Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 3, 1886.djvu/Le Cordonnier Saint

XVI

le cordonnier saint



Il y avait, une fois, un curé qui avait, dans une niche de son église, la statue du saint patron de la paroisse. Cette statue représentait un évêque en habits dorés, mitre en tête, crosse en main. On en parlait à dix lieues à la ronde. Force gens venaient de loin pour la voir, le jour de la fête patronale ; et pas un ne s’en retournait sans laisser une offrande, qui profitait au curé. Aussi, le brave homme veillait-il à ce que la statue fût alors propre, et brillante comme un écu neuf.

Un jour, le curé manda ses marguillières dans la sacristie.

— « Braves femmes, vous savez que dans trois jours tombe la fête patronale. Je vous en prie, faites que tout soit en ordre dans mon église. Faites surtout que la statue de mon saint soit propre, et brillante comme un écu neuf.

— Monsieur le curé, fiez-vous à nous. »

Jusqu’à la nuit, les marguillières enlevèrent les toiles d’araignées, balayèrent le pavé de l’église, époussetèrent les autels, les tableaux, la chaire, les chaises, et les bancs.

— « En voilà assez pour aujourd’hui. Mais le plus fort de notre travail reste à faire. Demain, il s’agit de nettoyer, et comme il faut, la statue du saint. »

Le lendemain matin, les marguillières arrivaient à l’église, sur les premiers coups de l’Angelus.

— « À l’ouvrage ! À l’ouvrage ! »

Mais le saint n’était pas léger, car il était fait de pierre peinte et dorée. Pourtant, les marguillières finirent par l’enlever de sa niche, et par le descendre sans le casser. Jusqu’au soir, elles lavèrent, elles frottèrent, si bien que la statue était propre, et brillante comme un écu neuf.

— « Et maintenant, il s’agit de replacer le saint dans sa niche. Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Mais le saint n’était pas léger, car il était fait de pierre peinte et dorée. Les marguillières suaient à grosses gouttes.

— « Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Le sonneur de cloches et son fils les regardaient faire en riant. Cela mit les marguillières hors d’elles-mêmes.

— « Finirez-vous de rire, bandits ? Finirez-vous de rire devant le Saint-Sacrement ?

— Marguillières, ce travail passe la force des femmes. Laissez-nous faire.

— Au large, mauvais sujets. Ce que font les hommes, les femmes peuvent le faire. — Allons ! Pas de presse. Doucement. Faisons bien ensemble, toutes ensemble. Hardi ! Hô ! »

Déjà, la statue touchait au bord de la niche.

— « Hardi ! Hô ! »

Patatra ! Le saint retomba sur le pavé, brisé en mille morceaux.

— « Jésus, Maria ! Quel malheur ! Quel malheur ! »

Le sonneur de cloches et son fils crevaient de rire.

— « Finirez-vous de rire, bandits ? Finirez-vous de rire devant le Saint-Sacrement ? Si vous dites la chose au curé, comptez que nous vous étripons, comme deux poulets. « 

Le sonneur de cloches et son fils jurèrent, par leurs âmes, d’être muets comme des poissons.

Alors, les marguillières recommencèrent à gémir.

— « Jésus, Maria ! Quel malheur ! Quel malheur ! Que faire, mon Dieu ? Que faire ? »

Enfin, la plus jeune prit un grand parti.

— « Mes amies, écoutez. Ce qui est fait est fait. À gémir jusqu’à demain, nous en serons pour nos cris. Cachons vite les mille morceaux de ce pauvre saint, et balayons le pavé. J’ai mon plan. »

Les marguillières obéirent.

— « Et maintenant, mes amies, il s’agit de réparer ce grand malheur. Avec le premier bâton venu, nous aurons bientôt fait une crosse. Avec de vieux ornements d’église, nous aurons bientôt cousu des habits et une mitre d’évêque. Cela fini, nous chercherons un brave garçon, bien discret, pour monter demain dans la niche, et faire le saint, de la pointe de l’aube au coucher du soleil. Allons, vite ! À l’ouvrage ! »

En deux heures, tout fut prêt.

— « Et maintenant, dit la plus jeune des marguillières, il s’agit de nous procurer le brave garçon bien discret. Ne trouvez-vous pas que mon galant, le cordonnier, a un faux air du pauvre saint ?

— C’est vrai. C’est vrai.

— Eh bien, allons trouver le cordonnier. Il ne nous refusera pas. »

Les marguillières allèrent donc trouver le cordonnier, et lui contèrent leur peine.

— « Marguillières, dit-il, je ne travaille pas pour rien. Si vous voulez que, demain, je fasse le saint, vous allez me donner un beau louis d’or. C’est à prendre, ou à laisser.

— Cordonnier, voici ton beau louis d’or.

— Marguillières, ce n’est pas tout. Demain, sans manger ni boire, je serai forcé de faire le saint, dans la niche, de la pointe de l’aube au coucher du soleil. Faites-moi vite un bon dîner, garbure, cuisse d’oie, tranche de veau en aillade[1], chapon rôti, salade, fromage d’Auvergne, bon vin vieux, sans compter le café, le pousse-café, et la prune à l’eau-de-vie.

— Cordonnier, tout ce que tu voudras. Suis-nous. »

Aussitôt, les marguillières allèrent se mettre en cuisine. Quand tout fut prêt, le cordonnier mangea comme un loup, et but comme un trou. Avant la pointe de l’aube, il était debout dans sa niche, vêtu d’habits dorés, mitre en tête, crosse en main. Déjà, quelques étrangers arrivaient, avec leurs offrandes. Au lever du soleil, l’église regorgeait déjà de monde.

— « Quel beau saint, mon Dieu ! Quel beau saint ! »

Avec des épingles, les bons chrétiens piquaient des images, des scapulaires, des chapelets, sur le cordonnier.

— « Prenez-garde, criaient les marguillières. Prenez-garde de piquer le saint. »

Sans le vouloir, le cordonnier piqué remua.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a remué. »

Sans le vouloir, le cordonnier éternua.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a éternué. »

Parmi les assistants, un garçon récitait son chapelet à genoux. C’était un ennemi du cordonnier, qui lui allongea un grand coup de crosse.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint a châtié le plus grand mauvais sujet du pays. Dehors, canaille. Ici, le saint ne veut pas de toi. »

Jusqu’après vêpres, les miracles continuèrent. Les offrandes pleuvaient, et le curé se frottait les mains.

Par malheur, au Magnificat, le cordonnier, travaillé par le bon dîner de la nuit, se mit tout à coup à frotter son ventre, et à se tordre comme un possédé.

— « Diable ! Diable ! pensait-il, je donnerais bien deux sous, pour être seul un moment, accroupi, bien à mon aise, derrière une haie. »

Enfin, le cordonnier n’y tint plus. Il sauta de sa niche, et partit au grand galop.

— « Au miracle ! Au miracle ! Le saint part. Courons après lui. »

Mais le cordonnier filait si vite, si vite, qu’on l’eut bientôt perdu de vue. Tandis qu’il contentait son envie, accroupi, bien à son aise, derrière une haie, les braves gens se disaient :

— « Le saint s’ennuyait à vivre toujours seul, dans sa niche. Il est retourné en paradis[2]. »

  1. Cuit dans une sauce à l’ail.
  2. Dicté par Françoise Lalanne, de Lectoure (Gers). Mlle Victorine Sant, de Sarrant (Gers), m’a fait un récit peu dissemblable pour le fond.