Brésil. - situation financière

AMÉRIQUE.

SITUATION FINANCIÈRE AU BRÉSIL.


Rio-Janeiro, 28 avril 1829.

Notre session extraordinaire vient de s’ouvrir le 2 de ce mois. Vous avez dû recevoir le discours que l’empereur a prononcé devant l’assemblée législative ; vous y aurez vu que le principal motif de notre convocation est l’état déplorable des finances. L’empereur a insisté sur « l’adoption d’une prompte mesure qui détruise d’un seul coup la cause de la gêne présente sans ajouter encore à l’embarras du trésor… Si malgré mes recommandations si souvent réitérées, a-t-il dit en finissant, l’assemblée ne réglait pas une affaire aussi importante, une telle négligence ne pourrait que nous préparer des maux réels pour l’avenir. »

Ainsi notre position financière se présente sous de sombres couleurs. Les dividendes seuls de notre dette s’élèvent à Londres à 200,000 liv. sterl. par an, sans parler des emprunts contractés au Brésil même. Le gouvernement veut de l’argent parce qu’il en a un extrême besoin ; mais il ne s’agit pas seulement d’ouvrir un nouvel emprunt ou augmenter les impôts ; ce sont là des moyens désespérés. Il faudrait, avant tout, un système de perception mieux approprié nos besoins et à nos ressources ; il faudrait une administration qui fût basée sur les véritables intérêts du Brésil. Notre système d’impôts est barbare ; tout le monde le sait. C’est encore celui du gouvernement portugais, qui ne connaissait pas même les plus simples principes d’économie publique. L’industrie languit, le commerce n’est pas encouragé. Croyez-vous que nous payions plus pour exporter nos marchandises que les étrangers ne paient pour nous apporter les leurs ?… Les chambres désirent mettre un terme aux abus ; elles veulent soutenir le crédit de tous leurs efforts, convaincues, comme elles le sont, que, sans lui, l’ordre politique sera subverti ; mais comment y parvenir, si nous n’avons pas des renseignemens précis et positifs sur toutes les branches de l’administration de ce pays ? Il me semble que l’administration d’un grand peuple peut être comparée à une chaîne immense. Si chacun de ses anneaux n’est pas proportionné au poids qu’il supporte, la chaîne se brise…

L’empereur est animé de l’amour du bien ; il voudrait trouver un remède à une plaie qui mine sourdement l’état. Malheureusement la majorité du ministère ne cherche pas à le seconder ; et, si je suis bien informé, cette même majorité ne voit pas sans déplaisir une aussi fâcheuse situation. Mettre les chambres dans l’impossibilité d’arranger les affaires, jeter des doutes sur la bonté du système représentatif, puis nous accuser d’incapacité, et entraîner le Brésil dans une honteuse banqueroute, tel est le but, je crois pouvoir le dire franchement, de la majorité du ministère.

Ce but est déjà atteint, du moins en partie. Les chambres commencent à tomber dans le discrédit ; le discours de la couronne les taxe même hautement de négligence. Entraînées par la force même des événemens elles ont consenti à de nouveaux emprunts non-seulement dans le pays, mais à l’étranger.

Il ne faut pas être très versé dans l’économie politique pour voir que tous ces emprunts doivent détériorer notre état financier et commercial. La preuve en est dans le change de notre monnaie comparée avec la monnaie étrangère. Vous ne croiriez pas que la livre sterling, qui, au pair, ne vaut que 3,600 reis (monnaie du Brésil), vaut aujourd’hui 9,600 ! Ainsi 260 livres sterling de ce pays n’en représentent que 100 à Londres ! Avec un change pareil, quel sera le sort du Brésil ? On vient de contracter à Londres un emprunt de 400,000 livres sterling, au change de 54 pour %. Le but de cet emprunt a été de payer les dividendes de notre dette en Angleterre. Eh bien ! au bout de dix-huit mois il sera épuisé, et le Brésil se verra chargé non-seulement des dividendes de sa dette ancienne, mais encore de ceux de ce nouvel emprunt. Par conséquent, loin de diminuer, les maux se succéderont avec plus de vitesse. Si déjà les revenus ne peuvent faire face aux dividendes de la première dette, à plus forte raison ne pourront-ils pas suffire pour acquitter ceux de ce nouvel emprunt, surtout si nous calculons le dépérissement progressif qu’éprouvent notre industrie et notre commerce par le manque de capitaux, le défaut de confiance dans l’administration et dans la forme même de notre gouvernement. Que fait le ministère pour arrêter de si grands malheurs ? Il s’endette encore. Sans consulter la réalité, et poussé seulement par le besoin d’argent, il propose un nouvel emprunt pour racheter les notes de notre banque qui se trouvent dépréciées. Le ministre des finances regarde ce rachat comme une mesure vitale, et de laquelle dépend le rétablissement de notre crédit. Mais, encore une fois, le gouvernement aurait dû mieux consulter les faits ; il aurait vu que la principale et presque l’unique cause qui influe sur le crédit d’un peuple est l’état de ses relations commerciales avec les pays étrangers. La surabondance des notes de la banque n’est qu’un effet produit par la stagnation de notre commerce. C’est donc le commerce dont il faut, avant tout s’occuper. Pour cela, il suffirait de l’affranchir de ses entraves, et de renverser l’odieux système de douanes qui pèse sur lui. Alors l’industrie brésilienne s’ouvrirait elle-même d’importans débouchés ; une activité inconnue vivifierait nos ports, le crédit se relèverait, les notes de la banque reprendraient leur valeur, les revenus augmenteraient par l’accroissement de la production et de la consommation, et le déficit du trésor se trouverait comblé sans nouveaux emprunts, ni nouveaux impôts.

Cependant, au milieu de tant de sujets d’inquiétude, je me console en voyant l’empereur toujours actif, et s’occupant lui-même avec un zèle infatigable des affaires publiques. Deux mesures vigoureuses viennent d’être adoptées par le gouvernement ; elles marquent bien le caractère de celui qui préside à nos destinées. La première est le rappel de notre ministre à Londres. Peu s’en est fallu qu’il n’ait entraîné le Brésil dans une guerre avec le Portugal, et qu’il n’ait compromis ainsi le crédit politique et financier du pays qu’il représentait auprès de la Grande-Bretagne. Il serait impossible de calculer tous les maux qui résulteraient pour nous d’une guerre, ne fût-ce qu’avec le duché de Luques ; et c’est à cela pourtant que nous auraient conduits toutes les mesures que le ministre avait prises de son propre chef, et contre les ordres même de sa cour, dans une aussi grande question. En le rappelant, l’empereur a fait voir à la nation qui l’a proclamé son souverain, que sa cause est celle du Brésil, et que son ame est aussi capable de grands sacrifices dans l’intérêt de son peuple, qu’incapable de transiger avec l’honneur. Les droits de sa fille sont inaliénables ; mais la prospérité du Brésil est une chose non moins sacrée pour lui, et il saura lui subordonner jusqu’à ses propres affections.

La seconde mesure que l’empereur a adoptée est la nomination d’un ministre auprès du gouvernement de la Colombie. Il y a long-temps que tous les amis de la liberté et de l’ordre constitutionnel désiraient voir le Brésil prendre l’attitude qui lui convient dans les affaires de l’Amérique méridionale. C’est le seul moyen peut-être de mettre un terme aux dissensions intestines qui agitent les nouvelles républiques. Il ne s’agit pas de conquérir, mais de conserver ; il ne s’agit pas de soulever les partis, mais de donner de la stabilité aux gouvernemens, en traitant avec eux. Si ce ministre est un homme habile et habitué aux grandes missions, il trouvera aisément l’occasion de déployer tous les talens d’un négociateur. Il pourra rendre à la fois d’importans services à la cause de la civilisation et à son pays, en cherchant à ramener la concorde dans ces belles contrées, et en plaçant le Brésil au premier rang des états constitutionnels du Nouveau-Monde, par l’influence que lui donnent son étendue, ses richesses, sa position géographique et la fécondité d’un sol inépuisable.

M…