Caroline et Saint Hilaire, ou Les putains du Palais-Royal/00-2

DÉDICACE.


L’EDITEUR A L’AUTEUR.



Je ne puis mieux dédier qu’à vous même Caroline, l’histoire dont vous êtes la brillante héroïne et que votre main savante a tracée avec une plume trempée dans le foutre brûlant ; le public qui ne connaît encore que vos charmes, va donc être instruit de tous vos hauts faits ! Semblable à César qui sut conquérir le monde et écrire ses triomphes, vous avez su conquérir nos cœurs et nos vits et peindre leurs défaites. Tour à tour muse de l’histoire et prêtresse des plaisirs, on ne saura qui l’on doit plus louer en vous ou du talent de Minerve ou du cul de Vénus, vous allez, peut-être vous plaindre, de ce que sans vous consulter, je vous lance tout à coup au plus haut degré de gloire où une fille puisse prétendre ; mais c’est la crainte même de cette modestie qui m’a empêché de vous prévenir, bien persuadé que des vertus comme les vôtres aiment encore à fuir la publicité, ainsi les efforts que cette modestie vous aurait engagée à faire près de moi, l’auraient peut-être emportés sur l’utilité publique et l’intérêt de votre gloire : j’ai donc préféré trahir votre modestie pour la débarrasser du soin de se défendre ; mais, si c’est là une excuse passable pour vous avoir livré à l’impression, en ai-je une aussi solide à vous présenter pour justifier l’espèce de larcin qui m’a mis votre histoire entre les mains ? Je vais vous en laisser juge, ainsi que le public. Peut-être que l’exposé naïf de l’aventure qui me procura ce manuscrit me disculpera à ses yeux et aux vôtres.

Depuis deux mortelles heures vous le savez, j’attendais avec la plus vive impatience, dans votre délicieux boudoir le quart-d’heure de rendez-vous après lequel vous me faisiez soupirer depuis six mois, brûlant d’amour, et impatient de plaisir, j’avais déjà baisé mille fois les objets charmans qui ornaient ce séjour heureux de ma félicité future, d’instant en instant, la fidèle et sémillante Minette venait distraire mon impatience et me dire toujours, pour excuse de votre retard, que monsieur était encore au lever de madame ; mais qu’il ne tarderait pas à la laisser libre. Après avoir enfin entendu dix foix les petites consolations de Minette, avoir parcouru les romans, les gravures, les jolies polissonneries qui embellissent ce lieu de volupté et qui ne faisaient qu’électriser encore tous mes sens en enflammant mes idées, je vais machinalement m’appuyer près de votre secrétaire, machinalement encore j’en tire la tablette, elle cède et le secrétaire est ouvert. Une inscription me frappe ; je lis : Secrets de l’Amour. L’idée de voir si mes romances, si mes lettres dictées par l’amour le plus emporté occupaient une place parmi ces secrets, s’empare de mon esprit et ne me laisse pas le temps de réfléchir. Je cherche donc, mais un seul cahier s’offre à mes recherches, il portait pour titre : Mon Histoire. Je l’ouvris lorsqu’un bruit qui se fait entendre dans le salon, me porte à fermer le secrétaire ; le cahier me restait à la main. Comme je croyais ce bruit occasioné par l’approche de quelqu’un, la crainte d’être surpris me fait mettre le manuscrit dans ma poche, bien résolu de le remettre à sa place quand je le pourrais commodément, le bruit cessant, j’ouvre la porte, j’entre dans le salon, pour voir qui l’avait occasioné. Qu’aperçois-je, Minette sur le canapé aux prises avec un joli jeune homme, cette vue m’éclaire, je me crois la dupe de la soubrette et de la maîtresse : indigné, je m’élance pour sortir. Minette effrayée, se débarrasse de son Adonis et courant vers moi, me crie, monsieur rentrez, vous nous perdez… Ce n’est point par là… vous allez à la chambre de madame !… En effet, j’avais la tête troublée, et au lieu de prendre la porte de la salle pour sortir, je prends la porte de votre appartement ; mais c’était fait ; j’étais entré. Et quelle seconde scène s’offre à mes yeux, vous Caroline ! belle comme Vénus, nue comme l’Amour entre les bras d’un laquais !… J’étais honteux pour vous-même, je l’avoue ; mais quelle fut ma surprise, ou plutôt ma fureur, lorsque, sans avoir l’air de m’apercevoir, sans autre tort que celui d’une maîtresse qui gronde, vous vous récriez contre Minette qui laisse pénétrer jusque chez vous un imprudent, un inconnu, un coquin, sans doute que vous allez faire jeter par les croisées !… Outré d’une telle indignité, j’allais dans mon désespoir brûler la cervelle à ce vil butor à qui l’on me sacrifiait, lorsque l’adroite et toujours prudente Minette, me tirant avec force hors de votre chambre, me dit froidement : étourdi que vous êtes, on vous expliquera tout cela, rien n’est encore perdu, si vous voulez… Je la repousse sans l’écouter, et je sors désespéré, bien résolu de me venger. Retiré chez moi, j’en cherche inutilement les moyens, un projet détruisait l’autre ; je fus tout à coup distrait par le souvenir que je tenais dans ma poche, un manuscrit qui pourrait peut-être me servir. Je l’ouvre avidement et je lis l’histoire… qu’on verra ; après l’avoir lue, on ne sera pas étonné que tant de brillans exploits m’aient reconcilié avec une si grande héroïne. La haine et l’amour de la vengeance ne tiennent pas contre un grand cœur qui doit être au-dessus des torts. Aussi en lisant avant tout l’avis suivant, le public verra bien que le sentiment qui guide ma plume, fait plutôt l’éloge que la satyre de mon héroïne, c’est-à-dire, de vous, ô Caroline !