Chateaubriand en Orient

Chateaubriand en Orient
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 24 (p. 94-123).
CHATEAUBRIAND
EN ORIENT

« Et moi, vieux voyageur… » aimait-il à soupirer avec plus encore d’admiration pour lui-même que de mélancolie ou d’attendrissement ! Il avait raison. Ne séparons point ses voyages de ses poésies et de ses romans : il y a mis tant de lui-même ! I On nous l’a fait bien voir. Naguère, devant la critique spirituellement inexorable de M. Joseph Bédier, le voyage en Amérique a failli se dissoudre en rêves : « la grande voix » du Meschacébé a dû se taire, « les ours enivrés de raisins » sont tombés des branches de leurs ormeaux, et « la vierge des dernières amours » est rentrée dans le silence de la nuit ; cette exploration au merveilleux pays des Natchez s’est réduite à une excursion au Canada ; et, pour visiter les Florides, il n’est plus resté, assis devant sa table, qu’un poète, c’est-à-dire un créateur, dont l’imagination prolongeait à sa guise les humbles livres qu’il avait sous les yeux et se faisait pour lui-même un monde enchanté. Le voyage en Orient parait offrir d’abord une prose plus résistante : l’Itinéraire, journal sans prétention, a un titre rassurant ; et le lecteur prend confiance à suivre ce voyageur précis, voire un peu sec, qui le conduit, presque jour à jour, d’étape en étape. Rendons-lui donc une première justice : il n’a pas tout inventé. Il est bien monté sur l’Acropole, il a bu de l’eau du Jourdain, il s’est assis aux pieds des Pyramides. Mais un poète porte partout sa fantaisie, et Chateaubriand sa désinvolture. Cet homme a trop méprisé l’humanité, pour ne pas mépriser un peu les choses. Il faut qu’elles se soumettent à son regard, et s’organisent en beauté pour devenir le tableau où son souvenir se complaira. Et c’est à travers cette terre d’illusions que se déroule son « itinéraire. »


I

Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en allant par la Grèce et revenant par l’Egypte, la Barbarie et l’Espagne, — ce titre un peu long semble dire assez clair le but de ce voyage : Athènes, Sparte, Memphis, Carthage et même l’Alhambra ne sont que des haltes sur la route de Jérusalem ; et ce voyage est un pèlerinage.

« Pèlerinage toujours rêvé, » nous dit-il, depuis le jour, où, dans l’église de Plancouët, sa mère l’avait conduit tout habillé de blanc et de bleu pour le faire relever du vœu de sa nourrice. Le religieux qui présidait la cérémonie avait parlé de la « sainteté des vœux » en mots qui avaient ému l’enfant ; il lui avait rappelé que des Chateaubriand s’étaient croisés jadis ; et, pour finir, il avait souhaité au petit chevalier de Chateaubriand de pouvoir un jour s’agenouiller, comme eux, au tombeau du Christ. René avait alors sept ans ; trente ans plus tard, le rêve de l’enfant s’accomplissait, et le vicomte de Chateaubriand partait pour la Terre-Sainte comme un preux d’autrefois.


Il peut paraître étrange aujourd’hui, dit-il, de parler de vœux et de pèlerinages ; mais, sur ce point, je suis sans pudeur, et je me suis rangé depuis longtemps dans la classe des superstitieux et des faibles. Je serai peut-être le dernier Français sorti de mon pays pour voyager en Terre-Sainte avec les idées, le but et les sentimens d’un ancien pèlerin. Mais, si je n’ai point les vertus qui brillèrent jadis dans les sires de Coucy, de Nesles, de Châtillon, de Montfort, du moins la foi me reste : à cette marque je pourrais encore me faire reconnaître des antiques Croisés.


Ainsi se campe l’auteur de l’Itinéraire à la première page de son livre. C’est le descendant des bons gentilshommes de Bretagne, qui renouvelle le geste familial ; mais c’est aussi l’apologiste, le croyant d’un siècle réconcilié avec la religion, le poète de la grande épopée chrétienne, qui s’en va méditer sur le « génie du christianisme » aux lieux mêmes qui l’ont vu naître.

Ce pèlerin nous édifie. Pourtant quelques dates toutes sèches, prises dans son livre même et ramassées comme en faisceau, nous laissent une première inquiétude. C’est le 13 juillet 1806 que M. et Mme de Chateaubriand avaient quitté Paris. Le 28, sur le rivage de Venise, où son époux la laissait malgré elle, Mme de Chateaubriand, toute frémissante, assistait à l’embarquement de ce nouveau Croisé. Le 10 août, il abordait la côte de Messénie, et, du 10 au 30, promenait ses rêves en Grèce. Le 4 septembre, il était à Smyrne. De Smyrne, il gagnait à cheval Constantinople, où il passait cinq jours. De nouveau, le 18 septembre, il s’embarque, et, cette fois, pour Jaffa. Il y arrive le 1er octobre. Ici laissons la parole à un humble compagnon, dont nous aurons, plus tard, à utiliser les notes de voyage. Donc, comme dit en son style un peu épais, Julien, valet de chambre de M. de Chateaubriand, « nous avons resté à Jaffa jusqu’au vendredi 3, dont nous sommes partis pour Jérusalem et parcourir les environs, comme Bethléem, la Mer Morte et le Jourdain… Nous sommes repartis de Jérusalem le vendredi 10, pour retourner à Jaffa, où nous sommes arrivés le samedi 11. » Le 16 octobre, un bateau quittait Jaffa pour Alexandrie : ils y montaient. Défalcation faite des jours d’attente à Jaffa, Chateaubriand avait consacré sept jours à la Palestine, dont trois à Jérusalem. Arrivé au Caire, il s’y reposait un mois. Le 23 novembre, il s’embarquait pour Tunis, où il ne parvenait que le 18 janvier, « après une traversée de 58 jours, qui fut une espèce de naufrage continuel. » Le voilà à Tunis : « On approchait, dit-il, du carnaval, et l’on ne songeait qu’à rire aux dépens des Maures… Au lieu d’aller méditer sur les ruines de Carthage, je fus obligé de courir au bal, de m’habiller en Turc, et de me prêter à toutes les folies d’une troupe d’officiers américains, pleins de gaieté et de jeunesse. » Six semaines durant, il prolongea sans remords ce joyeux carnaval tunisien. Le 5 mars, il quittait Tunis pour Gibraltar, où il débarquait le 27. Avril tout entier se passait en Espagne, à Cadix, Grenade et Madrid. Le 3 mai, il touchait la frontière française, et, le 5 juin 1807, rentrait à Paris.

Ainsi, sur ces trois cent trente-deux jours de « pèlerinage, » cet étrange pèlerin n’en a gardé que trois pour Jérusalem. Et, sans doute, dans le, livre, la Palestine obtient une réparation : elle en occupe le tiers, quelque trois cents pages et plus ; mais notre surprise demeure.

Au reste, qu’on les lise elles-mêmes, ces doctes trois cents pages, où l’auteur a essayé de rendre à Jérusalem la place maîtresse qu’il disait lui réserver dans son cœur : elles forment dans le récit comme une enclave de tristesse et de lassitude. Sitôt qu’il a vu le profit du Carmel émerger des flots, il s’est senti « rempli de crainte et de respect ; » à peine a-t-il mis le pied sur le sol de Judée, « d’abord, dit-il, un grand ennui saisit le cœur. » Ce d’abord est inexact : l’ennui ne l’a pas quitté en Terre-Sainte. Cependant, je ne dis pas pour un chrétien, mais même pour un poète, qui frémissait si délicieusement aux seuls noms consacrés par la gloire, qui ne pouvait s’endormir dans sa chambre de Modon, parce qu’il se disait que c’était le vent de l’Elide qui passait sur le toit, et que c’étaient les chiens de Laconie qui aboyaient dans la plaine, — n’était-ce rien de traverser le torrent du Cédron, d’errer dans la vallée de Josaphat, de contempler la Mer Morte du haut de la montagne des Oliviers ? Mais il semblerait qu’alors tous ces grands noms eussent perdu pour lui leur puissance séductrice.

En découvrant les côtes de la Grèce, il avait éprouvé un trouble d’extase, « une espèce d’enchantement qui ne s’était plus effacé. » Que de fois, sur ce sol où tout l’accueille tendrement, les larmes lui viennent aux yeux en contemplant la désolation présente et en évoquant la splendeur d’autrefois ! Sur les ruines de Sparte, « une sorte de surprise, un mélange d’admiration et de douleur » le saisit tout entier et arrête sa pensée.. Il ne se console point d’avoir manqué les ruines de Troie. Quand le navire va doubler le Château des Dardanelles, tout grelottant de fièvre, il se traîne sur le pont, pour contempler la virgilienne Tenedos, l’embouchure du Simoïs, les pentes harmonieuses de l’Ida ; et, « d’avoir eu le bonheur de saluer une terre sacrée, » sa fièvre le quitte pour vingt-quatre heures. Il ne se dit pas qu’il est d’autres « terres sacrées » qu’il ne saluera point ; il ne se plaint pas de n’avoir vu ni Nazareth, ni les prairies de Galilée, ni les rives du lac de Tibériade. Qu’y aurait-il senti ? Devant le Saint-Sépulcre, il cherche en vain ses sentimens : « Je ne puis réellement les dire, avoue-t-il, je ne m’arrêtai à aucune idée particulière. » Même sécheresse d’âme dans la grotte de Bethléem : il en regarde les murs comme on fait de ceux d’un musée, avec une sensibilité lointaine et presque absente : « Rien n’est plus agréable et plus dévot que cette église souterraine, elle est enrichie de tableaux des écoles italienne et espagnole ; les ornemens ordinaires de la crèche sont de satin bleu brodé en argent, » etc., etc. ; et l’inventaire continue impitoyablement. C’est avec la même indifférence qu’il dresse, quelques pages plus loin, la liste des « divers comestibles de Jérusalem » et de leur prix, et qu’il nous recopie, sans nous faire grâce d’un feuillet, son carnet de dépenses dans la ville sainte. Il a besoin de tous ces détails concrets pour se certifier à lui-même que cette si brève excursion palestinienne ne fut pas un rêve ; mais tout ce récit impersonnel, encombré de statistiques et de commentaires érudits, ne laisse voir ni émotion ni joie. Il semble que ce soit l’accomplissement d’une corvée sacrée, qu’on exécute au pas de course en n’aspirant qu’à la fin. Ce n’est point ce pèlerin pressé qui caresserait le rêve de tant d’âmes pieuses de pouvoir achever leur vie en Terre-Sainte : « Je ne connais pas, dit-il, en parlant des Franciscains de Jérusalem, de martyre comparable à celui de ces infortunés religieux. » Il ne sait pas sentir quelle douceur ce peut être pour eux de veiller au pied du Calvaire et de reposer leurs yeux sur les horizons évangéliques.

Eh quoi ! le christianisme de ce chevalier breton ne serait donc qu’une attitude, et son pèlerinage une simple parade d’acteur ? Certes non ! mais ce chrétien sincère accomplit sans plaisir ce qu’il considère comme un devoir. Il a eu et il aura encore de beaux instans d’émotion religieuse, où il éprouvera avec acuité la misère de son cœur et se tournera vers la Croix comme vers la seule puissance devant laquelle on puisse « s’humilier sans s’avilir. » Mais, cette fois, il apporte au Calvaire un cœur tout paganisé par l’amour, un cœur qui ne veut rien sacrifier de ses désirs, et qui, dans le sanctuaire des saintes douleurs, ne rêve que volupté. De là un malaise qu’il n’ose pas confesser dans son livre, mais dont il a souffert, une hâte fébrile qui veut tuer les pensées importunes à force d’agitation. Du reste, nous avons son aveu. Il a cru plus discret de le supprimer plus tard, mais Sainte-Beuve l’avait conservé et ne l’a pas laissé oublier : c’est la clef spirituelle de l’Itinéraire[1].


Mais ai-je tout dit dans l’Itinéraire sur ce voyage commencé au port de Desdemona et d’Othello ? Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir ? Une seule pensée m’absorbait ; je comptais avec impatience les momens. Du bord de mon navire, les regards attachés à l’Étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. J’espérais en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l’apporter à l’Alhambra.


L’aveu est encore enveloppé ; mais aujourd’hui nous en avons pénétré « le mystère. » Ce sont les « Madames » de René qui troublent le pèlerin sur la terre des prophètes, au tombeau de Jésus ; et le long pèlerinage de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris nous apparaît maintenant comme un détour sentimental, pour passer plus décemment, et aussi plus « glorieusement, » d’une de « ses Madames » à l’autre. « Il part, disait la pauvre Mme de Custine, pour remplir ses vœux et détruire les miens. » Elle ne croyait pas si bien dire, la charmante petite femme que le chevalier de Boufflers avait nommée « la reine des roses. » Ce n’était pas seulement la « chimère de Grèce ». qui était sa rivale. Une autre, à l’Alhambra, allait plus douloureusement encore « détruire ses vœux. » Mme de Chateaubriand, moins amoureuse, était plus fine que la châtelaine de Fervaques, et ses inquiétudes plus précises. Quand elle s’était vue congédiée à Venise, elle avait compris que, dans ce refus, il entrait de la sollicitude, mais aussi de la discrétion. Sans nouvelles de son pèlerin, elle écrivait anxieusement a Joubert : « Pour moi, je meurs de crainte, je meurs de désespoir…, je meurs de tout…, Aurait-il oublié Jérusalem ? Je n’ose m’en flatter ; je n’ose même le désirer. » Ces petites lignes sont cruelles. Mme de Chateaubriand ne s’illusionne pas sur la dévotion de son mari. Comme elle est bonne épouse, elle préférerait un risque de moins ; comme elle est une épouse digne, elle redoute un scandale de plus. Mieux vaut encore que l’auteur du Génie et des Martyrs aille au moins toucher le saint tombeau, plutôt que de promener sans vergogne, du Parthénon aux Pyramides, un cœur assoiffé de gloire, parce qu’il est affolé d’amour.

Nous la connaissons, la dame de l’Alhambra. Pauvre Nathalie de Noailles ! La folie qui la guettait, comme Lucile, apportera plus tard à René je ne sais quel remords ou, du moins, quel émoi, et arrêtera un instant ce cœur frivole dans un frisson d’épouvante. Mais, à l’Alhambra, elle n’était encore que la femme vive et gaie, dont le rire, les chansons, « les grâces dansantes » ensorcelaient René et lui faisaient mal à force de lui faire plaisir. « Jours de séduction, d’enchantement et de délire, » comme il l’écrit lui-même, ils achèvent en joie de vivre ses méditations sur les ruines.

À la fin de son Itinéraire, il a mis une coquetterie d’amateur à entasser savamment des « pièces justificatives » qu’on ne lit point et qu’on n’est point sûr qu’il ait lues. S’il avait voulu être vrai, il aurait annexé à l’Itinéraire son post-scriptum naturel, qui est le Dernier Abencerage. C’est là que le chevalier de Terre-Sainte s’est travesti en Maure galant et qu’il a risqué un premier aveu sur la conclusion amoureuse de sa croisade : « C’est en vain, dit-il, que Ben-Hamet ne veut s’occuper que de son pèlerinage… La fleur qu’il cherche maintenant, c’est la belle chrétienne. » Ne parlons donc plus de « pèlerinage » à Jérusalem. Si l’Itinéraire prétendait rester le journal d’un « pèlerin, » il faudrait le comparer à cette « pomme de Sodome, » que Chateaubriand, plus fortuné que tant de voyageurs, a su recueillir dans la plaine du Jourdain : « Agréable à l’œil, mais amère au goût et pleine de cendres. »

Heureusement, même à la première page de son Itinéraire, le vicomte de Chateaubriand se débarrasse vite de son bourdon : il n’oublie pas qu’il est artiste et qu’il veut placer ses Martyrs dans des paysages authentiques, qu’il est un lettré et qu’il veut « compléter le cercle de ses études » par un voyage en Orient. C’est moins édifiant, mais c’est plus digne de lui. Ne demandons point à ce pèlerin que l’amour attend, des émotions qu’il ne cherche pas : il veut donner une fête à ses yeux et un aliment à son intelligence. Mais ne métamorphosons pas prématurément en poète imaginatif cet humaniste érudit qui veut voir les choses de près. Il vante au contraire son bon sens vulgaire, son exactitude, son besoin de précision : « Je suis, dit-il plaisamment, de la race des Celtes et des tortues, race pédestre, et non du sang des Tartares et des oiseaux, races pourvues de chevaux et d’ailes. » Essayons de suivre la « tortue, » mais je crains un peu qu’elle nous échappe.


II

De la suivre pourtant semble tâche aisée. N’avons-nous pas l’Itinéraire, où « sa vie, à ce qu’il prétend, est exposée heure par heure ? » Mais l’expérience américaine nous a rendu méfians ; et nous voulons contrôler avant d’enregistrer. Nous le pouvons. Grâce un peu à Chateaubriand lui-même, comme il s’en fait gloire, chacun sait aujourd’hui que Jérusalem n’est plus « au bout du monde. » Il n’est plus nécessaire d’être un chevalier à l’âme aventureuse pour aller remplir au Jourdain un bidon de fer-blanc ; et il faut un minimum d’héroïsme pour refaire, derrière Chateaubriand, son « itinéraire » d’il y a cent ans. Mais le voyageur moderne a beau arriver en chemin de fer à Jérusalem et à Olympie, il a beau visiter « à la vapeur » toutes les « curiosités » d’un univers rapetissé, — la fougue dévorante de Chateaubriand le déconcerte. Près d’un tel homme, qui a tant fait et tant vu en si peu de jours, il sent l’insuffisance de ses souvenirs personnels, et doit chercher des aides. Les voici :

Le premier ne paraît pas d’abord un très redoutable critique : c’est Julien, Julien tout court, « le frère de la cuisinière » de M. de Chateaubriand, qui a été promu, pour le voyage, à la dignité de valet de chambre. On sait, par une jolie lettre de Joubert, que ce brave garçon avait été équipé par son maître comme un « icoglan » du Grand Seigneur. Joubert nous le montre sur le siège de la confortable « dormeuse » qui emmène vers Venise M. et Mme de Chateaubriand.


Il faut dire que cet icoglan, qui est, d’ailleurs, un brave garçon, a au moins quarante-six ans et la peau d’un rôti brûlé. Or il l’a affublé d’une espèce de turban bleu orné de galons d’or, petite veste et pantalon de même couleur : il a oublié les moustaches, ce qui sera la cause que ce pauvre homme, qui a l’air fort doux et l’œil d’un menuisier honnête, tel qu’il avait toujours été, ne pourra faire peur à personne, et fera rire tout le monde, à commencer par son patron.


On ne peut pas être plus vigoureusement barbouillé de « couleur locale ; » et j’imagine que M. Jourdain, partant chez le Grand Turc, aurait ainsi déguisé ses gens ; mais M. Jourdain n’aurait pas ri. C’est de cet icoglan placide que viendra parfois la contradiction, car Julien, lui aussi, a pris des notes de voyage. On le savait déjà par Chateaubriand : « Julien, mon domestique et compagnon, a, de son côté, fait son Itinéraire. » Le maître n’a pas refusé au valet l’honneur de le consulter et a vanté son « exactitude. » Il n’a même pas cru pouvoir mieux faire, dans les Mémoires d’outre-tombe, pour rappeler les principaux épisodes de son voyage, que de ranger en citations parallèles quelques fragmens significatifs de leurs deux Itinéraires, « afin, dit-il, de mettre dans un plus grand jour la manière dont on est frappé dans l’ordre de la société et de la hiérarchie des intelligences. »

Julien non plus, constate Chateaubriand, n’avait pas une âme de pèlerin : « il n’est pas beaucoup frappé des saints lieux ; en vrai philosophe, il est sec. » « Le Calvaire, écrit Julien, est une hauteur semblable à beaucoup d’autres hauteurs sur lesquelles nous avons monté… La vallée de Josaphat ressemble à un fossé de rempart. » Évidemment, ceci est plus « sec » encore que l’Itinéraire de Monsieur. Mais peut-être Julien avait-il la pudeur de sa piété et gardait-il une petite oasis sentimentale où il aimait se réfugier. Ce qu’il nous reste de ses notes nous montre un garçon rassis, précis, qui ne perd jamais le contact avec le réel et qui cherche surtout à sustenter convenablement « sa guenille. » L’aspect économique des choses le passionne ; le prix et la valeur des denrées retiennent volontiers sa méditation. Il a dû être un intendant admirable et bien surveiller la « cantine. » Grâce à ce compagnon très positif, M. de Chateaubriand a pu rêver à son aise, et voir bien des choses qui échappaient à Julien. En l’introduisant dans ses Mémoires, il a trouvé plaisant de faire sentir à son lecteur comme un même univers se reflète différemment dans des yeux différens. Mais c’était donner aux érudits de l’avenir une suggestion trop tentante.

Il existe encore aujourd’hui, l’Itinéraire de Julien, le manuscrit même que Chateaubriand a tenu dans ses mains et partiellement transcrit. De place en place, la plume hautaine et dure du maître a marqué son passage. Julien, sans façon, appelle son compagnon de route « M. de Chateaubriand. » M. de Chateaubriand, qui n’a pas seulement le sentiment de « la hiérarchie des intelligences, » mais aussi de « l’ordre de la société, » efface partout les deux derniers mots, et se fait appeler Monsieur selon le protocole. Un malicieux lettré, à qui le manuscrit de Julien avait passé par les mains, jugea que ces notes de voyage, qui avaient collaboré obscurément à la confection d’un chef-d’œuvre, n’étaient point méprisables, et les publia intégralement[2].

Il refit, en sens inverse, le travail de Chateaubriand. Celui-ci avait mis en regard de son Itinéraire des fragmens de Julien ; en regard de l’Itinéraire de Julien, M. Edouard Champion a placé des fragmens de Chateaubriand, — rapprochemens toujours profitables, mais parfois inquiétans. Avec un plaisir qu’il ne dissimule pas, il souligne la divergence des textes : c’est de fort bonne guerre ; et cette annotation de Julien par Chateaubriand lui-même est tout à fait divertissante. Très souvent la note de Chateaubriand s’ajoute au texte pour en signaler les lacunes. Pendant que Julien somnolait, faisait ses comptes ou regardait distraitement devant lui, des événemens se passaient qui auraient dû émouvoir cette âme simple, à ce que croit M. Champion. Chateaubriand entre chez l’aga de Kircagach « complètement armé, botté, éperonné, avec un fouet à la main. » Un spahi trouve, l’attitude du Français irrespectueuse pour l’aga, « le saisit par le bras gauche et le lire de force en arrière. Je lui sanglai à travers te visage, dit Chateaubriand, un coup de fouet si bien appliqué qu’il fut obligé de lâcher prise. » Julien n’a rien vu ni rien entendu, car il ne souffle mot. — Dans le corridor du couvent de Jérusalem, deux jeunes soldats du pacha veulent plaisanter avec le chevalier franc et jouent un peu rudement avec lui. « Un de ces Tartares, passant derrière moi, me prit la tête, me la courba de force, tandis que son camarade, baissant le collet de mon habit, me frappait le cou avec le dos de son sabre nu. Le drogman se mit à beugler. Je me débarrassai des mains des spahis ; je sautai à la gorge de celui qui m’avait saisi par la tête : d’une main lui arrachant le barbe, et de l’autre l’étranglant contre le mur, je le fis devenir noir comme mon chapeau. » Ici encore Julien ne dit rien ; mais Chateaubriand ne dit point qu’il fût là et ne parle que du drogman. D’ailleurs, Julien aurait été là qu’il n’eût senti qu’un rapide frisson. Chateaubriand avoue lui-même que ces deux Turcs « n’étaient pas bien redoutables, car, à la honte de Mahomet, ils étaient ivres à tomber. » Il ne fut point désagréable à un descendant des Croisés de malmener sans grand risque quelques serviteurs d’Allah et de tirer la barbe à Turc. Tout cela, c’était « de la gloire pour se faire aimer. »

Julien, que personne n’attendait à l’Alhambra, n’avait pas besoin d’enregistrer ces menus faits. Il ne préparait point d’épopée et ne savait peut-être pas qu’il y avait eu des Croisés. Sa plume était inexperte à transposer sur le mode héroïque des aventures insignifiantes, telles que les rues de Paris pouvaient lui en offrir tous les soirs. Tempérament pacifique et froid, il aurait fallu un grand tapage pour l’émouvoir. « Quant à Julien, disait son maître, il n’était jamais étonné. Le monde avait passé sous ses yeux sans qu’il l’eût regardé ; il se croyait toujours rue Saint-Honoré.et me disait du plus grand sang-froid du monde, en menant son cheval au petit pas : Monsieur, est-ce qu’il n’y a pas de police dans ce pays-ci pour réprimer ces gens-là ? » Chateaubriand a fait son voyage dans un petit crépitement d’épopée. Quoi de surprenant si Julien ne l’a pas entendu !

La critique de M. Champion est donc un peu trop démocratique : il ne sait pas résister au plaisir de donner toujours raison au valet ; et parfois c’est le valet qui a tort, même sur des points de fait. Et puis, il ne suffit pas de voir peu et de voir de près pour voir vrai ; tout compte fait, les yeux de Chateaubriand savent mieux voir, et plus juste ; et il y a plus de vérité, même locale et particulière, dans le livre de Chateaubriand que dans les notes du valet.

Pourtant il reste précieux, ce bon Julien, et son manuscrit n’est point négligeable. Souvent les deux Itinéraires se contredisent, parce que l’histoire, quoi qu’on fasse, demeure une science conjecturale et qu’il est bon de prendre, par instans, des leçons de modestie ou de prudence. Au sortir de Jaffa, raconte Julien, nous sommes allés à Bethléem, puis à Jérusalem. Au sortir de Jaffa, raconte Chateaubriand, nous sommes allés à Jérusalem, puis à Bethléem. — Arrivés au port de Stampalie, dit Julien, « Monsieur n’a pas voulu descendre à terre ; nous ne sommes descendus que trois : le capitaine, un officier et moi. » « Nous mouillâmes sur la côte, dit Monsieur, je descendis à terre avec le capitaine. » — « Nous étions couverts d’armes, habillés à la française et très décidés à ne souffrir aucune insulte, » écrit encore Monsieur, en racontant leur retour du Jourdain. « Nous étions très mal vêtus, avoue Julien, car, avec nos robes d’Arabes par-dessus nos vêtemens français, nous aurions effrayé tous les honnêtes gens. « Qui des deux a dit vrai ? Il faut peut-être se résigner à ne le point savoir. Mais parfois le récit de Julien a toute chance d’être plus véridique. En quittant Pergame, raconte l’auteur de l’Itinéraire, « je fus saisi d’un accès de sommeil si violent qu’il me fut impossible de le vaincre et je tombai par-dessus la tête de mon cheval. J’aurais dû mo rompre le cou ; j’en fus quitte pour une légère contusion. » Il rappelle sa mésaventure dans les Mémoires, et il ajoute : « Julien raconte aussi l’accident, et il fait, à propos des routes et des chevaux, des remarques dont je certifie l’exactitude. » Là-dessus, il copie quelques lignes de l’Itinéraire de Julien. Le texte en est bien exact, mais il est déplacé ; et c’est sur la route de Jéricho, en descendant vers la Mer Morte, que Chateaubriand a eu cet accès de sommeil un peu impertinent. Puisqu’il « certifie » lui-même « l’exactitude de Julien, » c’est Julien cette fois que nous croirons. S’endormir sur la route de Pergame, passe encore, mais sur la route de Jéricho, c’est d’un pèlerin que le respect et la piété tiennent insuffisamment en haleine ! L’épisode fut transposé par déférence pour les lieux saints.

Honnête Julien, tu n’as pas de ces pudeurs ! Tu dis les choses rondement, ingénument, sans penser qu’il faut sauvegarder l’honneur de la chevalerie française ! Et c’est sans malice aussi que tu donnes la date exacte de votre départ de Jérusalem : le 10 octobre. Monsieur dit le 13, parce qu’il juge peu décent de quitter la ville sainte après trois jours : il a peur de paraître un pèlerin trop désireux de partir ; et puis il sait tant de choses sur Jérusalem qu’il faut bien lui laisser le temps de les voir. Mais ici, Julien, tu as encore raison, et c’est Monsieur lui-même qui le certifie. Tu places, comme lui, au 16 octobre votre embarquement pour Alexandrie ; et, dans une autre partie de son Itinéraire, Monsieur a dit imprudemment : « Je passai cinq jours à Jaffa à mon retour de Jérusalem. » Il a bien passé cinq jours à Jaffa, et trois seulement à Jérusalem. Il ne sait même à quoi occuper dans son livre ces jours supplémentaires qu’il s’est octroyés rétrospectivement ; et c’est ce qui nous a valu cette promenade autour des remparts, un Tasse à la main, promenade fictive, où Sainte-Beuve, d’ordinaire mieux avisé, a cru pouvoir admirer « une belle critique de la Jérusalem délivrée faite en présence des lieux. »

Julien, qui a écrit son Itinéraire après celui de Monsieur, — Julien, l’historien sans fraude, sinon sans erreur, qui a rendu à la vérité ces ingénus témoignages, mais qui avait trop vif le respect des convenances pour contester ouvertement les dires de Monsieur, — est un contradicteur innocent et involontaire. Le docteur Avramiotti n’est point de cette race. Sa petite brochure[3] est écrite sur un ton rageur et indigné qui amuse d’abord. On comprend un peu, du reste, son irritation. Il habitait Argos quand arriva Chateaubriand. L’aubaine était rare pour un archéologue de province. À ce visiteur illustre, qui ne pouvait manquer d’être un savant, il comptait bien présenter une à une toutes les pierres du pays, et faire admirer sa science en faisant admirer les lieux. Mais le grand homme passa chez lui en coup de vent, monta sur la hauteur, promena un regard sommaire sur la plaine et l’horizon, se déclara satisfait de ce coup d’œil, et laissa le docteur très déçu. La page qu’il lui consacra dans l’Itinéraire acheva de l’aigrir : elle était d’un dédain parfait et d’une inexactitude toute chateaubrianesque. Elle le représentait comme un Vénitien exilé en Grèce, toujours en mal de Venise, et commençait ainsi : « Je fus reçu à Argos par le médecin italien Avramiotti, que M. Pouqueville vit à Nauplie. » Avramiotti était né à Zante, il était Grec de sang et de religion, n’aimait que son pays, n’avait jamais été à Venise, n’avait jamais vu Pouqueville. A l’en croire, le reste de l’Itinéraire méritait pareille confiance. Pas à pas, sur cette terre de Grèce qu’il connaissait bien, il a poursuivi de sa vengeance érudite ce Français frivole qui avait fait fi de ses conseils. Sans pitié, il souligne ses bévues et ce qu’il appelle lourdement ses « mensonges ; » il ne lui passe aucune négligence, aucune étourderie. Il entend même lui refuser la satisfaction d’avoir dépensé 50 000 francs pour son voyage ; il vérifie les notes, réduit les pourboires, refait les additions et dénonce en ce. faux grand seigneur un voyageur au rabais.

On doit reconnaître qu’il a presque toujours raison ; mais il a raison sans bonne grâce et sans esprit. Il se moque à gorge déployée, lève les bras au ciel avec indignation et en arrive vite aux gros mots. Ce réquisitoire trépidant et grincheux finit par lasser. Il contient pourtant une scène admirable, d’un comique inconscient, mais qui n’en est que plus savoureux. Jamais René n’a été plus franc : il va nous dire sa méthode.

En arrivant dans Argos, il avait été droit chez Avramiotti, à qui il était recommandé. On avait causé, et longuement. Le médecin détaillait les richesses archéologiques de la région, les fouilles et les découvertes récentes, toutes les voluptés qui, sans doute, attendaient son hôte pour les jours suivans. Celui-ci, qui semblait écouter, ripostait par des vers de Virgile, d’Homère ou d’Horace,.et par des versets de la Bible. A parler de ces choses, son imagination s’enflammait : il était heureux. Ce plaisir lui suffisait ; et il terminait la conversation en demandant ses chevaux pour le lendemain, dès l’aurore. Stupeur d’Avramiotti. « Ce serait un crime, s’écriait-il, d’être venu jusqu’à Argos et de ne point la visiter. » L’autre, bon garçon malgré ses airs cavaliers, se laisse faire : il prolongera d’un jour.


Le lendemain, il se rend au château ei déclare n’avoir jamais admiré panorama plus vaste. Sur quoi, raconte Avramiotti, je lui réplique que les généraux seuls se contentent de regarder le terrain d’une hauteur pour disposer leur troupes, ou encore les peintres pour dessiner un paysage ; mais l’érudit recherche toutes les pierres, toutes les inscriptions, et confronte les textes avec ses remarques. Il me répond que la nature ne l’a point fait pour ces études serviles, qu’une hauteur lui suffisait pour réveiller dans sa mémoire les riantes images de la fable et de l’histoire. Et la réponse était juste, ajoute Avramiotti. En planant au-dessus de l’Olympe et du Pinde, il place à sa fantaisie les villes, les temples, les édifices… Je conseille ensuite à notre voyageur de se rendre au théâtre. — Je l’ai vu en arrivant. — Avez-vous remarqué ces sièges creusés dans le roc, son fondement de structure grecque, l’édifice de construction romaine ? — Je ne me suis pas détourné de mon chemin pour de pareilles minuties ; ce que j’ai vu de loin me suffit. — Mais, monsieur, vous ne ressemblez pas aux autres voyageurs ; ils ne ménagent ni fatigues, ni dangers, ni argent pour voir une ruine. Excusez-moi si j’ose vous dire que cette excursion vous était inutile ; elle ne vous procurera qu’une fièvre pour tout l’hiver. — De tout cela, poursuit Avramiotti, il était aisé de conclure qu’il voulait toucher matériellement les lieux fameux de l’antiquité, mais non point les connaître.


O poète, vous avez encore plus scandalisé qu’irrité le docte Avramiotti ; et vous sentirez durement sa rancune d’archéologue. Si, plus tard, vous avez lu son aigre pamphlet, vous avez dû sourire. C’est vrai, « vous n’êtes pas un voyageur comme les autres. » Vous demandez seulement à de nobles paysages de nourrir votre rêverie, d’accueillir vos réminiscences, et de leur offrir un cadre digne d’elles. Vous avez bien répondu à ce gratteur de pierres : « vous n’êtes pas fait pour ces études serviles. » Mais pourquoi allez-vous si tôt oublier le serment du château d’Argos ?

En quittant à regret, sur la frontière grecque, le voyageur qu’il avait poursuivi de sa critique tenace, Avramiotti souhaitait qu’un « ami de la Vérité » le remplaçât pour la fin de l’Itinéraire et achevât sa rude besogne auprès de l’« imposteur. » Le vœu d’Avramiotti vient de se réaliser ; et ce Grec a. trouvé cent ans plus tard, chez un Arménien, l’héritier de ses vengeances.

Ce n’est pas que le jeune et subtil Mékhitariste, qui s’est imposé comme compagnon à l’auteur de l’Itinéraire, lui ait montré un visage bien farouche. Après avoir découvert, dans une surprise presque indignée, les premiers « mensonges » de Chateaubriand, il a senti bien vite s’émousser en lui la volupté de l’indignation ; il a compris qu’il serait ridicule de faire le régent de collège avec un écolier de cette qualité, et il s’est contenté d’enregistrer sans fracas les résultats divertissans de son enquête. Aussi honnête que Julien, plus savant qu’Avramiotti, et mieux armé encore pour faire l’inquisiteur, s’il l’eût voulu, il a cédé sans peine à la contagion du maître ironiste qu’il accompagnait ; et, laissant la férule et bonnet doctoral, il a préféré tempérer ses remarques d’admiration et s’introduire amicalement dans l’intimité d’un grand artiste[4].

Il ne lui a pourtant épargné aucune des formalités et des minuties de la critique. Il a d’abord observé qu’avant de faire paraître son Itinéraire complet de 1811, Chateaubriand en avait publié des extraits anticipés à la suite de la 3e édition des Martyrs ; et, rien qu’à juxtaposer ces deux textes, qui auraient dû être identiques, il a bien compris que ce hardi voyageur n’était vraiment pas « comme les autres » et que les contradictions ne l’embarrassaient guère. Non seulement, dans cet espace d’un an, les paysages qu’il avait vus jadis avaient pris de nouvelles couleurs, mais le tragique des situations s’était renforcé, des actes d’héroïsme s’étaient insinués dans la trame du récit, les noms de lieux avaient changé comme au petit bonheur, les jours s’étaient raccourcis ou allongés selon une fantaisie dont la loi échappait. En 1810, sa dernière étape avant Argos s’appelait Saint-Pierre ; en 1811, elle s’appelle Saint-Paul ; sur quoi, Avramiotti pousse les hauts cris, déclare qu’il n’y a jamais eu de Saint-Paul en Grèce, et que Chateaubriand l’a créé de toutes pièces. S’il avait lu le premier texte, toute son indignation tombait,.car il y a bien un Saint-Pierre sur la route d’Argos. En 1810, au sortir d’Athènes, le voyageur, est retenu huit jours par la fièvre à Keratia ; en 1811, la fièvre le quitte au bout de trois jours ; mais, cette fois, la correction est moins innocente : ces cinq jours lui étaient nécessaires ; il faut qu’il les répartisse entre Athènes, Mégare et Corinthe, car son épopée attique, si touffue, si riche de souvenirs, de connaissances et d’excursions, se sentait un peu à l’étroit dans les quelques jours où il aurait fallu l’enfermer sans ce petit supplément providentiel.

Cette première expérience est salutaire : elle atténue les étonnemens que réserve une critique serrée de l’Itinéraire. Mais, pour se la permettre, il faut un grand courage, car il faut refaire le voyage de Chateaubriand avec lui, non seulement sur la carte, mais dans les livres, et ce voyage-là est moins malaisé, mais plus long. L’ami des Natchez, qui a une horreur instinctive de sauvage « pour ces nids à rats qu’on appelle bibliothèques, » et un mépris de gentilhomme breton pour tous les érudits, a eu cependant, de loin en loin, quelques fougueuses velléités d’érudition, qui ressemblent à des poussées de fièvre : s’il donne alors ses preuves, il les entasse par monceaux ; mais bientôt la fièvre tombe : au bout de quelques pages, le vrai Chateaubriand reparaît, qui repousse du pied textes et monumens, et remonte dans ses nuages. Le Génie et l’Essai sur les révolutions avaient déjà témoigné de cette érudition intermittente. L’Itinéraire nous offre, lui aussi, des exemples bien étranges de ce dédoublement de personnalité. La première impression du lecteur, en parcourant l’Itinéraire, est celle de Chateaubriand lui-même, quand il aperçut le Carmel : « On se sent rempli de crainte et de respect ; » respect pour tant de science, crainte de s’attaquer à un chevalier si bardé de références ; car elles pullulent sous sa plume : grands et petits auteurs, scoliastes et grammairiens anciens, voyageurs byzantins et moyenâgeux, archéologues contemporains, érudits de tout poil et de toute langue, il semble qu’il ait tout lu. « Je puis assurer, écrit-il négligemment et en manière de parenthèse, que quiconque a eu, comme moi, la patience de lire à peu près deux cents relations modernes de la Terre-Sainte, les compilations rabbiniques et les passages des Anciens sur la Judée, ne connaît rien du tout encore. » Un tel homme, qui a tant lu, et qui avoue l’insuffisance de ses lectures, est un homme redoutable, quand on songe surtout que chacun de ces textes, à ce qu’il dit, est passé sous son contrôle, et qu’il a voulu partout atteindre le vrai. Que de fois, avant de commencer un récit ou après avoir brossé un tableau, il fait une pause, et dit solennellement : « Je réponds de sa vérité ! »

Ces déclarations de principes abondent dans l’Itinéraire. « J’ai, assure-t-il, un maudit amour de la vérité et une crainte de dire ce qui n’est pas, qui l’emportent sur toute autre considération ; » et ailleurs : « Je déteste les descriptions qui manquent de vérité ; et, quand un ruisseau est sans eau, je veux qu’on me le dise. On verra que je n’ai point embelli les rives du Jourdain, ni transformé cette rivière en un grand fleuve. J’étais là cependant bien à mon aise pour mentir ; » et ailleurs encore, — dans une note qui serait un peu scélérate, si elle n’était d’abord amusante, — après nous avoir informé qu’il renonçait à publier le résultat de ses recherches sur la Judée, parce que les Mémoires de l’abbé Guénée rendaient son travail inutile : « J’aurais pu, dit-il, piller les Mémoires de l’abbé Guénée, sans en rien dire, à l’exemple de tant d’auteurs, qui se donnent l’air d’avoir puisé dans les sources, quand ils n’ont fait que dépouiller des savans dont ils taisent le nom. Ces fraudes sont très faciles aujourd’hui, car, dans ce siècle de lumières, l’ignorance est grande. » De pareilles professions de foi décourageraient les indiscrets et téméraires enquêteurs, si déjà, dans ce besoin d’assurer sans cesse qu’il n’a point menti et qu’il n’a point volé, alors qu’il aurait pu le faire, nous ne trouvions comme un arrière-goût inquiétant. Mais, lorsqu’on a constaté qu’au moment même où il déclarait si honnêtement : « j’aurais pu piller les Mémoires de l’abbé Guénée sans en rien dire, » il venait précisément de « les piller sans en rien dire, » et de lui emprunter, sans le citer, toute son histoire de Jérusalem sous la domination musulmane, — alors on se sent réconforté, et l’on porte une main plus hardie sur cette forteresse scientifique.

Sans donc se laisser intimider par les protestations de l’auteur, ni décourager par son érudition, le P. Garabed Der-Sahaghian a eu le grand courage, qui a trouvé sa récompense et son plaisir, d’examiner tous les livres cités par Chateaubriand ; et, très vite, il s’est rendu compte que cette majestueuse montagne de documens se réduisait à un monticule assez modeste. Il fallait regarder homme par homme toute l’imposante troupe dont il se fait escorter pour reconnaître les vrais compagnons ; car voici comment s’y prend ce pèlerin trop roué pour dépister les curieux : il ne cite point les auteurs qu’il exploite, ou ne les cite que pour les contredire et prendre en face d’eux une attitude émancipée, ou encore il les note dans de longues listes de voyageurs et d’érudits, dont il a trouvé précisément les noms chez ceux-là mêmes qu’il dissimule avec des ruses de Siminole. Des centaines d’auteurs dont il nous a éblouis dans l’Itinéraire, il en reste, tout compte fait, une vingtaine, qui n’ont guère quitté sa table, tandis qu’il refaisait son voyage dans son cabinet, et qu’il a mis en coupe réglée seigneurialement. De ces livres, quelques-uns gardent encore un lambeau de réputation, quand ils s’appellent le Jeune Anacharsis de l’abbé Barthélémy, ou le Voyage pittoresque en Grèce de Choiseul-Gouffier, ou la Syrie de Volney. Mais les autres sont des livres sans gloire, pleins de faits, d’observations minutieuses, œuvres honnêtes de quelque voyageur anglais ou allemand, de quelque franciscain ou chanoine archéologue. Qu’ils se nomment Dapper, Doubdan, Chandler, Roger, Pouqueville, Bushing ou Shaw, ils avaient déjà peu de lecteurs au début du XIXe siècle, ils en ont moins encore aujourd’hui ; et ce serait Chateaubriand qui bénéficierait de leur obscurité, si la critique impitoyable ne lui imposait pas des restitutions.

Reconnaissons, d’ailleurs, qu’il met sa marque sur ce qu’il prend. ! Certaines pages, un peu ternes, de l’Itinéraire reprennent une valeur et un attrait, si l’on compare leurs grâces rapides aux masses compactes d’où elles ont pris leur élan. Plusieurs phrases impotentes sont condensées en une phrase alerte, ou majestueuse sans lourdeur ; les petits faits se groupent autour d’un centre, les images se répondent, l’eurythmie pénètre les détails, une épithète fade est supprimée, une épithète ajoutée dessine un contour ; quelques mots précis, des chiffres ou des mesures, parlent à l’imagination et enlèvent du vague à une perspective.) Parfois un auteur pâteux a une trouvaille imprévue ; elle était comme noyée dans son texte. Le maître la prend, la retouche et lui donne la célébrité. On se rappelle sa description du Jourdain : « Au milieu de la vallée, passe un fleuve décoloré ; il se traîne à regret vers le lac qui l’engloutit. » Qui croirait que la formule était déjà dans le chanoine Doubdan ? « Ce que j’ai trouvé digne d’admiration, dit-il, c’est de voir que ses eaux entrent comme à regret dans la Mer Morte comme en un sépulcre infâme et un cloaque de putréfaction. » L’image expressive a été conservée ; deux mots pittoresques l’ont fait valoir ; et sur la phrase allégée a pu se poser la rêverie du lecteur.

Chateaubriand a une formule heureuse pour caractériser cette méthode. Rappelant d’un mot tout ce qui avait été écrit sur Jéricho avant lui, il ajoute qu’il juge « inutile de le répéter, à moins de faire, comme tant d’autres, un voyage avec des Voyages. » C’est pourtant là ce qu’a fait très souvent l’auteur de l’Itinéraire ; il a grossi ses souvenirs un peu trop clairsemés avec ceux des autres ; et, après avoir fait son premier « itinéraire » sur les lieux, il a refait le second, le plus productif pour son éditeur, à travers les livres des autres. Que de fois, chez lui, j’ai vu signifie j’ai lu, quand encore il a lu exactement et qu’il n’a pas copié Paul pour Pierre, Sosistrate pour Sosipatre, longueur pour largeur, etc.

Cette méthode est peut-être discutable, mais elle a ses avantages. Elle permet de faire des découvertes à moindres frais : de découvrir les ruines de Sparte dans les Ruines de Le Roy et l’emplacement du port de Carthage dans le livre du P. Caroni. Elle permet au voyageur, qui n’a pu visiter Troie, de distinguer très nettement, du haut de son navire, les tombeaux d’Achille et de Patrocle sur le rivage troyen ; à celui qui n’a pu rester à Rhodes que le temps de dîner chez le consul, de décrire la ville en archéologue très documenté ; au pèlerin hâtif, qui a passé trois jours seulement à Jérusalem, d’écrire avec satisfaction : « J’avais tout vu à Jérusalem, je connaissais l’intérieur et l’extérieur de cette ville, et même beaucoup mieux que je ne connais le dehors et dedans de Paris. » Je le crois volontiers. Combien de fois, depuis le 10 octobre 1806, avait-il parcouru la Via dolorosa sur ses plans et dans ses livres[5] ! Cette méthode ne va pas, du reste, sans quelque risque, quand les livres sont lus trop vite et un peu légèrement. En s’avançant d’Eleusis vers Athènes, Chateaubriand se fait renseigner par Chandler ; mais il oublie que Chandler fait la promenade en sens inverse ; il en est quitte pour admirer sur sa gauche ce qui est à sa droite. En lisant le Voyage de Barthélémy, il oublie que le bon abbé fait voyager son disciple « au IVe siècle avant l’ère vulgaire, » et bravement, à la suite d’Anacharsis, il gravit un « escalier taillé dans le roc, » qui était déjà détruit au temps de Pausanias, dix-sept siècles avant l’auteur de l’Itinéraire. Cette mésaventure lui arrive quelquefois, et il a la bonne fortune, ou l’infélicité, comme on voudra, de s’asseoir sur bien des ruines dont on chercherait vainement la trace après lui ; mais ceux qui feront les sceptiques sur son Itinéraire montreront seulement qu’ils connaissent bien mal la triste situation de la Grèce : « Les destructions s’y multiplient avec une telle rapidité que souvent un voyageur n’aperçoit pas le moindre vestige des monumens qu’un autre voyageur a admirés quelques mois avant lui. »

Ce seront surtout les successeurs de Chateaubriand qui auront à faire cette remarque. Pour lui, plus chanceux, il a pu contempler de près, examiner en détail tous ceux dont ses guides, ancien ou récens, lui ont fourni plus tard la description. Il n’a pour cela aucun effort à faire, ni, quoi qu’il assure, aucun scrupule de sincérité à combattre : son imagination suffit à tout. On n’a pas oublié ces Albanais un peu trop bruyans qui encombrent son bateau de Rosette au Caire. « Nos Albanais, moitié musulmans, moitié chrétiens, criaient Mahomet et Vierge Marie, tiraient un chapelet de leur poche, prononçaient en français des mots obscènes, avalaient de grandes cruches de vin, lâchaient des coups de fusil en l’air et marchaient sur le ventre des chrétiens et des musulmans. » Tout ce croquis est excellent ; mais je soupçonne fort ce « chapelet » d’avoir été simplement le joujou inoffensif dont tant d’Orientaux occupent leurs mains ; et je me demande si nous ne devons pas cette spirituelle pochade à la méprise d’une imagination trop pressée. C’est, du moins, cette imagination qui lui montrera dans le Ryndacos le Granique d’Alexandre, pour lui permettre d’enrichir sa collection des fleuves célèbres et de boire une fois de plus dans des eaux qui avaient roulé de la gloire. C’est elle qui, en fée bienveillante, transforme sur son passage le moindre soldat turc en pacha, le plus humble papas en patriarche. C’est ainsi qu’en Morée, où il n’y a pas de patriarche, il a été reçu par le patriarche de Morée ; c’est ainsi qu’à Jérusalem il a été reçu par le patriarche arménien. « Celui-ci, dit-il, s’appelait Arsenios, de la ville de Césarée en Cappadoce, il était métropolitain de Scythopoli et procureur patriarcal de Jérusalem ; il m’écrivit son nom et ses titres en caractères syriaques sur un petit billet que j’ai encore. » Il n’y a jamais eu à Jérusalem de patriarche arménien qui s’appelât Arsenios. Quand Chateaubriand vint en Terre-Sainte, le patriarche arménien était Théodore III, et le vicaire du patriarche s’appelait Jacques. Il n’y a jamais eu de ville arménienne qui s’appelât Scythopoli, et chacun sait que les Arméniens n’écrivent pas en syriaque. Au demeurant, il méritait d’être patriarche, cet aimable Arménien qui reçut si galamment le chevalier français :


Le patriarche, qui ressemblait à un riche Turc, était enveloppé dans des robes de soie, et assis sur des coussins. Je bus d’excellent café de moka ; on m’apporta des confitures, de l’eau fraîche, des serviettes blanches ; on brûla du bois d’aloès, et je fus parfumé d’essence de roses au point d’en être incommodé.


Ce modeste employé du patriarcat a, sans le savoir, traité, comme il convenait, une des grandes gloires d’ici-bas ; et, avec son essence de rose et sa fumée d’aloès, il a placé cette idole dans son cadre. Rien pourtant ne vaut peut-être, comme transposition amusante de la réalité, la soirée passée à Misitra « chez Un des principaux Turcs de l’endroit, appelé Ibrahim-bey : »


Nous mimes pied à terre dans sa cour, et ses esclaves m’introduisirent dans la salle des étrangers ; elle était remplie de musulmans, qui tous étaient, comme moi, des voyageurs ou des hôtes d’Ibrahim. Je pris ma place sur le divan au milieu d’eux… Notre hôte arriva ; on lui avait porté la lettre de M. Vial. Ibrahim, âgé d’environ soixante ans, avait la physionomie douce et ouverte. Il vint à moi, me prit affectueusement la main, me bénit.


La conversation s’engage ; d’abord très simple, elle s’élève aux choses célestes : « La religion est une espèce de langue universelle entendue par tous les hommes. » Cependant on mange dans le va-et-vient de la salle, et bientôt chacun s’endort. La nuit passée, un à un les hôtes d’Ibrahim, après avoir fait une toilette sommaire, quittent la place « en traînant majestueusement leurs babouches. » De nouveaux les « esclaves » d’Ibrahim apportent au Français le ragoût du matin, lui versent de l’eau sur les mains, lui présentent une serviette.


Cette salle d’étrangers où je prenais mon repas offrait une scène assez touchante, et qui rappelait les anciennes mœurs de l’Orient. Tous les hôtes d’Ibrahim n’étaient pas riches, il s’en fallait beaucoup ; plusieurs même étaient de véritables mendians : pourtant ils étaient assis sur le même divan avec les Turcs qui avaient un grand train de chevaux et d’esclaves… Ibrahim saluait également ses hôtes, parlait à chacun, faisait donner à manger à tous. Il y avait des esclaves en haillons à qui des esclaves portaient respectueusement le café. On reconnaît là les principes charitables du Coran… On m’a dit qu’en Asie, il y a encore des familles turques qui ont les mœurs, la simplicité et la candeur des premiers âges ; je le crois, car Ibrahim est certainement un des hommes les plus vénérables que j’aie jamais rencontrés.


En lisant cette description complaisante, d’une candeur toute patriarcale, l’homme sans imagination qu’est Avramiotti s’indigne et demeure stupide : « Il n’y a, dit-il, à Misitra aucun Turc de distinction qui s’appelle Ibrahim, à moins qu’on ne veuille parler du tenancier abject et misérable d’un khan. » Et c’est bien cela, en effet : cette maison des anciens âges, où l’on retrouve la fraternité primitive, n’est qu’un khan sur la route ; et le « vénérable » Ibrahim, ce patriarche, qui aurait mérité de causer avec Abraham et Jacob, n’est qu’une manière d’aubergiste, dont c’est le métier de faire bon visage à tous les voyageurs. Quiconque, en pays turc, aura passé, ne fût-ce qu’une heure, dans un khan, ne lira point sans sourire les nobles pages de l’Itinéraire.

Mais cet homme admirable n’a pas besoin que la réalité lui donne une première suggestion pour la dépasser : quelques mots dans un livre décident de ce qu’il a fait, vu et entendu. Parce que Bushing lui a appris qu’on « avait ramassé des poissons morts sur le rivage de la Mer Morte, » il croit y entendre, « à minuit, des légions de petits poissons qui viennent sauter au rivage. » Ce même Bushing assure « qu’en mettant dans sa bouche l’eau du lac Asphaltite, on la trouve astringente comme une forte solution d’alun. » Chateaubriand, lui aussi, « la porte à sa bouche, » et « elle produit sur ses lèvres l’effet d’une forte solution d’alun. » Dapper signale un courant sur les côtes de Rhodes : ce courant ne manquera pas d’entraîner le vaisseau des pèlerins. Chandler, qui est monté souvent sur l’Acropole, « a observé que les corneilles voltigeaient autour du rocher, sans jamais s’élever jusqu’au haut du sommet. » Quand Chateaubriand, « du haut de l’Acropolis, verra le soleil se lever, » les corneilles de Chandler « qui nichent autour de la citadelle, mais ne franchissent jamais son sommet, » sortiront pour lui du rocher, et les premiers rayons d’un jour complaisant viendront « glacer de rose leurs ailes noires et lustrées. » A Mégare, où il n’est peut-être pas allé, la fièvre le prend en souvenir de Virgile, il retrouve sur le rivage les lavandières de Chandler, qui battaient leur linge depuis quarante ans ; et, comme il a de la chance, « l’Albanais qui le reçoit le régale avant son départ d’une de ces poules sans croupion et sans queue » auxquelles Chandler avait consacré une note érudite. Pourquoi non ? Un jour qu’il se demandait « où il pourrait courir afin d’attirer l’attention du public, » n’a-t-il pas rêvé qu’il remontait le Gange ? « Là, disait-il, je verrais la longue ligne noire et droite des bois qui défendent l’accès de l’Himalaya ; lorsque, parvenu au col qui attache les deux principaux sommets du mont Ganghour, je découvrirais l’amphithéâtre incommensurable des neiges éternelles ; lorsque je demanderais à mes guides… le nom des autres montagnes de l’Est, ils me répondraient qu’elles bordent l’empire chinois. » Ne croirait-on pas qu’il les a vues ? On entend presque la réponse des guides. Que de temples et de rivages il a « vus » ainsi, avec ses yeux intérieurs, en Palestine et en Grèce !

Après cela, irons-nous crier au « Tartarin ? » Quelle incompréhension et quelle faute de goût ! Même en l’allégeant çà et là de drames sans terreur et de naufrages sans risque, il reste, dans cet « itinéraire, » quelques rudes tempêtes, où il fallait être Breton pour se sentir à l’aise, quelques belles chevauchées ardentes et suffisamment périlleuses pour être honorables. Le vicomte de Chateaubriand ne voyage certes pas comme un petit bourgeois d’aujourd’hui, qui, son Baedeker en main, consacre à chaque chose sur sa route un temps strictement proportionné à son importance et fait une halte décente devant les chefs-d’œuvre honorés des deux astérisques. Il va à travers le monde à la cavalière, par bonds fiévreux qui restent incompréhensibles pour nous. L’homme qui demeurera six semaines à Tunis se contente de trois jours à Jérusalem et d’autant pour Athènes. Il a des lassitudes et des somnolences énigmatiques, puis de brusques élans, qui semblent ne devoir jamais s’épuiser. Il traverse les pays à bride abattue, arrive en pleine nuit à l’étape, en repart avant l’aurore, et tandis que ses gens, fourbus et mal contens, ronflent, il griffonne des notes, arpente le sol ou regarde le ciel. Un voyage comme celui-là se poursuit en partie double. Il y a ce que l’on pourrait appeler le voyage extérieur, qui nous étonne, nous scandalise et nous ahurit ; et il y a le voyage intérieur, où l’autre achève de s’élaborer, quand il ne s’y renouvelle pas entièrement, et dont le secret nous échappe. Ce n’est point l’ « itinéraire » méthodique et lent de la « tortue. » Cette « tortue » a des ailes, et souvent le vol de l’aigle.


III

Il l’a senti parfois ; et il a eu le courage, ou, si l’on veut, la bonne grâce de le dire. On le sent alors dans son rôle, et rien ne s’oppose plus à sa séduction. Il a compris que son génie n’était point d’être un archéologue ambulant, mais François-René de Chateaubriand, qui regarde en amateur hommes et choses, et qui ne cherche pas tant à les voir comme ils sont qu’à les voir pour se divertir. De place en place, quand il a copié bien sagement ses guides, il s’étonne lui-même de se trouver dans ces broussailles de pédans ; alors il s’ébroue, et, d’un mot, il se laisse voir dans toute sa vérité. On lui parle de la petite ville de Calamathe, qui se trouve sur la route de Sparte : « Calamathe, dit-il, que l’on prendra, si l’on veut, pour Calathion (il oublie même que le Calathion est une montagne), Cardamyles ou Thalamis. » Le voici sur les ruines de Sparte, son Pausanias en main, mais ce Pausanias ne rend que plus plaisante sa fantaisie : « J’ai compté, dit-il, dans ce vaste espace sept ruines debout et hors de terre, mais tout à fait informes et dégradées. Comme je pouvais choisir, j’ai donné à l’un de ces débris le nom du temple d’Hélène, à l’autre celui du tombeau d’Alcman, j’ai cru voir les monumens d’Egée et de Cadmus, je me suis déterminé ainsi pour la fable. » A la bonne heure. Un peu plus loin, il lit ou croit lire « sur une espèce de socle » quelques lettres à demi effacées : λασμ (lasm). Faut-il rétablir γέλασμα (gelasma) ? se demande-t-il avec le plus grand sérieux. Il plairait à son ironie de retrouver « l’autel du Rire subsistant seul au milieu de Sparte ensevelie. » cette conjecture épigraphique m’enchante : elle ne nous montre pas seulement l’autel du Rire sur les ruines de Sparte, elle nous fait entendre le rire même de Chateaubriand sur sa pacotille archéologique.

Moins ironiquement, et avec une très juste intelligence de sa valeur, il avait dit dans la première préface de l’Itinéraire : « j’allais chercher des images, voilà tout ; » et dans une note de la troisième édition, il dira, en une formule plus précise encore et plus nuancée :


Au reste, je ne sais pourquoi je m’attache si sérieusement à me justifier sur quelques points d’érudition ; il est très bon, sans doute, que je ne me sois pas trompé ; mais, quand cela me serait arrivé, on n’aurait encore rien à me dire : j’ai déclaré que je n’avais aucune prétention ni comme savant, ni même comme voyageur. Mon Itinéraire est la course rapide d’un homme qui va voir le ciel, la terre et l’eau, et qui revient à ses foyers avec quelques images nouvelles dans la tête et quelques sentimens de plus dans son cœur.


Il est impossible de mieux dire. Quel dommage que l’Itinéraire, tel que nous le lisons aujourd’hui, ne soit plus simplement le rapide récit de cette « course rapide. » Il l’a été d’abord, nous le savons ; il l’était encore en 1810 ; le besoin d’argent et les exigences du libraire ont obligé cet amateur à s’empâter d’érudition. Mais, pour qui sait lire, et surtout ne pas lire, il est facile de secouer tout ce bric-à-brac archéologique, et de retrouver en dessous, avec le simple journal du voyageur, les larges tableaux du peintre.

Il s’était proposé, nous dit-il, de « donner à la peinture des lieux célèbres les couleurs locales. » C’est la première fois, si je ne me trompe, que cette expression de couleur locale apparaissait sous une plume française ; et il était difficile d’illustrer un mot, qui devait faire fortune, par des exemples plus révélateurs. Non que Chateaubriand ait épuisé dès l’abord le contenu esthétique de ce mot-programme. Si parfois il a eu recours à la langue du peintre pour rendre « les tons chauds » de l’Orient, s’il a senti plus qu’aucun autre l’admirable splendeur dont la lumière enveloppe tout ce qu’elle dore, il n’a pas voulu occuper ses yeux à des notations minutieuses de couleurs et de nuances. Un Bernardin de Saint-Pierre eût été, sur les rives du Bosphore ou dans la plaine du Jourdain, un observateur plus attentif. Ne lui demandons pas non plus l’art ni la curiosité d’un Loti : le chatoiement des étoffes, le pittoresque imprévu des costumes, les étalages des bazars, le grouillement bariolé des rues étroites, toute cette fête des couleurs est sans charme pour lui. Lamartine lui-même s’y montrera plus sensible ; le poète élyséen des Méditations découvrira sur la route de Jérusalem un « paradis des yeux » où il se grisera ; et « les ravissantes femmes d’Orient » ne quitteront plus sa mémoire. Mais il ne semble pas qu’à Constantinople ou au Caire, l’amoureux de la belle Nathalie se soit même demandé s’il pouvait y avoir un visage derrière le tcharchaff d’une « désenchantée. » Quand il lui faudra parler de Tunis, où cependant il a vécu six semaines, il n’a qu’un désir : « s’en débarrasser » au plus vite. C’est qu’il a besoin de sentir de l’esprit, j’allais dire de l’intelligence, dans les choses pour pouvoir s’y intéresser.

Qu’on revienne aux tableaux les plus célèbres de son livre, on n’y trouvera point de savantes juxtapositions de couleurs, mais de grandes visions d’ensemble, où vient s’exprimer l’âme collective d’un paysage, et qui n’ont parfois d’autre pittoresque que celui des beaux noms sonores sur qui la gloire s’est posée. Si l’on veut goûter non seulement la beauté, mais la justesse, de ces pages, il convient de les relire, non pas sur les lieux mêmes, — trop de menus accidens sollicitent alors et dispersent le regard, — mais après avoir vu les choses, quand les détails ont glissé du souvenir et dégagé la pensée dominatrice. A ceux qui ont vu, « du haut de l’Acropolis, le Soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette, » ou, à un tournant de la route d’Eleusis, apparaître la sainte « citadelle » couronnée de son Parthénon, ou, du pont d’un navire, émerger les premiers minarets de Constantinople, ou qui ont dévalé solitaires dans quelque triste ruelle de Jérusalem, je conseille de reprendre l’Itinéraire ; ils en sentiront la vérité, et surtout la vérité intellectuelle[6].

Ne disons pas avec Sainte-Beuve que ce sont là des « esquisses. » Ce sont, au contraire, des tableaux très poussés, plus poussés même que certains « chromos » des Martyrs, si l’on ose parler avec quelque irrespect. Ce ne sont pas des « choses vues, » comme dira Hugo, mais des « choses pensées » après avoir été « vues. » Ce sont des tableaux concentrés, à force d’avoir été médités, où il ne reste plus les couleurs des choses, mais seulement les couleurs que prend l’esprit au contact des choses. « Quand on voyage dans la Judée, d’abord un grand ennui saisit le cœur ; mais, lorsque, passant de solitude en solitude, l’espace s’étend sans bornes devant vous, peu à peu l’ennui se dissipe, on éprouve une terreur secrète, qui, loin d’abaisser l’âme, donne du courage et élève le génie. » C’est ici le dernier mot de l’artiste dans l’Itinéraire. Il trouvera toujours assez de beauté dans un paysage qui saura exalter son génie. Pour retenir son regard, il lui faut des terres déjà lourdes de gloire, qui lui permettent de fraterniser, par la méditation et par l’admiration, avec tout ce qui s’est fait de grand chez les hommes. « Quelle est donc, se demande-t-il, la magie de la gloire ! Un voyageur va traverser un fleuve qui n’a rien de remarquable. On lui dit que ce fleuve se nomme Sousonghirli ; il passe et continue sa route ; mais, si quelqu’un lui crie : C’est le Granique ! il recule, ouvre des yeux étonnés, demeure les regards attachés sur le cours de l’eau, comme si cette eau avait un pouvoir magique. » Que lui font les rues bigarrées de Tunis, où, depuis des siècles, grouille une multitude de barbares sans beauté et sans passé ? Carthage seule l’attire et la gloire d’Annibal. Une des plus fortes émotions de son voyage fut de contempler les Pyramides, et, devant cette masse paradoxale, qui s’impose despotiquement à la pensée comme aux yeux, de sentir le défi de la gloire :


Pour moi, dit-il, loin de regarder comme un insensé le roi qui fit bâtir la Grande Pyramide, je le tiens, au contraire, pour un monarque d’un esprit magnanime. L’idée de vaincre le temps par un tombeau, de forcer les générations, les mœurs, les lois, les âges à se briser au pied d’un cercueil, ne saurait être sortie d’une âme vulgaire. Si c’est là de l’orgueil, c’est du moins, un grand orgueil. Une vanité, comme celle de la Grande Pyramide, qui dure depuis trois ou quatre mille ans, pourrait bien, à la longue, se faire compter pour quelque chose.


Mais, à méditer aux pieds des Pyramides et sur les grandes ruines du passé, il lui semble qu’il participe à toute la gloire qui flotte encore sur elles, et qui reste, en quelque sorte, disponible pour ceux qui savent les comprendre et les écouter. Quand il reconnaît qu’il est en quête « de gloire pour se faire aimer, » c’est, sans nul doute, à cette grande gloire qu’il songe, beaucoup plus qu’à la gloire un peu frivole d’avoir causé avec des pachas imaginaires ou d’avoir malmené en rêve quelque Turc pris de vin. A force de penser de nobles choses sur de nobles ruines, il voulait que désormais sa méditation fût inséparable d’elles, et qu’un grand souvenir, le sien, s’attachât désormais à tous ceux qu’elles supportaient déjà. Le P. Garabed a un mot spirituel et précis pour définir cette âme latente de l’Itinéraire : « En allant chercher des images en Orient, il a voulu surtout y laisser, pour toujours, la sienne. » Il l’y a laissée. Après tout, se disait-il sur les ruines de Sparte, « ne dédaignons pas trop la gloire ; rien n’est plus beau qu’elle, si ce n’est la vertu. » Le galant chevalier de l’Alhambra avait provisoirement renoncé à la « vertu ; » et, en terminant son « itinéraire, » c’est sur une pensée de gloire qu’il s’arrêtait : « J’ai assez écrit, si mon nom doit vivre, beaucoup trop s’il doit mourir. » Il pouvait se rassurer. Lui aussi, il avait élevé sa « pyramide. »

Par bonheur, ce « glorieux, » qui est un homme d’esprit, ne nous ramène que discrètement au pied de cette « pyramide ; » sûr de son immortalité, le dieu s’amuse parmi les hommes. Là est une des grâces de l’Itinéraire, de montrer le génie bon enfant et, malgré tout, un peu sceptique. Ce dévot de la gloire ne ferme pas les yeux sur ses à-côtés plus humbles ou sur ses revers plaisans. Quand il sort de la solitude de son rêve, — solitude relative et peuplée, — il retrouve sans déplaisir ses compagnons qui n’ont point quitté terre. Le contraste entre ses pensées et les leurs, loin de l’irriter, l’amuse presque toujours : il leur sait bon gré de détendre sa méditation et d’y glisser un peu d’involontaire ironie. Cet héritier des Chateaubriand ne traîne derrière lui que des Croisés sans panache, un Joseph, un Julien, un Jean, un Michel, un Ali, écuyers trop modernes, qui suivent avec une ardeur intermittente ce cavalier endiablé, et qui ne s’attendrissent que devant la marmite. Le maître, qui chevauche aux côtés de la gloire, se retourne parfois pour les regarder ; et, à les voir si différens de lui, il a un bon rire indulgent. Il les a remerciés à sa façon en faisant leur croquis à une halte du chemin. Il s’en excuse presque, comme d’un manque de tact artistique ; mais c’est une excuse de pure forme. Ces portraits ne sont pas, quoi qu’il dise, des « caricatures : » ce sont de très spirituels crayons, qui enlèvent à cette chevauchée ce qu’elle pourrait avoir d’un peu prétentieusement épique. Désormais nous ne pouvons plus nous représenter un René solitaire : derrière lui, nous voyons trottiner Julien l’impassible, jamais étonné ni pressé, Joseph le Milanais, « petit homme blond à gros ventre et à teint fleuri, » Jean le Grec, mystérieux et bon apôtre, qui, d’un air triste, mais d’une main rapide, engloutissait volaille et jambons, en ayant l’air de rêver aux étoiles.

Il n’y a pas qu’eux à faire les Sancho Pança autour de ce grand idéaliste. Comme partout, don Quichotte est seul de son espèce. Sur ces terres privilégiées de la gloire, on dirait que le passé n’est même plus un souvenir. La vie contemporaine, déjà si misérable et si ridicule, le devient davantage quand on la rattache involontairement aux « belles et orageuses vies » qui ont été vécues sur ce même sol maintenant profané. Dans les montagnes de Laconie, « un sale gîte, » plein d’ordures, rappelle qu’à peu près dans les mêmes lieux, le roi Ménélas avait son palais et donnait des festins ; on entend de ridicules commérages dans « la maison de Socrate » et les « jardins de Phocion ; » dans l’ile de Simonide, les demoiselles Pengali s’égosillent à chanter : « Ah ! vous dirai-je, maman, » et le vicomte de Chateaubriand est obligé de s’ébaudir à une noce de village. Mais le don Quichotte français ne se courrouce pas contre les rustres et les malitornes qui veulent le tirer de son enchantement. Volontiers il met pied à terre pour causer avec eux.


C’est ce qui charma les lecteurs de 1811. Après avoir admiré un René un peu distant, toujours drapé dans sa mélancolie et dans des images magnifiques, ils eurent une surprise et une illusion délicieuses : ils crurent que le grand homme les appelait à son amitié, et ils se sentirent émus. « Il y a quatre ans, lui écrivait en 1829 la marquise de Vichet, que la lecture de l’Itinéraire me ramena toute à vous. En vous lisant, on éprouve une admiration passionnée, qui détourne de tout ; et l’âme s’abreuve d’une tendresse vague qui ne trouve rien digne d’elle et ne sait où s’attacher. » Marie était amoureuse, et l’amour a parfois l’épithète excessive. Mais nous-mêmes, nous sommes encore séduits ; et, laissant à Marie sa lyre, nous dirons plus simplement : Reprenons l’Itinéraire, débarrassons-le de sa défroque archéologique, réduisons-le pour notre usage personnel à un léger « livre de poste, » à quelques pages de haute allure, à quelques anecdotes rapides, à quelques nobles et profonds paysages. Gardons-nous surtout de vouloir y supprimer les gasconnades : ce serait peut-être trop amincir le livre ; ce serait, du moins, enlever à, ce poète quelque chose de sa fantaisie, pour ne pas dire de son idéalisme ; et, dès qu’elles sont connues, elles deviennent charmantes. Il reste alors, sur un sol glorieux, un petit temple de style français, aux lignes spirituelles et sobres. Le dieu lui-même vient au-devant de nous. Ce n’est pas l’Olympien qu’on pouvait craindre, un René maussade, « portant son cœur en écharpe : » c’est le galant homme dont nous parlent ses amis, un grand artiste sans morgue et qui se raconte volontiers, un cavalier un peu ironique, mais si aimable et, comme disait Joubert, « un bon garçon. »


PIERRE-MAURICE MASSON

  1. Sur ce texte, dont on a maladroitement contesté l’authenticité, voyez la démonstration définitive de M. G. Michaut dans ses Études sur Sainte-Beuve.
  2. Itinéraire de Paris à Jérusalem, par Julien, domestique de M. de Chateaubriand, publié par Édouard Champion. 1 vol. in-8, Champion.
  3. Alcuni cenni critici nel viaggio in Grecia che comporte la prima parte dell’ ltinerario da Parigi a Gerusalemme del signor F. A. de Chateaubriand. Padova, Bettoni, 1816.
  4. P. Garabed Der-Sahaghian, Chateaubriand en Orient. Ce travail, qui a été fait sous ma direction et qui fut d’abord une thèse de doctorat présentée à l’Université de Fribourg, vient de paraître à Venise (Saint-Lazare), Imprimerie arménienne, in-8. En dépôt à Paris, à la librairie Champion.
  5. Je laisse ici de côté un problème que je n’ai pas encore résolu, et qu’il serait pourtant capital de résoudre. Le 30 septembre 1806, Fauvel, notre consul, qui avait si cordialement accueilli à Athènes « l’aimable et illustre voyageur, » écrivait à M. de Choiseul : « M. de Chateaubriand est arrivé ici le 19 août par mer, venant d’Epidaure où il s’est embarqué après avoir traversé la Morée… Nous n’avons pas eu le temps d’aller à Marathon ni à Eleusis. » (Lettre publiée par M. Louis Hogu, dans la Revue d’Histoire littéraire de la France, septembre 1912). Faurel est un homme précis ; sa lettre, qui est écrite moins de six semaines après le passage de Chateaubriand, est toute pleine de dates et de petits faits, qui paraissent bien exacts. S’il dit vrai, Chateaubriand aurait vu Corinthe, Eleusis et Mégare comme il a vu le Meschacébé, c’est-à-dire à travers des livres. Je le croirais sans peine, si une page d’Avramiotti (ô ironie des choses ! ) ne semblait très certainement attester la présence de Chateaubriand à Eleusis. Je soumets cette difficulté aux historiens de René.
  6. Ce caractère « intellectuel » des paysages de Chateaubriand a été très justement noté par M. Louis Bertrand et M. Victor Giraud.