Choses vues/1851/La peine de mort

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 79-80).


PEINE DE MORT.


16 octobre 1851.

Quand un homme est condamné à mort, dans cette ville de Paris, une fois l’arrêt prononcé, une porte placée derrière le banc des accusés s’ouvre dans le mur de la salle des assises et les gendarmes l’entraînent à travers des corridors et des escaliers obscurs. Quelques instants après, une grille de fer s’ouvre, le condamné descend quelques marches, il se trouve dans une grande salle basse, pavée, voûtée en ogives, badigeonnée en jaune sale, qui est l’avant-greffe de la Conciergerie. Là les gendarmes le remettent aux geôliers. Les geôliers prévenus attendent en foule le condamné. On s’empresse autour de lui. Tout un des côtés de cet avant-greffe est occupé par une large grille peinte en jaune comme le reste et qui emplit tout une ogive du haut en bas. Cette grille, où s’ouvre une porte carrée, ferme un compartiment obscur qui est l’antichambre du cachot dit cellule des condamnés à mort. On fait entrer le condamné dans cette antichambre. Il y a là pour tout meuble un vaste paravent de papier gris à fleurs. On pousse le condamné derrière ce paravent ; on étend un tapis sur le pavé ; puis on déshabille l’homme. Les allants et venants restés hors de la grille font effort pour l’apercevoir. On met le condamné entièrement nu, on le visite de la tête aux pieds, après quoi on lui passe une chemise à large col rabattu et on le rhabille avec des vêtements spéciaux. Cette toilette se termine par la camisole de force. Si le condamné est redoutable on fait passer entre les jambes les cordes qui attachent l’extrémité des manches. Cette position produit une gêne souvent insupportable et qui devient une souffrance. La camisole mise, on l’introduit par une porte bardée de fer qui s’ouvre brusquement derrière lui dans la cellule des condamnés à mort.

Hier, on a condamné à mort un nommé Humblot, garçon de dix-neuf ans. C’était un petit jeune homme à l’air doux et au regard timide qui avait coupé la gorge à sa maîtresse avec un rasoir. Détail affreux : il avait choisi pour le meurtre le moment de l’amour. Dans les quelques semaines qu’il a passées à la Conciergerie en attendant sa mise en jugement, cet Humblot était le plus gai des prisonniers. Il jouait à saute-mouton et à la main chaude avec de grands éclats de rire.

Vers sept heures du soir, la sonnette de l’avant-greffe, vivement secouée, a annoncé que le condamné arrivait.

Un moment après, la grille s’est ouverte, et il a paru. Il avait l’air parfaitement calme. Un des assistants me disait : J’étais, certes, plus ému que lui. Je pouvais à peine me tenir sur mes jambes.

En entrant dans l’avant-greffe, il a jeté les yeux sur la foule des assistants, geôliers et prisonniers, et il a dit : — J’ai tout de même crânement soif. J’ai une faim à crever.

Puis il a franchi l’autre grille, est entré derrière le paravent ; on a posé à terre deux chandelles allumées ; il a regardé curieusement le tapis qu’on déroulait sous ses pieds, et s’est laissé déshabiller sans mot dire. Quand il a été nu, il a dit : Tiens ! et a fait un entrechat. C’était le visage d’un enfant et la gaîté aussi.

On l’a rhabillé des habits de la prison et on lui a mis la camisole de force. C’est un nommé Charbonnier, condamné pour chantage, qui met aux condamnés cette camisole. Cet homme est doux, et sait serrer la camisole sans gêner le prisonnier. — Ne me faites pas de mal, a dit Humblot, puis il a reconnu Charbonnier, et a dit : Ah ! c’est toi ! bonsoir !

Les porte-clefs essayaient de le consoler. Il s’est mis à rire. — À quoi bon tout ça ? Je ne me désespère pas. Je ferai mon pourvoi. Bah ! on en revient. Et puis je n’ai pas peur.

Un moment après, il a dit :

— J’ai tué, eh bien ! on me tuera. Quitte.

La camisole liée et bouclée, il s’est écrié : Ma calotte rouge ! Qu’est-ce qu’on a fait de ma calotte rouge ! Je veux ma calotte rouge.

On a trouvé cette calotte à terre dans un coin et on la lui a mise sur la tête.

— Maintenant, à manger ! a-t-il dit.

— Que voulez-vous ?

— Une omelette au lard.

Charbonnier lui a dit : — J’ai un demi-poulet rôti. En veux-tu ?

— Parbleu !

On lui a servi le demi-poulet et l’omelette au lard. Il a mangé avidement. Il a bu une bouteille de vin, puis s’est couché, et a dormi dix heures.

À cinq heures du matin on est venu le réveiller pour le conduire à la Roquette.