Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Les Trois Enfants

VII

les trois enfants



Il y avait, une fois, un homme et une femme. Ils se marièrent ensemble, et ils eurent trois enfants. Ces gens-là étaient pauvres, pauvres comme les pierres. Ils n’avaient rien pour manger ni pour se chauffer.

Un jour, la femme s’en alla ramasser des broussailles au bois. Elle y trouva un monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mie. Où allez-vous ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Eh bien ! mie, ramassez un beau fagot de bois, et faites-le brûler. Quand il sera brûlé, délayez-en la cendre, et faites-en un beau gâteau. »

La femme ramassa un beau fagot de bois, le fit brûler, en délaya la cendre, et en pétrit un gâteau roux, comme s’il eût été fait de farine de blé et de jaunes d’œufs.

Le lendemain, elle envoya l’aîné de ses enfants au bois. L’enfant trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si, monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre. »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit.

Quand il fut arrivé devant la mer, il jeta la lettre dans l’eau, et s’en revint.

— « Monsieur, votre bonne mère vous fait bien souhaiter le bonjour. Elle se porte bien.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, le ciel est bien quelque chose ; mais l’argent vaut bien davantage. »

Le monsieur lui donna un quartaut d’écus, et l’enfant s’en revint chez lui.

Le lendemain, son frère cadet s’en alla au bois. Il y trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si, monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre, »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit.

Quand il fut arrivé devant la mer, il jeta la lettre dans l’eau et s’en revint,

— « Monsieur, votre bonne mère vous fait bien souhaiter le bonjour. Elle se porte bien.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel, ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, le ciel est bien quelque chose ; mais l’argent est bien davantage. »

Le monsieur lui donna un quartaut d’écus, et l’enfant s’en revint à la maison.

Le lendemain, le plus jeune des trois frères, qui n’avait que trois ans, dit à sa mère :

— « Mère, je veux aussi aller au bois.

— Non, mon ami, tu n’iras pas. Tu es trop petit.

— Mère, je vous dis que je veux y aller. »

Par force, il fallut le laisser aller au bois. Quand il y fut, il trouva le monsieur.

— « Bonjour, monsieur.

— Bonjour, mon ami. Où vas-tu ?

— Monsieur, je m’en vais ramasser des broussailles. À la maison, nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Ne viendrais-tu pas avec moi, mon ami ?

— Si monsieur : aussi bien avec vous qu’avec un autre. »

Le monsieur l’amena dans son château, et lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à ma bonne mère. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit. Quand il arriva devant la mer, il donna trois coups de gaule, et la mer se partagea par le milieu. Il s’en alla loin, loin, loin.

Là, il trouva un pré bon à faucher. Les bestiaux y étaient maigres, secs.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva un pré si maigre, si maigre, qu’on y aurait ramassé du sel. Les bestiaux y étaient gras à lard.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva deux petites pierres qui se battaient.

Il s’en alla loin, loin, loin. Là, il trouva un bois où tous les oiseaux volaient à sa rencontre.

Il s’en alla loin, loin, loin. Enfin, il arriva au château de la sainte Vierge.

— « Sainte Vierge, je vous porte une lettre de votre fils. Tout en venant, j’ai trouvé un pré où on aurait fauché l’herbe. Pourtant, les bestiaux y étaient maigres, secs.

— Mon ami, c’étaient les mauvaises herbettes.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé un pré si maigre, si maigre, qu’on y aurait ramassé le sel. Pourtant, les bestiaux y étaient gras à lard.

— Mon ami, c’étaient les bonnes herbettes.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé deux petites pierres qui se battaient.

— Mon ami, c’étaient tes deux frères en dispute.

— Sainte Vierge, j’ai trouvé un bois. Tous les oiseaux volaient à ma rencontre.

— Mon ami, c’étaient les angelots qui venaient te chercher. »

Alors, la sainte Vierge prit l’enfant, et l’assit sur elle. L’enfant s’endormit, et la sainte Vierge lui tirait les poux.

Au bout de sept ans, elle le réveilla.

— « Réveille-toi, mon ami. Il y a sept ans que tu dors. »

La sainte Vierge, lui donna une lettre, une gaule, et un cheval.

— « Monte à cheval, et va porter cette lettre à mon cher fils. Quand tu seras arrivé devant la mer, tu lui donneras trois coups de gaule, et la mer se partagera par le milieu. »

L’enfant prit la lettre, la gaule, monta à cheval, et partit. Quand il fut arrivé devant la mer, il lui donna trois coups de gaule, et la mer se partagea par le milieu.

Il s’en alla loin, loin, loin. Enfin, il arriva au château du Bon Dieu.

— « Bonjour, monsieur. Votre mère se porte bien. Elle vous mande force compliments, et elle m’a donné cette lettre pour vous.

— Eh bien, mon ami, que préfères-tu, le ciel, ou un quartaut d’écus ?

— Monsieur, l’argent est bien quelque chose ; mais le ciel est bien davantage.

— Mon ami, va chez ta mère, et dis-lui que je vais aller dîner chez elle, avec tous mes angelots.

— Monsieur, comment voulez-vous qu’elle fasse ? Nous n’avons rien pour manger, ni pour nous chauffer.

— Dis-lui qu’elle aille de chambre en chambre : la table sera mise. Dis-lui qu’elle regarde dans le coffre : elle le trouvera plein de pain. »

Le Bon Dieu partit avec ses angelots, pour aller dîner chez la mère de l’enfant. Ils y soupèrent aussi, et ils y couchèrent. Le lendemain, ils repartirent. Le Bon Dieu envoya les deux frères aînés en enfer, et amena le plus jeune au ciel. Tout en faisant le lit du Bon Dieu, la mère trouva un sac d’écus sous le coussin. Aussitôt, elle courut après le maître de cet argent.

— « Monsieur, monsieur, voici le sac d’écus que vous avez oublié.

— Non, femme. Il est pour vous[1]. »

  1. Dicté par Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers).