Ode à Monseigneur le Duc d’Enghien


GRAND duc, qui d’Amour et de Mars
Portes le cœur et le visage,
Digne qu’au trône des Césars
T’élève ton noble courage ;

Enghien, délices de la cour,
Sur ton chef éclatant de gloire
Viens mêler le myrte d’amour
À la palme de la victoire.

Ayant fait triompher les Lis
Et dompté l’orgueil d’Allemagne,
Viens commencer, pour ta Philis,
Une autre sorte de campagne.


Ne crains point de montrer au jour
L’excès de l’ardeur qui te brûle ;
Ne sais-tu pas bien que l’amour
A fait un des travaux d’Hercule ?

Toujours les héros et les dieux
Ont eu quelques amours en tête ;
Et Jupiter, en mille lieux,
En a fait plaisamment la bête.

Achille, beau comme le jour,
Et vaillant comme son épée,
Pleura neuf mois pour son amour,
Comme un enfant pour sa poupée.

Ô Dieux ! que Renaud me plaisait !
Dieux ! qu’Armide avait bonne grâce !
Le Tasse s’en scandalisait,
Mais je suis serviteur au Tasse.

Et nos seigneurs les Amadis,
Dont la cour fut si triomphante
Et qui tant joutèrent jadis,
Furent-ils jamais sans infante ?

Grand duc, il n’y va rien du leur,
Et, je le dis sans flatterie,
Tu les surpasses en valeur,
Passe-les en galanterie.

Viens donc hardiment attaquer
Philis, comme tu fis Bavière ;
Tu la prendras sans y manquer,
Fût-elle mille fois plus fière.

Nous t’en verrons le possesseur,
Pour le moins selon l’apparence,

Car je crois que ton confesseur
Sera seul de ta confidence.

Cependant fais qu’en de beaux vers
La plus galante renommée
Débite, par tout l’univers,
Les grâces de ta bien-aimée.

Choisis quelque excellente main
Pour une si belle aventure :
Prends la lyre de Chapelain
Ou la guitare de Voiture.

À chanter ces fameux exploits,
J’emploierais volontiers ma vie ;
Mais je n’ai qu’un filet de voix,
Et ne chante que pour Sylvie.