Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/Le Bon Dieu et saint Pierre

V

le bon dieu et saint pierre



Un jour, le Bon Dieu dit à saint Pierre :

— « Saint Pierre, je suis las de vivre toujours en paradis. Pour me divertir, je veux faire un voyage sur la terre. C’est toi qui seras mon valet. Descends vite à l’écurie. Choisis deux bons chevaux, et mets-leur la bride et la selle.

— Bon Dieu, vous serez obéi. »

Saint Pierre descendit à l’écurie, choisit deux bons chevaux, et leur mit la bride et la selle.

Une heure après, tous deux étaient sur la terre. Alors, le Bon Dieu dit à son valet :

— « Saint Pierre, as-tu emporté de l’argent ?

— Non, Bon Dieu. Et vous ?

— Moi non plus.

— Bon Dieu, retournons en paradis. Sans argent, on ne va pas loin sur la terre. »

Le Bon Dieu se mit à rire, et poursuivit son chemin. Mais saint Pierre n’était pas content, surtout quand il entendait dire par les pauvres qui recevaient l’aumône des passants : « Que le Bon Dieu vous paie ! »

— « Allons, pensait le pauvre saint Pierre, mon maître m’a mis dans de jolis draps. — « Que le Bon Dieu vous paie ! Que le Bon Dieu vous paie ! » Voilà ce que j’entends dire tous les cent pas. Le Bon Dieu n’a pas un sou dans sa poche. Je vais quitter son service. Qu’il s’arrange comme il pourra. »

Le Bon Dieu riait toujours.

— « Saint Pierre, je sais ce que tu penses. Tu veux quitter mon service. Ne te gêne pas, mon ami.

— Bon Dieu, vous avez deviné juste. Bon voyage. Moi, je retourne en paradis. »

Alors, le Bon Dieu monta sur une aubépine fleurie, et la secoua de toute sa force. Les fleurs tombaient comme grêle. En tombant, elles se changeaient en beaux écus neufs. Saint Pierre les ramassa jusqu’au dernier.

— « Bon Dieu, dit-il, vous ne serez pas embarrassé pour payer vos dettes. Je retourne à votre service.

— Saint Pierre, comme tu voudras. Mais tu as manqué de confiance en moi. Pour te punir, je te condamne à marcher à pied. Descends de cheval, et donne ta bête au premier pauvre qui passera. »

Saint Pierre obéit. Mais il n’était pas content. Au bout de sept lieues, le maître prit pitié du valet.

— « Saint Pierre, tu n’en peux plus. Je veux te venir en aide. Récite seulement un Pater, sans rien penser qu’à ta prière, et je te donne un cheval pareil à celui que je t’ai pris.

Pater noster, qui es in cœlis, sanctificetur… Dites-moi, Bon Dieu, ce cheval sera-t-il aussi sellé et bridé comme l’autre ?

— Marche à pied, saint Pierre. Tu n’as pas gagné ton cheval. »

Saint Pierre obéit. Mais il n’était pas content. Au bout de sept lieues, le maître prit pitié du valet, et il lui rendit un cheval pareil à celui qu’il lui avait pris.

Tout en cheminant, ils rencontrèrent une charrette de foin versée. À genoux sur la route, le bouvier pleurait et criait :

— « Mon Dieu ! Ayez pitié de moi. Relevez ma charrette. Ayez pitié de moi.

— Bon Dieu, dit saint Pierre, n’aurez-vous pas pitié de ce pauvre homme ?

— Non, saint Pierre. Marchons. Celui qui ne s’aide pas ne mérite pas d’être aidé. »

Un peu plus loin, ils rencontrèrent une autre charrette de foin versée. Le bouvier faisait son possible pour la remettre sur ses roues, et criait :

— « À l’ouvrage, foutre ! Ha ! Mascaret. Ha ! Mulet. Hô ! Hardi[1], mille Dieux !

— Bon Dieu, passons vite. Ce bouvier jure comme un païen. Il ne mérite aucune pitié.

— Tais-toi, saint Pierre. Celui qui s’aide mérite d’être aidé. »

Le Bon Dieu mit pied à terre, et tira le bouvier d’embarras. Puis, il se remit en route avec son valet.

Un peu plus loin, ils trouvèrent un autre bouvier, qui menait aussi une charrette de foin.

— « Bonjour, bouvier. Où vas-tu ?

— Passez votre chemin. Je vais où il me plaît. »

Aussitôt la charrette versa. Le bouvier faisait bien ce qu’il pouvait pour la remettre sur ses roues. Mais ce travail passait les forces d’un homme seul. Alors, le Bon Dieu prit pitié de lui.

— « Attends, bouvier. Nous allons t’aider. Saint Pierre, à l’ouvrage ! »

En un moment, la charrette était sur ses roues.

— « Allons, dit le bouvier, on a bien raison de dire : « Un peu d’aide fait grand bien. »

— Insolent ! Voilà comment tu reconnais ce que nous avons fait pour toi. Tiens. »

D’un coup d’épaule, le Bon Dieu renversa la charrette, et repartit avec saint Pierre, laissant le bouvier se tirer d’affaire tout seul[2].

  1. Noms de bœufs en Gascogne.
  2. Dicté par le vieux Cazaux, et par Françoise Lalanne, tous deux de Lectoure (Gers).