Bulletin du Syndicat des journalistes, n°1, décembre 1918/Texte entier


Bulletin du Syndicat des journalistes, n°1, décembre 1918

LE

SYNDICAT DES JOURNALISTES

Association de Défense et de Discipline professionnelles
Siège Social : 52, Rue de Châteaudun, Paris (9e)
BULLETIN MENSUEL No1
DÉCEMBRE 1918

SOMMAIRE


À nos camarades.

Les Devoirs et les Droits professionnels.

La Loi sur la Presse et le Syndicat des Journalistes.

Les Journalistes et le Privilège accordé par l’article 2101 du Code Civil aux ouvriers et commis.

Les Journalistes professionnels et la Concurrence des non-professionnels.

Le Syndicat et la Question du Charbon.

Le Syndicat et la Question des Loyers.

Pour les Journalistes mobilisés.

Interventions diverses.

Notes et Renseignements.

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À NOS CAMARADES


Le Syndicat des Journalistes a été fondé le 10 mars 1918, selon la loi de 1884.

L’appel adressé par les membres du Comité fondateur à leurs camarades de la presse, indiquait clairement quel but on se proposait d’atteindre :

 Mon cher Confrère,

Nous avons pris l’initiative de fonder le Syndicat des Journalistes.

Nous en avons élaboré les Statuts provisoires et nous vous en communiquons le texte ci-joint. Nous vous demandons aujourd’hui d’adhérer à notre œuvre et de vous inscrire comme membre du Syndicat.

Il nous à semblé que l’heure était favorable pour développer, dans un groupement strictement professionnel, la solidarité agissante et pratique entre tous nos camarades.

Nous rendons hommage aux Associations de presse dont nous sommes heureux de faire partie. Sociétés de secours mutuels et de retraites, elles ont rendu, elles rendent chaque jour de notables services.

Et c’est précisément pour continuer leur effort en accomplissant à côté d’elles une tâche qu’elle n’ont pas spécialement entreprise, que nous créons maintenant le Syndicat des Journalistes.

Nous avons dessein, ce faisant, d’assurer le respect dû à la profession de journaliste, d’augmenter, si cela n’est pas superflu, devant l’opinion publique le prestige même de la profession, en établissant parmi nous les règles de l’honneur corporatif et en garantissant que ces règles seront obéies des syndiqués.

Le Syndicat des Journalistes se propose donc de remplir un rôle moral analogue à celui que remplit le Conseil de l’Ordre des Avocats. Vous serez d’accord avec nous, et tous les journalistes dignes de ce nom seront d’accord avec nous sur ce point, que la profession de journaliste peut retirer de cet organisme nouveau dont l’action est, à bien des égards, nécessaire et même urgente, un très important avantage.

Nous voulons, en outre, et en tenant compte des conditions spéciales dans lesquelles s’exerce la profession de journaliste, assurer la sauvegarde de nos droits professionnels.

Par exemple, le Syndicat des Journalistes espère être un intermédiaire utile entre les directeurs de journaux et nos jeunes et vaillants confrères qui, ayant fait leur devoir à l’armée, reviendront pour reprendre la place qu’ils occupaient dans les journaux avant la mobilisation, et qu’ils comptent retrouver.

Élargissant notre œuvre, nous travaillons aussi à la formation d’un Club de la presse.

Nous envisageons déjà des appuis efficaces, et nous parviendrons de la sorte à créer pour tous les journalistes français ce foyer corporatif qui leur est indispensable.

Ainsi, nous surveillerons les intérêts matériels et moraux d’une profession difficile et souvent glorieuse, et nous préparerons entre nous tous l’épanouissement d’une amitié fraternelle qui sera notre joie, et qui sera notre force.

C’est pourquoi nous faisons appel à vous, mon cher Confrère, et nous vous demandons votre adhésion au Syndicat des Journalistes.

L’estime qui vous entoure et votre autorité auprès de vos camarades nous rendent votre adhésion particulièrement précieuse.

Il nous sera d’ailleurs agréable de la recevoir très prochainement, car nous désirons procéder, dans le plus bref délai, à la constitution définitive du Syndicat.

Veuillez agréer Monsieur et cher Confrère, nos salutations cordialement dévoués.

Le Comité Fondateur.

Ainsi, le Syndicat des Journalistes voulait être une association de défense et de discipline professionnelle.

Il a paru qu’une nouvelle association, ainsi constituée, pouvait rendre des services appréciables aux journalistes. Et à l’heure actuelle, le Syndicat des Journalistes compte cinq cents adhérents.

Ce résultat est d’autant plus significatif que les mois écoulés depuis la fondation du Syndicat ont été traversés de plus d’événements d’importance universelle ; que les préoccupations purement professionnelles de chacun étaient reléguées au second plan ; que la propagande et le recrutement des membres du Syndicat étaient moins aisés alors que beaucoup de journalistes étaient mobilisés, et que les conditions précaires de l’existence des journalistes dans des journaux au format réduit rendaient plus difficile le paiement d’une cotisation à un Syndicat.

Néanmoins un grand empressement à s’inscrire au Syndicat s’est manifesté parmi nos confrères. Il témoigne bien qu’à leurs yeux, la création d’une association syndicale des journalistes s’imposait.

Le Syndicat s’est efforcé d’être, selon son programme et ses statuts, une association de défense et de discipline professionnelle exclusivement.

Il est intervenu, toutes les fois qu’il l’a jugé possible, pour la défense et la discipline de la profession uniquement.

Les mêmes circonstances, qui ne semblaient pas favoriser beaucoup le recrutement du Syndicat, étaient ainsi médiocrement favorables à son action.

Nous avons pu néanmoins accomplir pour l’action syndicale, à plusieurs reprises, des efforts qui ont obtenu l’approbation de nos camarades.

Mais il importe, surtout dans une organisation comme celle-ci, que nos camarades du Syndicat soient assidument les collaborateurs du Conseil d’administration.

Le Bulletin du Syndicat des Journalistes donnera à tous le moyen d’assurer cette coopération régulière. Nous espérons pouvoir, dans un délai assez bref, publier le Bulletin mensuellement. Nous demandons à tous les syndiqués de nous adresser leurs suggestions, et par l’entremise du Bulletin, de soumettre à tous leurs camarades, leur desiderata, leurs projets. Ainsi l’action du Syndicat sera multipliée et il en résultera, pour tous, des avantages professionnels considérables.

Nous convions donc nos camarades à exercer dans leurs milieux une propagande ardente et persuasive.

Cette propagande est nécessaire pour augmenter les ressources matérielles qui permettront la publication régulière du Bulletin.

Cette propagande est nécessaire pour que le nombre des syndiqués garantisse à notre action syndicale une influence décisive.

Le moment est venu maintenant où il convient, non seulement de développer entre les journalistes une amicale solidarité, mais encore d’organiser la profession. Aidons-nous tous, mais dans le Syndicat, pour cette tâche indispensable et urgente.

LES DEVOIRS et les DROITS PROFESSIONNELS


Le Syndicat étant une association de défense et de discipline professionnelles, nous avons pensé que la défense serait d’autant plus efficace que la discipline serait mieux formulée.

Il nous a donc semblé opportun de définir d’abord les devoirs essentiels du journaliste.

Voici les articles de ce petit code des devoirs professionnels du journaliste, tel qu’il a été établi par le Conseil d’administration du Syndicat.


Les Devoirs professionnels du Journaliste


Un Journaliste digne de ce nom :

1o Prend l’entière responsabilité de tout texte qu’il publie sous sa signature ou sous un pseudonyme personnel ;

2o Tient la calomnie, la diffamation et toute accusation sans preuves pour les plus graves fautes professionnelles. (Pour les délits de presse entachant l’honneur, il peut, même après avoir été condamné par la juridiction légale, faire appel devant le Conseil de discipline du Syndicat des Journalistes, qui sera qualifié pour lui rendre, devant ses confrères, son honorabilité de journaliste. De même, un journaliste absous avec des considérants comportant un blâme, pourra être cité devant ce tribunal professionnel et frappé de disqualification.) ;

3o N’a jamais été l’objet d’une sanction rendue par un jury d’honneur régulièrement constitué. En tous cas, le Conseil de discipline du Syndicat ne sera lié par aucune sentence rendue en dehors de lui ;

En matière de duel, l’objection de principe ou de conscience pourra être admise ;

4o N’accepte officiellement ou officieusement que des missions compatibles avec sa dignité de journaliste définie par le présent Code de l’honneur professionnel ; s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaire pour surprendre la bonne foi de quiconque en vue d’obtenir une information ;

5o N’accepte aucune fonction rétribuée dans un cercle institué, d’une façon avérée, pour faciliter les jeux d’argent, et, d’une façon générale, ne touche d’appointements ou de gratifications, sous aucune forme que ce soit, dans tout service ou entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences ou ses relations seraient susceptibles d’être abusivement exploitées ;

6o Ne signe pas de son nom ou d’un pseudonyme personnel — à moins de s’être exclusivement spécialisé dans les rubriques de publicité — des articles de pure réclame commerciale ou financière ;

7o Ne se rend coupable d’aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit, dans sa forme ou son esprit, un texte quelconque ;

8o Ne sollicite jamais la place d’un confrère, ne provoque jamais son renvoi en offrant de tenir sa rubrique pour une rémunération moins élevée ;

9o Garde, même en justice, le secret professionnel lorsqu’il lui a été demandé ;

10o N’abuse jamais de la liberté de la presse dans un but intéressé (menaces de révélations sous conditions d’argent, publications d’informations tendancieuses dans un but de spéculation financière, critiques littéraires, artistiques, théâtrales, etc., inspirées par le désir, valablement prouvé, d’obtenir des subsides, etc.).

L’initiative que le Conseil d’Administration du Syndicat avait prise de déterminer en premier lieu les devoirs professionnels du journaliste a été bien accueillie.

Non seulement, plusieurs membres du Syndicat ont invoqué telle ou telle disposition de ce code de l’honneur journalistique, mais en outre, des confrères qui ne faisaient pas encore partie du Syndicat ont demandé au Conseil de discipline du Syndicat d’arbitrer certains différends.

Le Conseil d’Administration du Syndicat prépare le Code des Droits des Journalistes qui, à beaucoup d’égards, pourra constituer, nous l’espérons, comme le cahier de nos revendications professionnelles.

Ce travail sera publié dans le prochain numéro du Bulletin.

LA LOI SUR LA PRESSE ET LE SYNDICAT DES JOURNALISTES


Diverses propositions de loi ont été déposées tendant à modifier la loi de 1881 sur la presse. L’objet principal de ces propositions est de rendre plus facile et plus effective la répression de la calomnie.

Le Conseil d’administration du Syndicat a adopté, le 4 novembre 1918, le vœu suivant qui lui avait été soumis par le secrétaire général :

Le Syndicat des Journalistes :

En présence des propositions de loi concernant les modifications à apporter à la loi de 1881 sur la presse :

Considérant que ces propositions ont pour objet unique, de rendre plus rapide et plus efficace la répression des délits d’injure et de diffamation ;

Mais, considérant que, à l’heure actuelle, l’insuffisance de cette répression provient uniquement de ce que la loi n’est pas appliquée ;

En effet, d’une part, la loi fixant à trois mois les délais de la prescription, exige évidemment une répression rapide ;

D’autre part, la loi prévoyant des peines qui peuvent atteindre un an de prison (en cour d’assises), six mois de prison (en correctionnelle), et des amendes qui peuvent atteindre deux mille et trois mille francs, la loi prévoyant des dommages-intérêts illimités, autorise évidemment et exige une répression efficace ;

Considérant qu’il appartient dans ces conditions, non pas au législateur de modifier une loi qui n’est pas appliquée, mais à la Chancellerie et aux Parquets de prendre les mesures pratiques pour assurer l’application régulière et intégrale de la loi et qu’il appartient à l’opinion publique d’imposer d’urgence ces mesures indispensables ;

Émet le vœu que rien ne soit changé sur ce point aux dispositions de la loi de 1881.

En outre, considérant que la liberté de la presse doit être intangible et que la responsabilité est non plus la rançon, mais le complément nécessaire et comme le couronnement de la liberté ;

Considérant que, au point de vue de l’admission de la preuve, le législateur de 1881 a suivi les errements du législateur de 1819 qui, par défiance à l’égard des mœurs publiques, par peur de la puissance nouvelle et déjà grandissante que représentait la presse et par peur de la liberté qu’elle préparait, a supprimé le délit de calomnie, c’est-à dire d’imputation sans preuves, pour le remplacer par le délit de diffamation, c’est-à-dire d’accusation même prouvée, et a abouti ainsi à l’interdiction pour le journaliste de tout dire, même le vrai ;

Considérant que le législateur de 1881 n’a pu persister dans ces errements qu’en vertu d’une argumentation dont la casuistique paradoxale est indiscutable, à savoir que la diffamation constituant, malgré la vérité des faits, un délit, la preuve de la vérité du fait ne saurait être autorisée, car ce serait diffamer deux fois que de prouver que le fait diffamatoire est constant ;

Considérant qu’il est contraire à l’ordre public que le calomniateur, pour qui le mensonge est une industrie, alors qu’il devrait être châtié avec une extrême rigueur, ne soit pas plus répréhensible aux regards de la loi que l’écrivain qui entreprend de dire ce qu’il croit loyalement être la vérité, et la vérité dont il croit honnêtement la divulgation utile à l’intérêt général ;

Émet le vœu que le régime de la preuve, tel qu’il est établi par la loi de 1881, soit élargi et que, tout en garantissant l’inviolabilité absolue de la vie intime, tout en déterminant avec circonspection les preuves qui peuvent être admises, le législateur en finisse avec l’hypocrisie du délit de diffamation qui n’a d’autre effet que d’engendrer l’impunité à peu près constante et presque absolue du calomniateur professionnel.

Pour le Conseil d’administration
du Syndicat des Journalistes :
Le Secrétaire Général,
J. Ernest-Charles.

Le texte de ce vœu a été adressé aux membres de la Commission de Législation civile et criminelle de la Chambre des Députés.

Plusieurs d’entre eux nous ont envoyé leur adhésion aux idées exprimées dans le vœu et nous ont assuré de leur appui pour les faire triompher.

LES JOURNALISTES
et le Privilège accordé par l’article 2101 du Code civil aux Ouvriers et Commis.


La Chambre des députés a voté, après rapport de M. Maurice Viollette, la proposition de loi de MM. Adrien Veber et Pierre Laval, tendant à étendre le privilège des ouvriers et des commis aux artistes dramatiques et lyriques.

Sur la démarche faite auprès d’eux par le Syndicat des Journalistes, M. Adrien Veber et M. Pierre Laval ont demandé pour les journalistes, le bénéfice de la disposition nouvelle. Répondant à la demande du Syndicat des Journalistes, M. Maurice Bokanowski avait, d’ailleurs, déposé dans ce sens un amendement qu’il avait fait signer par ses collègues Émile Bender, René Boisneuf, Antoine Borrel, Georges Bureau, Caffort, Louis Deschamps, Deyris, Pierre Forgeot, Abel Gardey, de Kerguézec, Landry, Laurent Eynac, Fernand Merlin, Jean Orsola, Paul Laffont, Queuille, Louis Serre.

L’exposé sommaire de M. Bokanowski détermine très nettement le caractère de la modification réclamée :

« L’objet de l’amendement est de préciser que le privilège prévu par les dispositions actuelles des articles 2101, 4o du Code civil, pour les gens de service, et 549 du Code de commerce, pour les ouvriers ou commis, sera étendu à une catégorie de travailleurs intellectuels qui, comme les artistes lyriques ou dramatiques que tend à protéger la proposition de loi de nos collègues, vivent de leur salaire, et auxquels tout privilège est également refusé, parce qu’ils ne sont ni « des gens de service », ni des « ouvriers » ou « commis » (v. trib. com. Seine, 18 décembre 1895, Pand. 1896, 2, 197, pour les rédacteurs de journaux ; trib. com. Seine, 8 janvier 1901, Pand. 1904, 2, 16, pour les reporters).

« Cette jurisprudence, qui paraît d’ailleurs avoir récemment évolué dans un sens plus favorable aux rédacteurs de publications (trib. com. Seine, Prudhon c/Gil Blas, 14 décembre 1911), repose sur cette idée, inacceptable socialement et même juridiquement (Planiol, l. 2, no 1841), que « ceux qui sont employés à des travaux d’ordre intellectuel ne bénéficient pas du privilège ». (Pand. fr. ve privilèges, no 802). »

M. Maurice Viollette, dans son rapport, a soutenu, de la façon la plus remarquable, notre revendication. Nous détachons de ce rapport, les passages concernant les journalistes :

Il est, enfin, une autre catégorie de travailleurs intellectuels dont la situation matérielle, toujours précaire, nous a semblé, pour les raisons qui viennent d’être exposées, mériter la sollicitude du législateur. L’attribution aux journalistes d’un droit de privilège pour le payement de leurs créances en cas de faillite ou de liquidation judiciaire des publications auxquelles ils collaborent nous a paru le corollaire indispensable des considérations de droit et d’équité que nous venons d’évoquer.

À des connaissances variées, encyclopédiques même, les journalistes ou publicistes doivent joindre un labeur à la fois diurne et nocturne, dont la rétribution n’est encore nullement garantie. Ils sont souvent dupés par des brasseurs d’affaires, directeurs bénévoles de feuilles plus ou moins éphémères qui, en fermant boutique, négligent de payer ceux qui ont été leurs collaborateurs avisés. D’aucuns même affectent de les traiter avec un dédain injuste et de les considérer comme des « employés » voués à une besogne méprisable. Cette attitude a eu, d’ailleurs, l’heureuse conséquence de déterminer les journalistes de tous les partis à se réunir en un syndicat de formation récente.

Il n’est aucun de nos collègues, si peu averti qu’il puisse être de la vie du monde journalistique, qui ignore le rôle que jouent les rédacteurs d’un organe de presse dans le succès de cette publication. Les journaux et revues les mieux rédigés ont adopté l’heureuse méthode de la spécialisation de leurs collaborateurs, et la plupart des lecteurs recherchent telle ou telle publication moins en raison de sa manchette que pour y retrouver des noms connus et appréciés.

La recette, au théâtre, est assurée par les artistes ; la recette du journal est assurée par ceux qui y écrivent. Dans la mesure où il y a un actif, c’est le résultat de leur travail.

M. Maurice Viollette justifie de la sorte, par des arguments péremptoires, l’action syndicale que les journalistes ont entreprise.

Le Syndicat des Journalistes remercie vivement MM. Adrien Veber, Pierre Laval, Maurice Bokanowski, Maurice Viollette et leurs collègues, pour le concours qu’ils lui ont prêté.

Les Journalistes Professionnels
et la Concurrence des non-Professionnels


Parlementaires correspondants de guerre


Depuis quelques années un nombre de plus en plus considérable de membres des deux Chambres cèdent à la vocation d’écrire dans les journaux quotidiens. Ils exercent la profession journalistique pendant toute la durée de leur mandat. Après quoi, s’ils ne sont point réélus, ils abandonnent un métier qui d’abord n’était point le leur. Et les directeurs de journaux les laissent dédaigneusement retomber dans le néant dont ils les avaient fait sortir… D’autres élus les remplacent… Et ainsi de suite.

Il est apparu au Conseil d’Administration du Syndicat que si rien ne peut s’opposer à ce que la profession de journaliste, naturellement la plus libre et la plus ouverte, soit exercée soudain par des personnalités qui n’étaient point du tout préparées à ce labeur, néanmoins pour les journalistes professionnels il résultait des habitudes prises à ce point de vue des inconvénients chaque jour aggravés.

Le Syndicat des Journalistes, à l’occasion, d’un incident particulièrement caractéristique, a mis en relief ces inconvénients en votant le 1er juillet 1898 et en communiquant aux intéressés l’ordre du jour suivant :

« Le Conseil d’Administration du Syndicat des Journalistes ayant pris connaissance de la liste des collaborateurs du nouveau journal La France Libre, qui compte un certain nombre de comédiens et de comédiennes et une quarantaine de parlementaires presque tous étrangers à la profession,

« S’étonne de l’élimination ainsi pratiquée des journalistes professionnels, considère que cette entreprise est en complet antagonisme avec les intérêts moraux et matériels de cette corporation,

« Blâme énergiquement l’emploi d’un procédé aussi préjudiciable pour les journalistes et auquel le journalisme a tout à perdre. »

Cet ordre du jour a été accueilli sans enthousiasme par la direction du journal intéressé. Mais les adhérents du Syndicat l’ont soutenu par tous les moyens en leur pouvoir.

Un nombre important de nos confrères — et qui n’étaient pas tous membres du Syndicat — ont fait appel au Syndicat des Journalistes pour obtenir par son entremise la protection de leurs droits lésés. Le Conseil d’Administration a répondu à cet appel en adressant à M. Jean Dupuy, président du Syndicat de la Presse Parisienne (Syndicat des Directeurs de Journaux) la lettre suivante :


Paris, le 1er octobre 1918.

 Monsieur le Président,

Le Syndicat des Journalistes, saisi d’une protestation que lui ont adressée tous les correspondants de guerre professionnels accrédités auprès du Grand Quartier Général des Armées Françaises, a l’honneur d’appeler votre attention sur les faits suivants qui lui paraissent de nature à gêner d’une façon inadmissible nombre de nos confrères dans l’exercice de leur profession et à jeter un discrédit sur le journalisme lui-même.

Il est de notoriété publique que, depuis le début de la guerre, et maintenant plus que jamais, les parlementaires chargés de missions aux armées se transforment en reporters diligents au service de quelques journaux quotidiens.

Or, il ne vous échappera pas que c’est uniquement en vertu de leur situation officielle et des pouvoirs d’investigation qui en découlent pour eux, que les parlementaires sont ainsi à même d’écrire pour les feuilles publiques des articles de reportage. En outre, c’est grâce à leur fonction qu’ils obtiennent des informations, qu’ils sont d’ailleurs fondés à exiger et que l’on refuse aux journalistes professionnels. Enfin, ils ne sont pas soumis aux mêmes censures que les journalistes professionnels. Ils sont ainsi placés dans des conditions exceptionnellement favorables pour remplir cette tâche d’informateurs de journaux qu’ils remplissent de plus en plus fréquemment.

Il en résulte que l’effort des correspondants de guerre professionnels devient comme subalterne, accessoire et complémentaire, et que, la force des choses se crée, au profit de personnalités que, le plus souvent, rien n’a préparé à leur nouvelle tâche une catégorie supérieure de journalistes privilégiés et que s’établit peu à peu dans la presse une oligarchie très limitée au-dessus d’un prolétariat des journalistes professionnels.

Nous nous sommes référés, pour autant que cela nous a été possible, aux textes officiels par lesquels les parlementaires dont il s’agit sont investis des fonctions de haut-commissaire, de commissaires ou chargés de missions, soit par le gouvernement, soit par les Commissions des Chambres ; aucun de ces textes ne stipule, ni même ne comporte implicitement l’obligation subsidiaire pour ces parlementaires de publier des articles de reportage dans les journaux. Or, il va de soi que tous ces textes ont un caractère essentiellement limitatif.

Il s’ensuit nettement que lorsque les parlementaires pourvus ainsi d’un de ces mandats officiels, trafiquent, en s’improvisant reporters, de renseignements qu’ils n’obtiennent qu’à la faveur du mandat, ils élargissent le mandat lui-même et les droits qu’ils tiennent de lui.

Peut-être estimerez-vous qu’il ne vous appartient pas d’apprécier si, au point de vue des règles parlementaires, il n’y a pas là une sorte d’abus de mandat. Mais qu’au point de vue de la coutume journalistique il puisse y avoir là, une sorte de concurrence déloyale, vous en tomberez d’accord avec nous.

Ces pratiques, assurément, ne sont pas plus acceptables en droit et en fait, que ne le seraient celles d’ambassadeurs, de préfets, de commandants d’armée publiant, sous formes d’articles de reportage, le contenu de leurs rapports à l’occasion d’une négociation diplomatique, d’une grève ou d’une bataille ; et pour les mêmes motifs elles doivent être incriminées, condamnées et supprimées.

La protestation que nous vous adressons nous paraît aussi indispensable que justifiée même à l’heure actuelle.

En effet, il semble que les parlementaires soient de plus en plus enclins à faire, dans la presse, un usage inadmissible des faveurs qu’ils tiennent de leur situation de parlementaires. Tout récemment, on a pu voir un député admis à pénétrer dans une ville française enlevée à l’ennemi, alors qu’il était interdit aux journalistes d’y aller ; et ce député, à son retour, publiait immédiatement dans quatre journaux différents, le même jour, un article de reportage sur sa visite.

Nous ne pouvons pas ne pas envisager avec inquiétude pour les lendemains de la guerre les conséquences de telles pratiques étendues par les parlementaires dans tous les domaines où s’exerce l’activité des journalistes.

Certes, le Syndicat des Journalistes n’obéit nullement à des préoccupations de « professionnalisme » étroit et tyrannique. Nous savons que la profession de journaliste est une profession constamment ouverte à tous, et qu’il ne peut en être autrement. Notre protestation vise simplement et catégoriquement le cas où le métier de reporter est exercé par des membres du Parlement dans les conditions anormales, irrégulières et illégitimes que nous avons précisées. Et c’est pourquoi, confiants au reste dans votre souci de sauvegarder la dignité de la profession journalistique, nous demandons instamment au Syndicat des Directeurs de Journaux de prendre en considération la protestation du Syndicat des Journalistes et de donner à cette protestation les suites que l’équité réclame.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les plus distingués et dévoués.

Pour le Conseil d’Administration
du Syndicat des Journalistes :
Le Secrétaire Général,
J. Ernest-Charles

M. Jean Dupuy nous a répondu que le Syndicat de la Presse Parisienne s’était déjà occupé, à deux reprises, de la question, en ayant été saisi par les correspondants de guerre, et que la question avait retenu son attention.

Il y a lieu de croire qu’elle l’avait retenue insuffisamment, puisque nos camarades, après deux démarches auprès du Syndicat des Directeurs, jugeaient à propos d’en faire une troisième — et très pressante — auprès du Syndicat des Journalistes… Et, si nous ne nous abusons, l’intervention du Syndicat des Journalistes n’a pas été totalement inutile puisque, depuis lors, dans de grands journaux où le parlementaire, retour de mission, signait à tour de bras, les articles de parlementaires ont été remplacés le plus souvent par des interviews et que, après l’armistice, les correspondants réguliers de journaux ont pu accomplir leur tâche sans subir une concurrence qui se faisait jusqu’alors de plus en plus indiscrète.

Au reste, en protestant une fois de plus que la profession de journaliste doit être aussi largement que possible ouverte à tous, le Syndicat des Journalistes persistera à faire ses efforts pour empêcher l’extension d’une concurrence abusive et parfois déloyale.

Copie de la lettre adressée par le Syndicat des Journalistes à M. Jean Dupuy a été envoyée aux parlementaires notables. Quelques-uns ont reconnu les exagérations commises, et même, dit l’un d’eux, l’exagération scandaleuse, mais ont allégué que la liberté devait rester totale ; d’autres ont proclamé le bien-fondé de la protestation du Syndicat. Un seul a protesté énergiquement qu’il ne faisait qu’user de son droit en écrivant des articles de journal, n’étant pas journaliste, et qu’il avait le sentiment de rendre de cette façon service au pays.

On jugera que les parlementaires qui ne sont pas journalistes peuvent montrer de bien d’autres manières leur dévouement à la chose publique.

LE SYNDICAT DES JOURNALISTES
et la QUESTION du CHARBON


Le Conseil d’administration des Syndicats a fait, une démarche auprès de M. le Préfet de la Seine pour obtenir, au profit de nos camarades, le bénéfice d’un supplément mensuel de charbon attribué à certaines catégories de personnes exerçant des professions libérales.

M. le Préfet de la Seine a bien voulu nous l’accorder.

Un certain nombre de nos adhérents résidant en Seine et Oise, nous avons fait, avec le même résultat, la même démarche auprès du préfet du département.

Nous remercions M. Autrand et M. Canal de leur extrême empressement à être agréable aux membres du Syndicat des Journalistes.


LE SYNDICAT DES JOURNALISTES
et la QUESTION des LOYERS


Le Syndicat a remis à M. Nail, garde des Sceaux, un mémoire pour appeler son attention, en ce qui concerne l’application de la loi sur les loyers, sur la situation professionnelle particulièrement difficile et incertaine des journalistes pendant la durée de la guerre.

Le Bulletin exposera dans son prochain numéro les résultats de la démarche faite.

Pour les Journalistes Mobilisés


Le Contrat de Travail des Mobilisés


Le Journal Officiel a publié, le 22 novembre 1918, la loi garantissant aux mobilisés la reprise de leur contrat de travail.

Cette loi a pour origine le projet déposé par M. Colliard, ministre du Travail, le 18 janvier, et qui a été adopté par le Parlement, à l’unanimité, sur le rapport de M. Louis Deshayes à la Chambre et de M. Paul Srauss au Sénat.

Rappelons que bénéficient de cette loi toutes les personnes ayant un contrat de travail, que ce contrat soit écrit ou verbal, formel ou tacite. Elle s’applique également aux gens de mer mobilisés dans les armées de terre et de mer, et à tous les fonctionnaires de l’État, des départements et des communes et des établissements publics.

L’article premier porte que « toutes les administrations, offices, entreprises publiques ou privées devront garantir à leur personnel mobilisé, toutes les fois que ce sera possible, l’emploi que chacun occupait avant sa mobilisation ».

Pour apprécier si la reprise de la personne est possible, il est tenu compte, uniquement, des changements profonds survenus depuis la guerre dans le fonctionnement des entreprises, par suite des destructions, des modifications importantes dans les procédés de travail : perte de clientèle, et, d’autre-part, des maladies, blessures ou infirmités de nature à modifier notablement l’aptitude de la personne à son emploi.

La preuve que la reprise du contrat est impossible incombe à l’employeur. Faute de cette preuve, des dommages intérêts sont accordés à l’employé. La demande de réintégration doit être notifiée par l’employé intéressé par lettre recommandée, dans les quinze jours qui suivent la libération, ou le terme de son hospitalisation ou de sa convalescence, ou la marche normale de l’entreprise.

Tout contrat de travail passé au cours de la guerre en vue du remplacement du mobilisé expire de plein droit lors de la reprise de son emploi par ce dernier.

Des dispositions spéciales visent la question des contrats de travail à durée déterminée, et l’application aux fonctionnaires mobilisés des règles d’avancement ou d’augmentation pour la période pendant laquelle ils ont été mobilisés.

Il va de soi que cette loi est applicable aux journalistes mobilisés.

Nous demandons à nos confrères de bien observer ce fait : pour qu’ils bénéficient de la loi nouvelle, il n’est pas indispensable que leur contrat de travail avant la guerre ait été un contrat écrit et formel. Il leur suffira d’invoquer une situation de fait.

Le Syndicat des Journalistes se met à leur disposition pour les aider à trancher telle ou telle difficulté qui pourrait se produire.

INTERVENTIONS DIVERSES

— Le Syndicat a été appelé à maintes reprises à intervenir pour la solution de conflits entre directeurs de journaux et rédacteurs, spécialement pour le paiement de traitements et d’indemnités, en cas de renvoi injustifié.

Dans la plupart de ces interventions, il a pu aboutir à des solutions satisfaisantes.

— Le Syndicat est intervenu dans le différend Pierre Veber concernant une imputation produite au Journal Officiel.

— Le Syndicat a été convié à intervenir dans une affaire de plagiat, particulièrement caractéristique, dont avait été victime notre confrère Émile Vuillermoz, rédacteur au Temps, membre du Syndicat. Les documents de cette affaire seront publiés dans un prochain numéro du Bulletin.

NOTES ET RENSEIGNEMENTS

Rappelons à nos camarades que le Conseil d’administration du Syndicat, élu par l’assemblée générale, est ainsi composé :

Pierre Audibert, Auguste Avril, Melchior Bonin, René Boureau, Albert Degret, Charles Dulot, Gaston Durand, J. Ernest-Charles, Louis Latapie, Louis Latzarus, Paul Lordon, Victor Margueritte, André Morizet, Fernand Nozière, George Prade, Paul Rousseau, Henri Sabarthez, Mario Sermet, René Sudre, Clément Vautel.

La Commission de contrôle, élue par l’assemblée générale, est composée comme suit :

Paul Bersonnet, Georges Bourdon, Louis Daussat, Charles-P. Géringer, Pierre Veber.

Le Bureau du Syndicat, nommé par le Conseil d’administration, est celui-ci :

Secrétaire Général : J. Ernest-Charles.

Secrétaires : Pierre Audibert, Henri Sabarthez, René Sudre.

Archiviste : Charles Dulot.

Trésorier et Trésorier-adjoint : Mario Sermet, Albert Degret.

Membres du Conseil de discipline : Auguste Avril, René Boureau, Louis Latapie, Paul Lordon, Victor Margueritte.

Nos camarades sont priés d’adresser toute leur correspondance pour le Syndicat, ou pour le Bulletin du Syndicat, au Secrétaire général, 52, rue de Châteaudun, Paris (IXe).

Le Gérant : Henri SABARTHEZ.

Paris. — Imprimerie des Arts et Manufactures,
8, rue du Sentier (M. Barnagaud, imp.)