ? — Quoi qu’il arrive, ce que nous souhaitons à notre chère ville, c’est la paix, plus encore que l’éclat ; c’est le bien-être, récompense du labeur de ses citoyens ; c’est une puissante vie morale avec de fécondes libertés ; c’est d’ignorer les secousses violentes, les sanglants sacrifices au prix desquels les cités achètent une gloire douteuse, et — ce qui est, dit-on, le partage des peuples heureux — c’est de ne plus avoir d’histoire !

  1. M. Dauvigny avait appartenu à l’ancien clergé. Instruit et aimant l’étude, il laissa une quantité innombrable de manuscrits de toutes sortes, compilations, analyses d’ouvrages, etc. Il avait rédigé plusieurs petits cahiers qui devaient composer une Nouvelle histoire de Dourdan. Ces notes ont été dispersées et détruites ; à en juger par quelques feuillets conservés, ce travail n’avait peut-être qu’une médiocre valeur critique.
  2. Deux tombes pareilles, d’une forme à demi-orientale, s’élèvent dans un coin du cimetière de Dourdan. Sur une d’elles on lit les noms de Roustam Raza, né à Tiflis (Géorgie). — C’est là que repose le célèbre mameluck qui est venu se retirer et mourir à Dourdan, enterré près de sa femme, Mlle Douville, dont la famille habitait le pays.
  3. Il était question d’élever une pyramide sur la place du marché. La dépense était estimée 3,000 fr. Un modèle en charpente demeura longtemps sur la place, et un commencement de souscription monta à 593 fr. 16 c. — Archives de la mairie.
  4. On trouvera à la fin de ce livre la liste des quarante-sept rosières qui se sont déjà succédé à Dourdan. Nous avons voulu leur rendre cet hommage et conserver des noms modestes mais estimés de tous, qui sont aujourd’hui, pour la plupart, ceux de vertueuses filles ou de dignes mères de famille. — Pièce justificative XXIV.
  5. La nouvelle halle de Dourdan fut adjugée pour 27,963 fr. à M. Pommier, entrepreneur, et exécutée sur les plans de M. Vanclemputte. La première pierre fut posée par M. Boivin, le 31 mars 1836.
  6. Droit de 0,01 c. par litre.