Bretagne est univers

André Broulet.
LA BRETAGNE EST UNIVERS

Quelle est donc cette race aux grands yeux de mystère
Aussi nombreuse et pure que l’oiseau dans l’air,
Un de ses gâs sur chaque motte de la Terre,
Un de ses gâs sur chaque lame de la Mer ?

I

Elle fut cette race une race première
Avec son air sacré de descendre de Dieu,
Elle a gardé la foi sainte de la lumière
En son cœur analogue à la braise du feu.
Elle partit des lys où les coqs de l’aurore
Annoncent l’Ange d’or à notre espoir humain.
Pour atteindre le ciel de son hymne sonore,
Elle muait en mots les cailloux du chemin.

II

On la nommait l’Ancienne-à-la-coiffe-innombrable,
Épanouissement d’ailes sur ses cheveux.
L’Ancien accompagnait l’épouse incomparable
Et menait le long peuple émané de leurs vœux.
Elle avançait, un rêve en fleur sous la paupière,
Entre ses bras les boucles de l’humanité,
Cependant qu’il laissait une géante pierre
À chaque étape faite dans l’éternité.

III

Parvenus, à la fin de l’ambulante histoire,
En un pays de chênes courbés par le vent,
Ils se sentirent dignes de ce promontoire
Où régnaient les dragons et le rythme émouvant.
Ayant calmé leur soif au sein frais de la pomme,
Ils creusèrent la grotte du premier sommeil.
Ensuite, ils se vouèrent au destin de l’homme,
Et le rouet naquit en hommage au soleil.

IV

Cette race épandait l’éclatante harmonie
Qui coulait de son âme ainsi que d’un moulin.
Elle engendrait, de par son multiple génie,
Le chaste Perceval après l’ardent Merlin.
Un jour, elle dressa la noble Table Ronde
Où les héros, assis splendidement autour,
Buvaient le sang magique de la Beauté blonde
En le métal bénit du graal de l’Amour.

V

Elle sculpta dans le granit un fier domaine
Où les âmes venaient s’allaiter de candeur
Et les bardes épars de l’allégresse humaine
Alimenter leur gloire à sa vieille splendeur.
Elle eut des rois, elle eut des saints, elle eut des fées.
Elle émit des chefs-d’œuvre au constant devenir.
Chère à la France, où ses légendes sont greffées,
La Dame de sa proue sourit à l’avenir.

VI

Ses tribus débordant enfin de sa nature,
Elle trouva chétive la place du nid.
Alors elle s’en fut au gré de l’aventure,
Inventer des foyers à travers l’infini.
La quille, tel un soc, laboure la Tempête
Et des îles jaillissent du monstre béant,
La blanche nef semblable à la colombe en fête
Avec son rameau vert qui fleurit le néant.

VII

Il ne lui suffit point de distiller l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois ou des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au limpide présent.
Après l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan,

VIII

Ah ! ces pardons qu’exalte la liqueur d’abeilles,
Broderies et rubans, dentelles et velours,
Tous les clans venus là comme autant de corbeilles :
Garçons aux pieds légers et filles aux yeux lourds.
Chaque couple, on dirait une image qui danse
Avec sa douce au doigt la bague du galant,
Durant que les sonneurs associent en cadence
Au psaume des ramiers les cris du goéland.

IX

Vaste peuple fidèle à la Cause suprême,
On te voit sans relâche forlancer l’impur,
Tes preux donnant le sang qui leur vint de Dieu même
Avant de s’exhaler blanchement dans l’azur.
Plutôt qu’à la ténèbre son âme asservie,
L’Ancienne sacrifie ses plus dignes flambeaux,
Puis, l’épreuve achevée, elle s’ouvre à la Vie
Afin de suppléer l’absence des tombeaux.

X

Si jamais, advenant un fabuleux désastre,
On était projeté dans la nuit tout à coup,
L’épi de l’espérance et le rayon de l’astre
Âprement moissonnés par la faulx de l’Ankou,
Si jamais les cités ne laissaient plus de trace
Aux peuples dispersés par le fracas du sort,
Dans un sursaut soudain, Dieu verrait cette race
Assembler ses morceaux pour survivre à la Mort.

XI

Quelle est donc cette race aux grands yeux de mystère
Aussi nombreuse et pure que l’oiseau dans l’air,
Un de ses gâs sur chaque motte de la Terre,
Un de ses gâs sur chaque lame de la Mer ?

XII

Cette race est en toi, millénaire Celtie
D’azur et de sinople, Arcoat sur Arvor,
Qui laissas dans la glèbe ou la coque engloutie
Le meilleur de ton être passementé d’or.
Cette race divine est la race bretonne
Aux fils toujours pareils parmi l’homme divers :
Ta race impérissable dont le Temps s’étonne,
Ô Bretagne éternelle comme l’Univers !


Voilà quelle est la race aux grands yeux de mystère
Aussi nombreuse et pure que l’oiseau dans l’air,
Un gâs breton sur chaque motte de la Terre,
Un gâs breton sur chaque lame de la Mer.

Saint-Pol-Roux.