Boileau - Œuvres poétiques/Satires/Satire X

SatiresImprimerie généraleVolumes 1 et 2 (p. 149-174).


SATIRE X.

1693.

LES FEMMES.


AlEnfin bornant le cours de tes galanteries,
Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries ;
Sur l’argent, c’est tout dire, on est déjà d’accord ;
Ton beau-père futur vide son coffre-fort ;
Et déjà le notaire a, d’un style énergique,
Griffonné de ton joug l’instrument[1] authentique.
C’est bien fait. Il est temps de fixer tes désirs :
Ainsi que ses chagrins l’hymen a ses plaisirs.
Quelle joie, en effet, quelle douceur extrême,
De se voir caressé d’une épouse qu’on aime !
De s’entendre appeler petit cœur, ou mon bon !
De voir autour de soi croître dans sa maison,
Sous les paisibles lois d’une agréable mère,
De petits citoyens dont on croit être père !
Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer,
De la voir aussitôt accourir, s’empresser,
S’effrayer d’un péril qui n’a point d’apparence,

Et souvent de douleur se pâmer par avance !
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux,
Qui, tandis qu’une épouse à leurs yeux se désole,
Pensent toujours qu’un autre en secret la console.
Mais quoi, je vois déjà que ce discours t’aigrit.
Charmé de Juvénal[2], et plein de son esprit,
Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée,
Comme lui nous chanter que, dès le temps de Rhée[3],
La chasteté déjà, la rougeur sur le front,
Avoit chez les humains reçu plus d’un affront ;
Qu’on vit avec le fer naître les injustices,
L’impiété, l’orgueil et tous les autres vices :
Mais que la bonne foi dans l’amour conjugal
N’alla point jusqu’au temps du troisième métal ?
Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable ;
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable,
Que si sous Adam même, et loin avant Noé,
Le vice audacieux, des hommes avoué,
À la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de l’honneur sur la terre ;
Qu’aux temps les plus féconds en Phrynés[4], en Laïs[5],
Plus d’une Pénélope honora son pays ;
Et que, même aujourd’hui, sur ce fameux modèle,
On peut trouver encor quelque femme fidèle.
OnSans doute, et dans Paris, si je sais bien compter,
Il en est jusqu’à trois[6] que je pourrois citer.
Ton épouse dans peu sera la quatrième :

Je le veux croire ainsi. Mais, la chasteté même
Sous ce beau nom d’épouse entrât-elle chez toi,
De retour d’un voyage, en arrivant, crois-moi,
Fais toujours du logis avertir la maîtresse.
Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrèce,
Qui, faute d’avoir pris ce soin judicieux,
Trouva… tu sais. — Je sais que d’un conte odieux
Vous avez comme moi sali votre mémoire.
Mais laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire[7] ;
Du projet d’un hymen déjà fort avancé,
Devant nous aujourd’hui criminel dénoncé,
Et mis sur la sellette aux pieds de la critique,
Je vois bien tout de bon qu’il faut que je m’explique.
JeJeune autrefois par vous dans le monde conduit,
J’ai trop bien profité pour n’être pas instruit
À quels discours malins le mariage expose :
Je sais que c’est un texte où chacun fait sa glose ;
Que de maris trompés tout rit dans l’univers,
Épigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
Satire, comédie ; et, sur cette matière,
J’ai vu tout ce qu’ont fait La Fontaine et Molière ;
J’ai lu tout ce qu’ont dit Villon[8] et Saint-Gelais[9],

Arioste[10], Marot[11], Boccace[12], Rabelais[13],
Et tous ces vieux recueils de satires naïves[14],
des malices du sexe immortelles archives.
Mais, tout bien balancé, j’ai pourtant reconnu
Que de ces contes vains le monde retenu
N’en a pas de l’hymen moins vu fleurir l’usage ;
Que sous ce joug moqué tout à la fin s’engage ;
Qu’à ce commun filet les railleurs mêmes pris
Ont été très-souvent de commodes maris ;
Et que, pour être heureux sous ce joug salutaire,
Tout dépend, en un mot, du bon choix qu’on sait faire.
Enfin, il faut ici parler de bonne loi :
Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi
Ces neveux affamés dont l’importun visage
De mon bien à mes yeux fait déjà le partage.
Je crois déjà les voir, au moment annoncé
Qu’à la fin sans retour leur cher oncle est passé,
Sur quelques pleurs forcés qu’ils auront soin qu’on voie,
Se faire consoler du sujet de leur joie.
Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer,
De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler,
Et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes,
Arracher de leurs yeux de véritables larmes.
Vous dirai-je encor plus ? Soit foiblesse ou raison,
Je suis las de me voir le soir en ma maison

Seul avec des valets, souvent voleurs et traîtres,
Et toujours, à coup sûr, ennemis de leurs maîtres.
Je ne me couche point qu’aussitôt dans mon lit
Un souvenir fâcheux n’apporte à mon esprit
Ces histoires de morts lamentables, tragiques,
Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques[15].
Dépouillons-nous ici d’une vaine fierté :
Nous naissons, nous vivons pour la société.
À nous-mêmes livrés dans une solitude,
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude ;
Et, si durant un jour notre premier aïeul,
Plus riche d’une côte, avait vécu tout seul,
Je doute, en sa demeure alors si fortunée,
S’il n’eut point prié Dieu d’abréger la journée.
N’allons donc point ici réformer l’univers,
Ni, par de vains discours et de frivoles vers,
Étalant au public notre misanthropie,
Censurer le lien le plus doux de la vie.
Laissons là, croyez-moi, le monde tel qu’il est.
L’hymenée est un joug, et c’est ce qui m’en plaît :
L’homme en ses passions toujours errant sans guide
A besoin qu’on lui mette et le mors et la bride :
Son pouvoir malheureux ne sert qu’à le gêner ;
Et, pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C’est ainsi que souvent la main de Dieu l’assiste.
C’Ha ! bon ! voilà parler en docte janséniste,
Alcippe ; et, sur ce point si savamment touché,
Desmâres[16] dans Saint-Roch[17] n’auroit pas mieux prêché.
Mais c’est trop t’insulter ; quittons la raillerie ;
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie.
Tu viens de mettre ici l’hymen en son beau jour :

Entends donc ; et permets que je prêche à mon tour.
EnL’épouse que tu prends, sans tache en sa conduite,
Aux vertus, m’a-t-on dit, dans Port-Royal instruite,
Aux lois de son devoir règle tous ses désirs.
Mais qui peut t’assurer qu’invincible aux plaisirs,
Chez toi, dans une vie ouverte à la licence,
Elle conservera sa première innocence ?
Par toi-même bientôt conduite à l’Opéra,
De quel air penses-tu que ta sainte verra
D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse ;
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse ;
Entendra ces discours sur l’amour seul roulans,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,
Saura d’eux qu’à l’amour, comme au seul dieu suprême.
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ;
Qu’on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer ;
Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer[18] ;
Et tous ces lieux communs de morale lubrique
Que Lulli[19] réchauffa des sons de sa musique ?
Mais de quels mouvemens, dans son cœur excités,
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités !
Je ne te réponds pas qu’au retour, moins timide,
Digne écolière enfin d’Angélique et d’Armide[20],
Elle n’aille à l’instant, pleine de ces doux sons,
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.
AvSupposons toutefois qu’encor fidèle et pure,
Sa vertu de ce choc revienne sans blessure :
Bientôt dans ce grand monde où tu vas l’entraîner,
Au milieu des écueils qui vont l’environner,
Crois-tu que, toujours ferme aux bords du précipice,
Elle pourra marcher sans que le pied lui glisse ;

Que, toujours insensible aux discours enchanteurs
D’un idolâtre amas de jeunes séducteurs,
Sa sagesse jamais ne deviendra folie ?
D’abord tu la verras, ainsi que dans Clélie[21],
Recevant ses amans sous le doux nom d’amis,
S’en tenir avec eux aux petits soins permis ;
Puis bientôt en grande eau sur le fleuve de Tendre
Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre.
Et ne présume pas que Vénus, ou Satan,
Souffre qu’elle en demeure aux termes du roman.
Dans le crime il suffit qu’une fois on débute ;
Une chute toujours attire une autre chute.
L’honneur est comme une île escarpée et sans bords
On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors.
Peut-être avant deux ans, ardente à te déplaire,
Éprise d’un cadet, ivre d’un mousquetaire,
Nous la verrons hanter les plus honteux brelans,
Donner chez la Cornu[22] rendez-vous aux galans ;
De Phèdre dédaignant la pudeur enfantine,
Suivre à front découvert Z… et Messaline ;
Compter pour grands exploits vingt hommes ruinés,
Blessés, battus pour elle, et quatre assassinés :
Trop heureux si, toujours femme désordonnée,
Sans mesure et sans règle au vice abandonnée,
Par cent traits d’impudence aisés à ramasser
Elle t’acquiert au moins un droit pour la chasser !
ElMais que deviendras-tu si, folle en son caprice,
N’aimant que le scandale et l’éclat dans le vice,
Bien moins pour son plaisir que pour t’inquiéter,
Au fond peu vicieuse, elle aime à coqueter ?
Entre nous, verras-tu d’un esprit bien tranquille

Chez ta femme aborder et la cour et la ville ?
Hormis toi, tout chez toi rencontre un doux accueil :
L’un est payé d’un mot, et l’autre d’un coup d’œil.
Ce n’est que pour toi seul qu’elle est fière et chagrine :
Aux autres elle est douce, agréable, badine ;
C’est pour eux qu’elle étale et l’or et le brocart,
Que chez toi se prodigue et le rouge et le fard,
Et qu’une main savante, avec tant d’artifice,
Bâtit de ses cheveux le galant édifice.
Dans sa chambre, crois-moi, n’entre point tout le jour.
Si tu veux posséder ta Lucrèce à ton tour,
Attends, discret mari, que la belle en cornette
Le soir ait étalé son teint sur la toilette,
Et dans quatre mouchoirs, de sa beauté salis,
Envoie au blanchisseur ses roses et ses lis.
Alors tu peux entrer ; mais, sage en sa présence,
Ne va pas murmurer de sa folle dépense.
D’abord, l’argent en main, paye et vite et comptant.
Mais non, fais mine un peu d’en être mécontent,
Pour la voir aussitôt, de douleur oppressée,
Déplorer sa vertu si mal récompensée.
Un mari ne veut pas fournir à ses besoins ?
Jamais femme, après tout, a-t-elle coûté moins ?
A cinq cents louis d’or tout au plus, chaque année,
Sa dépense en habits n’est-elle pas bornée ?
Que répondre ? Je vois qu’à de si justes cris,
Toi-même convaincu, déjà tu t’attendris,
Tout prêt à la laisser, pourvu qu’elle s’apaise,
Dans ton coffre, à pleins sacs, puiser tout à son aise.
DaÀ quoi bon en effet t’alarmer de si peu ?
Eh ! que seroit-ce donc si, le démon du jeu
Versant dans son esprit sa ruineuse rage,
Tous les jours, mis par elle à deux doigts du naufrage,
Tu voyois tous tes biens, au sort abandonnés,

Devenir le butin d’un pique[23] ou d’un sonnez[24] ?
Le doux charme pour toi de voir, chaque journée,
De nobles champions ta femme environnée,
Sur une table longue et façonnée exprès,
D’un tournoi de bassette ordonner les apprêts !
Ou, si par un arrêt la grossière police
D’un jeu si nécessaire interdit l’exercice,
Ouvrir sur cette table un champ au lansquenet,
Ou promener trois dés chassés de son cornet !
Puis sur une autre table, avec un air plus sombre,
S’en aller méditer une vole au jeu d’hombre ;
S’écrier sur un as mal à propos jeté ;
Se plaindre d’un gâno[25] qu’on n’a point écouté !
Ou, querellant tout bas le ciel qu’elle regarde,
A la bête gémir d’un roi venu sans garde !
Chez elle, en ces emplois, l’aube du lendemain
Souvent la trouve encor les cartes à la main :
Alors, pour se coucher les quittant, non sans peine,
Elle plaint le malheur de la nature humaine,
Qui veut qu’en un sommeil ou tout s’ensevelit
Tant d’heures sans jouer se consument au lit.
Toutefois en partant la troupe la console,
Et d’un prochain retour chacun donne parole.
C’est ainsi qu’une femme en doux amusemens
Sait du temps qui s’envole employer les momens ;
C’est ainsi que souvent par une forcenée
Une triste famille à l’hôpital traînée
Voit ses biens en décret sur tous les murs écrits
De sa déroute illustre effrayer tout Paris.
DeMais que plutôt son jeu mille fois te ruine,
Que si, la famélique et honteuse lésine

Venant mal à propos la saisir au collet,
Elle te réduisoit à vivre sans valet,
Comme ce magistrat[26] de hideuse mémoire
Dont je veux bien ici te crayonner l’histoire.
DoDans la robe on vantoit son illustre maison :
Il étoit plein d’esprit, de sens et de raison ;
Seulement pour l’argent un peu trop de foiblesse
De ces vertus en lui ravaloit la noblesse.
Sa table toutefois, sans superfluité,
N’avoit rien que d’honnête en sa frugalité.
Chez lui deux bons chevaux, de pareille encolure,
Trouvoient dans l’écurie une pleine pâture,
Et, du foin que leur bouche au râtelier laissoit,
De surcroît une mule encor se nourrissoit.
Mais cette soif de l’or qui le brûloit dans l’âme
Le fit enfin songer à choisir une femme,
Et l’honneur dans ce choix ne fut point regardé.
Vers son triste penchant son naturel guidé
Le fit, dans une avare et sordide famille,
Chercher un monstre affreux[27] sous l’habit d’une fille :
Et, sans trop s’enquérir d’où la laide venoit,
Il sut, ce fut assez, l’argent qu’on lui donnoit.
Rien ne le rebuta, ni sa vue éraillée,
Ni sa masse de chair bizarrement taillée :
Et trois cent mille francs avec elle obtenus
La firent à ses yeux plus belle que Vénus.
Il l’épouse ; et bientôt son hôtesse nouvelle
Le prêchant lui fit voir qu’il étoit, au prix d’elle.
Un vrai dissipateur, un parfait débauché.
Lui-même le sentit, reconnut son péché,

Se confessa prodigue, et plein de repentance,
Offrit sur ses avis de régler sa dépense.
Aussitôt de chez eux tout rôti disparut.
Le pain bis, renfermé, d’une moitié décrut ;
Les deux chevaux, la mule, au marché s’envolèrent ;
Deux grands laquais, à jeun, sur le soir s’en allèrent :
De ces coquins déjà l’on se trouvoit lassé,
Et pour n’en plus revoir le reste fut chassé.
Deux servantes déjà, largement souffletées,
Avoient à coups de pied descendu les montées,
Et se voyant enfin hors de ce triste lieu,
Dans la rue en avoient rendu grâces à Dieu.
Un vieux valet restoit, seul chéri de son maître,
Que toujours il servit, et qu’il avoit vu naître,
Et qui de quelque somme amassée au bon temps
Vivoit encor chez eux, partie à ses dépens.
Sa vue embarrassoit : il fallut s’en défaire ;
Il fut de la maison chassé comme un corsaire.
Voila nos deux époux sans valets, sans enfans,
Tout seuls dans leur logis libres et triomphans.
Alors on ne mit plus de borne à la lésine :
On condamna la cave, on ferma la cuisine ;
Pour ne s’en point servir aux plus rigoureux mois,
Dans le fond d’un grenier on séquestra le bois.
L’un et l’autre dès lors vécut à l’aventure
Des présens qu’à l’abri de la magistrature
Le mari quelquefois des plaideurs extorquoit,
Ou de ce que la femme aux voisins escroquoit.
OuMais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son lustre,
Il faut voir du logis sortir ce couple illustre :
Il faut voir le mari tout poudreux, tout souillé,
Couvert d’un vieux chapeau de cordon dépouillé,
Et de sa robe, en vain de pièces rajeunie,
A pied dans les ruisseaux traînant l’ignominie.

Mais qui pourroit compter le nombre de haillons,
De pièces, de lambeaux, de sales guenillons,
De chiffons ramassés dans la plus noire ordure,
Dont la femme, aux bons jours, composoit sa parure ?
Décrirai-je ses bas en trente endroits percés,
Ses souliers grimaçans, vingt fois rapetassés,
Ses coiffes d’où pendoit au bout d’une ficelle
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu’elle[28] ?
Peindrai-je son jupon bigarré de latin,
Qu’ensemble composoient trois thèses de satin ;
Présent qu’en un procès sur certain privilège
Firent à son mari les régens d’un collège,
Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encor
Derrière elle faisoit lire Argumentabor ?
DeMais peut-être j’invente une fable frivole.
Démens donc tout Paris, qui, prenant la parole,
Sur ce sujet encor de bons témoins pourvu,
Tout prêt à le prouver, te dira : Je l’ai vu ;
Vingt ans j’ai vu ce couple, uni d’un même vice,
À tous mes habitans montrer que l’avarice
Peut faire dans les biens trouver la pauvreté,
Et nous réduire à pis que la mendicité.
Des voleurs, qui chez eux pleins d’espérance entrèrent,
De cette triste vie enfin les délivrèrent :
Digne et funeste fruit du nœud le plus affreux
Dont l’hymen ait jamais uni deux malheureux[29] !
DoCe récit passe un peu l’ordinaire mesure :

Mais un exemple enfin si digne de censure
Peut-il dans la satire occuper moins de mots ?
Chacun sait son métier. Suivons notre propos.
Nouveau prédicateur aujourd’hui, je l’avoue,
Écolier ou plutôt singe de Bourdaloue[30],
Je me plais à remplir mes sermons de portraits.
En voilà déjà trois peints d’assez heureux traits :
La femme sans honneur, la coquette et l’avare.
Il faut y joindre encor la revèche bizarre,
Qui sans cesse, d’un ton par la colère aigri,
Gronde, choque, dément, contredit un mari.
Il n’est point de repos ni de paix avec elle.
Son mariage n’est qu’une longue querelle.
Laisse-t-elle un moment respirer son époux,
Ses valets sont d’abord l’objet de son courroux ;
Et sur le ton grondeur lorsqu’elle les harangue,
Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue :
Ma plume ici, traçant ces mots par alphabet,
Pourroit d’un nouveau tome augmenter Richelet[31].
MaTu crains peu d’essuyer cette étrange furie :
En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourrie
Jamais de tels discours ne te rendra martyr ;
Mais, eût-elle sucé la raison dans Saint-Cyr[32],
Crois-tu que d’une fille humble, honnête, charmante,
L’hymen n’ait jamais fait de femme extravagante ?
Combien n’a-t-on point vu de belles aux doux yeux,
Avant le mariage anges si gracieux,
Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages,
Vrais démons apporter l’enfer dans leurs ménages,
Et, découvrant l’orgueil de leurs rudes esprits,

Sous leur fontange[33] altière asservir leurs maris !
PeEt puis, quelque douceur dont brille ton épouse,
Penses-tu, si jamais elle devient jalouse,
Que son âme livrée à ses tristes soupçons
De la raison encore écoute les leçons ?
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses œuvres :
Résous-toi, pauvre époux, à vivre de couleuvres ;
À la voir tous les jours, dans ses fougueux accès,
À ton geste, à ton rire, intenter un procès ;
Souvent, de ta maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés, t’attendra au coin des rues ;
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés,
Et, partout où tu vas, dans ses yeux enflammés
T'offrir non pas d’Isis la tranquille Euménide[34],
Mais la vraie Alecto[35], peinte dans l'Enéide,
Un tison à la main, chez le roi Latinus,
Soufflant sa rage au sein d’Amate et de Turnus[36].
SoMais quoi ! je chausse ici le cothurne tragique !
Reprenons au plus tôt le brodequin comique,
Et d’objets moins affreux songeons à te parler.
Dis-moi donc, laissant là cette folle hurler,
T’accommodes-tu mieux de ces douces Ménades[37],
Qui, dans leurs vains chagrins, sans mal toujours malades,
Se font des mois entiers, sur un lit effronté,
Traiter d’une visible et parfaite santé ;
Et douze fois par jour, dans leur molle indolence,
Aux yeux de leurs maris tombent en défaillance ?
Quel sujet, dira l’un, peut donc si fréquemment

Mettre ainsi cette belle aux bords du monument ?
La Parque, ravissant ou son fils ou sa fille,
A-t-elle moissonné l’espoir de sa famille ?
Non : il est question de réduire un mari
À chasser un valet dans la maison chéri,
Et qui, parce qu’il plaît, a trop su lui déplaire ;
Ou de rompre un voyage utile et nécessaire,
Mais qui la priveroit huit jours de ses plaisirs,
Et qui, loin d’un galant, objet de ses désirs…
Oh ! que pour la punir de cette comédie
Ne lui vois-je une vraie et triste maladie !
Mais ne nous fâchons point. Peut-être avant deux jours,
Courtois et Denyau[38], mandés à son secours,
Digne ouvrage de l’art dont Hippocrate traite,
Lui sauront bien ôter cette santé d’athlète ;
Pour consumer l’humeur qui fait son embonpoint,
Lui donner sagement le mal qu’elle n’a point ;
Et, fuyant de Fagon[39] les maximes énormes,
Au tombeau mérité la mettre dans les formes.
Dieu veuille avoir son âme, et nous délivrer d’eux !
Pour moi, grand ennemi de leur art hasardeux,
Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
Mais à quels vains discours est-ce que je m’amuse ?
Il faut sur des sujets plus grands, plus curieux,
Attacher de ce pas ton esprit et tes yeux.
AtQui s’offrira d’abord ? Bon, c’est cette savante
Qu’estime Roberval, et que Sauveur fréquente[40].
D’où vient qu’elle a l’œil trouble et le teint si terni ?
C’est que sur le calcul, dit-on, de Cassini[41],

Un astrolabe en main, elle a, dans sa gouttière,
À suivre Jupiter[42] passé la nuit entière.
Gardons de la troubler. Sa science, je croi,
Aura pour s’occuper ce jour plus d’un emploi :
D’un nouveau microscope on doit, en sa présence,
Tantôt chez Delancé[43] faire l’expérience,
Puis d’une femme morte avec son embryon
Il faut chez du Verney[44] voir la dissection.
Rien n’échappe aux regards de notre curieuse[45].
RiMais qui vient sur ses pas ? c’est une précieuse[46],
Reste de ces esprits jadis si renommés
Que d’un coup de son art Molière a diffamés[47].
De tous leurs sentimens cette noble héritière
Maintient encore ici leur secte façonnière.
C’est chez, elle toujours que les fades auteurs
S’en vont se consoler du mépris des lecteurs.
Elle y reçoit leur plainte ; et sa docte demeure
Aux Perrins, aux Coras, est ouverte à toute heure.
Là, du faux bel esprit se tiennent les bureaux :
Là, tous les vers sont bons pourvu qu’ils soient nouveaux.
Au mauvais goût public la belle y fait la guerre :
Plaint Pradon opprimé des sifflets du parterre ;
Rit des vains amateurs du grec et du latin ;
Dans la balance met Aristote et Cotin ;
Puis, d’une main encor plus fine et plus habile,
Pèse sans passion Chapelain et Virgile :
Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés,
Mais pourtant confessant qu’il a quelques beautés ;

Ne trouve en Chapelain, quoi qu’ait dit la satire,
Autre défaut, sinon qu’on ne le sauroit lire ;
Et, pour faire goûter son livre à l’univers,
Croit qu’il faudroit en prose y mettre tous les vers.
CrÀ quoi bon m’étaler cette bizarre école
Du mauvais sens, dis-tu, prêché par une folle !
De livres et d’écrits bourgeois admirateur,
Vais-je épouser ici quelque apprentive auteur ?
Savez-vous que l’épouse avec qui je me lie
Compte entre ses parens des princes d’Italie ;
Sort d’aïeux dont les noms… ? Je t’entends, et je voi
D’où vient que tu t’es fait secrétaire du roi :
Il falloit de ce titre appuyer ta naissance.
Cependant (t’avouerai-je ici mon insolence ?),
Si quelque objet pareil chez moi, deçà les monts,
Pour m’épouser entroit avec tous ces grands noms,
Le sourcil rehaussé d’orgueilleuses chimères ;
Je lui dirais bientôt : Je connois tous vos pères ;
Je sais qu’ils ont brillé dans ce fameux combat[48]
Où sous l’un des Valois Enghien sauva l’État.
D’Hozier n’en convient pas ; mais, quoi qu’il en puisse être,
Je ne suis point si sot que d’épouser mon maître.
Ainsi donc, au plus tôt délogeant de ces lieux,
Allez, princesse, allez, avec tous vos aïeux,
Sur le pompeux débris des lances espagnoles,
Coucher, si vous voulez, aux champs de Cérisoles :
Ma maison ni mon lit ne sont point faits pour vous.
MaJ’admire, poursuis-tu, votre noble courroux.
Souvenez-vous pourtant que ma famille illustre
De l’assistance au sceau ne tire point son lustre[49] ;
Et que, né dans Paris de magistrats connus,

Je ne suis point ici de ces nouveaux venus,
De ces nobles sans nom, que, par plus d’une voie,
La province souvent en guêtres nous envoie.
Mais eussé-je comme eux des meuniers pour parens,
Mon épouse vînt-elle encor d’aïeux plus grands,
On ne la verroit point, vantant son origine,
À son triste mari reprocher la farine.
Son cœur, toujours nourri dans la dévotion,
De trop bonne heure apprit L’humiliation :
Et, pour vous détromper de la pensée étrange
Que l’hymen aujourd’hui la corrompe et la change,
Sachez qu’en notre accord elle a, pour premier point,
Exigé qu’un époux ne la contraindroit point
A traîner après elle un pompeux équipage,
Ni surtout de souffrir, par un profane usage,
Qu’à l’église jamais devant le Dieu jaloux,
Un fastueux carreau soit vu sous ses genoux.
Telle est l’humble vertu qui, dans son âme empreinte…
TeJe le vois bien, tu vas épouser une sainte,
Et dans tout ce grand zèle il n’est rien d’affecté.
Sais-tu bien cependant, sous cette humilité,
L’orgueil que quelquefois nous cache une bigote,
Alcippe, et connois-tu la nation dévote ?
Il te faut de ce pas en tracer quelques traits,
Et par ce grand portrait finir tous mes portraits.
À Paris, à la cour, on trouve, je l’avoue,
Des femmes dont le zèle est digne qu’on le loue,
Qui s’occupent du bien, en tout temps, en tout lieu.
J’en sais une[50] chérie et du monde et de Dieu,
Humble dans les grandeurs, sage dans la fortune,
Qui gémit, comme Esther, de sa gloire importune,
Que le vice lui-même est contraint d’estimer,

Et que sur ce tableau d’abord tu vas nommer.
Mais pour quelques vertus si pures, si sincères,
Combien y trouve-t-on d’impudentes faussaires,
Qui, sous un vain dehors d’austère piété,
De leurs crimes secrets cherchent l’impunité ;
Et couvrent de Dieu même, empreint sur leur visage,
De leurs honteux plaisirs l’affreux libertinage !
N’attends pas qu’à tes yeux j’aille ici l’étaler ;
Il vaut mieux le souffrir que de le dévoiler.
De leurs galans exploits les Bussys, les Brantômes,
Pourroient avec plaisir te compiler des tomes :
Mais pour moi, dont le front trop aisément rougit,
Ma bouche a déjà peur de t’en avoir trop dit.
Rien n’égale en fureur, en monstrueux caprices,
Une fausse vertu qui s’abandonne aux vices.
De ces femmes pourtant l’hypocrite noirceur
Au moins pour un mari garde quelque douceur.
Je les aime encor mieux qu’une bigote altière,
Qui, dans son fol orgueil, aveugle et sans lumière,
À peine sur le seuil de la dévotion,
Pense atteindre au sommet de la perfection ;
Qui du soin qu’elle prend de me gêner sans cesse
Va quatre fois par mois se vanter à confesse ;
Et, les yeux vers le ciel, pour se le faire ouvrir,
Offre à Dieu les tourmens qu’elle me fait souffrir.
Sur cent pieux devoirs aux saints elle est égale ;
Elle lit Rodriguez[51], fait l’oraison mentale,
Va pour les malheureux quêter dans les maisons,
Hante les hôpitaux, visite les prisons,
Tous les jours à l’église entend jusqu’à six messes :
Mais de combattre en elle et dompter ses foiblesses,

Sur le fard, sur le jeu, vaincre sa passion,
Mettre un frein à son luxe, à son ambition,
Et soumettre l’orgueil de son esprit rebelle,
C’est ce qu’en vain le ciel voudroit exiger d’elle.
C’Et peut-il, dira-t-elle, en effet l’exiger ?
Elle a son directeur, c’est à lui d’en juger.
Il faut sans différer savoir ce qu’il en pense.
Bon ! vers nous à propos je le vois qui s’avance.
Qu’il paroît bien nourri ! Quel vermillon ! quel teint !
Le printemps dans sa fleur sur son visage est peint.
Cependant, à l’entendre, il se soutient à peine :
Il eut encore hier la fièvre et la migraine ;
Et, sans les prompts secours qu’on prit soin d’apporter,
Il seroit sur son lit peut-être à trembloter.
Mais de tous les mortels, grâce aux dévotes âmes,
Nul n’est si bien soigné qu’un directeur de femmes.
Quelque léger dégoût vient-il le travailler,
Une foible vapeur le fait-elle bâiller,
Un escadron coiffé d’abord court à son aide :
L’une chauffe un bouillon, l’autre apprête un remède ;
Chez lui sirops exquis, ratafias vantés,
Confitures surtout, volent de tous côtés :
Car de tous mets sucrés, secs, en pâte, ou liquides,
Les estomacs dévots toujours furent avides :
Le premier massepain pour eux, je crois, se fit,
Et le premier citron[52] à Rouen fut confit.
EtNotre docteur bientôt va lever tous ses doutes,
Du paradis pour elle il aplanit les routes ;
Et, loin sur ses défauts de la mortifier,
Lui-même prend le soin de la justifier.
Pourquoi vous alarmer d’une vaine censure ?
Du rouge qu’on vous voit on s’étonne, on murmure :

Mais a-t-on, dira-t-il, sujet de s’étonner ?
Est-ce qu’à faire peur on veut vous condamner ?
Aux usages reçus il faut qu’on s’accommode :
Une femme surtout doit tribut à la mode.
L’orgueil brille, dit-on, sur vos pompeux habits ;
L’œil à peine soutient l’éclat de vos rubis ;
Dieu veut-il qu’on étale un luxe si profane ?
Oui, lorsqu’à l’étaler notre rang nous condamne.
Mais ce grand jeu chez vous comment l’autoriser ?
Le jeu fut de tout temps permis pour s’amuser ;
On ne peut pas toujours travailler, prier, lire :
Il vaut mieux s’occuper à jouer qu’à médire.
Le plus grand jeu, joué dans cette intention,
Peut même devenir une bonne action :
Tout est sanctifié par une âme pieuse.
Vous êtes, poursuit-on, avide, ambitieuse ;
Sans cesse vous brûlez de voir tous vos parens
Engloutir à la cour charges, dignités, rangs.
Votre bon naturel en cela pour eux brille ;
Dieu ne nous défend point d’aimer notre famille.
D’ailleurs tous vos parens sont sages, vertueux :
Il est bon d’empêcher ces emplois fastueux
D’être donnés peut-être à des âmes mondaines,
Éprises du néant des vanités humaines.
Laissez là, croyez-moi, gronder les indévots,
Et sur votre salut demeurez en repos.
Sur tous ces points douteux c’est ainsi qu’il prononce,
Alors, croyant d’un ange entendre la réponse,
Sa dévote s’incline, et, calmant son esprit,
A cet ordre d’en haut sans réplique souscrit.
Ainsi, pleine d’erreurs qu’elle croit légitimes,
Sa tranquille vertu conserve tous ses crimes ;
Dans un cœur tous les jours nourri du sacrement
Maintient la vanité, l’orgueil, l’entêtement,

Et croit que devant Dieu ses fréquens sacrilèges
Sont pour entrer au ciel d’assurés privilèges.
Voilà le digne fruit des soins de son docteur.
Encore est-ce beaucoup si ce guide imposteur,
Par les chemins fleuris d’un charmant quiétisme,
Tout à coup l’amenant au vrai molinosisme[53],
Il ne lui fait bientôt, aidé de Lucifer,
Goûter en paradis les plaisirs de l’enfer.
Mais dans ce doux état, molle, délicieuse,
La hais-tu plus, dis-moi, que cette bilieuse
Qui, follement outrée en sa sévérité,
Baptisant son chagrin du nom de piété,
Dans sa charité fausse où l’amour-propre abonde,
Croit que c’est aimer Dieu que haïr tout le monde ?
Il n’est rien où d’abord son soupçon attaché
Ne présume du crime et ne trouve un péché.
Pour une fille honnête et pleine d’innocence
Croit-elle en ses valets voir quelque complaisance ?
Réputés criminels, les voilà tous chassés,
Et chez elle à l’instant par d’autres remplacés.
Son mari, qu’une affaire appelle dans la ville,
Et qui chez lui sortant a tout laissé tranquille,
Se trouve assez surpris, rentrant dans la maison,
De voir que le portier lui demande son nom ;
Et que, parmi ses gens, changés en son absence,
Il cherche vainement quelqu’un de connoissance.
Fort bien ! le trait est bon ! dans les femmes, dis-tu,
Enfin vous n’approuvez ni vice ni vertu.
Voilà le sexe peint d’une noble manière :

Et Théophraste même, aidé de La Bruyère[54],
Ne m’en pourroit pas faire un plus riche tableau.
C’est assez : il est temps de quitter le pinceau ;
Vous avez désormais épuisé la satire.
Épuisé, cher Alcippe ! Ah ! tu me ferois rire !
Sur ce vaste sujet si j’allois tout tracer,
Tu verrois sous ma main des tomes s’amasser.
Dans le sexe j’ai peint la piété caustique :
Et que seroit-ce donc si, censeur plus tragique,
J’allois t’y faire voir l’athéisme établi,
Et, non moins que l’honneur, le ciel mis en oubli ;
Si j’allois t’y montrer plus d’une Capanée[55]
Pour souveraine loi mettant la destinée,
Du tonnerre dans l’air bravant les vains carreaux,
Et nous parlant de Dieu du ton de Desbarreaux[56] ?
Mais sans aller chercher cette femme infernale,
T’ai-je encor peint, dis-moi, la fantasque inégale
Qui, m’aimant le matin, souvent me hait le soir ?
T’ai-je peint la maligne aux yeux faux, au cœur noir ?
T’ai-je encore exprimé la brusque impertinente ?
T’ai-je tracé la vieille à morgue dominante,
Qui veut, vingt ans encore après le sacrement,
Exiger d’un mari les respects d’un amant ?
T’ai-je fait voir de joie une belle animée,
Qui souvent d’un repas sortant tout enfumée,

Fait, même à ses amans, trop foibles d’estomac,
Redouter ses baisers pleins d’ail et de tabac ?
T’ai-je encore décrit la dame brelandière
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière[57],
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L’hôtesse d’une auberge à dix sous par repas ?
Ai-je offert à tes yeux ces tristes Tisiphones,
Ces monstres pleins d’un fiel que n’ont point les lionnes.
Qui, prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc,
S’irritent sans raison contre leur propre sang ;
Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
Battent dans leurs enfans l’époux qu’elles haïssent ;
Et font de leur maison, digne de Phalaris[58],
Un séjour de douleur, de larmes et de cris ?
Enfin t’ai-je dépeint la superstitieuse,
La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien,
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien ?
Il en est des milliers ; mais ma bouche enfin lasse
Des trois quarts pour le moins veut bien te faire grâce.
DeJ’entends, c’est pousser loin la modération.
Ah ! finissez, dis-tu, la déclamation.
Pensez-vous qu’ébloui de vos vaines paroles,
J’ignore qu’en effet tous ces discours frivoles
Ne sont qu’un badinage, un simple jeu d’esprit
D’un censeur dans le fond qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête
Quand vous plaçâtes l’homme au-dessous de la bête ?
Mais enfin vous et moi c’est assez badiner,
Il est temps de conclure ; et, pour tout terminer,
Je ne dirai qu’un mot. La fille qui m’enchante,

Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N’a pas un des défauts que vous m’avez fait voir.
Si, par un sort pourtant qu’on ne peut concevoir,
La belle, tout à coup rendue insociable,
D’ange, ce sont vos mots, se transformoit en diable,
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,
Lui dire : Eh bien ! madame, il faut nous séparer ;
Nous ne sommes pas faits, je le vois, l’un pour l’autre.
Mon bien se monte à tant : tenez, voilà le vôtre.
Partez : délivrons-nous d’un mutuel souci.
PaAlcippe, tu crois donc qu’on se sépare ainsi ?
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante
As-tu donc oublié qu’il faut qu’elle y consente ?
Et crois-tu qu’aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t’y persécuter ?
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,
De ses prétentions va t’offrir un volume :
Car, grâce au droit reçu chez les Parisiens[59],
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,
Dans ses prétentions une femme est sans borne.
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne.
Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder,
Des arbitres !… Tu crois l’empêcher de plaider[60] !
Sur ton chagrin déjà contente d’elle-même,
Ce n’est point tous ses droits, c’est le procès qu’elle aime.
Pour elle un bout d’arpent qu’il faudra disputer
Vaut mieux qu’un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n’est point de droit qui s’éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse ;
Et sur l’art de former un nouvel embarras,
Devant elle Rolet mettroit pavillon bas.

Crois-moi, pour la fléchir trouve enfin quelque voie,
Ou je ne réponds pas dans peu qu’on ne te voie,
Sous le faix des procès abattu, consterné,
Triste, à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre,
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre.

  1. Instrument, en style de pratique, veut dire toutes sortes de
    contrat. (B.)
  2. Juvénal a fait une satire contre les femmes qui est son plus bel
    ouvrage. (B.)
  3. Paroles du commencement de la satire de Juvénal. (B.)
  4. Phryné, courtisane d’Athènes. (B.)
  5. Laïs, courtisane de Corinthe. (B.)
  6. Ceci est dit figurément. (B.)
  7. Conte de La Fontaine tiré de l’Arioste.
  8. François Corbueil-Villon, né à Auvers près Pontoise, était un pauvre poëte, oisif et vicieux. Accusé et plusieurs fois convaincu de friponnerie, il fut condamné par le Châtelet à être pendu. Sa peine fut commuée en bannissement. De nouveaux méfaits lui attirèrent une nouvelle condamnation. Mais Louis XI, qui faisait cas de son talent, lui fit grâce du supplice. Ses poésies se ressentent de ses mœurs ; l’impiété et l’immoralité y dominent, et cependant on y trouve celle allure vive et spirituelle qui caractérise l’esprit gaulois. Il mourut en exil.
  9. Mellin de Saint-Gelais, pourvu par François Ier de l’abbaye de Reclus, dans le diocèse de Troyes, devint ensuite aumônier du Dauphin, et bibliothécaire du roi. Il composa des contes pleins de grâce et de naïveté. Il fut l’âme des fêtes qui se donnaient à la cour et vécut dans l’intimité de Clément Marot.
  10. Un des plus célèbres poëtes italiens, auteur du Roland furieux.
  11. Clément Marot célébra en vers les princes et les princesses de la cour de François Ier. Mais plus tard, ayant embrassé la religion réformée, il fut exilé de France et mourut à Turin dans l’indigence.
  12. Poëte italien auteur du Décaméron, recueil de contes où La Fontaine a puisé le sujet de la plupart des siens.
  13. Auteur de Pantagruel et de Gargantua. Il se fit cordelier à Fontenay-le-Comte, ensuite médecin à Montpellier, et devint dans les derniers temps curé de Meudon.
  14. Les Contes de la Reine de Navare. (B.)
  15. Blandin et du (de) Rosset ont composé ces histoires.
  16. Célèbre prédicateur. (B.)
  17. Paroisse de Paris.
  18. Maximes fort ordinaires dans les opéras de Quinault.
  19. J. B. Lulli, né à Florence en 1633.
  20. Voyez les opéras de Quinault intitulés Roland et Armide.
  21. Roman de Clélie, et autres romans du même auteur.
  22. Une infâme, dont le nom était alors connu de tout le monde.
  23. Terme du jeu de piquet.
  24. Terme du jeu de trictrac.
  25. Terme du jeu d’hombre.
  26. Le lieutenant criminel Tardieu. — Il était neveu du conseiller Jacques Gillot, l’un des auteurs de la satire Ménippée.
  27. La fille de Jérémie Ferrier, qui avait été ministre de la religion réformée a Nîmes.
  28. La plupart des femmes portaient alors un masque de velours noir quand elles sortaient.
  29. Tardier et sa femme furent assassinés dans leur maison, sur le quai des Orfèvres, le 24 août 1645, par René et François Touchet frères, qui, arrêtés dans cette même maison, furent rompus vifs trois jours après. Quelques jours avant leur crime, le roi avait ordonné au premier président Lamoignon de faire informer contre le lieutenant criminel Tardieu, soupçonné de malversations.
  30. Célèbre jésuite.
  31. Auteur qui a donné un dictionnaire français.
  32. Célèbre maison près de Versailles, où on élève un grand nombre de jeunes demoiselles.
  33. C’est un nœud de rubans que les femmes mettent sur le devant de la tête pour attacher leur coiffure.
  34. Furie, dans l’opéra d’Isis, qui demeure presque toujours à ne rien faire.
  35. Une des Furies.
  36. Voyez le livre VII de l’Enéide.
  37. Bacchantes.
  38. Deux médecins de la Faculté de Paris.
  39. Premier médecin du roi. — Fagon, né en 1638, mort en 1718, ami et médecin de Boileau.
  40. Illustre mathématicien.
  41. Fameux astronome.
  42. Une des sept planètes.
  43. Chez qui on faisait beaucoup d’expériences de physique.
  44. Médecin du roi, connu pour être très-savant dans l’anatomie.
  45. Mme de La Sablière.
  46. Mme Deshoulières, qui était une des protectrices de Pradon, et qui fit un sonnet contre la Phèdre de Racine.
  47. Voyez la comédie des Précieuses.
  48. Combat de Cérisoles, gagné par le duc d’Enghien, en Italie, le 15 avril 1544.
  49. Les secrétaires du roi nouvellement établis assistoient au sceau.
  50. Mme de Maintenon.
  51. Alfonse Rodriguez, jésuite espagnol, mort en 1616 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, a composé un Traité sur la perfection chrétienne, traduit en français par Regnier Desmarais.
  52. Les plus exquis citrons confits se font à Rouen.
  53. Miguel Molinos, né dans le diocèse de Saragosse en 1627, mourut à Rome, dans la prison de l’inquisition, en 1696. On avait condamné soixante-huit propositions extraites de son livre intitule : la Guide spirituelle.
    Molinos est le chef de la secte des quiétistes.
  54. La Bruyère a traduit les Caractères de Théophraste, et a fait ceux de son siècle.
  55. Capanée était un des sept chefs de l’armée qui mit le siège devant Thèbes. Les poëtes ont dit que Jupiter le foudroya à cause de son impiété.
  56. Fameux épicurien qui se démit de sa charge de conseiller au parlement, pour se livrer plus librement à son goût pour la bonne chère et le plaisir. Il changeait de climat selon les saisons. Il affichait l’incrédulité et même l’athéisme, et cependant on dit qu’il se convertit avant de mourir.
  57. Il y a des femmes qui donnent à souper aux joueurs, de peur de ne les plus revoir s’ils sortaient de leurs maisons.
  58. Tyran en Sicile très-cruel.
  59. La coutume de Paris était favorable aux femmes.
  60. Ce portrait de la plaideuse, l’un des mieux amènes, est celui de la comtesse de Crissé.