IV

Caramel fait une farce à Mame Michel


Mame Michel
Mame Michel


On comprendra facilement que tant de belles actions n’étaient point faites pour attirer à mons Caramel les bonnes grâces des commensaux du bon M. Picrate.

Hélas !

Caramel était jeune, et l’on eût pu croire qu’il faisait tout son possible pour étendre le cercle de ses ennemis, ainsi qu’on va le voir par la suite.

Comme toutes les maisons qui se respectent, la maison où demeurait M. Agénor Picrate avait une concierge ; celle-ci s’appelait Mame Michel et elle avait un petit garçon qui se nommait Cadet.

Bien souvent, de la fenêtre où il flânait tout le long du jour, Caramel avait plongé des regards curieux dans la loge de Mame Michel, et une grosse envie le poignait d’y aller faire un petit tour et de s’amuser un peu avec le jeune Cadet.

Mame Michel reçoit Mlle Césarine
Mame Michel reçoit Mlle Césarine

Mais il fallait pour cela déjouer la prudente surveillance de M. Picrate, de Stéphanie, de Jucot et de Minou.

Ah ! si jamais il pouvait s’échapper seulement cinq minutes !

Ce jour arriva enfin.

Or, ce jour-là, Mame Michel était en train de donner un coup de balai à sa loge et le petit Cadet s’amusait avec un théâtre Guignol que lui avait donné son grand-oncle, quand tout à coup Mlle Césarine, la bonne du quatrième, entra chez Mame Michel.

— Tiens ! c’est vous, mam’selle Césarine. Et quoi de nouveau ?

— Oh ! vous ne savez pas ?… Eh bien ! imaginez-vous que Mme Lamanche, du quatrième…

— Chut ! fit Mame Michel en désignant Cadet.

Puis tout bas :

— Cet enfant est si malin ! Il ne faut jamais rien dire devant lui.

Puis à son fils :

— Tiens, Cadet, emporte donc ton théâtre, et va jouer avec le petit de l’épicier.

Cadet aurait bien voulu écouter la conversation, mais il lui fallut obéir.

Cadet ramasse ses cliques et ses claques
Cadet ramasse ses cliques et ses claques

Il ramassa donc ses cliques et ses claques.

Ce n’était pas une opération facile, car le théâtre Guignol donné par le grand-oncle n’était pas un jouet de quatre sous.

Il comportait un nombre considérable d’acteurs, tels que Guignol, le Juge, le Gendarme, la fameuse potence, Polichinelle et le Commissaire, que ce gueux de Pulcinello assomme, sans compter le Diable qui, finalement, et pour le plus grand triomphe de la vertu, emporte Polichinelle dans les braises de l’enfer.

Il emporta son théâtre en marmottant et s’en fut la tête basse.

Justement, par la porte où il venait de sortir, entrait Caramel qui avait pu échapper à ses quatre farouches geôliers.

Cependant, la conversation continuait entre Mame Michel et Mlle Césarine, et comme l’histoire de Mme Lamanche menaçait de tirer en longueur :

— Si vous déjeuniez avec moi, mam’selle Césarine ? proposa Mame Michel.

— Oh ! non… merci !… minauda la locataire.

— Vous direz merci après ! continua la concierge.

— C’est que je suis pressée.

— Allons donc ! une tasse de café au lait, c’est bien vite avalé.

— C’est que je viens du marché !

— Qu’est-ce que cela fait ?

— Et Monsieur veut déjeuner à midi juste.

— Oh ! vous avez le temps !

— Oui ! mais j’ai un ragoût de mouton…

Mame Michel sert le café à Mlle Césarine
Mame Michel sert le café à Mlle Césarine

— Bah ! c’est si vite cuit !

Mlle Césarine, qui ne refusait que par pure politesse, se laissa tenter et bientôt voici nos deux commères attablées chacune devant un bon bol de café au lait tout fumant et fleurant bon.

Pendant ce temps, mons Caramel, qui était caché sous la table et qui n’osait quitter cet abri tant qu’il y aurait du monde, par peur de quelque coup de balai, — pendant ce temps, disons-nous, ce bon Caramel s’ennuyait, ne prenant aucun intérêt aux papotages de ces dames et trouvant longuettes les aventures du monsieur du second ou de la dame du cinquième.

Mame Michel et Mlle Césarine boivent du café
Mame Michel et Mlle Césarine boivent du café

Et il trouvait le temps long aussi, d’autant plus qu’il avait aperçu sur la table un sucrier plein jusqu’au bord, et M. Caramel adorait le sucre.

Et il songeait, en son âme de singe :

— Ah çà ! est-ce que ces deux pécores n’auront pas bientôt fini leur bavardage !…

Mais Mame Michel et la bonne avaient tant de choses à se dire.

Pensez que la maison avait cinq étages, et chaque étage deux locataires, cela faisait dix ménages, sans compter les boutiques du rez-de-chaussée, dont Mame Michel et la bonne avaient à éplucher la vie privée.

Aussi Caramel s’impatientait.

La marionnette du diable surgit de la table
La marionnette du diable surgit de la table

Et comme, nerveux, il s’agitait sous la table, tout à coup un objet qu’il aperçut traînant sur le parquet fut pour lui un trait de génie.


Mame Michel et Mlle Césarine prennent la fuite
Mame Michel et Mlle Césarine prennent la fuite

. . . . . . . . . . . . . . .

Ces dames causaient toujours.

Tout à coup :

— Seigneur Dieu ! qu’est cela ?… s’écria Mlle Césarine, plus morte que vive.

— C’est le diable ! Bonne mère ! clama Mame Michel, à demi pâmée.

Et toutes deux, prises tout à coup d’une terreur folle, de s’enfuir au plus vite, comme si maître Lucifer en personne eût été à leur poursuite ; et elles criaient :

— Au secours ! au secours !

Mlle Césarine s’enfuit
Mlle Césarine s’enfuit

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, tous les locataires de la maison étaient descendus dans la rue en entendant ces cris de :

— Au secours  !

Tous les passants qui passaient s’étaient arrêtés et, de toutes les demeures voisines, les habitants étaient accourus pour voir ce qui pouvait advenir.

— C’est un assassinat ! disaient les uns.

— Un fou ! assuraient les autres.

Caramel boit le café de Mame Michel
Caramel boit le café de Mame Michel

— Non ! faisaient les troisièmes plus informés, c’est un lion qui s’est échappé de la ménagerie prochaine.

Cependant, Mame Michel et Césarine s’étaient évanouies dans la rue, et on avait dû les porter chez le pharmacien le plus proche, où, leurs sens revenus, elles assuraient sérieusement qu’elles venaient de voir le diable ! et, tremblantes, elles refusaient de réintégrer leur logis.

Et il y avait de quoi être effrayé, car voici que, sans crier gare et sans savoir d’où il sortait, une façon de gnome, une sorte de lutin vêtu en paysan avait surgi sur la table, dodelinant de la tête et agitant ses deux petits bras.

Mais qui est-ce qui se faisait une pinte de bon sang ? C’était ce satané Caramel ! Car c’était lui qui avait saisi avec sa queue une marionnette oubliée par le petit Cadet et l’avait fait surgir tout à coup aux yeux effarés des deux commères.

Et tandis que les deux pauvres femmes appelaient à l’aide et révolutionnaient tout le quartier, mons Caramel se gorgeait de sucre et même vidait le fond des tasses, trouvant que décidément le café, qu’il avait jadis en horreur, était exquis additionné de lait.

Et, sa gourmandise satisfaite, il se sauvait avant qu’on fût venu le déloger.


Marionnette du diable
Marionnette du diable